Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la réforme du marché de l'électricité, au Sénat le 16 janvier 2024.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Débat organiséau Sénat à la demande du groupe Les Républicains

Texte intégral


M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle qu'il nous faudra suspendre nos travaux au plus tard à dix-neuf heures quinze, afin de permettre à chacun de se rendre à la cérémonie des voeux de M. le président du Sénat. Je vous invite donc à respecter le temps de parole qui vous est imparti.

L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème " La réforme du marché de l'électricité ".

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver cet après-midi pour ce débat sur la réforme du marché de l'électricité.

Je souhaite profiter de cette occasion pour saluer le travail remarquable effectué par Agnès Pannier-Runacher comme ministre de la transition énergétique, en particulier pour l'obtention d'un accord décisif sur le marché européen de l'énergie.

Pour débuter cette première intervention, je tiens à vous faire part d'une conviction forte : l'énergie est le grand défi économique du XXIe siècle, celui qui doit nous permettre de renforcer notre indépendance, d'offrir à nos concitoyens comme à nos entreprises une énergie décarbonée au coût le plus bas possible, et d'accélérer la décarbonation de la France pour faire de notre Nation la première économie décarbonée en Europe à l'horizon 2040. Cela suppose de disposer d'une stratégie cohérente, globale, dans le prolongement de ce qu'a défini le Président de la République à Belfort et que je rappellerai brièvement ici.

Le premier pilier de cette stratégie est la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Nous dépendons encore d'énergies fossiles à hauteur de 60% de notre consommation énergétique, alors que nous ne produisons plus rien dans ce domaine – ni gaz ni pétrole – sur notre territoire.

Nous sommes donc largement dépendants en matière énergétique. Cela engendre une vulnérabilité climatique, car il s'agit d'énergies fossiles, ainsi qu'une vulnérabilité géopolitique, comme nous l'avons vu depuis l'invasion russe en Ukraine ; nous risquons de la constater aussi du fait des blocages en mer Rouge et des difficultés d'approvisionnement qui en résulteront.

Cette dépendance entraîne enfin une vulnérabilité économique et financière de tous les instants, car nous sommes – consommateurs et entreprises – exposés aux risques d'envolée du prix du baril ou du gaz.

Nous devons donc, par souci de renforcer notre indépendance, réduire au strict minimum la part des énergies fossiles dans notre économie et viser la neutralité carbone.

Pour cela – il faut être conscient des chiffres et des enjeux –, il faut doubler la part de l'électricité dans notre mix énergétique en la faisant passer de 27 à 55% d'ici à 2050.

Ce doublement des capacités électriques de la Nation en une vingtaine d'années est la condition pour tenir nos objectifs de neutralité carbone et d'indépendance énergétique. Il s'agit aussi d'un défi industriel et financier tel que la France n'en a pas connu depuis quarante ans.

Ce défi industriel suppose d'accélérer le déploiement de l'éolien terrestre et de l'éolien offshore, d'accélérer le déploiement des panneaux solaires, de réussir la construction des six nouveaux EPR, alors même que nous n'avons pas réalisé, depuis plusieurs décennies, de chantier industriel de cette ampleur, d'investir dans l'hydrogène et dans le réseau électrique – il faudrait installer entre 15 000 et 25 000 kilomètres de lignes à haute tension pour réussir l'électrification de notre pays.

Toutes ces énergies sont complémentaires, et jamais je n'opposerai les énergies les unes aux autres. Quoi qu'il en soit, ce défi industriel est absolument considérable.

Il s'agit aussi d'un défi financier, dont les coûts ont été largement évalués. Le budget de la Nation est mis à contribution : 7 milliards d'euros supplémentaires y sont consacrés dans le projet de loi de finances pour 2024. Il convient également de mieux mobiliser l'épargne privée, et de mettre en place l'union des marchés des capitaux au niveau européen, sans laquelle nous ne parviendrons pas à lever les sommes nécessaires.

L'indépendance électrique de la Nation française est donc un défi industriel tel que la France n'en a pas connu depuis un demi-siècle.

Le deuxième pilier de cette stratégie est la réindustrialisation.

L'électrification ne doit pas nous conduire à acheter à l'étranger ce dont nous avons besoin. Nous devons au contraire nous en servir comme d'un levier pour produire en France davantage de pales d'éoliennes, de panneaux solaires, de réacteurs nucléaires et de turbines, autant d'éléments nécessaires au parc électrique national.

Climat et réindustrialisation ont partie liée. J'ai la conviction profonde que la transition climatique nous offre une occasion unique dans l'histoire récente de notre Nation d'effacer quarante années de désindustrialisation et de réindustrialiser le pays. De fait, la transition climatique représente des usines et des emplois. Nous devons saisir cette occasion.

Dans cette perspective, nous avons voté une loi relative à l'industrie verte – d'ailleurs largement soutenue par le Sénat, ce dont je le remercie – qui met en place, pour la première fois en Europe, un crédit d'impôt au titre des investissements dans l'industrie verte. La France est la seule nation en Europe à demander aux industriels, à l'instar des États-Unis avec l'Inflation Reduction Act, de produire des panneaux solaires, des pales et des mâts d'éoliennes, des pompes à chaleur et des batteries électriques, et à leur accorder un crédit d'impôt, afin qu'ils le fassent sur le sol français avec des technologies françaises. Ce dispositif permettra d'accélérer la production nationale.

Examinons les faits et uniquement les faits dans le domaine industriel : la transition climatique nous a permis, pour la première fois depuis plusieurs décennies, d'ouvrir une nouvelle chaîne de valeur industrielle en France. L'industrie française comprend désormais, outre la chimie, l'aéronautique et l'automobile, la filière des batteries électriques.

Cette filière est probablement l'une des plus performantes d'Europe, grâce à ses quatre gigafactories, à la recherche et à l'innovation françaises. Notre pays sera ainsi l'un des premiers à maîtriser la fabrication des batteries à état solide, et pas uniquement celle des batteries lithium-ion.

Nous avons également mis en place des instruments financiers : le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 5 milliards d'euros de prêts participatifs verts et d'obligations vertes.

Nous avons en outre multiplié par treize les soutiens à l'export des énergies renouvelables entre 2018 et 2022.

Vous le voyez, notre mobilisation est pleine et entière pour faire de la transition climatique un enjeu industriel et le moyen de réindustrialiser enfin la nation française. Et nous obtenons des résultats !

Désormais que l'énergie est dans le périmètre du ministère de l'économie et des finances, nous comptons accélérer la décarbonation industrielle du pays, renforcer notre souveraineté industrielle et relever le défi de l'électrification du mix énergétique national.

Le troisième pilier de cette stratégie repose sur la sobriété et l'efficacité énergétiques.

Je tiens à rassurer tous ceux qui ont émis des critiques : nous sommes en démocratie et toutes les critiques sont les bienvenues.

M. Fabien Gay. Merci ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour autant, je veux dire à tous ceux qui prétendent que nous aurions tout d'un coup, parce que l'énergie relève désormais du ministère de l'économie et des finances, abandonné les principes de sobriété et d'efficacité qu'ils se trompent ! J'ai la conviction absolue que ces deux principes doivent impérativement faire partie de notre stratégie énergétique.

Sobriété et efficacité sont des moyens indispensables pour atteindre notre objectif de réduire de 40 à 50 % notre consommation d'énergie par rapport à 2021.

Concrètement, qu'est-ce que cela implique ?

La sobriété consiste à lutter contre le gaspillage d'énergie en adoptant de nouvelles habitudes. Nous avons commencé à le faire à l'automne 2022 avec le grand plan de sobriété énergétique. Nous avons d'ailleurs obtenu des résultats, et j'en remercie nos compatriotes : sur les douze derniers mois, la consommation de gaz et d'électricité a diminué d'environ 12%.

J'en viens à l'efficacité. Personne ne peut se satisfaire que la chaleur émise par des usines ne soit pas récupérée à des fins énergétiques. Le meilleur exemple que je puis vous citer, c'est le site d'ArcelorMittal sur lequel je me suis rendu hier : il permet à lui seul d'approvisionner 40% de la chaleur du réseau urbain de Dunkerque.

Quant au quatrième pilier, j'y tiens beaucoup, mais on en entend moins parler…

M. Fabien Gay. Le marché ! (Sourires.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Il s'agit en effet, monsieur le sénateur, du marché européen ; les communistes et les gaullistes auront toujours partie liée… (Rires.)

Rien ne sert de décarboner notre économie si l'on doit exposer nos industries à des conditions de marché qui, elles, ne visent pas cet objectif de décarbonation.

M. Laurent Duplomb. C'est pourtant ce que l'on fait !

M. Bruno Le Maire, ministre. Lorsqu'en France on produit des éoliennes, de l'hydrogène, ou de l'acier décarboné, comme nous venons de le décider pour le site d'ArcelorMittal en investissant près de 2 milliards d'euros, il est évident que cela coûte plus cher, même si c'est plus vertueux. C'est meilleur pour le climat, mais moins bon pour les finances !

Pour résoudre cette équation, il faut que le marché européen se protège : j'emploie ce mot à dessein, car les États-Unis et la Chine n'hésitent pas à le faire.

Le marché européen doit tout d'abord se protéger grâce au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières qui sera mis en place dans quelques années pour compenser les écarts de tarifs entre une production vertueuse d'un point de vue environnemental et une production moins coûteuse, mais moins vertueuse.

Il doit ensuite se protéger grâce au Net-Zero Industry Act,…

M. le président. Il faut penser à conclure, monsieur le ministre, car vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole.

M. Bruno Le Maire, ministre. Permettez-moi d'achever mon propos sur la politique européenne pour ne pas froisser mes amis communistes, monsieur le président.

M. le président. Je vous en prie.

M. Bruno Le Maire, ministre. Avec le Net-Zero Industry Act, j'insiste sur la nécessité d'imposer une primauté européenne dans les appels d'offres et les marchés publics, que ce soit pour l'énergie photovoltaïque, les batteries ou l'hydrogène. Je sais que ce sujet reste un tabou, mais la France doit le briser. Ainsi, il ne faudrait pas que l'on attribue plus de 50% d'un marché public à des États tiers à l'Union européenne. Autrement dit, au moins 50% des commandes publiques devraient revenir exclusivement à des pays européens qui respectent les normes environnementales les plus strictes et qui acceptent les coûts supplémentaires, autant de raisons qui justifient qu'on les privilégie et qu'on protège leur marché.

Je ne serai pas plus long, monsieur le président. Merci de votre mansuétude !


- Débat interactif -

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l'automne 2021, notre économie est confrontée à une hausse particulièrement importante du coût des énergies fossiles, ce qui a donné lieu à une crise énergétique qu'est venu aggraver le conflit en Ukraine, dans la mesure où l'Union européenne était très dépendante du gaz provenant de Russie.

Par conséquent, depuis plusieurs mois, qu'il s'agisse des entreprises, des particuliers ou des collectivités, les consommateurs ont dû bien souvent faire face à une augmentation des prix figurant en bas de leur facture.

Rappelons néanmoins que la situation aurait été bien pire sans le bouclier tarifaire et le chèque énergie déployés par le Gouvernement.

Toujours est-il que la crise énergétique a mis en lumière nos vulnérabilités. Une réforme du marché de l'électricité s'est donc révélée indispensable.

Comme nous le savons, depuis la fin de l'année 2023, après plusieurs mois d'intenses négociations, l'Union européenne s'est enfin accordée sur une réforme du marché de l'électricité. Il s'agit d'une réforme urgente, nécessaire, et dont les effets sont très attendus par nos concitoyens.

Cette réforme – on le comprend déjà – favorisera les investissements dans les énergies décarbonées, notamment l'énergie nucléaire. Tant mieux, puisque cela correspond à l'un des piliers de la stratégie française.

Toutefois, si les Français s'inquiètent du défi climatique, ils se préoccupent également de leur pouvoir d'achat et des factures à la fin du mois.

Je souhaite donc interroger le Gouvernement sur les effets de cette réforme du marché de l'électricité pour nos concitoyens. Autrement dit, monsieur le ministre, dans quelle mesure cette réforme permettra-t-elle de mieux protéger les consommateurs français, notamment face à la volatilité des prix ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Cette réforme du marché européen de l'électricité était indispensable. En effet, au moment de la crise énergétique, les consommateurs, qu'il s'agisse des ménages ou des entreprises, ont été exposés à une flambée insupportable de leur facture. Nous les avons protégés, en particulier les petits commerçants, grâce au bouclier tarifaire – je vous remercie de l'avoir rappelé, monsieur le sénateur.

Cela étant, nous ne pourrons pas continuer de mettre des dizaines de milliards d'euros sur la table à chaque fois que les prix de l'énergie augmenteront.

La réforme que nous avons obtenue – je salue une fois encore le travail effectué par Agnès Pannier-Runacher – repose sur trois principes : la visibilité, la stabilité et la compétitivité.

Visibilité, parce que nous aurons désormais la possibilité d'étendre, notamment aux plus petites entreprises, le tarif régulé dont peuvent déjà bénéficier les particuliers.

Oublié, le seuil de 36 kilovoltampères qui tracassait beaucoup les patrons des très petites entreprises, les boulangers et les commerçants redoutant sans cesse de ne plus être éligibles au tarif réglementé de vente. Toutes les petites entreprises de moins de dix salariés pourront désormais avoir un tarif régulé.

Stabilité, parce qu'il n'y aura plus d'explosion du prix de l'électricité. En effet, si cela se produisait, nous aurions le droit de récupérer l'argent gagné par EDF et de le redistribuer intégralement aux consommateurs comme aux entreprises. Là encore, c'est un changement majeur par rapport à la situation antérieure.

Compétitivité enfin, puisque nous avons conclu avec EDF des contrats de long terme pour garantir un prix moyen de l'électricité autour de 70 euros par mégawattheure, ce qui assurera aux très grandes entreprises consommatrices d'énergie, comme aux entreprises industrielles de plus petite taille, un tarif stable et raisonnable dans les années qui viennent. La France gardera ainsi un atout compétitif décisif.

À ceux que j'entends exprimer des doutes, je répondrai simplement en leur rappelant l'exemple récent d'ArcelorMittal. Alors que M. Mittal avait le choix entre cinq sites pour investir, dont quatre en Europe et un aux États-Unis, il a choisi la France. Croyez-moi, ce n'est certainement pas par philanthropie, mais parce que notre énergie est moins chère.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, jusqu'à présent le Gouvernement n'a pas ou peu abordé la question importante du financement des nouveaux réacteurs nucléaires. Or il faudra plus de 50 milliards d'euros pour financer les six premiers réacteurs et plus de 150 milliards d'euros si l'on veut en construire quatorze, comme l'a annoncé le Président de la République.

Compte tenu de sa situation actuelle, qui résulte des règles européennes, EDF ne peut pas recourir à l'autofinancement, et la capacité de l'entreprise à s'endetter est très limitée.

Dans ce contexte, pouvez-vous nous dire quels sont les dispositifs régulés et contractuels permis par l'Union européenne que le Gouvernement entend privilégier en complément du financement public sous forme de subventions ou de dotations en capital ?

L'Union européenne promeut les contracts for difference (CFD) ou " contrats pour la différence ", et les power purchase agreements (PPA) ou accords d'achat d'énergie. Dans quelle mesure y aurez-vous recours pour financer les investissements dans le nucléaire ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. On évalue à plus de 55 milliards d'euros le coût total de la réalisation des six nouveaux EPR. La montée en charge se fera progressivement, puisque l'on estime que, d'ici à 2027, les investissements nécessaires ne dépasseront pas 1 ou 2 milliards d'euros.

Bien évidemment, l'État apportera son soutien, mais le meilleur moyen de financer ces EPR reste de garantir la rentabilité d'EDF. D'où la position que j'ai adoptée pendant toute la durée des négociations entre EDF et l'État sur la réforme des tarifs : il fallait non seulement garantir la compétitivité des tarifs pour l'industrie, mais également veiller à la rentabilité d'EDF, car l'entreprise doit réduire sa dette, qui s'élève à 65 milliards d'euros, et renouer avec la rentabilité, ce qui lui permettra de dégager des moyens financiers pour investir aussi dans le nouveau programme nucléaire.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, vous n'avez, hélas ! pas tout à fait répondu à ma question.

En réalité, le coût définitif du mégawattheure produit par le nouveau nucléaire découlera de la construction des centrales, de leur pilotage et leur maintenance, du cycle complet du combustible, ainsi que des démantèlements.

Le Gouvernement peut utiliser différents dispositifs de financement, parmi lesquels les emprunts souverains indexés sur les obligations assimilables du Trésor (OAT), ou bien encore une base d'actifs régulés. Ces techniques de financement sont plus ou moins dépendantes des marchés et plus ou moins liées à certaines catégories de consommateurs. Il en résulte des coûts d'emprunt plus ou moins élevés.

Un arbitrage politique du Gouvernement est nécessaire : il faut choisir entre la contribution sur le long terme de l'État et, donc, des contribuables, la contribution des partenaires financiers potentiels du nucléaire et celle des consommateurs.

Dans le cadre européen défini par le market design et la taxonomie verte, les modalités de financement du nucléaire auront un impact fort sur le prix payé par le consommateur français.

Or nous voulons que ce prix soit le plus régulé possible pour protéger nos compatriotes. La compétitivité de notre industrie en sera aussi affectée. Je souhaite, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne tarde pas à s'expliquer sur ce point et qu'il engage un débat de fond avec le Parlement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, les enjeux d'une réforme du marché de l'électricité ne sont pas des moindres et, comme vous l'avez dit, l'énergie est le grand défi du XXIe siècle, un défi industriel.

Il s'agit, d'une part, d'offrir une électricité à un prix stable et abordable pour stimuler la compétitivité et garantir la viabilité des investissements de notre industrie et de nos entreprises ; d'autre part, nous devons nous donner les moyens de répondre à une demande en électricité sans cesse plus forte dans un contexte de réindustrialisation et de décarbonation de notre économie.

Alors que nous manquons de visibilité sur les prix, que nous peinons à sortir de la crise énergétique et que la concurrence internationale se fait de plus en plus agressive, l'Union européenne est parvenue à un accord pour réformer le marché de l'électricité. Nous pouvons nous en réjouir, mais certaines interrogations demeurent.

Ainsi, l'instauration de contrats de long terme, les power purchase agreements, conclus de gré à gré, directement entre un producteur et un client, est une bonne chose. Ils constitueront un réel soutien pour nos industries, en particulier les entreprises " électro-intensives " qui attendaient ces contrats d'achat depuis longtemps.

Néanmoins, s'il est indispensable de soutenir les acteurs industriels les plus énergivores, il semble juste que ce mécanisme puisse être appliqué à l'ensemble du tissu industriel de notre territoire, en particulier aux manufactures textiles et aux entreprises agroalimentaires et chimiques qui consomment, elles aussi, beaucoup d'électricité.

On éviterait ainsi des distorsions de concurrence ; on permettrait aussi à notre industrie de gagner en compétitivité et d'aborder plus sereinement la transition énergétique. J'en veux pour preuve l'industrie chimique, qui prévoit de réduire de 41% à 49% ses émissions annuelles de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Un tel objectif ne peut être atteint que si l'on garantit l'accès à des volumes suffisants d'électricité, et à des prix stables.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaite savoir si le Gouvernement envisage de généraliser les contrats de long terme en cours de négociation aux industries non électro-intensives. C'est une question de souveraineté et de compétitivité pour nos entreprises.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous le confirme, monsieur le sénateur, cher Guillaume Chevrollier, ces contrats s'étendront à l'ensemble des entreprises.

Les entreprises électro-intensives bénéficieront de contrats de très long terme, d'une durée d'environ quinze ans – le premier d'entre eux, celui entre ArcelorMittal et EDF, vient d'être signé.

Ce type de contrat est réservé à de très grosses entreprises pour la simple raison qu'il nécessite de mettre en place une contrepartie, dite " avance en tête ", c'est-à-dire une avance de trésorerie que la très grande entreprise fait à EDF pour lui permettre de garantir la soutenabilité de sa production sur quinze ans.

Le dispositif est particulièrement vertueux : l'entreprise concernée est engagée et participe à la rentabilité d'EDF qui, en retour, lui garantit le tarif de l'électricité le plus compétitif de l'Union européenne. Je le répète, c'est ce qui explique la décision prise par ArcelorMittal, lundi dernier, d'investir 1,8 milliard d'euros dans un site français.

Pour les autres entreprises industrielles, le contrat sera moins long, d'une durée de l'ordre de trois à cinq ans. On leur permettra ainsi d'échapper à des difficultés de trésorerie, tout en conservant le même objectif, celui de parvenir à un prix moyen de l'électricité d'environ 70 euros par mégawattheure, soit l'un des tarifs les plus compétitifs en Europe.

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le marché européen de l'électricité mis en place depuis la fin des années 1990 constitue une atteinte déterminante à la souveraineté de la France et au pouvoir d'achat de nos compatriotes.

La France, grâce à une politique ambitieuse engagée par les gouvernements gaullistes, avait pourtant su développer un système énergétique cohérent, fondé sur l'énergie nucléaire et l'hydroélectricité, qui lui avait permis d'obtenir une indépendance énergétique totale en moins de trente ans et de disposer de l'énergie la plus décarbonée de l'Union européenne.

Face aux dogmes européens de l'ultralibéralisme et de la concurrence, nous avons dû intégrer notre système de gouvernance énergétique dans un marché européen technocratique et incompréhensible pour de nombreuses personnes.

Alors que l'on nous avait promis une énergie bon marché et un investissement continu dans les énergies décarbonées, l'inflation et les crises énergétiques des dernières années ont démontré les vices de conception rédhibitoires de ce système.

Le Gouvernement s'est félicité de l'accord trouvé au forceps entre nos partenaires européens sur la réforme du marché de l'électricité, mais cela n'empêchera pas la hausse de 10% du tarif de l'électricité que nos compatriotes, déjà étranglés de toute part, subiront au mois de février prochain.

À l'heure où le Portugal et l'Espagne ont su décrocher temporairement du marché européen de l'électricité pour protéger leurs citoyens, avec un effet positif immédiat et une baisse des tarifs entre 10 % et 20 %, il semble que le Gouvernement s'entête.

Monsieur le ministre, pourquoi rechignez-vous tant à accepter un décrochage temporaire du marché européen de l'électricité, qui constituerait une bouffée d'oxygène sociale et rendrait un peu de pouvoir d'achat aux Français ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. J'entends les critiques émises sur le marché européen de l'électricité ; nous en avons d'ailleurs tiré les conclusions, puisque nous l'avons réformé.

Toutefois, il faut distinguer le marché de gros et le marché de détail. La réforme que nous avons défendue portait sur le marché de détail pour en garantir la visibilité, la stabilité et la compétitivité en matière de prix. Nous l'avons obtenue au prix d'une bataille difficile.

S'agissant du marché de gros, l'intérêt de la France est de rester un État membre de l'Union européenne. En effet, lorsque nous produisons beaucoup d'électricité, nous l'exportons. Or c'est le cas aujourd'hui, non seulement parce que nos réacteurs nucléaires ont retrouvé leur niveau normal de production, mais aussi parce que nous avons produit beaucoup d'électricité décarbonée à partir des énergies renouvelables. Aujourd'hui, nous exportons de l'électricité, ce qui est une bonne chose, car, vous en conviendrez, nous avions bien besoin de rééquilibrer notre balance commerciale.

En revanche, lorsque nous sommes en défaut de production, comme cela a été le cas il y a quelques mois à cause des difficultés qu'ont rencontrées nos réacteurs, nous sommes bien contents de pouvoir importer de l'électricité. Si nous ne l'avions pas fait, nous aurions subi un blackout l'hiver dernier. Notre appartenance au marché européen, me semble-t-il, nous protège.

Quant à l'Espagne, je rappelle que la situation de ce pays est totalement différente, puisqu'il n'est pas interconnecté et constitue en quelque sorte une île énergétique.

Par conséquent, ma conviction est que notre intérêt est de rester dans le marché européen, à condition qu'il soit réformé selon les principes que je viens de rappeler.

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s'il est bien un enseignement majeur à tirer de l'agression de la Russie de Poutine contre l'Ukraine, c'est que l'électricité est une arme de géopolitique. L'Europe s'est fait peur : ce conflit aura au moins eu l'avantage de mettre au coeur du débat le sujet crucial de la réforme du marché de l'électricité.

Le raccordement en urgence de l'Ukraine au réseau européen, quelques semaines seulement après l'agression russe, nous rappelle la nécessité de travailler sur nos interconnexions. Nous avions déjà eu un aperçu de cet enjeu au moment du Brexit, quand nous nous sommes rendu compte que l'Irlande n'était pas directement raccordée au continent européen. Je salue au passage le travail en cours sur le projet Celtic Interconnector entre notre pays et l'Irlande.

Ces deux dossiers, de manière bien différente, nous exhortent à repenser notre sécurité énergétique, ainsi que notre souveraineté et notre indépendance. Je me réjouis donc, monsieur le ministre, des efforts que vous avez déployés durant les négociations sur la réforme du marché de l'électricité pour défendre le nucléaire – je souscris aux propos que vous avez tenus, car j'ai moi aussi, à titre personnel, toujours défendu cette énergie. Je salue également le travail réalisé par la ministre Agnès Pannier-Runacher.

L'énergie nucléaire, à l'heure où la planète se décarbone, est une chance : elle est fiable, sûre et puissante. Le travail qui est fait autour de l'atome, du cycle du combustible et du traitement des déchets est porteur d'espoir, même si, bien entendu, tout cela a un coût.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous expliquiez le plus précisément possible ce que contient l'article 19b de l'accord qui a été conclu et en quoi il facilitera nos investissements dans le nucléaire. Les négociations européennes sont longues et parfois pleines de rebondissements – on pourrait même dire « fastidieuses ». Sommes-nous sûrs que les régimes d'aides directes seront favorables au développement et à l'innovation dans le domaine du nucléaire ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous confirme que l'article 19b s'appliquera à la fois aux installations nucléaires existantes et aux futures installations.

Les débats sur la possible mise en oeuvre de ce dispositif pour les installations nucléaires existantes ont été extrêmement rudes – je peux en témoigner –, y compris avec nos partenaires allemands. Nous avons eu gain de cause sur ce point essentiel.

Un autre enjeu concernait la possibilité de redistribuer la rente, lorsque les prix sont très élevés, à l'ensemble des consommateurs, particuliers comme entreprises. Là encore, nous avons eu gain de cause. Telles sont les deux victoires majeures que nous avons obtenues : étendre les CFD aux installations nucléaires existantes, qui sont par définition déjà amorties, et redistribuer la rente à tous.

Quant aux interconnexions, je suis tout comme vous très favorable à leur développement. Des projets existent déjà vers l'Espagne et vers l'Irlande. Et si d'autres initiatives voyaient le jour, elles seraient bienvenues. En effet, si l'on se projette dans vingt ans, la France sera l'une des seules nations européennes qui pourra disposer, grâce à son énergie nucléaire, de capacités électriques massives. Exporter notre électricité décarbonée sera, dans les années à venir, un moyen – peut-être le seul – de rééquilibrer notre balance commerciale.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.

M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'accord conclu entre l'État français et EDF le 14 novembre dernier pose les fondations du futur cadre de la régulation du prix de l'électricité d'origine nucléaire, qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2026, date d'expiration du dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh).

Au lieu du tarif actuel de 42 euros par mégawattheure, qui s'applique pour une partie de la production d'EDF dans le cadre de l'Arenh, cet accord garantit un prix moyen de 70 euros par mégawattheure pour l'ensemble de la production d'électricité d'origine nucléaire. Comment ce niveau de prix a-t-il été fixé ? Sur quelles données et sur quels paramètres s'est-on fondé pour le définir ?

On peut lire dans la presse que ce niveau de prix est le reflet d'un " engagement d'EDF sur sa politique commerciale dans les années à venir ". Monsieur le ministre, vous avez précisé que « le respect de cet engagement ne pourra de fait être constaté qu'a posteriori », actant donc la possibilité qu'un tel niveau de prix ne soit pas adapté aux réalités du marché.

Quelles sont les clauses de revoyure qui ont été imaginées pour modifier ce prix moyen s'il était mal calibré ? De quelles garanties disposons-nous en la matière ? Par ailleurs, un tel prix est-il équitable vis-à-vis des autres acteurs du marché de l'énergie ?

Enfin, où en sont les discussions avec la Commission européenne pour valider l'accord au regard du droit de la concurrence et de la régulation ?

Monsieur le ministre, ces questions sont cruciales, car elles doivent nous permettre, avec objectivité et transparence, de bien appréhender le cadre de cet accord qui est décisif pour l'avenir de notre pays.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Sans révéler de grand secret, la négociation entre EDF et l'État a certes été respectueuse, mais elle a été aussi longue et difficile. Il fallait en effet concilier les intérêts d'EDF, c'est-à-dire sa rentabilité, et ceux des entreprises industrielles. Je me suis battu personnellement pour que nous gardions cet équilibre.

Certains me disaient qu'il fallait un prix garanti à 60 euros par mégawattheure, et tant pis pour la rentabilité d'EDF ! Pourquoi pas ? Mais cela aurait eu pour conséquence que l'État aurait été contraint de venir à la rescousse, de recapitaliser EDF, dont la dette aurait augmenté, de sorte que le système n'aurait finalement pas tenu financièrement.

En définitive, il me semble que nous avons trouvé le bon équilibre. Pour déterminer le juste prix, nous nous sommes intéressés au coût moyen de production de l'électricité par les centrales existantes auquel nous avons ajouté celui de la construction des nouveaux réacteurs. C'est ainsi que nous sommes arrivés au prix moyen de 70 euros par mégawattheure.

Ces éléments ont déjà été transmis à la Commission européenne, et nous estimons qu'ils sont parfaitement conformes à l'accord qui a été conclu dans le cadre du nouveau marché européen.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'énergie est un bien commun essentiel à notre société. La crise énergétique que nous connaissons et les spéculations qu'elle a engendrées ont des effets économiques et sociaux délétères, à la fois pour notre tissu économique et, a fortiori, pour les plus vulnérables de nos concitoyens.

Dans ce contexte, les réformes du marché de l'électricité doivent garantir un accès généralisé à l'énergie permettant de couvrir les besoins à un coût abordable.

Or, avec la politique que vous menez, vous ne semblez pas emprunter cette voie, alors que vous avez, depuis la mi-novembre 2023, commencé à dessiner les contours de la future régulation du marché dans le secteur du nucléaire.

L'objectif affiché par le Gouvernement est clair : il faut à la fois que " les consommateurs français puissent bénéficier de prix stables " et qu'EDF ait " les moyens d'investir pour son avenir ".

En réalité, votre politique nous semble avoir pour principal objectif de garantir le financement coûte que coûte de la relance du nucléaire. Dans cette perspective, votre stratégie française pour l'énergie et le climat prévoit un cadre post-Arenh dans lequel les consommateurs paieront une part supposée juste du préfinancement de notre futur mix énergétique.

Mais que s'agit-il de préfinancer et pour combien ? Le coût de cette relance du nucléaire est plus qu'incertain et risque de peser fortement dans les portefeuilles des consommateurs.

Rappelons qu'EDF est déjà endettée à hauteur de 65 milliards à 70 milliards d'euros et que les besoins en matière d'investissement semblent infinis : je pense au vieillissement des cinquante-six réacteurs en service, qui doivent faire l'objet d'une quatrième visite décennale et qui entrent dans le programme du grand carénage, au coût de l'EPR de Flamanville qui n'en finit pas de déraper, aux dépenses supplémentaires nécessaires pour financer les nouveaux EPR2, les hypothétiques petits réacteurs modulaires (SMR), ainsi que le centre de La Hague et le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) – la liste longue et je m'arrêterai là.

Dans le même temps, le coût des énergies renouvelables baisse, et leur production ne cesse d'augmenter partout dans le monde. Notons qu'en 2023 les nouvelles installations photovoltaïques ont permis d'atteindre une puissance cumulée de 510 gigawatts, ce qui constitue un record.

Au-delà de nos désaccords sur la sécurité et l'impact environnemental du nucléaire, pourriez-vous nous indiquer dans quelle mesure cette relance du nucléaire pèsera sur le prix de l'énergie fournie aux consommateurs, dès lors que le tarif post-Arenh semble devoir être fixé à 70 euros par mégawattheure ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je reviens à la question précédente pour préciser, en ce qui concerne les clauses de révision, qu'un premier rendez-vous est prévu après six mois, puis que d'autres rendez-vous seront planifiés tous les trois ans pour réexaminer les deux seuils qui ont été définis, à savoir celui de 78 euros, au-dessus duquel 50% de la rente est redistribuée, et celui de 110 euros, à partir duquel 90% de la rente est redistribuée aux consommateurs, particuliers comme entreprises. Nous pourrons ainsi nous assurer que ces seuils sont les bons.

En effet, monsieur le sénateur, 55 milliards d'euros pour le nucléaire, c'est beaucoup d'argent, mais, en réalité, c'est toute l'électricité qui coûte cher. Voilà ce dont chacun doit prendre conscience. Il s'agit là de l'investissement le plus important dont la France ait besoin aujourd'hui.

Depuis 2010, je le rappelle, quelque 75 milliards d'euros ont dû être investis dans les énergies renouvelables (EnR). Les réseaux, un sujet que tout le monde a fini par oublier à force de penser aux éoliennes, aux panneaux photovoltaïques ou aux réacteurs, nécessiteront un investissement qui dépassera les 100 milliards d'euros d'ici à 2040.

Quant au nucléaire, je persiste et je signe : la France dispose là d'un atout compétitif majeur, qui lui garantit une énergie stable. Notre objectif n'a jamais été de passer au tout nucléaire, mais de réaffirmer qu'il s'agit d'un avantage compétitif que nous devrons renforcer en développant les énergies renouvelables, d'une part, et en favorisant la sobriété et l'efficacité énergétiques, d'autre part.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, ma question est simple : quelle est la différence entre le coût, le tarif et le prix de l'électricité ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Le coût de l'électricité, c'est ce que cela coûte à EDF de la produire ; le tarif, c'est ce que doivent payer les gens ; et l'ensemble, c'est ce qui fait la régulation.

Tout d'abord, notre objectif qui, je le crois, a été atteint aussi bien à l'échelle européenne que nationale, était de préserver un équilibre entre les intérêts de chacun, au nom de l'intérêt général.

Il faut qu'EDF soit rentable. Hier encore, sur le site de Gravelines, j'ai rencontré les représentants des syndicats de l'entreprise et j'ai pu constater à quel point ils étaient attachés à la rentabilité de celle-ci.

Cela devrait vous plaire : avec le Président de la République, nous avons nationalisé EDF…

M. Fabien Gay. Étatisé !

M. Bruno Le Maire, ministre. … et rendu l'entreprise publique à 100%. EDF ne doit pas pour autant faire faillite. Il ne s'agit pas que le contribuable doive sans cesse remettre de l'argent dans l'entreprise. Même si elle est publique, car elle l'est désormais, EDF reste une entreprise dont nous devons garantir la rentabilité.

Ensuite, il faut offrir les tarifs les plus compétitifs aux entreprises industrielles. La démonstration en a été faite lundi. Voilà un an que je négocie avec MM. Mittal, père et fils, Lakshmi comme Aditya, pour qu'ils investissent en France. Alors que nous nous trouvions en concurrence avec la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne et les États-Unis, ils ont fini par choisir le site industriel français. Quel meilleur exemple de la compétitivité de notre pays en matière de coût de l'énergie ? Je le redis, croyez-moi, les grands industriels ne font de cadeaux à personne et à aucun État.

Enfin, nous garantissons à nos concitoyens un prix de l'énergie parmi les plus bas de tous les pays européens. Certes, les factures sont toujours trop chères, mais l'électricité est un bien qui est rare, cher et difficile à produire.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, vous le savez, nous avons des désaccords : vous croyez au marché, quand nous pensons que l'énergie est un bien commun, qui doit être géré comme un monopole public par une entreprise publique.

Pour ce qui est du coût de l'électricité, vous avez raison : c'est ce que cela coûte concrètement à l'entreprise EDF ou à d'autres énergéticiens.

En revanche, le tarif, ce n'est pas tout à fait ce que vous dites. C'est ce qui permettait jusqu'à présent à chacun d'avoir accès à l'énergie au prix le plus bas et en collant le plus possible aux coûts de production. C'est ce qu'on appelait le tarif réglementé. Et, à l'époque, tout le monde y avait droit, non seulement les usagers et les ménages, mais aussi les collectivités et toutes les entreprises !

Or, dans le cadre de la renégociation, il est certes prévu que les petites entreprises continueront d'y avoir droit, mais le problème se posera pour les collectivités territoriales et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Quant aux grands groupes, ils préfèrent en effet les PPA, c'est-à-dire des contrats de long terme, sur quinze ans, passés directement, avec un prix garanti – grand bien leur fasse.

Enfin, le prix de l'électricité – c'est ce qui a dysfonctionné – a été complètement décorrélé des coûts de production et, donc, du marché. C'est bien là le problème ! Vous n'avez fait que poser un pansement sur une jambe de bois, car, en réalité, dans les négociations que vous avez menées sur la réforme du marché européen, nous avons certes arraché quelques petites avancées, mais nous avons surtout contribué à préserver la compétitivité des entreprises allemandes. Voilà la réalité !

Je le répète, le mécanisme a dysfonctionné, au point que le prix a atteint 1 000 euros du mégawattheure. C'est cela, l'Europe du trading, et cela coûte cher à l'ensemble des usagers de l'électricité.

En définitive, monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à ma question : que faire de tout notre tissu industriel, qui ne se résume pas aux grandes entreprises, et de nos collectivités territoriales ?

Pour notre part, nous plaidons pour le rétablissement d'un grand service public.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour l'intérêt du débat, sachez, monsieur le sénateur, que si l'Allemagne était plus compétitive que la France, ArcelorMittal ne lui aurait pas préféré notre pays pour faire l'un des investissements industriels les plus importants de la décennie.

La raison de ce choix est simple : il tient à la présence de la centrale de Gravelines, qui, à quelques kilomètres du site d'ArcelorMittal, fournit une électricité décarbonée à un tarif imbattable. Aucune autre nation européenne ne peut apporter cela. C'est un atout compétitif majeur.

J'en viens à la réforme du précédent système, celui de l'Arenh. En tant que ministre de l'économie, l'un de mes objectifs est de garantir la compétitivité des industriels. Je leur ai donc mis les cartes en main.

Il était possible de maintenir un tarif régulé semblable à l'Arenh, dont je rappelle qu'il ne s'appliquait qu'à 100 térawattheures sur les 300 térawattheures que nous produisons, soit un tiers, les deux tiers restants étant soumis au marché. En cas d'explosion des prix, je n'aurais pas pu protéger de nouveau les industriels.

L'autre solution était le système de contrat pour différence qui a été retenu, avec des seuils fixés à 78 euros et à 110 euros. Ce système s'appliquant à 100% de la production, il est plus protecteur pour les industriels, qui ont préféré cette option.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Je vous remercie, monsieur le ministre, mais vous citez le cas d'une entreprise, quand je vous parle, moi, d'un tissu industriel qui en compte des dizaines, et même des centaines.

Vous pouvez tenter de contourner les faits, mais la réalité est que, avec cette réforme, vous continuez à lier le prix du gaz à celui de l'électricité, et partant, à soutenir la compétitivité allemande au détriment de la nôtre.

Pour terminer sur le sujet du post-Arenh, cela fait quinze ans que l'on biberonne les acteurs alternatifs. Il reste deux ans à tenir. C'est long. Pour les boulangers de nos circonscriptions, les renégociations en cours sont si difficiles que certains ne verront pas l'application de la réforme de 2026 et le post-Arenh.

En tout état de cause, comme vous êtes le nouveau ministre de l'énergie, nous aurons bientôt la possibilité, dans le cadre d'un prochain projet de loi sur l'énergie et le climat, de débattre de manière plus éclairée, en disposant de davantage de temps.

M. le président. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Monsieur le ministre, si la France bénéficie d'une électricité qui a été voulue nucléaire et décarbonée, nous avons toutefois subi la crise énergétique de plein fouet, si bien qu'une double réforme, européenne et nationale, du marché de l'électricité est en cours.

Nos objectifs doivent être clairs : il convient, d'une part, de préserver les prix pour les usagers, de sorte que ces derniers bénéficient vraiment de nos choix historiques, et, d'autre part, de garantir notre souveraineté énergétique et industrielle, ainsi que la pérennité d'EDF.

Nous constatons l'échec de la libéralisation menée depuis les années 1990, dont nous cherchons aujourd'hui à contenir les effets.

Les questions fondamentales sont celles de la planification et de l'anticipation. Alors que nous pouvons nous fonder sur un coût de production de l'électricité nucléaire situé entre 60 et 78 euros du mégawattheure et que nous pouvons anticiper les besoins des usagers, nous sommes seulement en mesure de cibler un tarif et de prévoir une redistribution éventuelle de certains profits.

La hausse des prix – c'est mathématique – affecte davantage les ménages les plus modestes. Dans le Lot-et-Garonne, 20% des ménages sont ainsi concernés par la précarité énergétique. Sont également touchés les artisans, les commerçants, les agriculteurs – très fortement –, ainsi que les collectivités territoriales.

La politique menée doit urgemment intégrer les impératifs de justice sociale, ainsi que les enjeux industriels et d'enseignement supérieur pour préserver l'excellence française.

Alors que le portefeuille de l'énergie vient d'intégrer Bercy, cette réforme prend-elle en compte les besoins qu'emporte la transition écologique, monsieur le ministre ? Au-delà de la logique comptable, la nécessité d'une garantie des tarifs dans le temps est-elle prise en compte ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Cette réforme intègre effectivement les autres aspects de la politique énergétique. Vous pouvez être rassuré sur ce point, monsieur le sénateur.

Le chèque énergie, dont le montant moyen s'établit à 150 euros, est actuellement versé à 6 millions de personnes. Il est évident que cette politique sociale sera préservée.

Par ailleurs, je me suis battu pour que les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRV) concernent, non pas les seules entreprises dont la consommation n'excède pas un certain seuil de kilovoltampères, mais toutes les petites entreprises de moins de dix salariés.

Cet élément de simplification et de protection des plus petites entreprises montre que ce n'est pas parce que l'énergie passe à Bercy que nous perdrons de vue les objectifs sociaux et environnementaux. Bien au contraire, ceux-ci restent au coeur de notre politique énergétique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.

M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le ministre, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a publié jeudi dernier ses calculs relatifs à l'augmentation au 1er février du tarif réglementé de vente de l'électricité, tarif qui concerne 21 millions de ménages et 2 millions de petites entreprises.

Je rappelle que le tarif réglementé de vente de l'électricité prend en compte les coûts de production et les prix de vente sur les marchés de gros, le Gouvernement y ajoutant les taxes. La Commission de régulation de l'énergie a ainsi proposé au Gouvernement une baisse de 0,3% sur le tarif réglementé de l'électricité hors taxes.

Alors que les tarifs sur les marchés ont diminué durant les six derniers mois, notamment grâce aux efforts de sobriété des ménages et des entreprises, l'augmentation du 1er février est uniquement due à la décision du Gouvernement d'augmenter la pression fiscale.

Le Gouvernement a ainsi décidé de diminuer le bouclier tarifaire sur l'électricité en réintroduisant, en plus de la TVA, la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE).

Une hausse de 10% des prix de l'électricité au 1er février serait un mauvais coup porté au pouvoir d'achat des Français !

Cette hausse du tarif réglementé est aussi une bien mauvaise nouvelle pour nos petites entreprises et nos territoires.

Monsieur le ministre, le Gouvernement ne veut pas augmenter les impôts des riches, mais il augmente les taxes qui touchent tout le monde, quels que soient les revenus, avec, à la clé, une hausse des tarifs réglementés d'un bien de première nécessité.

Il faut absolument éviter que nos concitoyens soient contraints de réduire leur niveau de chauffage, au détriment de leur bien-être et de leur qualité de vie. Comment comptez-vous protéger nos concitoyens en cette période de grand froid face à des dépenses de chauffage incompressibles, monsieur le ministre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. J'estime, monsieur le sénateur, que l'un des drames français, au cours des dernières décennies, tient à notre incapacité à supprimer les dispositifs exceptionnels lorsque la situation ne les impose plus. Nous avons empilé sans cesse de nouvelles dépenses sur de la dépense sans jamais en retirer aucune. C'est sans doute très populaire, mais c'est totalement irresponsable. Je préfère pour ma part gagner le respect de mes compatriotes plutôt que de la popularité.

Je n'ai qu'une seule parole. J'ai toujours dit que les dispositifs de bouclier étaient des dispositifs exceptionnels. J'ai toujours dit que, le moment venu, je les retirerai. Je tiens parole.

J'ai dit qu'il y avait un bouclier sur le gaz et qu'à partir de l'été, nous retirerions ce dispositif, mais que nous garantirions un prix stable du gaz. Cet engagement a été tenu, si bien que les factures de gaz n'augmenteront pas et resteront stables par rapport au prix du gaz en sortie du bouclier.

J'ai dit aussi que nous sortirions du bouclier sur l'électricité. Après avoir, pendant deux ans, payé la moitié de la facture des Français, ce qui a coûté 40 milliards d'euros, nous revenons à la normale.

Si nous maintenions le bouclier sur l'électricité, ce serait la fin des finances publiques françaises. Nous assisterions à une accélération de l'endettement et des déficits.

M. Michel Savin. On y est déjà !

M. Bruno Le Maire, ministre. Avec le Président de la République et la Première ministre Élisabeth Borne, j'ai choisi une politique radicalement différente, visant à accélérer le désendettement et la réduction des déficits.

Oui, cela demande des décisions courageuses, mais ce sont aussi des décisions légitimes, qui ont de plus été présentées en toute transparence à nos compatriotes.

J'ai dit que nous retirerions progressivement les boucliers sur l'électricité. Je les retire progressivement.

Il n'y aura pas d'explosion de la facture pour autant. Je suis ainsi en mesure de confirmer qu'il n'y aura pas d'augmentation de plus de 10% de la facture d'électricité à la rentrée. C'est la seule chose qui compte pour les Français !

Il faut avoir le courage de revenir à la normale. On ne le fait jamais, et c'est ce qui explique la situation de nos finances publiques.

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, je vous poserai trois questions relatives au mécanisme qui succédera à l'Arenh en 2026, décrit dans le chapitre III du projet de loi qui a été transmis au Conseil d'État et dont j'ai eu connaissance, monsieur le ministre.

Étant donné que tout change, pourquoi avoir privilégié la filière nucléaire au sein du mécanisme garantissant une électricité de base bon marché ? En effet, il existe en France une filière qui, certes, produit moins, mais qui présente les mêmes caractéristiques d'un point de vue environnemental, puisqu'elle est décarbonée, comme du point de vue du réseau, puisqu'elle est très utile en base : je veux parler de l'électricité hydraulique, une filière qui aurait permis d'avoir un volume plus important d'électricité bon marché. Telle est ma première question.

Ma deuxième question porte sur le mécanisme de prix qui a été fixé, selon lequel il n'y a pas de redistribution des recettes par EDF tant que le prix de l'électricité sur les marchés de gros est inférieur à 78 euros du mégawattheure, un reversement de 50% des recettes à l'État lorsque ce prix s'établit entre 78 et 100 euros du mégawattheure et un reversement à l'État, c'est-à-dire en fait aux consommateurs, de 90 % lorsque ce prix s'élève à plus de 110 euros du mégawattheure.

Ce reversement aux consommateurs sera-t-il différencié selon les profils de consommateurs – particuliers ou industriels –, et en fonction de la manière dont ces consommateurs utilisent le réseau ?

J'en viens enfin à ma troisième question, de nature prospective. Le mécanisme repose largement sur des prix de gros qui seraient supérieurs à 70 ou 78 euros du mégawattheure. Si cela correspond à ce que nous observons dans le monde d'aujourd'hui, n'oublions pas que ces prix ont pu s'établir durablement par le passé à des niveaux inférieurs. Dans ce cas, EDF ne serait plus capable de couvrir les coûts du nucléaire. Que se passerait-il alors, monsieur le ministre ? L'État viendrait-il à son secours ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. La réponse à votre première question tient aux rapports de production que vous connaissez par coeur, madame la sénatrice : la filière hydraulique produit 25 gigawattheures quand la filière nucléaire en produit 61. Si nous avons choisi le nucléaire comme indice de base, c'est donc d'abord parce que la production est plus de deux fois celle de l'hydraulique.

La seconde raison est que le nucléaire fournit une production de base qui présente l'énorme avantage d'être constante et garantie, quand l'hydraulique fournit une production de pointe.

Cela étant dit, j'estime qu'une réflexion visant à améliorer la production hydraulique, notamment sa régularité, est tout à fait souhaitable. Je suis en tout cas favorable à ce que nous en débattions. (Mme Christine Lavarde acquiesce.)

Pour répondre à votre deuxième question, s'il va de soi qu'en matière énergétique la redistribution ne peut se faire en fonction des niveaux de revenus, celle-ci se fera effectivement en fonction des profils de consommation et de manière inversement proportionnelle à la tension sur le réseau. L'objectif est que la redistribution incite à la sobriété énergétique et à une meilleure consommation en fonction des périodes de pointe et des périodes de moindre tension sur le réseau.

Enfin, sur le dernier sujet, charge à EDF de constituer des réserves financières suffisantes lorsque les prix sont élevés de manière à pouvoir puiser dans celles-ci et dans sa trésorerie lorsque les prix sont bas.

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le ministre, l'accord trouvé entre le Gouvernement et EDF sur le cadre post-Arenh à partir du 1er janvier 2026 soulève beaucoup d'interrogations. Je m'interroge pour ma part sur ses conséquences sur les tarifs réglementés de vente d'électricité.

Aujourd'hui, la méthodologie de calcul de ces tarifs garantit leur contestabilité. Il me semble que ce principe devrait être remis en cause, car il a mené à la transformation des TRV en prix plafonds, ce qui conduira, dans la réforme future du marché de l'électricité, à l'intégration, dans le mode de calcul des TRV, d'un approvisionnement en électricité intégralement opéré sur le marché.

Au vu de la volatilité du marché de l'énergie durant les deux dernières années, cette perspective entre en contradiction avec l'objectif d'intérêt économique général de stabilité des prix pour les consommateurs.

S'il est vrai que la future régulation des prix prévoit l'application d'un mécanisme de redistribution des montants générés par le plafond de prix aux consommateurs éligibles au TRV, je crains que ce correctif ne soit insuffisant.

Enfin, l'objectif de prix moyen de 70 euros du mégawatheure me laisse dubitative. Les seuils de déclenchement laissent à craindre que des prix moyens entre 70 et 78 euros ne donneraient lieu à aucun prélèvement ni reversement, ce qui ne permettrait pas d'atteindre l'objectif de stabilité des prix, déjà battu en brèche par un calcul sur la base d'un approvisionnement sur le marché.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous assurer la stabilité des prix pour nos concitoyens éligibles au TRV ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. La stabilité des prix sera tout simplement assurée par l'inclusion, dans les TRV, de la part de redistribution prévue au-dessus des seuils de 78 et 110 euros, madame la sénatrice. Autrement dit, les TRV ne seront pas fixés indépendamment de ces deux seuils, ce qui garantira que ces tarifs bénéficient effectivement de la protection qui en découle.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Monsieur le ministre, nous saluons la volonté européenne affichée de mieux protéger les consommateurs, en particulier les plus vulnérables.

Nous craignons cependant qu'il s'agisse davantage, de la part du Gouvernement français, d'une position sociale de façade, qui cache mal sa seule priorité politique, celle de financer les investissements et de conforter la compétitivité industrielle.

L'évolution continue vers les mécanismes de marché, d'une part, et la protection du consommateur, d'autre part, ne font pas forcément bon ménage – c'est le moins que l'on puisse dire.

Il paraît en effet illusoire de croire à la convergence entre l'intérêt du producteur, qui veut maximiser les prix de vente de son électricité, et l'intérêt du consommateur.

Je redoute que l'État retombe dans le mythe du ruissellement, qui veut que la relance ne s'obtienne qu'en aidant la haute finance et la grande industrie, interdisant toute redistribution de richesses.

En l'espèce, notre inquiétude tient à la question des redistributions des recettes liées aux CFD.

Les États membres ont obtenu une certaine souplesse pour le reversement des surprofits des producteurs : en cas de hausse des prix, ils peuvent choisir de les reverser aux consommateurs, qui désignent aussi bien les entreprises et la grande industrie que les ménages, ou bien réinvestir dans le secteur. Pourriez-vous nous donner des précisions sur le dispositif de redistribution en faveur des ménages, monsieur le ministre ? Dans quelles proportions pourront-ils bénéficier directement de ces recettes excédentaires ? Quelles garanties de redistribution offrez-vous pour les plus vulnérables ou les personnes en situation de précarité énergétique ?

Je rappelle que 40 millions d'Européens n'ont pas été en mesure de chauffer convenablement leur logement durant l'hiver 2022 et qu'en France, 12 millions de personnes, soit 18 % de la population, sont en situation de précarité énergétique.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je rappelle d'abord que les dispositifs sociaux dont bénéficient les ménages qui sont en situation de précarité énergétique, notamment le chèque énergie, sont tous maintenus.

Aucune théorie du ruissellement ne préside ensuite à la réforme du marché européen de l'énergie que nous avons retenue, qui prévoit au contraire une redistribution mécanique. Je ne crois pas davantage que vous à la théorie du ruissellement, monsieur le sénateur, et je considère qu'en matière énergétique, il est absolument nécessaire d'instaurer de la redistribution à partir d'un certain niveau de prix.

En l'espèce, cette redistribution sera de 50% dès lors que les prix sont au-dessus de 78 euros le mégawattheure, et de 90% au-dessus de 110 euros. C'est non pas du ruissellement, mais de la redistribution inscrite sous forme contractuelle.

Comme je l'indiquais à l'instant à Mme la sénatrice Saint-Pé, le calcul des montants des TRV tiendra compte de ces seuils.

La redistribution se fera par ailleurs de manière indiscriminée entre les entreprises et les ménages. C'est l'une des avancées que nous avons obtenues dans le cadre de la réforme du marché européen.

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, la réforme du marché de l'électricité doit permettre à nos industriels d'accéder à des marchés de long terme pour être plus compétitifs durablement face à la concurrence internationale.

Les pays concurrents disposent en effet très souvent d'énergie hydraulique à bas prix, entre 15 et 30 dollars le mégawattheure. Telle était d'ailleurs la raison de l'installation des industries métallurgiques sur les chutes d'eau, dans mon département de la Savoie, au tout début du XXe siècle.

L'électricité représente une part importante des coûts de production des industries électro, hyper électro-intensives et électrosensibles. C'est pourquoi celles-ci ont besoin d'un accès durable à une énergie décarbonée en quantité suffisante, à un prix compétitif et prévisible sur le long terme, adapté à leur profil de consommation.

Aussi, les industriels concernés souhaitent que les contrats de long terme s'appliquent dès à présent à une quantité suffisante de 50 térawattheures, puis à un volume croissant au fur et à mesure de l'électrification de leur production. En tout état de cause, ces contrats doivent concerner au moins à 70% de leurs besoins afin de limiter l'exposition de ces entreprises au marché de gros.

La négociation en cours ne devrait leur assurer une telle compétitivité que grâce à la prise en compte de la compensation du CO2 indirect. Or combien de temps ce dispositif européen de compensation durera-t-il encore ?

Pouvez-vous donc nous confirmer, monsieur le ministre, que la compensation du CO2 indirect sera maintenue, puis que sera mis en place un dispositif de substitution, par exemple une meilleure valorisation de l'effacement, dont le volume augmentera forcément avec le développement des énergies renouvelables ? C'est la condition pour obtenir in fine un coût de l'électricité qui ne soit pas supérieur à ce niveau de 30 euros le mégawattheure qui permet à ces entreprises de rester concurrentielles à l'international.

Pouvez-vous également nous confirmer que des contrats long terme avec EDF d'un volume minimum de 50 térawattheures seront garantis à ces industriels, et que chacun d'entre eux sera assuré que le volume couvert dans le cadre de ces contrats équivaudra à 70% de sa consommation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Comme je l'ai indiqué à Mme Lavarde, je crois profondément dans le développement de l'énergie hydraulique, notamment par l'adaptation des barrages grâce à des dispositifs de stations de transfert d'énergie par pompage (Step) qui permettent de faire tourner les turbines quand les prix de l'électricité sont très élevés et de faire remonter l'eau lorsque le tarif de l'électricité est beaucoup plus faible afin de rapprovisionner les réservoirs d'eau et de réalimenter les barrages.

Si elle suppose d'investir et si elle se heurte à quelques difficultés européennes que vous connaissez, madame la sénatrice, une telle évolution est à mon sens l'un des volets intéressants de la politique énergétique.

La compensation carbone est par ailleurs prévue jusqu'en 2030, et nous sommes favorables à son extension.

En ce qui concerne enfin les contrats de long terme, c'est à EDF qu'il revient d'en arrêter les volumes avec les électro-intensifs, l'objectif étant que les volumes soient suffisants pour ces entreprises – nous en avons longuement discuté avec leurs représentants.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, la spirale inflationniste dans laquelle notre pays est piégé depuis plusieurs mois, et dont nous sommes encore loin d'être sortis, affecte lourdement nos concitoyens.

Avec l'explosion des dépenses alimentaires, celle du prix de l'énergie, en particulier de l'électricité, constitue une des préoccupations principales des Français.

La perspective d'une politique énergétique de plus en plus décarbonée implique la multiplication des usages de l'électricité, la consommation augmentant nécessairement.

La production électrique française, largement assurée par ses centrales nucléaires, est structurellement excédentaire. Or l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, mis en place par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite loi Nome, à la demande de la Commission européenne, a constitué l'un des plus grands sabordages économiques de notre pays.

Cette loi a contraint EDF à revendre au prix fixe de 42 euros le mégawattheure une partie de sa production nucléaire à ses concurrents, créant une véritable concurrence hors sol à l'origine de l'inflation actuelle.

La réforme qui s'annonce entend corriger cette erreur. Elle cherche à éviter au maximum les fluctuations de marché enregistrées récemment, qui avaient conduit le Gouvernement à mettre en place des dispositifs coûteux et souvent insuffisants, tels que le bouclier tarifaire ou la recapitalisation d'EDF.

Certaines mesures sont particulièrement à saluer, comme le maintien des tarifs régulés de vente et leur élargissement aux petits consommateurs. Dans mon département, plusieurs collectivités vont enfin pouvoir stabiliser le coût de leur consommation électrique et maintenir ainsi un budget à l'équilibre.

Il est toutefois à craindre que le coût de mesures aussi favorables pour certains ne soit supporté par le plus grand nombre des consommateurs particuliers, à savoir les ménages.

Ma question est donc la suivante, monsieur le ministre : comment le Gouvernement entend-il procéder pour dégager un équilibre entre le nécessaire maintien d'un tarif abordable de l'électricité pour tous les consommateurs et l'indispensable sauvegarde d'EDF, tout en fixant le prix moyen de vente à 70 euros le mégawattheure ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous rejoins, madame la sénatrice : l'Arenh est un dispositif totalement imparfait. Il se trouve toutefois que, pendant la période de crise, beaucoup de pays européens nous ont enviés ce dispositif grâce auquel 100 térawattheures, soit le tiers de notre production, sont soumis au tarif régulé de 42 euros le mégawattheure, quand le reste de notre production est soumis au tarif du marché. Je rappelle du reste que j'ai négocié l'extension de ce dispositif à 110 térawattheures afin de répondre aux besoins de nos entreprises. Ce dispositif n'est certes pas parfait, mais il nous a permis d'amortir un peu le choc.

L'immense intérêt de la nouvelle régulation qui sera mise en place à partir de 2026 est qu'elle s'applique à 100 % de la production. Il s'agit d'une véritable garantie par rapport à l'Arenh, dont le dispositif ne porte que sur un tiers de la production et qui constitue de plus un irritant pour l'ensemble des salariés d'EDF et pour l'ensemble de l'entreprise.

Les niveaux que nous avons fixés, sur lesquels je ne reviendrai pas, permettent de garantir le bon équilibre entre la rentabilité financière d'EDF, nécessaire à ses investissements et à l'amortissement de sa dette, qui s'établit à 65 milliards d'euros, faisant d'EDF l'entreprise la plus endettée d'Europe.

Dans ce contexte, il est nécessaire de dégager une rentabilité pour pouvoir amortir cette dette et lever les moyens de financer celle-ci tout en préservant notre compétitivité industrielle. J'estime que nous avons trouvé le bon équilibre.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Je remercie notre collègue Daniel Gremillet, qui est intervenu au nom de la commission des affaires économiques, ainsi que l'ensemble des collègues qui sont intervenus dans le cadre de ce débat important. Nous aurions de nombreuses questions à vous poser, monsieur le ministre, sur la nouvelle tarification de l'électricité, qui inquiète à juste titre les particuliers, les entreprises, mais également les collectivités locales.

Vous avez beaucoup insisté sur la notion de sobriété énergétique et sur tout ce qu'il convient de faire pour l'encourager, monsieur le ministre. Je vous rejoins sur ce point : il n'y a pas de petites économies, et l'effort doit être collectif.

Le groupe EDF est largement présent dans les Ardennes. Dans ce département de moins de 300 000 habitants, force est de constater qu'il s'agit d'un acteur économique très important, surtout depuis que la centrale fonctionne de nouveau. Son impact en matière d'emplois directs et indirects est considérable. Je n'oublie pas, à côté de la production, le transport de l'électricité par Réseau de transport d'électricité (RTE) ni la distribution de celle-ci.

Vous avez évoqué l'implantation de six nouveaux EPR, monsieur le ministre, mais cela prend de nombreuses années. Dès 2008, avec l'ensemble des collègues de mon groupe, nous avions soutenu ce programme. À quelle échéance ces EPR seraient-ils construits, et quels sont les sites retenus ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Les trois premiers sites qui ont été retenus sont ceux de Gravelines, de Penly et de Bugey. Les trois autres sites seront choisis par la suite. L'objectif est que le premier réacteur soit livré en 2035, les livraisons s'échelonnant ensuite sur les années suivantes.


Source https://www.senat.fr, le 25 janvier 2024