Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l'avenir de notre modèle agricole.
J'en profite pour saluer la nouvelle ministre déléguée à l'agriculture, dont c'est la première intervention au Sénat dans le cadre de ses nouvelles fonctions.
Il serait inapproprié de lui souhaiter la bienvenue, compte tenu de sa présence régulière ici. En revanche, nous lui souhaitons le meilleur sur ces nouveaux sujets !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Merci, monsieur le président !
M. le président. Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur, pour une durée de deux minutes ; l'orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé sa place dans l'hémicycle.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord vous dire tout le plaisir que j'ai à vous retrouver dans cet hémicycle, où j'interviens désormais sur le sujet de l'agriculture.
Je veux reprendre à mon compte un certain nombre d'éléments de l'intervention de M. le sénateur Médevielle - M. le sénateur Duplomb me permettra de répondre plus globalement à son propos introductif en conclusion du débat.
Je partage, monsieur le sénateur, un grand nombre des constats que vous mettez en avant. Oui, vous avez raison, il n'est plus question de faire de l'écologie punitive. Ce n'est d'ailleurs pas notre ligne !
Notre ligne est de ne pas opposer souveraineté alimentaire et transition écologique et de trouver des solutions pour suivre ce chemin, au service non seulement de la qualité de notre nourriture, mais aussi de la santé de nos agriculteurs, en s'assignant des objectifs ambitieux pour le bien-être de l'ensemble de la population française.
M. François Bonhomme. Une fois qu'on a dit ça, on est bien avancé…
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. La ligne que nous tenons est, d'abord, une politique qui soit fondée sur la science, donc qui investit dans la recherche, dans l'innovation et dans le transfert vers les agriculteurs.
Le deuxième enjeu a trait à la dimension européenne. Vous l'avez dit, les règles doivent être aussi proches que possible au niveau européen, et l'Europe doit savoir se défendre par rapport à des productions extra-européennes qui ne sont pas soumises aux mêmes contraintes environnementales.
Notre troisième ambition est la simplification. Il s'agit non pas de baisser notre niveau d'exigence, mais tout simplement de permettre aux agriculteurs de se concentrer sur ce qu'ils savent bien faire – produire –, sans se perdre dans le maquis de réglementations complexes. Ils nous ont suffisamment exprimé ce besoin ces dernières semaines !
Cette simplification, comme l'ont dit le Premier ministre et le ministre de l'agriculture, Marc Fesneau, passera par un projet de loi qui vous sera présenté prochainement, mais aussi par la voie réglementaire.
Enfin, vous l'avez dit, le grand enjeu est le renouvellement des générations.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Nous allons lancer un service, France service agriculture, qui facilitera les installations dans toute leur diversité – diversité des cultures, des élevages et des territoires.
M. le président. Madame la ministre déléguée, vous pourrez répondre à l'intervention de M. Duplomb dans les cinq minutes de temps de parole dont vous disposerez à la fin du débat.
La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe INDEP.)
M. Franck Menonville. Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord, madame la ministre, de vous féliciter pour vos nouvelles fonctions gouvernementales. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Traiter du modèle agricole n'est pas chose facile. En effet, l'agriculture est plurielle : il existe différents modèles, en fonction des filières, des territoires – je ne souhaite d'ailleurs pas les opposer entre eux.
Il y a néanmoins des fondamentaux, que sont la compétitivité, la souveraineté et la nécessité de produire pour des marchés et des consommateurs.
Depuis des années, notre agriculture perd des positions, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale. Ainsi, nous importons 2,2 fois plus qu'en 2000. À cette date, nous étions le deuxième exportateur mondial ; nous occupons désormais le sixième rang, situation accentuée par la stratégie du « tout-montée en gamme ». Notre déficit commercial général s'est creusé pour atteindre près de 100 milliards d'euros en 2023, soit le deuxième plus important de notre histoire. En matière de capacités productives, nous décrochons : c'est là le résultat de nos dépendances accrues et de la baisse de notre compétitivité.
Nous sommes donc aujourd'hui au pied du mur ; il nous faut au plus vite donner un nouvel élan à notre agriculture, qui a besoin d'un vrai choc de compétitivité et de simplification.
Trois chantiers prioritaires doivent selon nous guider notre action.
Premièrement, nous devons oeuvrer à faciliter la transmission des exploitations agricoles, car il n'y a pas d'avenir sans renouvellement des générations. Un dispositif d'accompagnement des agriculteurs en fin de carrière doit être mis en place pour simplifier l'installation, via notamment des incitations fiscales et des prêts bonifiés, tout en favorisant l'accès au foncier.
Le deuxième chantier crucial est celui de la souveraineté alimentaire. Celle-ci doit être élevée au rang d'intérêt fondamental de la Nation, afin que l'agriculture ne soit pas soumise aux injonctions contradictoires permanentes ni sacrifiée au profit d'autres politiques publiques. J'avais d'ailleurs présenté un amendement en ce sens dans le cadre des débats sur la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France.
Par ailleurs, nous devons veiller à la stricte application des lois Égalim. Il nous faut également renforcer les contrôles des pratiques de la grande distribution.
Enfin, le troisième chantier – qui n'est pas des moindres – est celui de la compétitivité. Depuis vingt ans, l'agriculture s'est attachée à répondre à de nombreuses attentes sociétales et environnementales, sans qu'on lui donne en parallèle les moyens de demeurer compétitive. Un choc de simplification et une pause dans la prolifération normative s'imposent aujourd'hui.
Depuis de trop nombreuses années, la multiplication des normes franco-françaises a engendré une forme de distorsion dans la concurrence intra-européenne, ce qui a fragilisé notre compétitivité. Nous devons nous en tenir à des règles et à des normes purement européennes.
Je souhaite, avant de conclure, évoquer la nécessité d'une complémentarité, fondée sur un juste partage de la valeur, entre les énergies renouvelables et l'agriculture : les premières représentent pour la seconde un véritable atout et un levier de résilience économique.
Voilà pour vous une belle feuille de route, madame la ministre !
Je conclus en disant que nous devons ambitionner de faire de notre agriculture un outil de souveraineté alimentaire national et européen, mais aussi une force exportatrice et créatrice de richesses qui soit à la tête de toute une chaîne de valeur sur notre territoire.
Madame la ministre, votre prochaine loi d'orientation et d'avenir agricoles devra porter l'ambition du redressement de notre agriculture pour que celle-ci redevienne une priorité nationale. Nous serons à vos côtés pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe INDEP. – M. Ludovic Haye applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Menonville, je veux commencer par évoquer spécifiquement la question de la transmission des exploitations agricoles.
Le pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture, qui a été présenté par le ministre de l'agriculture, Marc Fesneau, le 15 décembre 2023, comporte des mesures fortes que nous allons mettre en oeuvre et approfondir.
Un fonds de garantie de l'État, tout d'abord, permettra de déployer jusqu'à 2 milliards d'euros de prêts en direction des jeunes qui souhaitent s'installer. Vous le savez, nous sommes en train d'expertiser la création d'un dispositif de prêts bonifiés – cette suggestion émane du syndicat Jeunes agriculteurs.
Ensuite, le pacte prévoit une mesure d'incitation fiscale visant à faciliter la transmission à un jeune, qui pourra prendre la forme d'une exonération supplémentaire d'impôt sur les plus-values de cession. Une proposition précise sera élaborée en vue de l'examen du projet de loi de finances pour 2025.
Comme l'a annoncé le Premier ministre, nous voulons aller plus loin, en relevant le seuil d'exonération des plus-values réalisées lors de la transmission d'une entreprise individuelle en cas de reprise par un jeune agriculteur. Le seuil d'exonération des droits de succession et de donation sera également rehaussé en cas de transmission de biens ruraux donnés à bail à long terme et de parts de groupements fonciers agricoles. Enfin, le régime d'exonération des plus-values en cas de départ à la retraite sera revu. Il y a là divers freins à l'installation : nous entendons les lever.
Enfin, l'augmentation de l'affectation de taxe au programme d'accompagnement à l'installation et à la transmission en agriculture (AITA), dont le budget atteindra 20 millions d'euros au moins en 2025, permettra de faciliter la future montée en charge du réseau France service agriculture.
Vous avez mentionné également le besoin de simplification, monsieur le sénateur. Je n'y reviens pas : c'est l'un des objets du prochain projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles ainsi que de plusieurs textes réglementaires qui vous seront très bientôt présentés. Notre volonté est de faire de cet esprit de simplification une véritable méthode, sans nous arrêter au salon de l'agriculture.
Pour ce qui est de la compétitivité de la ferme France, nous partageons très largement l'objectif d'une concurrence loyale : si cette orientation doit se traduire dans l'instauration de clauses miroirs, nous devons aussi veiller à éviter les surtranspositions.
Je dis quelques mots, pour finir, à propos du juste partage de la valeur, dont nous avons beaucoup parlé dans cet hémicycle lorsque j'étais – ironie de l'histoire – ministre de la transition énergétique. Désormais chargée de ce dossier, je remets l'ouvrage sur le métier en vue du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, qui traitera notamment du bail rural. Il s'agit certes d'un sujet complexe, mais je ne doute pas que nous parviendrons ensemble à trouver les bonnes rédactions.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que les mobilisations se poursuivent, et à dix jours de l'ouverture du salon de l'agriculture, nous voici réunis pour débattre de l'avenir de notre modèle agricole.
Si la colère des agriculteurs ne nous a pas surpris, elle a révélé au grand jour à l'ensemble de nos concitoyens l'ampleur de l'impasse dans laquelle le système actuel nous a conduits.
La question du revenu agricole s'est rapidement imposée comme centrale dans le débat. Et pour cause : en 2022, plus de 11 000 agriculteurs percevaient le revenu de solidarité active (RSA) et 40 000 d'entre eux la prime d'activité, sachant que le taux de non-recours à ces aides est estimé à plus de 50%.
L'avenir de notre modèle agricole dépend de notre capacité à analyser et à agir sur les causes et les impacts de la trop faible rémunération de celles et de ceux qui nous nourrissent.
Pour cela, il nous faut regarder en face les dysfonctionnements de notre modèle agricole et de notre système alimentaire, et notamment les fortes inégalités qui le caractérisent : ces injustices sont un obstacle à la transition vers un système équitable et durable.
Ces inégalités sont, tout d'abord, extrêmement présentes dans le partage de la valeur. Les lois du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs et du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, ou lois Égalim 1, 2 et 3, n'y ont rien fait. Les profits de l'industrie agroalimentaire ont augmenté de 132 % en un an, son taux de marge ayant atteint un niveau historique de 48 % en 2023.
L'amont agricole, bien que rarement évoqué, n'est pas en reste. Selon la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les causes de l'incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale, « tout laisse à penser que, par différents biais, [l]e secteur [de l'agro-fourniture] n'est pas exempt de marges indécentes et de profits d'opportunité. »
Les politiques publiques doivent donc contraindre ces acteurs à jouer leur juste part dans la transition, alors qu'ils en sont aujourd'hui largement absents, la plupart des efforts étant demandés aux seuls producteurs.
Autre inégalité structurante, celle qui concerne les revenus des agriculteurs entre eux : dans une chronique publiée voilà quelques jours dans le journal Le Monde, Thomas Piketty révèle que " le monde paysan constitue aujourd'hui le plus inégal des univers professionnels ". Cette situation s'explique principalement par des politiques fiscales et de soutien public, tant européennes que nationales, profondément inégalitaires.
Les statistiques du ministère de l'agriculture sont éclairantes : 10% des agriculteurs gagnent moins de 15 000 euros par an, alors que les 10 % les mieux rémunérés – dont beaucoup de dirigeants de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) – dépassent les 150 000 euros. De même, la moyenne des revenus s'établit à environ 19 000 euros pour les éleveurs bovins, contre plus de 124 000 euros pour les éleveurs porcins.
Ce système inéquitable prive bon nombre de paysans des moyens de se rémunérer ; voilà qui est profondément injuste et inacceptable. Il y a là, de surcroît, un frein majeur à la transition agroécologique : comment changer de pratiques, voire de système, quand on ne gagne pas sa vie ? En la matière, le revenu agricole est un préalable nécessaire.
Le dernier niveau d'inégalité, tout aussi destructeur pour notre système agricole et alimentaire, est celui qui a trait aux revenus de l'ensemble de nos concitoyens. Quelque 16% des Français déclarent ne pas manger à leur faim et la consommation alimentaire des ménages a chuté de 17% en un an et demi, la décrue étant particulièrement prononcée chez les plus précaires. Ces inégalités, qui explosent depuis quelques années, conduisent une partie toujours plus grande des consommateurs à se tourner vers des produits de faible qualité, pour partie issus de l'importation, et qui ne contribuent ni à la rémunération des producteurs ni à la protection de l'environnement et de la santé.
Le remède à ces inégalités structurantes, madame la ministre, ce n'est pas plus de libre-échange, plus de compétition internationale, donc de produits issus du moins-disant social et environnemental, plus de pesticides, moins de protection de notre santé et de notre environnement !
Nous n'avons de cesse de le répéter : pesticides, engrais, industrialisation de l'agriculture, tout cela provoque un effondrement des écosystèmes dont dépend l'avenir de notre agriculture, c'est-à-dire notre avenir. (Une sénatrice du groupe Les Républicains proteste.)
Mme Sophie Primas. Ce n'est pas vrai !
M. Daniel Salmon. Miser sur ces fuites en avant revient à nier la réalité.
La pause dans le plan Écophyto, les attaques envers l'Anses, le mépris de l'agriculture biologique ne répondront en rien à la question du revenu agricole.
Pour garantir l'avenir de notre système et la rémunération de nos producteurs, il nous faut plus de régulation des relations commerciales et des marchés, plus de protection face aux importations de produits ne respectant pas nos normes, plus d'équité dans la distribution des aides, plus d'accompagnement des paysans face aux défis environnementaux. Ce n'est aucunement de l'écologie punitive ! Il nous faut construire l'accès de toutes et tous à une alimentation de qualité, conformément à la voie tracée par les expérimentations, sans cesse plus nombreuses sur les territoires, de sécurité sociale de l'alimentation.
Aussi, madame la ministre, quand votre gouvernement cessera-t-il d'accélérer dans la mise en oeuvre de ce système qui appauvrit la grande majorité des agriculteurs aux dépens de notre environnement et de notre santé ? Attendrez-vous l'extinction du dernier insecte et du dernier oiseau des champs ? Attendrez-vous l'implosion de notre système de santé ? Changer d'indicateur ne change pas la réalité ! Quand cesserez-vous de tendre l'oreille à la fabrique du doute ?
Les agriculteurs ne veulent pas travailler plus, mes chers collègues,…
M. Laurent Duplomb. Parle pour tes agriculteurs, ceux que tu représentes !
M. Daniel Salmon. … ils veulent être rémunérés au juste prix et ne pas tomber malades à cause des pesticides au moment de la retraite.
Voilà ce qu'ils veulent : ils ne veulent pas des printemps silencieux, ils veulent des printemps bruissant de vie ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
M. Christian Klinger. Complètement déconnecté !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Salmon, nous nous rejoignons sur la nécessité de mener une politique ambitieuse en matière de préservation de la biodiversité. Vous l'avez très bien dit : les premières victimes d'un certain nombre de produits phytosanitaires, ce sont les agriculteurs eux-mêmes. Néanmoins et précisément, le risque que présente l'utilisation de ces produits doit être évalué au regard de leur innocuité ou de leur absence d'innocuité.
La consommation de produits phytosanitaires dont il est prouvé qu'ils ont un impact sur l'incidence de pathologies telles que le cancer a diminué de 93% : un mouvement a donc bel et bien été engagé, et nous devons désormais le prolonger. (M. Laurent Duplomb s'exclame.) C'est très exactement ce que nous faisons, en nous dotant du bon thermomètre et en fondant notre approche sur la science. (M. Guillaume Gontard proteste.)
Je le redis très simplement : nous concilierons souveraineté alimentaire, défense du revenu des agriculteurs et ambitions écologiques et climatiques, non pour le bien de l'Europe ou de la planète, mais pour le bien des agriculteurs et des Français ! Telle est notre ligne depuis maintenant plusieurs années.
M. Laurent Duplomb. Avec ça, on va aller loin !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Pour ce qui est d'accompagner la transition écologique des agriculteurs, nous agissons en y consacrant 1,3 milliard d'euros supplémentaires.
Quant au soutien à l'agriculture biologique, nous le poursuivons. À charge pour nous de faire en sorte que le pouvoir d'achat des Français leur donne accès à des produits bio de qualité, que toutes les cantines soient en mesure de proposer de tels produits (M. Guillaume Gontard proteste.), que le code des marchés publics valorise l'achat en circuit court. Nous y travaillons, vous le savez, mais il y va d'un effort collectif.
Enfin, pour ce qui est de la régulation des relations commerciales, les chiffres que vous mentionnez concernant les marges ne sont pas tout à fait ceux dont je dispose, mais je ne suis pas l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires… Des travaux existent sur ce sujet.
M. le président. Madame la ministre déléguée, il faut conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. En tout état de cause, notre objectif est que les lois Égalim soient appliquées et strictement appliquées ; c'est pourquoi nous multiplions les contrôles – et ce sujet fera l'objet d'un point très précis.
M. le président. Madame la ministre déléguée, mes chers collègues, soyons attentifs au respect du temps de parole : pas trop de TVA ! (Sourires.)
La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos paysans lancent actuellement un cri de détresse qui est révélateur d'une profonde inquiétude ; celle-ci doit nous amener à traiter ce qui constitue le coeur du problème, à savoir le prix payé aux producteurs et le poids des normes qui s'appliquent au monde agricole.
Voilà plusieurs années que nous assistons à des mutations profondes de notre modèle agricole – de nos modèles agricoles.
Ces mutations sont aussi le reflet des attentes parfois contradictoires que l'on adresse aux acteurs de la terre : agriculteurs gardiens des paysages et animateurs de la ruralité, agriculteurs chefs d'entreprise, agriculteurs 2.0, administrateurs, comptables, ingénieurs, gardiens de la biodiversité et de la sécurité alimentaire : la liste n'est pas exhaustive.
Ces mutations sont connues et documentées. Ainsi de l'évolution de la politique agricole commune (PAC) et de la banalisation de l'agriculture, qui ont eu un impact sur le revenu agricole, devenu très hétérogène et dépendant des fluctuations des marchés.
Dans le même temps, la concentration des autres maillons de la filière agroalimentaire a exercé une pression insoutenable sur le revenu de l'ensemble des agriculteurs, qui bientôt vivent davantage des aides que de leur travail.
L'agrandissement des exploitations et l'augmentation de l'intensité capitalistique qui en découle posent la question de la transmission : un agriculteur souhaitant s'installer doit investir bien davantage qu'il y a trente ans pour reprendre une ferme.
De même, la prépondérance des formes sociétaires en lieu et place de l'exploitation individuelle et l'apparition d'une agriculture de firme ont généré une augmentation du travail salarié permanent non familial ainsi que l'apparition de nouvelles formes de travail.
Le vieillissement de la population agricole risque de compromettre notre sécurité alimentaire, alors même que nous avons perdu 100 000 exploitations en dix ans.
Le changement climatique et le stress hydrique nous interdisent aujourd'hui d'opposer l'agriculture et la transition écologique. Les agriculteurs, premières victimes du réchauffement climatique, travaillent déjà à faire évoluer leurs pratiques. Ils doivent être accompagnés dans cet objectif ; mais, dans le même temps, la multiplication des traités de libre-échange permet l'importation de produits régis par des normes inférieures aux standards européens…
Face aux défis que doit relever notre agriculture, la question n'est pas tant de déterminer quel modèle agricole il faut promouvoir, l'idée sous-jacente à un tel débat étant celle d'une opposition entre agriculteurs, que de savoir comment garantir la pérennité de l'ensemble des exploitations, qui sont confrontées aux aléas climatiques, aux risques environnementaux et sanitaires, à la concurrence déloyale et au dumping social.
Comment réussir la transition vers un modèle agroécologique permettant à chacun de se nourrir sainement ? Comment garantir un juste niveau de rémunération, un juste partage de la valeur ?
Ces questions se posent alors que, dans le même temps, l'Union européenne s'est engagée dans un processus de négociation de traités de libre-échange qui ne répondent ni à nos exigences sanitaires ni à nos exigences sociales, et ce sans ratification par les parlements nationaux.
Dans le même temps, 80% des fonds de la PAC sont alloués aux 20% des agriculteurs les plus riches, qui pratiquent l'agriculture intensive.
Dans le même temps, la stratégie européenne « de la ferme à la table » et la PAC n'incluent aucune dimension sociale qui garantisse le respect des droits sociaux et la santé des travailleurs de la terre.
Dans le même temps, enfin, les avancées contractuelles permises par les lois Égalim 1 et 2 ont déçu les agriculteurs et eu pour seul mérite d'avoir fait connaître davantage les coûts de production, sans faire respecter pour autant l'exigence de leur prise en compte.
Nous le redisons avec force : seule une remise en cause profonde des rapports de force dans la chaîne de valeur peut véritablement changer la donne.
Il faut, à cet effet, que l'État et les agriculteurs eux-mêmes interviennent directement dans la formation des prix et des marges ; cela passe par l'instauration d'un prix plancher d'achat au producteur.
L'agriculture doit échapper aux règles de la concurrence intra-européenne : oui, en ce sens, il faut une exception agricole !
Pour autant, nous ne remettons pas en cause la PAC. Il faut au contraire davantage de politique agricole commune, car sacrifier cette politique aboutirait à une distorsion de concurrence. Nous avons besoin d'une politique européenne qui soit protectrice des agriculteurs et d'une bonne alimentation. Il faut par conséquent sortir la PAC de la course actuelle à la compétitivité et au prix le plus bas.
Enfin, un véritable accompagnement des agriculteurs au quotidien est nécessaire. À cette fin, nous devons, en complément de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), rétablir les prêts bonifiés. Ceux-ci ont été supprimés quand les taux étaient négatifs, mais ils sont aujourd'hui indispensables pour aider à l'installation des jeunes.
Cet accompagnement passe aussi par une simplification des procédures, à rebours de la complexification du droit qui prévaut trop souvent.
Pour ce faire, il faut renforcer les moyens humains des chambres d'agriculture afin de leur permettre d'exercer pleinement et sereinement leur mission de relais territorial et d'appui de proximité pour la mise en oeuvre des politiques publiques agricoles. Il importe, dans le même temps, de restaurer une administration déconcentrée dotée de moyens au service des agriculteurs.
Nos propositions sont un préalable indispensable pour freiner les stratégies de délocalisation agricole et agir contre la fragmentation du monde paysan et le développement accéléré d'une agriculture à deux vitesses. Il est urgent de donner de l'espoir et des perspectives au monde agricole, qui sera sans nul doute très attentif au projet de loi d'orientation et d'avenir du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Varaillas, les questions que vous avez soulevées à propos de notre filière agricole font écho à ce qui a été dit par plusieurs de vos collègues depuis le début de notre discussion : je pense notamment aux questions du revenu des agriculteurs, de la concurrence déloyale en Europe et à l'extérieur, de la simplification des normes ou encore de l'installation.
Vous n'êtes pas contre la PAC, avez-vous dit ; je ne reviens pas sur les grands principes que j'ai précédemment mentionnés, sinon pour dire je salue cette position, tout en entendant l'exigence que vous avez exprimée à l'endroit de cette politique comme de l'Europe en général.
La PAC 2023-2027 prévoit bien une conditionnalité sociale, je le rappelle ; surtout, nous avons actuellement une occasion historique de discuter de l'évolution des règles européennes. La présidente de la Commission européenne a ainsi bougé sur la question de la jachère ou encore retiré, constatant qu'elle n'était pas mûre, une directive qui aurait renforcé un certain nombre de normes. On le voit, les sujets de la souveraineté alimentaire et de la souveraineté européenne sont clairement à l'agenda. La France peut se féliciter d'avoir permis une partie de ces « bougés ».
Pour ce qui est de l'installation des jeunes agriculteurs, je l'ai dit, il faut des mesures. Nous débloquons 2 milliards d'euros pour financer des prêts garantis ; quant aux prêts bonifiés, ils font en ce moment même l'objet d'une expertise : pour des raisons techniques, ils ne seront peut-être pas la solution miracle. Surtout, le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles qui vous sera prochainement présenté permettra la création du guichet France service agriculture, c'est-à-dire d'un point d'accueil unique et d'une offre d'accompagnement qui s'adaptera à la diversité des territoires et des projets tout en favorisant l'émergence de ceux qui ne sont pas encore matures – je sais que vous y êtes attachée, madame la sénatrice.
Enfin, nous devons nous assurer de la viabilité économique, sociale et humaine de notre modèle agricole, ce qui veut dire nous donner les moyens de concilier projets d'entrepreneurs et transition climatique. Le changement climatique n'est pas dans nos têtes : c'est une réalité. Il est essentiel que les agriculteurs dont nous allons favoriser l'installation puissent générer un revenu ; c'est pourquoi nous leur proposerons un stress test climatique.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si leur colère a été enfin entendue, les agriculteurs n'ont toujours pas été tout à fait écoutés. Pourquoi a-t-il fallu que les tracteurs sortent des champs pour que l'on comprenne enfin la détresse des paysans ? Pourquoi, dans ce pays, faut-il toujours attendre que la fronde gronde ?
Nous ne découvrons pas les bas revenus, la disparition des exploitations, la baisse des transmissions, la lourdeur administrative, les crises climatiques, sanitaires, économiques ; et, surtout, nous ne découvrons pas les suicides : tout cela est connu depuis des décennies.
La question posée, qui a trait à la nature de notre modèle agricole, me semble totalement dépassée. Il faut arrêter d'opposer les modèles – les uns accusent l'agriculture conventionnelle de tous les maux, les autres pointent du doigt les agricultures bio ou de niche, considérées comme vouées à l'échec.
Défaisons-nous de ces visières qui nous empêchent d'avancer et abandonnons ces réponses qui nous font tourner en rond !
Réjouissons-nous de cette agriculture plurielle et attaquons-nous à la vraie question : quel avenir pour notre agriculture ?
Partons d'un constat positif : nous avons l'agriculture la plus saine du monde et nos agriculteurs se sont engagés dans des modèles vertueux, car ils sont responsables – et les Français l'ont bien compris.
Pourtant, ils ne bénéficient pas de revenus qui soient à la hauteur des services rendus à notre nation et à notre souveraineté.
Ces problèmes ont été pointés par nos agriculteurs. Voilà, madame la ministre, votre feuille de route pour votre pacte et votre loi d'orientation et d'avenir agricoles !
Espérons que leurs 120 propositions vous aideront à étoffer votre texte initial, qui, il faut le dire, est bien léger, le dossier de l'agriculture étant passé au seul filtre des questions de l'orientation et de la transmission.
Comment transmettre l'outil, en effet, quand le revenu n'y est pas, quand le fruit du travail ne permet pas de vivre, quand le partage de la valeur ne se fait pas ?
Madame la ministre, par les réponses qu'il apporte dans l'urgence, le Gouvernement prend le risque de sombrer dans une politique de la rustine qui verrait diverger productivité et transition vers l'agroécologie.
Ne confondez pas vitesse et précipitation ! Si nous ne pouvons raisonnablement pas continuer à faire appliquer à nos agriculteurs des normes sanitaires plus contraignantes que celles qui prévalent chez nos voisins européens, quel message envoyez-vous, néanmoins, en mettant à l'arrêt le plan Écophyto 2030 ?
Le signal est désastreux tant pour la protection de l'environnement que pour celle de la santé publique ; il va à rebours de nos politiques agricoles et de la transition écologique à laquelle notre agriculture ne pourra se soustraire.
Les mesures environnementales doivent être non pas un obstacle, mais la réponse aux difficultés ; et, cette réponse, il faudra que nos agriculteurs la choisissent au lieu de la subir. Donner le choix, c'est s'assurer de l'acceptabilité, pour le monde agricole, des orientations que l'on souhaite lui donner.
Allez-vous enfin comprendre que, pour réussir notre transition, il faut encourager les agriculteurs à s'engager dans la démarche des paiements pour services environnementaux (PSE) ? Ces services devraient être sélectionnés par les principaux concernés parmi un panel de solutions et de possibilités qui, une fois mises en place, seraient valorisées par une rémunération au minimum équivalente au coût lié à la perte de productivité induite par ces mesures.
Telle est la seule façon de répondre à la particularité de chaque territoire et au besoin d'une agroécologie cohérente, tout en permettant à nos agriculteurs de tirer un revenu décent de leur activité.
Coupe-feux, haies, irrigation raisonnée, restructuration du sol, cépages résistants… : si nos modèles de production doivent évoluer, cela ne pourra se faire de manière uniforme, nos territoires étant marqués par des différences structurelles et climatiques notables.
L'enjeu environnemental mérite que les PSE soient élaborés et mis en place sur la base d'un diagnostic de territoire posé en tenant compte d'enjeux qui ne sont pas partout les mêmes. Nous devons concentrer l'ensemble de nos efforts sur la réalisation de l'objectif de prix justes pour une transition juste, du champ à l'assiette, et ne pas prendre pour cibles les mesures environnementales que Bruxelles et Paris élèvent en variable d'ajustement de la colère qui s'est exprimée. Faisons le pari du consensus et de la vision de long terme afin de redonner de l'attractivité aux métiers de l'agriculture, d'accompagner et de revaloriser les actifs du monde agricole et agroalimentaire français, d'assurer notre souveraineté alimentaire et de mener la transition agroécologique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Cabanel, je concentrerai ma réponse sur le sujet des paiements pour services environnementaux.
Vous avez raison de mentionner ce dispositif, dont vous avez très justement parlé. Nous partageons votre constat : il faut davantage valoriser ce que font nos agriculteurs dans leur exploitation en matière environnementale. L'un des objets des initiatives du type PSE est précisément de mieux faire comprendre l'apport essentiel qui peut être celui de nos agriculteurs dans la transition agroécologique et climatique et dans la préservation de la biodiversité.
Vous le savez, la PAC 2023-2027 permet la rémunération des services environnementaux via cette nouveauté qu'est l'écorégime. Il s'agit, très concrètement, d'un paiement direct aux exploitants agricoles qui s'engagent volontairement à mettre en place sur leur exploitation des pratiques agronomiques favorables au climat. Ce paiement est découplé, uniforme et versé annuellement sur tous les hectares admissibles de l'exploitation.
Tel est par exemple le cas du bonus " haies ". Vous connaissez l'importance des haies : dans le cadre de la planification écologique, nous avons l'ambition de déployer 1,5 million de kilomètres de haies à l'horizon 2050. Pour lancer le mouvement, des mesures de simplification sont indispensables – cet enjeu comptera parmi ceux du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles –, mais nous devons également nous appuyer sur les mécanismes d'incitation des écorégimes.
Au total, une enveloppe d'un montant – significatif – de 1,7 milliard d'euros est consacrée aux écorégimes. Bien entendu, il s'agit d'un dispositif relativement récent que nous pourrons travailler à améliorer ; c'est en tout cas un très bon support pour répondre aux problèmes que vous soulevez, monsieur le sénateur.
Pour ce qui est du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, je rappelle qu'il inclut, outre les questions de la formation et de la transmission, des volets relatifs à la souveraineté et à la simplification, qui devraient largement répondre à vos attentes.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si tout n'est pas à jeter dans le modèle actuel, il faut bien reconnaître que les manifestations du monde agricole nous obligent. Elles nous obligent à réajuster ce modèle, sur notre sol comme à l'échelle européenne.
Si nous voulons demain une France fière de ses paysans et souveraine d'un point de vue alimentaire, nous devons affronter plusieurs défis, du juste revenu à la transmission des exploitations, en passant évidemment par la question des transitions face au dérèglement climatique.
Commençons par la question essentielle des revenus. Le constat est sans appel : une partie importante des agriculteurs travaillent pour nous nourrir sans pouvoir eux-mêmes vivre de ce travail.
Depuis 2017, avec les lois Égalim, la majorité présidentielle a apporté des réponses. Nous constatons aujourd'hui que le problème vient non pas de la loi, mais de son application, voire de son détournement. Alors, que faire ?
Nous devons agir pour lutter contre les fraudes en matière de prix, mais aussi en matière d'étiquetage, en garantissant l'origine des produits. Doubler les contrôles en organisant le recrutement par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de 150 agents supplémentaires est ainsi une mesure nécessaire.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
M. Bernard Buis. Madame la ministre, avez-vous des précisions à nous donner quant au calendrier de la mise en oeuvre de cette annonce, très attendue sur le terrain ?
Comment légiférer à l'échelle européenne pour encadrer l'activité des centrales d'achat implantées hors de France ? Faut-il harmoniser les règles en vigueur dans l'Union en prenant pour référence les principes des lois Égalim et créer des réseaux de contrôle européens ?
Par ailleurs, pour que les revenus soient décents, il faut rééquilibrer les négociations commerciales. Nous avons commencé à le faire, mais nous devons travailler sur la question de la concurrence, voire sur notre rapport au libre-échange.
Comment préserverons-nous notre agriculture si nous continuons de laisser proposer à la vente, à des prix défiant toute concurrence, des fruits et légumes produits hors de l'Union européenne, dont les coûts de production et les exigences environnementales sont inférieurs à ceux qui sont imposés sur notre sol ? Jusqu'à quel point la souveraineté alimentaire et le libre-échange sont-ils compatibles ?
La France s'oppose au traité entre l'Union européenne et le Mercosur ; notre groupe s'en réjouit. En l'état, cet accord fragiliserait nos agriculteurs, qui sont soumis à davantage de normes sanitaires et environnementales que leurs homologues des pays sud-américains.
Ne faudrait-il pas, en toute cohérence, renforcer les clauses miroirs dans les autres traités actuellement en vigueur, comme cela a été fait avec les mesures récemment adoptées à l'égard de l'Ukraine pour les secteurs de la volaille, des oeufs et du sucre ?
Pour ce qui est de l'Union européenne, il ne faut pas se tromper de combat. À quelques mois des élections européennes, ne cédons pas aux sirènes populistes et europhobes !
La politique agricole commune et ses 9 milliards d'euros sont des acquis que nous devons préserver. C'est à l'échelle européenne que nous parviendrons à développer une agriculture résiliente et souveraine ; c'est en harmonisant les règles que nous encouragerons la coopération européenne et empêcherons les concurrences déloyales.
Si l'échelle européenne est décisive, nous devons d'ores et déjà agir en France pour assurer à nos agriculteurs un meilleur revenu. L'État et les collectivités doivent être exemplaires, par exemple en privilégiant l'achat de produits français en circuit court dans le cadre de la restauration collective. Cet effort est indispensable à la mise en place du patriotisme agricole et alimentaire que nous appelons de nos voeux. Et c'est à cette condition que nous pourrons appeler les Français qui le peuvent à participer à leur tour audit effort.
Mes chers collègues, si ce patriotisme devait un jour se concrétiser, encore faudrait-il que notre pays puisse compter sur le renouvellement des agriculteurs : c'est le défi de la transmission et de l'attractivité.
Le nombre de professionnels dans l'agriculture fond comme neige au soleil ! Selon Agreste, l'organisme de statistique, d'évaluation et de prospective du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire – le vôtre, madame la ministre –, en 1988, on dénombrait 1 million d'exploitations agricoles en France. En 2022, ce nombre a chuté à 380 000.
Ce phénomène touche particulièrement l'élevage. En dix ans, la Drôme a ainsi perdu 18 % de ses exploitations, notamment dans les secteurs bovin, porcin et caprin. Dans mon canton du Diois, le nombre d'ovins a diminué de 30 % en dix ans !
Au-delà des questions liées à la fiscalité et au foncier, auxquelles nous apporterons des réponses – je l'espère – avec le projet de loi à venir, il nous revient de poser une question simple : qu'est-ce qu'un métier attractif ?
En tout état de cause, ce n'est sans doute pas un métier qui suppose de travailler soixante-dix heures par semaine dans des conditions physiques éprouvantes, pour des revenus modestes, en subissant une inflation d'injonctions administratives et environnementales ! En réalité, la question de l'attractivité est liée à toutes les autres : revenus, considération, concurrence, simplification des normes.
En fait de simplification, permettez-moi d'évoquer deux exemples drômois dont je viens de prendre connaissance en échangeant avec des éleveurs.
Le premier exemple concerne le versement d'aides financières pour les embauches de bergers et d'aides-bergers. La période d'embauche s'étend de juin à septembre. L'agriculteur fait l'avance et la subvention compensatrice est versée non pas dans les semaines suivantes, mais douze mois plus tard. Pourquoi un tel décalage ? Les professionnels ont du mal à le comprendre et une telle situation n'incite pas à poursuivre cette activité.
Le second exemple, toujours relatif aux éleveurs, concerne l'indemnisation des pertes de brebis en cas de prédation.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, une attaque de loup n'est pas toujours synonyme de carnage. Il est souvent des attaques qui, plus discrètes et plus pernicieuses, ne causent qu'une ou deux pertes par nuit. En fonction de la taille du troupeau, il n'est pas toujours facile de les recenser. Le groupement pastoral de Villaret La Pare, à cheval sur la Drôme et les Hautes-Alpes, dont le troupeau rassemble 1 300 brebis, en a perdu 97 sur une saison ; mais 6 seulement ont donné lieu à indemnisation, faute de pouvoir compter les pertes chaque nuit…
Alors que l'élevage décline, comment repenser le système d'accompagnement des éleveurs ovins pour qu'aucune perte ne se retrouve dans un angle mort de l'indemnisation ?
Je pense également aux louvetiers, dont les conditions de travail et l'indemnisation des déplacements pourraient être améliorées.
Tous ces exemples montrent, parmi tant d'autres, que les normes ne facilitent pas toujours le quotidien de nos agriculteurs.
Enfin, il reste à relever un défi majeur, pour lequel les agriculteurs seront des alliés irremplaçables : celui des transitions face au dérèglement climatique.
Comme l'écrivent Erik Orsenna et Julien Denormandie dans leur récent ouvrage, la question de fond est la suivante : comment nourrir sans dévaster ? Comment nourrir 68 millions de Français sans détruire les sols, la biodiversité, notre santé, mais également notre patrimoine, notre savoir-faire et ce qui fait de la France le pays de la gastronomie ?
M. Laurent Duplomb. Amen !
M. Bernard Buis. Des irrigateurs de Mésopotamie aux éleveurs porcins d'Ausson, dans le secteur de Die, les agriculteurs sont l'une des professions les plus anciennes de notre civilisation. Ils ont démontré leur capacité à s'adapter ; mais nous devons les accompagner plutôt que les accuser et les délaisser.
N'opposons pas les modèles d'agriculture et favorisons la coopération ! C'est ainsi que nous pourrons créer un modèle agricole souverain et plus juste.
Madame la ministre, à la veille de la Saint-Valentin, la politique devrait peut-être s'inspirer de la symbolique de cette fête : dire que l'on aime nos agriculteurs, c'est bien, mais le leur prouver, c'est mieux !
M. Laurent Duplomb. Eh bah mon vieux, il y a du travail !
Mme Nathalie Goulet. Il n'y a que des preuves d'amour ! (Sourires.)
M. Bernard Buis. À onze jours du lancement du salon qui leur est dédié, prouvons à nos agriculteurs qu'ils peuvent compter sur nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Patrick Chauvet et Mme Frédérique Puissat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Buis, vous le savez, la question des contrôles me tient à coeur. J'étais secrétaire d'État, à Bercy, lorsque nous avons instruit, via la DGCCRF, un dossier de francisation de kiwis. Et j'étais ministre déléguée chargée de l'industrie quand nous nous sommes emparés du sujet des centrales d'achat ; c'est sous mon impulsion que la DGCCRF a prononcé une amende de plus de 100 millions d'euros à l'encontre de la centrale d'achat de l'un des grands distributeurs français.
Nous allons poursuivre et renforcer ces contrôles. Le ministre de l'économie a énoncé son objectif : 10 000 contrôles devront être effectués par la DGCCRF sur l'ensemble de l'année 2024.
Nous renforçons également les contrôles dans le domaine de l'agriculture : plus de 1 000 contrôles ont d'ores et déjà été engagés.
Ces contrôles donnent lieu à une procédure contradictoire, procédure classique, technique, qui implique de tenir compte des réponses des personnes contrôlées. Ils portent en particulier sur le respect des règles d'étiquetage, notamment relatives à l'origine des produits, à la véracité des publicités et à la loyauté des ventes promotionnelles.
Des contrôles sont également diligentés dans les établissements de restauration hors domicile, notamment pour vérifier les allégations d'origine de la viande bovine et, depuis 2022, le respect de l'obligation d'information sur les viandes porcines, ovines et de volaille.
Nous avons aussi demandé que soit exercée une vigilance particulière pour tout ce qui a trait à la francisation. En effet et malheureusement, les fruits et légumes – j'ai mentionné le cas des kiwis – et le vin sont souvent l'objet de pratiques trompeuses, qui doivent cesser.
Vous l'avez souligné, il faut agir à l'échelle européenne, c'est-à-dire promouvoir la vision des lois Égalim en matière de régulation de l'activité des centrales d'achat, mais aussi de nos relations commerciales. Vous avez mentionné l'Ukraine : je rappelle qu'en la matière nous avons obtenu des avancées sur les oeufs, les volailles et le sucre…
Mme Nathalie Goulet. Cela nous console !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … et que nous allons défendre les mêmes avancées dans le secteur des céréales.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Pour ce qui est de l'attractivité, des mesures figureront dans le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Ainsi, quand il sera question d'agriculture, parlera-t-on non plus seulement de sueur et de souffrance, mais aussi de vivant et de désir.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, souveraineté et autonomie alimentaire des territoires, renouvellement des générations, agriculture rémunératrice et adaptée au dérèglement climatique, transition agroécologique : au sein du groupe socialiste du Sénat, nous sommes parfaitement conscients des nombreux enjeux auxquels doit faire face notre modèle agricole.
Nous débattons aujourd'hui de l'avenir de ce modèle, et nous aurons certainement à examiner dans quelques semaines une loi d'orientation agricole, car – oui ! – il est indispensable de fixer un cap clair et précis pour les années à venir.
L'avenir, madame la ministre, passera par une formation agricole à la hauteur des nouveaux enjeux.
Au-delà de la création d'un bachelor agricole, qui viendra directement concurrencer des licences professionnelles existantes, il est indispensable d'améliorer et de valoriser les qualifications des enseignants par la création d'une agrégation propre, de garantir la pluralité au sein des équipes pédagogiques comme parmi les experts associés, et, bien sûr, de mobiliser des moyens supplémentaires pour favoriser les expérimentations.
Nous serons très attentifs à ces questions lors de l'examen du futur projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, dont l'intitulé semble encore susceptible d'évoluer…
L'enjeu de l'enseignement conduit naturellement à celui de l'installation, dans un contexte de renouvellement des générations. L'idée d'un guichet unique par département peut être positive, mais elle nécessitera une grande coordination avec les autres instances – tout particulièrement les chambres d'agriculture –, et surtout un cadre ouvert donnant la priorité à l'installation, y compris des personnes non issues du monde agricole.
Il est bien sûr impossible de traiter de ce sujet sans évoquer le foncier agricole.
Avec mes collègues du groupe socialiste, nous appelons depuis de nombreuses années à une grande loi sur le foncier agricole. (M. Laurent Duplomb ironise.) Dans ce cadre, il est indispensable de redonner des moyens d'agir aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), qui devront en retour renforcer leur impartialité et leur transparence quant aux données.
Il apparaît également indispensable de lutter contre les agrandissements excessifs et contre la mainmise de certaines sociétés privées sur le foncier agricole.
Vient ensuite, cher collègue Duplomb, l'incontournable question du revenu agricole. Je réitère, au nom du groupe SER, la demande de création d'une commission d'enquête sur ce sujet : il faut qu'à cet égard lumière soit faite et que nous puissions enfin agir sur la base de données actualisées.
Les agriculteurs veulent avant tout vivre de leur production sans dépendre d'un système de compensation permanente et de réaction aux différentes crises. En dépit des lois Égalim, l'éternelle question de la répartition de la valeur entre les industriels, la grande distribution et les agriculteurs demeure bien, hélas ! pendante.
À titre d'exemple, je citerai les difficultés que traverse l'agriculture biologique : on répète à l'envi qu'elle décroche parce que la demande ne suit pas. La question des " surmarges " réalisées par les distributeurs, estimées à 46% du " surcoût du bio " par l'UFC-Que Choisir, est bien moins souvent évoquée – comme par hasard ! Elle devrait pourtant être davantage approfondie si l'on veut aider les agriculteurs qui ont fait le choix courageux de la conversion.
L'idée d'une législation Égalim européenne pour encadrer les activités des centrales d'achat européennes est intéressante, mais elle impliquera de mettre en place une véritable coordination pour assurer l'effectivité du contrôle et des sanctions.
Pour ce qui concerne les aides PAC, nous considérons que le logiciel est également à revoir, et ce d'autant plus si l'élargissement de l'Union européenne se confirme.
La France doit avoir le courage politique de défendre un plafonnement des aides PAC pour induire davantage de justice sociale dans ce système, comme l'a fait l'Espagne. Surtout, elle doit proposer une véritable modulation des aides entre les filières en fonction de l'évolution des cours, comme c'est le cas aux États-Unis avec les aides contracycliques.
Ce sujet me conduit à évoquer la nécessité d'accompagner les agriculteurs pour assurer la transition de notre modèle.
Ayant été agriculteur pendant plus de vingt ans, j'ai bien conscience que les injonctions ne sont pas toujours faciles à accepter. C'est la raison pour laquelle les pouvoirs publics doivent se positionner comme des accompagnateurs de la transition agroécologique. Un tel accompagnement est indispensable pour la santé des agriculteurs, pour leur activité, qui est très fortement affectée par le dérèglement climatique, et pour la préservation de la biodiversité.
Le succès des mesures agroenvironnementales et le nombre d'installations en bio attestent cette volonté de changement, mais il faut que l'État suive, en y mettant les moyens. La réaction, certes tardive, qui a conduit à rehausser l'enveloppe des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) montre que cela est possible.
Il est tout aussi essentiel de rémunérer l'ensemble des services environnementaux rendus par les agriculteurs, via une véritable politique de relance des paiements pour services environnementaux, les fameux PSE.
La question du bien-être des paysans est également centrale. Bien que le dispositif du crédit d'impôt en faveur du remplacement temporaire ait été amélioré ces dernières années, nous appelons de nos voeux une prise en charge à 100 %, qui paraît pleinement justifiée au regard du rôle nourricier joué par les agriculteurs.
Enfin, les accords de libre-échange, pour lesquels nous demandons collectivement des clauses miroirs portant sur les aspects environnementaux et sociaux, seront également au coeur des débats.
Comme nous l'avions demandé lors de l'examen de la proposition de résolution relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur, nous voulons de la clarté sur l'évolution des discussions qui ont lieu à l'échelle européenne et de la fermeté de la part de la France, afin que ne soit pas accepté un accord dangereux pour nos agriculteurs et pour les consommateurs français et européens.
Mes chers collègues, l'avenir de notre modèle agricole passera par une prise en compte des considérations que j'ai évoquées : il passera par des exploitations à taille plus humaine, plus facilement transmissibles, permettant une juste rémunération et favorisant le bien-être des agriculteurs, par une révision de la PAC dans le sens de davantage d'équité, et surtout par un accompagnement des agriculteurs vers une indispensable transition.
Madame la ministre, j'espère que vous entendrez avec sérieux nos différentes propositions. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Tissot, vous me permettrez, dans ma réponse, de sélectionner certains points de votre intervention, car vous avez abordé beaucoup de sujets.
Premier point : la question des marges, et en particulier de celles qui sont réalisées sur les produits biologiques.
Vous le savez, la loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite Descrozaille ou Égalim 3, dispose que le ministère de l'agriculture et celui de l'économie rendent sur ce sujet un rapport, qui est en cours de rédaction. Les premiers travaux effectués à cet égard indiquent qu'il n'y a pas de surmarges sur les produits sous signes de qualité et d'origine : le taux est le même que sur les produits de l'agriculture conventionnelle et la valeur est plus élevée, car le prix de base est plus élevé. Le rapport que nous attendons permettra d'éclairer, et peut-être de contrebalancer, les travaux que vous avez mentionnés.
Deuxième point : l'orientation et la formation sont l'un des enjeux de l'attractivité des métiers et de la politique que nous voulons mener pour favoriser l'installation de nouveaux agriculteurs. Il s'agit en particulier de faire connaître ces métiers qui, riches de perspectives, sont plus porteurs et plus intéressants que ce qu'en présente le journal de 20 heures…
Nous sommes prêts à travailler à la fois sur l'attractivité et sur le cursus de ces formations. Je rappelle que le budget consacré à la formation agricole est en hausse de 10 % en 2024.
Troisième point : le foncier. Si, à ce stade, aucune loi foncière n'est envisagée, nous créons néanmoins des groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI) et mettons en place un fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant, doté de 400 millions d'euros, et dont une première tranche de 70 millions d'euros sera déployée prochainement.
Pour ce qui concerne vos remarques sur les paiements pour services environnementaux, monsieur le sénateur, j'y ai répondu par avance en évoquant les écorégimes de la PAC 2023-2027.
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre nation a une longue histoire d'agriculture prospère. Qui a oublié la phrase : " Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France " ? Elle date un peu et, malheureusement, les temps ont bien changé. La France n'est plus ni le grenier à blé de l'Europe ni le deuxième exportateur mondial… Il y a cinquante ans, nous comptions plus de 1,2 million d'exploitations agricoles ; il y en a aujourd'hui un peu moins de 440 000.
Sénateur depuis trois ans, j'ai déjà assisté à de nombreux débats relatifs à l'agriculture, voté un certain nombre de textes, entendu de grandes annonces dont la concrétisation allait changer le monde agricole ; et pourtant, ce secteur demeure durablement en crise. Je vous le rappelle, mes chers collègues, 20% des agriculteurs français vivent sous le seuil de pauvreté. Leurs revendications ne semblent pas irréalistes : ils souhaitent juste pouvoir vivre correctement de leur travail !
Le Sénat a donné l'alerte, et identifié les problèmes. L'année dernière, quasiment jour pour jour, nous avions un débat très similaire à celui qui nous réunit aujourd'hui ; le ministre de l'agriculture nous avait répondu qu'il avait dans ses cartons un grand projet de loi d'orientation. Finalement, le Gouvernement a attendu que la marmite déborde pour proposer un avant-projet quasi vide et prendre des décisions sous la pression. L'annulation de la hausse du GNR est-elle vraiment la réponse aux attentes du secteur ? Ce n'est pas certain du tout, et vous le savez, madame la ministre.
La réponse que nous devons apporter aux problèmes de l'agriculture est multiple. L'avenir de notre modèle agricole est lié à des défis tels que le renouvellement des générations, la fiscalité des transmissions, les charges et la fiscalité qui pèsent sur les agriculteurs, la compétitivité internationale, la transition écologique.
Le vieillissement de la population agricole en France est un défi majeur. Et la transmission des exploitations se heurte souvent à des problèmes fiscaux qui peuvent décourager les jeunes agriculteurs. Les droits de succession sont un frein important à la transmission des exploitations agricoles : les héritiers, souvent des membres de la famille, ont parfois du mal à assumer les coûts fiscaux élevés associés à la transmission. Une telle situation peut conduire à des ventes ou à des situations financières difficiles. La question de la fiscalité des transmissions est donc cruciale pour assurer le renouvellement des générations et la pérennité des exploitations.
Les agriculteurs font aussi face à des charges importantes liées aux coûts de production, à l'achat de matériel ou aux coûts salariaux. De surcroît, la fiscalité agricole, qui est complexe, les soumet à une multitude de taxes et autres prélèvements. La dernière source de compétitivité de nos agriculteurs est malheureusement la baisse de leurs revenus, à défaut de celle de leurs coûts de production… Les revenus ne doivent pas être la variable d'ajustement de la compétitivité !
Le secteur agricole doit également faire face à la compétitivité internationale.
Depuis plusieurs décennies – nous y sommes désormais habitués –, certains font entendre une « petite musique » qui consiste à vitupérer notre modèle agricole, pourtant l'un des plus vertueux.
En 2017, le Président de la République plaidait pour " la montée en qualité, la montée du bio " : les produits français moins compétitifs devaient monter en gamme pour atteindre des marchés de niche qui seraient plus rémunérateurs. Et, " en même temps ", il allait ouvrir le marché aux produits étrangers de milieu de gamme, mais beaucoup moins chers. Cette politique agricole à deux faces se révélerait une impasse !
Tels Perrette et son pot au lait, ces décideurs, ces gouvernements successifs, rêvaient ; telle Perrette, ils ont trébuché sur la réalité : ce modèle était déconnecté des attentes des Français et les contraintes qui pèsent sur lui sont autant de boulets qui l'ont entravé.
Les agriculteurs français doivent être en mesure de produire de manière compétitive sur le marché mondial, tout en respectant les normes environnementales et de qualité. Oui, il est possible de protéger notre agriculture des distorsions de concurrence qui ont cours au sein de l'Union européenne et avec le reste du monde ! Un texte a été adopté au Sénat, l'année dernière, en ce sens ; depuis, il semble s'être perdu dans la tuyauterie de l'Assemblée nationale…
Enfin, la transition écologique vers des pratiques agricoles plus durables et respectueuses de l'environnement est un véritable enjeu. Les incitations fiscales visant à encourager les agriculteurs à adopter de telles pratiques peuvent jouer un rôle crucial dans cette transition. Préférons l'usage de la carotte à celui du bâton !
L'avenir du modèle agricole français dépend de notre capacité à relever ces défis avec détermination, en délaissant les postures politiciennes. Vous avez eu de nombreuses possibilités, ces dernières années, d'améliorer le quotidien de nos agriculteurs ; pourtant, madame la ministre, vous n'avez jamais utilisé les véhicules législatifs qui étaient à votre disposition. Espérons que vous saurez, cette fois, vous en inspirer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
(M. Mathieu Darnaud remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Klinger, vous avez raison, il est nécessaire d'assurer la compétitivité de la ferme France, et vous ne devez pas douter de l'engagement du Gouvernement en ce sens.
Puisque vous avez insisté sur l'enjeu fiscal, permettez-moi de rappeler que de nombreuses mesures fiscales visant spécifiquement le monde agricole et les agriculteurs ont été adoptées dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2024. Je l'ai dit, nous souhaitons en particulier faciliter la transmission des exploitations aux jeunes agriculteurs, et prévoyons à cet égard de nouvelles incitations fiscales qui font en ce moment même l'objet de travaux préparatoires en vue du prochain projet de loi de finances.
Je reviens sur les mesures applicables en 2024.
La compensation de la réduction de l'avantage fiscal appliqué au GNR est maintenue, alors même que ledit avantage fiscal est lui-même maintenu.
Le plafond de la déduction pour épargne de précaution a été relevé, passant de 41 000 à 50 000 euros, afin d'accroître la résilience de nos exploitations face aux aléas. Du reste, depuis l'entrée en vigueur du projet de loi de finances pour 2023, ce plafond est indexé sur l'inflation.
Le seuil du régime du microbénéfice agricole a également été rehaussé, passant de 91 900 à 120 000 euros. Ce régime autorise non seulement une fiscalité allégée, mais surtout une simplification majeure des démarches.
Le seuil d'exonération des plus-values a augmenté, passant de 250 000 à 350 000 euros, pour l'exonération totale, et jusqu'à 450 000 euros, pour l'exonération partielle.
Enfin, le Premier ministre a récemment annoncé la pérennisation du dispositif travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) et le rehaussement du seuil de dégressivité de 1,2 à 1,25 fois le Smic. (M. Laurent Duplomb s'exclame.)
Je ne peux donc pas vous laisser dire que rien n'a été fait sur le plan fiscal pour soutenir les agriculteurs !
M. Laurent Duplomb. S'il en reste !
M. le président. Il faut conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Les agriculteurs plébiscitent ces mesures concrètes. Et nous travaillons, pour 2025, à des mesures spécifiquement destinées à faciliter les transmissions.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Jean-François Longeot. Permettez-moi pour commencer, madame la ministre, de vous féliciter pour votre nomination. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Ce débat sur l'avenir du monde agricole, qui est au coeur de l'actualité, vous permet de préciser certaines mesures que le Gouvernement a annoncées en réponse à la colère légitime des agriculteurs.
La profession traverse d'importantes difficultés. Mon collègue Franck Menonville en a fait état dans son propos, dont je partage chaque mot ; je n'y reviens donc pas.
Je veux remercier le groupe Les Républicains d'avoir pris l'initiative de ce débat.
Je souhaite tout d'abord revenir sur l'usage des produits phytosanitaires.
Nos agriculteurs travaillent dur pour nous nourrir, sans obtenir la reconnaissance qu'ils méritent. Au contraire, ils sont bien trop souvent accusés de tous les maux de notre planète, ce qui n'est pas juste !
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Jean-François Longeot. J'en ai la ferme conviction, partagée, me semble-t-il, par le Président de la République : il nous faut appliquer le droit européen sans nous égarer dans des surtranspositions mortifères qui, si elles peuvent apparaître louables sur le plan écologique, conduiront à une baisse de notre production et à une augmentation de nos importations en provenance de pays qui ne sont pas aussi vertueux que le nôtre.
M. Laurent Duplomb. Il y a du travail !
M. Jean-François Longeot. À ce jeu-là, ni l'écologie ni nos agriculteurs ne seront gagnants sur le long terme.
La suspension du plan Écophyto, afin de mener un travail de concertation avec les différents acteurs concernés, va dans le bon sens.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Jean-François Longeot. Il nous faut mieux travailler avec nos partenaires européens et procéder à une réelle harmonisation de nos règles, sans nous livrer à une foire d'empoigne au niveau national. Il convient certes de ne pas méconnaître les enjeux de santé publique, mais de ne pas méconnaître non plus le travail de nos agriculteurs !
Au chapitre des contraintes, toujours, il convient d'aborder le sujet du plan Eau. Là aussi, madame la ministre, il faut agir et sortir des carcans administratifs ! Le réchauffement climatique nous met devant le fait accompli : certaines zones de notre pays ne pourront plus être cultivées comme elles le sont aujourd'hui. Il faut apprendre à vivre avec cette réalité, sans déni, et faire en conséquence des choix stratégiques.
Alors que certains territoires sont de plus en plus dépendants de l'irrigation, il ne faut pas avoir peur d'accompagner les agriculteurs vers des cultures moins gourmandes en eau. En premier lieu, dans le sud de la France – c'est inévitable –, il ne sera pas possible de fournir suffisamment d'eau aux cultures qui en ont besoin en grande quantité. En revanche, la solution du stockage d'eau dans des bassines peut s'étudier au cas par cas ; j'y crois vraiment. Il conviendra de toute façon d'adapter nos cultures aux nouveaux cumuls de pluie, qui ne cessent de battre des records à la baisse.
Il nous faudra, là aussi, être imaginatifs et particulièrement innovants. Je pense par exemple à la méthode de captation de l'eau atmosphérique utilisée à Grimaud, dans le Var ; notre collègue Jean Bacci vous y invitera, madame la ministre, à venir découvrir ce nouveau procédé.
J'en viens maintenant aux zones de non-traitement (ZNT), dont le respect constitue une obligation nouvelle pour la profession. Tandis que l'urbanisation grimpe en flèche, ces zones de non-traitement prolifèrent, ce qui représente autant de terres non cultivées par nos agriculteurs. Il nous faut donc, en ce domaine également, alléger les contraintes et introduire un peu de souplesse.
MM. Laurent Duplomb et Michel Savin. Très bien !
M. Laurent Burgoa. Bravo !
M. Jean-François Longeot. En zone industrielle ou artisanale, par exemple, la présence d'un parking ou d'un espace trop peu fréquenté engendre à elle seule l'application d'une distance de non-traitement, alors même que le risque sanitaire est inexistant. Ne serait-il pas opportun de mettre en place une nouvelle classification pour répondre à ce problème concret et rendre ainsi des terres à l'agriculture ?
Sur tous ces sujets, et à quelques jours de l'ouverture du salon de l'agriculture, je suis persuadé que nous pouvons, dans un esprit de responsabilité, faire confiance à la profession. Mes chers collègues, soyons concrets, ouverts à la discussion, pratiques et pragmatiques : en un mot, retrouvons le bon sens paysan ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)
M. Laurent Duplomb. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur Longeot, je suis tout à fait d'accord avec vous : il faut retrouver le bon sens paysan !
M. Laurent Duplomb. Ah !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Vous l'avez dit, il n'y a pas d'agriculture sans eau. L'eau a d'ailleurs fait l'objet d'un travail en profondeur au cours du Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, organisé en son temps par mon ancien collègue Julien Denormandie, à l'issue duquel vingt-quatre mesures ont été décidées. À ce jour, vingt-trois d'entre elles ont été lancées, dont quatorze sont effectivement mises en oeuvre. (M. Laurent Duplomb s'exclame de nouveau.)
Permettez-moi de revenir sur certains des éléments que vous avez mentionnés, à commencer par la réutilisation des eaux traitées.
M. Laurent Duplomb. L'Arlésienne !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Vous le savez, l'arrêté relatif aux conditions de production et d'utilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation de cultures et le décret relatif aux eaux réutilisées dans les entreprises du secteur alimentaire ont enfin été publiés – ils étaient attendus. Ils permettront de la souplesse dans les usages.
Avec le plan Eau, nous avons fait reconnaître l'importance singulière de l'eau en agriculture. Ce plan prévoit la création d'un fonds hydraulique agricole doté de 20 millions d'euros à partir de 2024. Il sera financé par le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire à hauteur de 30 millions d'euros à partir de 2025.
Ce fonds, destiné à l'entretien d'un certain nombre d'ouvrages, permettra la création, l'agrandissement, la réhabilitation et la modernisation d'ouvrages de stockage d'eau, ainsi que la réalimentation des nappes phréatiques ; il permettra également de favoriser l'accès à l'eau.
Vous avez par ailleurs évoqué la question de la simplification. Je veux le dire ici très clairement, le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles que M. le ministre de l'agriculture, Marc Fesneau, et moi-même porterons comprendra spécifiquement des mesures de simplification des procédures afin de faciliter l'installation d'ouvrages de stockage d'eau, mais aussi de bâtiments d'élevage. Tel sera l'un des objets de ce projet de loi, que je sais attendu.
M. Laurent Duplomb. Avec impatience !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Je dis pour conclure un mot des zonages : il en existe une multiplicité, vous le savez ; un travail a été entamé afin de remettre à plat cette question et de rechercher, là aussi, les voies et moyens d'une simplification.
M. le président. La parole est à M. Lucien Stanzione. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Lucien Stanzione. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le monde agricole français et européen traverse une crise profonde. Le mécontentement des agriculteurs est immense.
Pour leur part, les viticulteurs nous ont alertés sur l'ampleur de la crise viticole et sur l'urgence qu'il y a à déployer des mesures d'accompagnement pour ceux d'entre eux qui sont en difficulté.
Durant des mois, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain n'ont eu de cesse d'interpeller le Gouvernement en multipliant les interventions à cette tribune. Les échanges ont même parfois été très tendus… Hélas ! le Gouvernement a rejeté chacune de nos propositions.
Alors qu'il était jusqu'à présent resté sourd aux demandes des viticulteurs, le ministre de l'agriculture, confronté à leur mouvement de revendication, change désormais de paradigme et multiplie les annonces pour éteindre les braises de la colère.
Ainsi un fonds d'urgence doté de 80 millions d'euros a-t-il été subitement mis en place pour accompagner les viticulteurs en difficulté. Nous prenons acte de ce geste, même s'il vient bien tardivement et s'il reste insuffisant.
Par exemple, seuls 4,8 millions d'euros sont annoncés pour mon département de Vaucluse pour indemniser les producteurs de 1,2 million d'hectolitres de côtes-du-rhône, sur un total de 3 millions d'hectolitres en cuve à l'échelon national, malgré trois distillations successives. Nous demandons que tous les besoins de distillation soient totalement et immédiatement pris en compte.
Nous prenons également acte de la volonté du Gouvernement en matière de restructuration du vignoble, mais quelles perspectives nous offre-t-il ? Espérons que les démarches entreprises auprès de la Commission européenne permettront de sortir très vite du carcan des règles de minimis et de la moyenne olympique.
Nous attendons encore des réponses concernant l'aide au stockage privé, le déploiement de l'année blanche bancaire et le rééchelonnement des prêts garantis par l'État (PGE) pour les caves coopératives.
Nous réclamons des actes très forts et courageux pour nos viticulteurs en détresse.
Autre source de mécontentement : la lavandiculture. Comment comprendre que le reliquat de 4 millions d'euros, sur les 10 millions d'aides votées par le Sénat, n'ait toujours pas été versé aux lavandiculteurs ?
Quant à la filière française de cerises de bouche et d'industrie, elle est en péril absolu ! La protection par filet n'est pas une véritable méthode alternative pour lutter contre les ravageurs, comme vous le savez, madame la ministre. Il faut agir vite, car la filière se meurt : un savoir-faire va disparaître.
M. Laurent Duplomb. C'est vrai, mais apparemment tout le monde s'en fout !
M. Lucien Stanzione. Par ailleurs, le Vaucluse est le premier département producteur de truffes. Cette culture est aléatoire, capricieuse et peu structurée. Pourquoi ne pas soutenir son développement, notamment en promouvant un projet de statut des exploitants ?
La filière du pastoralisme, quant à elle, manque de moyens – sa survie est en jeu – et le nouveau plan Loup ne répond pas pleinement aux attentes de nos éleveurs en matière de lutte contre les prédations.
Madame la ministre, je suis à l'écoute des organismes de recherche dans mon territoire : tous mettent en avant la nécessité de développer la recherche de solutions de remplacement des produits phytosanitaires qui ont été retirés trop rapidement du marché, qu'il s'agisse de l'Institut technique interprofessionnel des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles (Iteipmai) ou des centres de l'Inrae, à Avignon-Montfavet comme à Sophia-Antipolis.
Aussi, madame la ministre, je me permets de vous demander une nouvelle fois de débloquer des crédits massifs de recherche pour nos filières agricoles, comme le réclament ces instituts de recherche et le monde agricole.
Une politique agricole beaucoup plus ambitieuse est nécessaire dans tous ces domaines !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Stanzione, permettez-moi de revenir un instant sur la viticulture, dont le Gouvernement ne découvre pas la situation.
M. Michel Savin. Si !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Du reste, Jean Castex, alors Premier ministre, s'était fortement impliqué lors d'un épisode de gel en oeuvrant pour le déploiement de 600 millions d'euros de soutien à la viticulture.
Ce sujet n'est donc pas nouveau, il est traité depuis plusieurs années. Nous ne restons pas les bras croisés à regarder ce secteur se transformer et faire face au dérèglement climatique.
Récemment encore, en 2023, je le rappelle, 200 millions d'euros ont été déployés pour la distillation et 38 millions d'euros pour l'arrachage. En outre, nous venons d'annoncer la création d'un fonds d'urgence doté de 80 millions d'euros, ainsi qu'un appui structurel de l'État, à hauteur de 150 millions d'euros, en complément des 250 millions d'euros de crédits du programme national vitivinicole.
Nous prenons donc à la fois des mesures d'urgence et des mesures structurelles pour accompagner la profession et lui apporter des solutions. Nous mesurons les effets du dérèglement climatique sur ce secteur et nous prenons en compte la nécessité pour les viticulteurs de transformer leur activité et de diversifier l'utilisation de leurs surfaces agricoles ; nous les projetons ainsi dans le futur.
Enfin, monsieur le sénateur, vous demandez que des crédits importants soient alloués à la recherche de solutions permettant de remplacer les produits phytosanitaires. Or de tels crédits sont bel et bien inscrits dans le plan Écophyto : 250 millions d'euros vont ainsi être déployés pour financer la recherche et développement de l'Inrae et pour trouver des solutions autres que les molécules dont il est désormais établi qu'elles ont des effets sur la santé humaine et sur la biodiversité.
Je rappelle que l'effondrement de la biodiversité est aussi un problème pour les agriculteurs.
M. Laurent Duplomb. C'est pour cela que nous mangeons des cerises turques !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. C'est pour cela que nous déployons ces financements importants.
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Rietmann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « on marche sur la tête ! » : le mot d'ordre du mouvement de protestation du monde agricole que notre pays vient de connaître est à mon avis loin d'être un slogan anecdotique.
Une partie non négligeable des revendications des agriculteurs a tourné autour de l'idée de simplification administrative, une nouveauté marquante de ce mouvement. Autant vous le dire d'emblée : en tant que président de la délégation sénatoriale aux entreprises, cela ne m'a pas réellement surpris !
Le secteur agricole est le plus touché par cette frénésie normative, ce réflexe de tout régler par la loi, le décret et l'arrêté, ce même réflexe qui obère notre potentiel productif.
Quel secteur, madame la ministre, connaît des contrôles aussi fréquents que la profession agricole ? Le respect des critères d'éligibilité aux dispositifs surfaciques de la PAC, tels que la vérification du couvert déclaré sur les parcelles, fait l'objet d'observations par relevé satellitaire tous les trois jours : tous les trois jours, vous ne rêvez pas !
Quelle profession, madame la ministre, est ainsi sommée de ne jamais revenir en arrière, de ne pas même faire un pas de côté, y compris lorsqu'on s'aperçoit que la direction choisie n'était pas la bonne ? C'est l'histoire du fameux ratio de prairies permanentes ou des règles applicables aux haies, qui pénalisent les bons élèves pour s'être engagés dans des pratiques vertueuses. À force de sanctuariser ces dernières, les agriculteurs vont-ils bientôt devoir se cacher quand ils les mettent en oeuvre ?
Instaurer de la conditionnalité pour s'assurer du bon emploi des deniers publics est une chose, et même une très bonne chose, mais créer des usines à gaz qui coûtent parfois plus à la société qu'elles ne lui rapportent en est une autre.
Parce que les normes sont en apparence non coûteuses, elles sont souvent préférées aux subventions ou aux taxations. Pourtant, leurs effets distorsifs sur l'économie sont nombreux et souvent pires que ceux de la fiscalité : parce que les normes favorisent la recherche de rente, parce qu'à force de tout faire reposer sur la norme et sur la contrainte, on décourage les motivations intrinsèques et la volonté de bien faire.
Soyons clairs : la simplification administrative et le toilettage normatif ne signifient pas l'abandon de toute ambition en matière environnementale ni l'imposition d'un modèle agricole unique ; mais il est temps de faire un peu de ménage dans nos codes.
À cet égard, reconnaissons-le, les annonces du Premier ministre vont plutôt dans le bon sens, notamment sur le curage des cours d'eau, les délais de recours contre les projets agricoles ou les projets de gestion de l'eau et les seuils d'évaluation environnementale dans l'élevage.
Mais force est d'admettre que certaines zones d'ombre subsistent. Par exemple, on ne comprend pas très bien en quoi pourra consister concrètement l'unification du régime applicable aux haies. Plus inquiétant encore, les syndicats se sont plaints, ces derniers jours, du fait que les dossiers de simplification qui devaient être réglés d'ici au salon de l'agriculture n'avançaient pas au rythme attendu.
Quant à nous, parlementaires, nous devrons nous montrer vigilants lors de l'examen des textes à venir sur la simplification et sur le renouvellement des générations, car il n'est pas rare que des intentions de simplification se traduisent par des réalisations en définitive encore plus complexes que l'existant.
Or je suis persuadé que l'avenir de notre modèle agricole dépend avant tout de notre capacité à libérer les initiatives individuelles et à faire confiance à nos 400 000 agriculteurs, notamment aux plus jeunes d'entre eux, pour qu'ils inventent leur propre avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Rietmann, je vous sais particulièrement attentif à l'exigence de simplification, en tant que président de la délégation sénatoriale aux entreprises et, vous l'avez rappelé, en tant qu'auteur d'une proposition de loi visant à s'assurer que les normes sont pensées, conçues et évaluées en tenant compte des impératifs de compétitivité de nos entreprises. Je dois dire que je considère avec beaucoup de bienveillance cette approche, non seulement à l'échelon national, mais également à l'échelon européen.
M. Laurent Duplomb. Là encore, il y a du travail !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. La simplification est aussi une attente qu'ont distinctement exprimée les agriculteurs lors de leur mobilisation. Vous le savez, à ce sujet, nous avons un programme de travail, sur lequel le Premier ministre a été extrêmement clair.
M. Laurent Duplomb. L'agriculture au-dessus de tout !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Les simplifications attendues figureront dans le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles ; je pense en particulier à la simplification du cadre juridique applicable à la gestion des haies ou au traitement des contentieux relatifs aux projets d'ouvrage hydraulique agricole et d'installation d'élevage, ou encore à la sécurisation juridique des travaux agricoles et forestiers.
Il arrive parfois que deux réglementations se contredisent,…
M. Laurent Duplomb. Allons, ce n'est pas bien grave… (Sourires.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … que l'une prévoie l'obligation de débroussailler quand une autre interdit d'attenter aux nids de telle ou telle espèce protégée.
M. Laurent Duplomb. Ça, l'OFB s'en charge !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Tout ce qui relève du réglementaire est également important : un travail est en cours dans ce domaine afin de traduire les annonces faites par le Premier ministre en Haute-Garonne, notamment sur la simplification du contentieux, la suppression de degrés de juridiction dans certains types de contentieux et la réduction des délais de recours contre les projets agricoles, afin d'aller plus vite.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous annonce que nous venons de transmettre les projets de texte aux parties prenantes agricoles ; ainsi allons-nous pouvoir continuer de travailler et faire en sorte que tout soit prêt avant l'ouverture du salon international de l'agriculture,…
M. Laurent Duplomb. C'est la semaine prochaine !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … conformément au calendrier fixé par le Premier ministre.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Enfin, la démarche que j'ai décrite s'inscrit dans la durée. Cela signifie, d'un point de vue méthodologique, qu'il nous faut éviter, dans la fabrique de la loi, de compliquer en cherchant à simplifier. En défendant la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, j'ai eu l'occasion de constater qu'il n'était pas si simple de simplifier la loi.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Pour Notre-Dame-des-Landes ! (Sourires.)
Mme Laurence Garnier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les agriculteurs ne sont plus sur les routes, ils sont retournés travailler, mais nous savons tous ici que rien n'est réglé. Les paysans français restent enserrés dans le double corset de réglementations nationales contraignantes et de stratégies européennes décroissantes.
À l'échelon national, l'empilement des lois, des normes et des décrets contraint notre pays, pourtant premier pays agricole d'Europe, à importer la moitié de ses fruits et légumes.
À titre d'exemple, dans mon département, en Loire-Atlantique, terre de maraîchage, les producteurs de radis subissent les atermoiements liés à l'application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec).
En 2021, un premier décret a formalisé l'interdiction des emballages en plastique ; ce décret a été invalidé par le Conseil d'État. L'administration française a ensuite publié un deuxième décret ; la Commission européenne est alors intervenue pour demander sa suspension, dans l'attente de la mise en oeuvre d'une loi à l'échelon européen. Et l'administration française a donc publié un troisième décret, en juin dernier ! (M. Laurent Duplomb s'esclaffe.) Trois décrets, trois changements de pied : tout cela pour attendre une réglementation européenne à venir.
M. Laurent Duplomb. Et encore : tous ces décrets, ce n'est pas la loi !
Mme Laurence Garnier. Ladite réglementation européenne s'inscrira vraisemblablement dans la stratégie Farm to Fork, qui s'apparente de plus en plus à un suicide annoncé pour notre agriculture.
En moins de cinq ans, quatre études ont été menées pour évaluer les conséquences de cette stratégie agricole : une étude du département américain de l'agriculture, deux études universitaires – l'une allemande, l'autre néerlandaise – et une étude du Centre commun de recherche (JRC, Joint Research Centre), qui dépend de la Commission européenne elle-même. Notre collègue François-Xavier Bellamy a obtenu la publication de ce dernier document, malgré les réticences de la Commission.
Toutes ces études résonnent comme autant de signaux d'alerte que vous avez ignorés. Elles convergent pour souligner trois risques majeurs de la stratégie Farm to Fork à l'horizon 2050.
Le premier risque, c'est une baisse globale de la production agricole européenne, de l'ordre de 12% à 15% selon les études. Le deuxième, c'est une forte hausse des prix des produits agricoles, évaluée entre 12% et 17%. Le troisième, c'est une division par presque deux du volume de nos exportations.
La mise en oeuvre de cette stratégie aura trois conséquences.
Elle aura tout d'abord des conséquences pour nos agriculteurs : beaucoup d'exploitations ne survivront pas à la paupérisation annoncée qui les guette. Je rappelle que 125 000 exploitations agricoles en France réalisent moins de 25 000 euros de chiffre d'affaires par an.
Elle aura ensuite des conséquences pour les consommateurs français. Nous allons tout droit vers « une alimentation à deux vitesses, avec du local pour les riches, et des produits importés pour les pauvres », selon les termes du think tank bruxellois FarmEurope.
Enfin, cette stratégie aura des conséquences pour la population mondiale dans son ensemble : selon l'étude américaine que j'ai précédemment mentionnée, l'insécurité alimentaire pourrait toucher près de 200 millions de personnes supplémentaires.
Tout cela, madame la ministre, n'est pas tenable.
Nous ne ferons pas la transition écologique contre les agriculteurs ; nous ne la ferons pas contre les Français les plus modestes ; nous ne la ferons pas non plus contre les plus pauvres des pays d'Afrique ou d'Asie.
Une voix sur les travées du groupe SER. En gros, il ne faut pas la faire !
Mme Laurence Garnier. Il est encore temps d'agir ! Battons-nous pour l'avenir de notre agriculture, battons-nous pour l'avenir de nos agriculteurs. Tous les chiffres sont sur la table, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Garnier, vous avez évoqué la stratégie de la ferme à la table. Cette stratégie a pour objet de répondre à la question du juste équilibre entre la nécessité de produire, pour les Français, mais aussi – et c'est très important, en effet – pour le reste du monde, et la nécessité d'accompagner la transition.
Nous savons que l'alimentation peut être une arme de guerre, comme l'est l'énergie, on l'a vu ; à cet égard, je pense évidemment à l'Afrique et au Maghreb.
Mais nous savons aussi que les questions de l'effondrement de la biodiversité et du dérèglement climatique ne sont pas des questions théoriques : elles font peser sur nos populations et sur nos agriculteurs une menace certaine. Je l'ai d'ailleurs entendu dans votre propos, madame la sénatrice : vous-même recherchez ce juste équilibre entre accompagnement de la transition écologique – il y va en réalité de transitions multiples – et défense du revenu et de la production des agriculteurs.
Il me semble que nous nous sommes pleinement emparés de ce sujet. À cet égard, je le rappelle, la France, par la voix de son ministre Fesneau, vient de remporter un succès auprès de la Commission européenne en obtenant une dérogation aux obligations de jachères pour la campagne 2024. Je le rappelle également, la présidente de la Commission européenne a reconnu que le règlement sur l'utilisation durable des pesticides (SUR) n'était pas mature, qu'il ne correspondait pas à l'état de la situation en Europe, et elle l'a retiré pour le retravailler.
M. Laurent Duplomb. Et nous, on continue !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Nous continuons…
M. Laurent Duplomb. Voilà !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. … de travailler à l'échelon européen pour que les États membres puissent à la fois poursuivre ce processus d'accompagnement des filières agricoles dans leur transition, mais également lutter contre la concurrence déloyale d'autres pays. Tel est l'enjeu des clauses miroirs et des différentes négociations que nous menons avec l'Ukraine. Tel est aussi le sens de la création d'une force européenne de contrôle sanitaire et agricole pour éviter la concurrence déloyale en agriculture aux frontières de l'Union européenne.
Enfin, j'en viens au cas particulier de la filière maraîchère. Oui, les décrets ont été modifiés, mais nous faisons tout pour que ce que nous avons fait se reflète dans le droit européen.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. J'indique par ailleurs que cinq guichets d'accompagnement de la filière fruits et légumes, dotés de 100 millions d'euros, ont été ouverts le 21 décembre.
Il s'agit là de mesures concrètes permettant d'accompagner nos agriculteurs.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si rien ne change, nos agriculteurs auront pour prochains interlocuteurs les huissiers de justice.
Si vous faisiez campagne autre qu'électorale, vous auriez senti venir le mouvement de contestation, le ras-le-bol actuel. Ce mouvement n'est pas le fruit d'un sentiment ni ne procède de la défense de privilèges, il est le dernier cri du coeur de la paysannerie française, qui ne veut pas mourir.
Il n'y a plus de trésorerie dans les caisses des fermes. La propriété réelle se réduit comme peau de chagrin : les matériels appartiennent à la banque, tandis que l'État applique une imposition abusive sur les transmissions d'exploitation.
En France, l'agriculture est nourrie par la générosité de ses nappes phréatiques, mais elle est asséchée par une chape de plomb administrative et pseudo-environnementale.
Notre pays a tout ce qu'il faut pour produire, mais vous faites le choix, madame la ministre, par la voix de vos députés européens et aux côtés de la Commission européenne, de la déproduction !
En trente ans, l'écolo-gauchisme, systématiquement suspicieux à l'égard de nos entrepreneurs, a eu raison de notre civilisation paysanne.
À Bruxelles comme à Paris, nos gouvernants ont ligoté les paysans à grand renfort de normes, de restrictions, de contrôles satellitaires et, désormais, de quotas de jachères et de hausse de la taxe sur le GNR, tout cela pour donner libre cours aux traités de libre-échange avec l'extérieur de l'Union européenne, à la concurrence déloyale à l'intérieur par la surtransposition et à la dépossession des petits fermiers par les agro-industriels.
L'agriculture a connu le plus grand plan social de ces trente dernières années. Nous sommes passés de 1,6 million d'agriculteurs dans les années 1980 à moins de 400 000 aujourd'hui. Parmi ces dépossédés, combien ont perdu la vie au champ, au champ d'honneur de la détresse et de l'épuisement ?
Pour faire face à l'urgence, il faut impérativement reporter les échéances bancaires des agriculteurs sur l'année en cours et refuser la hausse de la redevance pour pollutions diffuses et de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau.
Appliquons la politique de la chaise vide à Bruxelles pour récupérer les 11 milliards d'euros que nous versons à la Commission sans en revoir la couleur. Il y a des milliards pour l'Ukraine ;…
Mme Sophie Primas. Parlez-en à Jordan Bardella…
M. Stéphane Ravier. … il en faut d'abord pour la survie de nos paysans !
Madame la ministre, depuis mai 2022, l'intitulé du ministère de l'agriculture s'est vu adjoindre l'objectif de " souveraineté alimentaire ". En même temps, le nouveau chef du Gouvernement prône la souveraineté européenne à Berlin. Doxa et paradoxe : aucune cohérence, aucune émancipation à l'égard de la doxa ! Vous jouez la montre électorale, mais les paysans sont de retour, car ils ont compris que vous les aviez trompés.
Et pourtant, s'il existait une vision pour l'avenir de notre modèle agricole, elle anticiperait les formidables défis de souveraineté, de prospérité et d'influence que représente la maîtrise des big data agricoles. Or cette bataille, dont les enjeux sont colossaux, est en train de nous échapper.
Parlons d'avenir, madame la ministre : que pensez-vous, sur les plans sanitaire et environnemental, des viandes de synthèse, dont le ministre de l'économie a fait la publicité ?
Madame la ministre, vous qui faites partie d'un gouvernement en marche permanente et qui n'êtes donc attachée à aucun territoire, vous qui, où que vous soyez, en Corrèze ou au Zambèze, ne considérez la terre des hommes que comme une simple parcelle du marché mondialisé, soyez convaincue qu'une large majorité de Français enracinés restent très attachés au triptyque " pays, paysans, paysages ", indissociable de la devise " liberté, égalité, fraternité "… à laquelle j'ajoute " souveraineté ".
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Ravier, j'ai relevé dans votre propos un certain nombre d'énoncés faux.
Vous dites que la redevance pour pollutions diffuses est en augmentation. C'est faux : la perspective d'une telle augmentation a été bloquée.
M. Laurent Duplomb. Une hausse de 47 millions était bien prévue…
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Votre demande est donc satisfaite ; vous mentionnez des choses qui n'existent pas, mais ce n'est pas la première fois.
Vous plaidez par ailleurs pour que nous pratiquions la politique de la chaise vide à Bruxelles. Or la France, je l'ai dit, vient de remporter des victoires auprès de l'Union européenne, notamment sur la question des jachères. (Mme Sophie Primas s'exclame.) Je ne reviens pas sur les autres exemples que j'ai donnés.
Dans un autre registre, je me souviens de la force avec laquelle vous disiez que nous ne serions pas capables d'obtenir un accord sur la réforme du marché de l'énergie. Or nous y avons bel et bien réussi, quand bien même nous n'avons pas donné à cet accord tout l'écho qu'il eût mérité. Malheureusement pour vous, nous sommes donc une force de proposition en Europe !
Je tiens à dire ici qu'il ne faut pas croire que la France sera forte dans une Europe faible. Elle sera forte dans une Europe forte, qui sache s'imposer aussi aux autres zones géographiques, aux États-Unis, à la Chine et à d'autres. Dire le contraire, c'est mentir aux Français. En l'occurrence, c'est mentir aux agriculteurs !
Dans le domaine agricole, nous avons contribué à la réforme de la PAC, à la création des écorégimes et à la mise en place des paiements pour services environnementaux. Des choses peuvent certainement être améliorées, et nous sommes à votre écoute à cet égard, mais je ne peux pas laisser dire le faux.
Enfin, vous m'interrogez sur la viande cellulaire. Sur ce sujet également, nous avons pris position, dans le sens d'une opposition de principe, récemment réaffirmée par Marc Fesneau, ministre de l'agriculture, lors du Conseil agriculture et pêche du 23 janvier 2024. Nous nous sommes associés à ce propos, aux côtés de l'Italie, au document présenté par l'Autriche.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. Nous sommes en train de dresser un bilan scientifique de cette production – émissions de CO2, recours aux OGM, consommation d'eau – afin de démontrer qu'elle n'est peut-être pas la meilleure façon de faire de l'agriculture responsable ou de l'élevage responsable.
- Conclusion du débat -
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens pour commencer à vous remercier, vous en particulier, monsieur le sénateur Duplomb, qui êtes à l'origine de ce débat, pour la qualité de nos échanges, et à saluer l'engagement constant du Sénat sur les enjeux agricoles et de souveraineté alimentaire.
J'ai d'ailleurs relevé un certain nombre de convergences de vue entre les différentes travées de votre assemblée sur l'enjeu de la souveraineté agricole, ainsi que sur la nécessité de maintenir une exigence en matière climatique et environnementale.
Le cap à tenir pour l'avenir de notre modèle agricole est celui de la souveraineté alimentaire. Cela sera affirmé avec force dans le projet de loi qui sera présenté avant le salon international de l'agriculture, que vos travaux enrichiront. À la souveraineté alimentaire, j'adjoins naturellement la souveraineté énergétique, qui contribue de manière stratégique, via la biomasse, à la fourniture d'énergie et à la transition énergétique. Dans les semaines et mois à venir, je serai mobilisée pour valoriser notamment cette dernière dimension.
Je voudrais plus particulièrement m'arrêter quelques instants sur quatre chantiers sur lesquels nous souhaitons, Marc Fesneau et moi-même, orienter prioritairement notre action.
Il nous faut, en tout premier lieu, relever le défi du renouvellement des générations – comme cela a été mentionné. D'ici à 2030, le besoin est immense, vous le savez. Y répondre exige en particulier d'accroître de 30 %, par rapport à 2022, le nombre d'apprenants dans les formations de l'enseignement agricole technique. Il s'agit de former plus, mais aussi de former différemment, à des métiers qui évoluent sans cesse et qui sont marqués par une forme d'hybridation des compétences requises.
Nous devons impérativement poursuivre notre investissement dans l'enseignement agricole. Ses moyens sont en hausse de 10% cette année et nous allons mettre en oeuvre les mesures du pacte d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture présenté par le ministre Marc Fesneau à la fin de l'année 2023. Vous aurez à vous saisir de certaines de ces mesures lors de l'examen du projet de loi : je pense à la rénovation des missions de l'enseignement agricole, à l'institution d'un bachelor agro ou à la création de contrats locaux qui permettront de relancer ou d'ouvrir des classes formant aux métiers de l'agriculture dans nos territoires.
Le deuxième défi, c'est celui des transitions agroécologique et climatique. Le Sénat a voté en décembre dernier des moyens inédits pour notre agriculture ; en particulier, cette année, 1,3 milliard d'euros supplémentaires sont dédiés à la planification écologique. Je le dis sans détour : il n'y aura pas de souveraineté alimentaire qui ne soit durable et résiliente. Le statu quo serait mortifère pour notre agriculture, qui ne sera plus en mesure de produire sous contrainte climatique si nous ne faisons pas évoluer progressivement, mais de manière importante, ces activités. Cela aussi a été mentionné dans le débat, lorsqu'a été évoquée la situation de certaines zones du sud de la France.
C'est pourquoi nous allons agir en faveur de la haie, du renouvellement forestier et de l'accompagnement de la transformation de nos exploitations, en nous dotant d'outils de diagnostic mieux adaptés. Nous allons également poursuivre nos efforts en matière de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires, en gardant en tête ce principe essentiel, " pas d'interdiction sans solution ", ce qui suppose évidemment des investissements importants dans la recherche et développement.
M. Loïc Hervé. Cela ne veut rien dire !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée. La troisième direction, c'est celle de la compétitivité de notre agriculture. Il s'agit d'un sujet sur lequel le Sénat est tout particulièrement mobilisé : les trois quarts de vos interventions ont mentionné ce thème.
Le Premier ministre a pris une décision forte en annulant la hausse de la fiscalité prévue sur le GNR : celle de maintenir les dispositifs de compensation qui y étaient liés. Ceux-ci font écho à des propositions formulées ici même, comme le régime du microbénéfice agricole ou la déduction pour épargne de précaution.
Là encore, nous allons plus loin, en enrichissant le projet de loi qui vous sera présenté d'un volet de simplification visant, par exemple, les projets de stockage d'eau ou d'élevage. En effet, libérer les agriculteurs de normes devenues superflues ou contradictoires, c'est leur donner plus de compétitivité, comme vous avez été nombreux à le souligner.
Enfin, pour garantir la cohérence de notre action dans ces trois directions – renouvellement des générations, transitions, compétitivité – et permettre à nos producteurs de mener ces grandes transformations, nous avons besoin d'un cadre international et européen qui protège de la concurrence déloyale.
Le Premier ministre a réaffirmé la volonté de la France d'oeuvrer en ce sens. À court terme, une clause de sauvegarde sera mise en place sur les produits agricoles contenant des résidus de thiaclopride et, sur le plus long terme, nous soutiendrons la création d'une force de contrôle sur la concurrence déloyale en agriculture aux frontières de l'Union européenne. Cela suppose une négociation vigilante de tous les traités internationaux. Le commerce agricole est aussi une force de notre pays, mais il ne le restera qu'à la condition de savoir lutter contre la concurrence déloyale.
Source https://www.senat.fr, le 19 février 2024