Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur la politique économique au sein de l'Union européenne, à Gand le 23 février 2023.

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  • Bruno Le Maire - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Arrivée à la réunion informelle des ministres européens des Affaires économiques et financières

Texte intégral

"Bonjour à toutes et à tous, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui à Gand chez nos amis de la Présidence belge. Je voudrais d'abord féliciter l'Allemagne qui va accueillir l'AMLA. C'est une institution qui va jouer un rôle majeur dans la lutte contre le blanchiment d'argent et contre le financement du terrorisme. Donc je félicite l'Allemagne et je souhaite évidemment que cette institution exerce son autorité avec le plus d'efficacité possible.

Je voudrais dire aussi qu'aujourd'hui à cet ECOFIN, nous allons pouvoir marquer notre victoire contre l'inflation. Nous sommes arrivés en deux ans à briser l'inflation en Europe, là ou dans les années 70, il avait fallu plus de dix ans pour nous débarrasser de l'inflation qui pèse très lourdement sur tous les citoyens européens, sur tous les ménages, là en deux ans, les banques centrales, la Banque centrale européenne et les ministres des Finances sont arrivés à briser l'inflation. C'est un beau succès collectif, un succès important pour l'Europe, je tiens à le souligner.

Maintenant, nous avons une nouvelle bataille décisive devant nous. La bataille décisive, c'est la croissance. Personne ne peut accepter que la croissance européenne soit un point en dessous de la croissance américaine. Personne ne peut accepter que les perspectives de croissance en Europe, ce soit la récession ou la stagnation. Nous devons donc livrer cette bataille de la croissance en Europe, cette bataille de la prospérité et cette bataille de l'emploi.

Pour cela, il faut libérer la croissance européenne de ses chaînes. La croissance européenne, elle est enchaînée et la responsabilité des ministres des Finances, la responsabilité des ministres de l'économie, c'est de libérer la croissance européenne de ses chaînes. Je vois aujourd'hui trois chaînes qui doivent être brisées sans délai. La première chaîne qui empêche le développement de la croissance européenne, c'est l'argent, il n'y a pas assez d'argent disponible. L'argent des Européens, il dort, au lieu de travailler et si nous voulons que l'argent des Européens travaille au lieu de dormir, il faut mettre en place l'Union des marchés de capitaux, la mettre en place sans délai. Dès 2024, il doit y avoir des progrès sur l'union des marchés de capitaux.

L'épargne des Européens, c'est combien ? 35 000 milliards d'euros. 1/3 de cette épargne, plus de 10 000 milliards d'euros dort sur les comptes bancaires. L'argent des Européens ne doit pas dormir, il doit travailler à la croissance, il doit travailler à l'innovation, il doit travailler à la recherche, il doit travailler pour les entreprises, il doit travailler pour l'emploi. Il faut donc, je le redis, mettre sans délai sur place l'union des marchés de capitaux. Je vois bien que les choses traînent. Étant un ancien ministre des Finances j'ai le recul pour vous dire que je ne peux plus accepter que les choses n'avancent pas.

Je lance donc ce matin à Gand, un appel. Un appel à tous les États européens qui le souhaitent pour lancer l'union des marchés de capitaux sur une base volontaire. Ce sera peut-être deux, trois, quatre étapes, peu importe, mais nous voulons lancer aujourd'hui à Gant, l'union des marchés de capitaux sur une base volontaire et nous verrons quand est-ce que nous serons 27. Mais comme il est impossible de démarrer tout de suite à 27, démarrons à quelques un sur la base de trois propositions concrètes.

D'abord une supervision européenne volontaire qui pourrait être exercée par l'autorité des marchés financiers européen. J'appelle donc les banques d'affaires, les bourses, les gestionnaires d'actifs à rejoindre cette supervision volontaire qui pourrait être exercée par l'autorité des marchés financiers européens. C'est une première proposition très concrète que je fais à tous les gestionnaires d'actifs, toutes les banques d'affaires, toutes Les Bourses européennes qui le souhaitent pour participer sur une base volontaire à cette supervision.

Deuxième proposition très concrète, je propose que nous mettions en place un produit d'épargne européen avec les États qui le souhaitent. Lançons dès 2024 un produit d'épargne européen, dont nous définirons les caractéristiques, le rendement avec les États volontaires qui le souhaitent.

La troisième proposition, mettons en place une garantie pour la titrisation de façon à ce que les titres arrêtent de peser sur le bilan des banques et que les banques puissent par conséquent prêter plus aux particuliers et prêter plus aux entreprises.

Voilà l'appel de Gand que je lance ce matin pour une union des marchés de capitaux volontaire avec les États qui le souhaitent, supervision européenne volontaire, produit d'épargne européen volontaire, titrisation volontaire pour les États qui le souhaitent, des banques qui le souhaitent et nous verrons combien d'États pourront nous rejoindre mais au moins nous ferons l'expérience concrète, dès 2024, de ce que permettra concrètement une union des marchés de capitaux pour briser cette première chaîne de la croissance européenne qui est le manque d'argent.

Vous voyez bien que les besoins d'investissement sont considérables. Il n'y a plus d'argent public. Il faut bien qu'il y ait d'investissements privés. Pour financer l'intelligence artificielle, pour financer la transition climatique qui demande des dizaines de milliards d'euros d'investissements chaque année. Il est temps que nous passions à autre chose. Il est temps que nous décidions. Il est temps que nous mettions en place cette union des marchés de capitaux pour financer les investissements colossaux dont nous avons besoin dans les années qui viennent.

La deuxième chaîne, ce sont les normes. J'appelle là aussi à une simplification drastique des normes européennes. Le continent européen doit pas être le continent des normes, il doit être le continent de la prospérité. Moins de normes, moins d'administration, moins de contrôle, plus de liberté pour les entreprises, plus de liberté pour les entrepreneurs, plus de liberté pour les start-ups, plus de liberté pour tous ceux qui créent la prospérité de la croissance. C'est la deuxième chaîne qu'il faut briser. Brisons la chaîne des normes pour ne retenir que les normes qui sont utiles pour l'environnement, qui sont efficaces et nécessaires et qu'on se libère de la sur-administration qui insupporte tous les citoyens européens et qui tuent la croissance européenne.

Enfin, la troisième chaîne, c'est le manque d'innovation. Il faut notamment sur l'intelligence artificielle qui va nous permettre de gagner en productivité et améliorer la croissance européenne, que nous soyons capables d'investir davantage sur les algorithmes, sur les supercalculateurs, sur les puces et semi-conducteurs, il faut que l'Europe investisse davantage. L'innovation doit libérer la croissance européenne, il ne faut pas qu'elle soit une chaîne pour cette croissance.

Vous le voyez, nous sommes en début d'année 2024. Je pense que maintenant que l'inflation est derrière nous, l'Europe doit prendre conscience que, si elle veut jouer sa partition au XXIè siècle entre la Chine et les États-Unis, il faut changer de logiciel. Le vieux monde est mort. Il y a un nouveau monde devant nous, si nous voulons dans ce nouveau monde, que l'Europe défende ses valeurs, sa place, ses intérêts économiques, il faut passer à autre chose. Il faut donner à l'Europe les moyens de sa prospérité et les moyens de sa puissance. C'est ce à quoi j'appelle ce matin à Gand.


Q - Have you been in contact with other colleagues ? How many members does do you think that will join this voluntary call for capital markets union for a single product and the securitization ?

M. Bruno Le Maire : I think that if we have at the beginning of this call and this French initiative three to four countries, joining that initiative for a voluntary capital market union, it would be a good basis. I'm totally aware of the blockades that we are facing. I'm totally aware of the hurdles on the road to capital market union with the 27 Member States. I've been trying for more than six years to build the capital market union. My conclusion is that starting with the 27 Member States is a non-starter. Since we need to start because we got rid of the inflation, that the next challenge is to have more warmth, more prosperity, more jobs for all the 27 Member states, let's start with all the Member States that are determined to build a capital markets union and that wants to try. If we are three to four countries joining that initiative, I think this is a good starting point.

Q - Is this not jeopardizing the work being done by Eurogroup President Pascal Donahue ?

M. Bruno Le Maire : I think that what is jeopardizing the capital market union is the lack of willingness and the lack of determination. The statement today is not enough, and I'm fed up with discussions. I'm fed up with empty statements. Do you really think that China and the US will be impressed by our statements. We need decisions and we need strong decisions. I've been working on this for seven years now, our people are waiting for strong decisions, for innovation, for investments, for more growth, for more jobs, for more prosperity. They cannot be satisfied by recession, by our growth between 0.3 and 0.5. Think about your children. Think about the future of Europe. Do you really think that the statement we are working on today is enough ? This is not enough. We want more. We want decisions and we want results.

Q - Est-ce que face au besoin budgétaires colossaux qui vont être rendus nécessaires par le réarmement de l'Europe face à la Russie, est-ce que vous pensez qu'il faut discuter de nouveaux instruments d'emprunt communs, par exemple pour financer cette Europe ? Alors vous avez parlé d'argent privé mais là, je pose une question sur l'argent public.

M. Bruno Le Maire : Je dis, tout doit être mis sur la table. Mais ce que je constate, c'est qu'aujourd'hui, il n'y a plus d'argent public disponible et que nous devons impérativement rétablir nos finances publiques. C'est ce que nous faisons avec le président de la République et le Premier ministre. Nous avons pris des décisions courageuses. Nous continuerons de prendre des décisions courageuses pour rétablir les finances publiques de la France. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'il faut mobiliser l'argent qui dort. Vous avez en France 3 000 milliards d'euros disponibles, dont une grande partie dort et dont une autre partie finance la croissance en Asie et aux États-Unis. Est-ce que vous pensez vraiment que c'est acceptable ? Donc l'appel que je lance ce matin à Gand, c'est un appel pour union des marchés de capitaux volontaire qui va nous permettre de mobiliser cet argent privé dont nous avons besoin pour les investissements parce que l'argent public ne suffira pas. Bien sûr qu'il faut de l'argent public pour la transition climatique, nous en mettons beaucoup et nous continuons à en mettre beaucoup. Je rappelle que les investissements pour la transition climatique vont fortement augmenter en 2024, un peu moins que ce qui était prévu, mais ils vont fortement augmenter. Est-ce que ça suffira ? Non. Quelles sont les ressources disponibles ? L'argent privé, la mobilisation de l'épargne privée. C'est donc tout le sens de l'appel que je lance ce matin à Gant. Vous avez compris, il y a chez moi beaucoup d'impatience et que je ne viens pas à Gant rencontrer mes amis ministres des Finances pour taper la Causette. Je viens pour décider. Je pense que c'est la responsabilité des ministres des Finances. Je ne viens pas pour publier le 10e, 15e ou 20e communiqué sur l'union des marchés de capitaux dans lequel il n'y a rien ou presque rien. Je viens pour qu'on avance, qu'on décide et qu'on aime nos concitoyens.

Q - Est-ce que vous avez le soutien de l'Allemagne dans ce projet ?

M. Bruno Le Maire : Chaque État est libre. Il est évident que nous voulons avancer avec l'Allemagne sur le marché de capitaux. Nous avons publié, avec mon ami Christian Lindner, une tribune appelant à l'union des marchés de capitaux dans le Financial Times il y a quelques semaines. Mais c'est bien quand les actes rejoignent les paroles".


Source https://ue.delegfrance.org, le 26 février 2024