Déclaration de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture de la souveraineté alimentaire, sur les revenus des agriculteurs, à l'Assemblée nationale le 28 février 2024.

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  • Agnès Pannier-Runacher - Ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le thème : " Mieux partager la valeur et garantir des revenus dignes pour les agriculteurs "

Texte intégral

M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " Mieux partager la valeur et garantir des revenus dignes pour les agriculteurs ". Ce débat, organisé à la demande du groupe Écologiste-NUPES, se tient dans la salle Lamartine afin que des personnalités extérieures, que je salue et que je remercie de leur présence, puissent être auditionnées.
La conférence des présidents a décidé d'organiser le débat en deux parties d'une heure chacune. Nous commencerons par une table ronde avec les personnalités invitées. Ensuite, nous entendrons l'intervention liminaire de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, avant de procéder à une nouvelle séquence de questions-réponses. La durée des questions comme des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

(…)

M. le président
La séance est reprise.
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture de la souveraineté alimentaire.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Mes propos risquent de rappeler ceux que j'ai tenus hier, lors du débat relatif aux prix payés aux producteurs par les entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires ; je prie ceux qui y ont assisté de m'en excuser. Je vous remercie pour l'organisation de ces débats qui permettent à la représentation nationale de se saisir d'un sujet important : le partage de la valeur dans le monde agricole. C'est le troisième auquel je participe à l'Assemblée en trois jours, dont deux ont porté sur ces questions, au moment même où se tient le Salon de l'agriculture ; c'est dire combien ces préoccupations sont d'actualité.

La crise que nous traversons depuis plusieurs semaines a mis en lumière les difficultés auxquelles sont confrontés quotidiennement les agriculteurs. Ils se retrouvent parfois face à des injonctions multiples, voire contradictoires : nourrir nos concitoyens, réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, adapter leur production au changement climatique, diminuer l'utilisation des produits phytosanitaires, améliorer, le cas échéant, le bien-être animal – je pourrais poursuivre cette liste. Depuis 2017, le Gouvernement est pleinement engagé en faveur de la protection de la rémunération des agriculteurs et du partage de la valeur au sein de la chaîne alimentaire.

Comme l'ensemble des Français, et plus encore parce que leur mission au service de nos concitoyens est essentielle, les agriculteurs doivent pourvoir vivre justement de leur travail. Pour cela, il faut payer les produits agricoles au prix juste. Le prix juste, c'est celui qui rémunère correctement le produit, le producteur et chacun des acteurs de la chaîne de valeur ; le prix juste, c'est aussi celui qui permet à nos concitoyens d'avoir accès à une alimentation durable et de qualité : nous pensons que ce double objectif est atteignable. Nous avons traduit cette ambition dans les lois Egalim 1 et Egalim 2, qui ont créé un cadre juridique sans équivalent en Europe. Elles permettent de protéger les agriculteurs et de rééquilibrer les relations au sein de la chaîne de valeur agroalimentaire. Ces lois replacent les agriculteurs au cœur de la construction du prix. J'en rappellerai les dispositions : la construction des prix doit s'effectuer en marche avant – c'est le producteur qui propose le contrat et qui est à l'origine de la définition des prix – ; les coûts de production sont pris en compte par le biais d'indicateurs de référence établis dans les filières ; la contractualisation pluriannuelle, recommandée, donne de la visibilité et sécurise les agriculteurs dans leurs investissements ; des clauses de révision automatique permettent de faire face aux évolutions du marché et aux aléas que les agriculteurs rencontrent pendant la durée du contrat.

Si les deux premières lois Egalim, complétées par la troisième, adoptée en mars 2023, ont produit des résultats positifs, leur application n'est pas sans difficultés. Dans le contexte de tensions sur les matières premières, que nous connaissons depuis près de deux ans, ces lois ont protégé les agriculteurs, mais elles doivent aussi donner lieu à des sanctions à l'encontre de ceux qui n'en respectent pas les dispositions. C'est la raison pour laquelle nous avons appelé au renforcement des contrôles opérés par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), y compris en amont.

En aval, la protection de la matière première agricole fonctionne, même si des difficultés ont été constatées lors des dernières négociations. En revanche, les clauses de révision automatique des prix et les clauses de renégociation n'ont pas toujours été bien rédigées ni réellement appliquées. Des progrès sont attendus en la matière.

À très court terme, la priorité du Gouvernement est de garantir que le cadre issu des loi Egalim est pleinement respecté – c'est l'enjeu du contrôle. Quelque 1 700 contrôles ont été réalisés sur l'origine des produits dans 1 500 établissements ; ils ont conduit à adresser 337 avertissements et 107 injonctions, à dresser 116 procès-verbaux pénaux et à infliger deux amendes administratives. Deux pré-amendes ont été adressées à des centrales d'achat européennes. Je salue le travail considérable et utile réalisé par les services de contrôle. Rappelons également que des procédures sont en cours à l'encontre de centrales d'achat créées dans le seul but de contourner les lois. J'avais personnellement prononcé, il y a quelques années, une amende de 117 millions d'euros à l'encontre d'une telle centrale ; ce contentieux chemine et le jugement sera rendu en France, ce qui est une bonne nouvelle.

Il n'en reste pas moins beaucoup à accomplir. Le Président de la République l'a annoncé samedi au Salon de l'agriculture : il faut instaurer des prix qui permettent de rémunérer justement les agriculteurs. À cette fin, il importe que la contractualisation, qui a fait ses preuves, se développe dans l'ensemble des filières. En amont, l'un des piliers essentiels de la loi réside dans la contractualisation écrite pluriannuelle entre l'agriculteur et le premier acheteur. Or son déploiement demeure inégal. Un effort doit être accompli pour que la dynamique de contractualisation pluriannuelle se développe davantage, en particulier dans certaines filières animales. Les freins sont bien identifiés : la réticence de certaines filières à s'engager dans ce type de contractualisation, pour différentes raisons ; l'organisation des filières ; le rôle d'intermédiaire, le cas échéant ; la possibilité d'arbitrer les prix sur le marché ; ou tout simplement la nature de la production. Lorsque cette dernière est fortement saisonnière, la contractualisation annuelle ne fonctionne pas aussi bien que quand les biens sont produits tout au long de l'année. S'y ajoutent, j'y ai fait allusion, des pratiques de contournement de certains acteurs, fournisseurs comme distributeurs.

La question qui se pose désormais est donc celle des leviers à actionner pour renforcer la dynamique de contractualisation. Une première réponse réside dans l'accompagnement des acteurs de bonne volonté. J'étais il y a peu au Salon de l'agriculture pour accompagner la signature d'un contrat tripartite entre une enseigne de grande distribution, des agriculteurs du Grand Est et un transformateur qui organise la découpe. Ce type de système fonctionne sur une base pluriannuelle ; les prix, négociés directement entre la grande distribution et les agriculteurs, rémunèrent correctement ces derniers et permettent de commercialiser des marchandises de qualité dans la grande distribution. Les démarches de ce type doivent être élargies et encouragées. Une deuxième réponse réside dans l'élargissement du champ de la loi Egalim et dans sa bonne application à la restauration collective – nous y reviendrons.

En ce qui concerne les prix, le cadre des lois Egalim conserve toute sa pertinence. Les outils de régulation qu'elles instaurent doivent permettre d'effectuer les bons ajustements de prix, à la hausse comme à la baisse, en fonction des principes fixés. Ils doivent néanmoins être renforcés pour garantir le revenu des agriculteurs – c'est l'objet des annonces du Président de la République.

Précisons-le d'emblée : les prix planchers, ce n'est pas la fixation par l'État du prix payé à l'agriculteur pour son produit, ni la fixation du prix payé par le consommateur. Il ne s'agit pas de prix administrés. Ce qui compte, c'est que les agriculteurs ne soient pas contraints de vendre leurs produits à des prix qui seraient décalés par rapport aux coûts de production et aux coûts de référence. Ce faisant, nous irons plus loin que le cadre actuel des lois Egalim au niveau national comme européen. Ce travail sera mené en lien étroit avec les filières, afin de définir au mieux les indicateurs de coût de production et la façon de les prendre en compte dans les contrats. C'est l'un des champs dont se saisira la mission parlementaire confiée aux députés Alexis Izard et Anne-Laure Babault.

Une partie de la solution se situe au niveau européen – les discussions de ces derniers jours l'ont bien montré. L'Europe n'est pas un frein ; elle est au contraire le cadre pertinent pour protéger nos agriculteurs contre la concurrence déloyale de pays qui ne partagent pas les mêmes standards environnementaux et sanitaires que nous. J'entends souvent des récriminations à l'égard du droit de la concurrence européenne mais c'est bien lui qui nous permettra d'encadrer les agissements des centrales d'achat européennes. C'est également au niveau européen que nous pourrons renforcer les contrôles sur les produits importés et sur les pratiques commerciales déloyales – c'est l'objet de la proposition de créer une force de contrôle du type de celle de la DGCCRF diligentée par l'Union européenne. Nous avons travaillé en ce sens la semaine dernière avec le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, ainsi qu'avec Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, et avec le commissaire à l'agriculture, pour poser les jalons de ce nouveau combat.

Les agriculteurs français peuvent compter sur notre engagement pour répondre à leur désarroi et construire ensemble un chemin pour sortir de la crise qu'ils traversent.

M. le président
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes.
La parole est à M. Yannick Monnet.

M. Yannick Monnet (GDR-NUPES)
Lors de sa visite très mouvementée au Salon de l'agriculture, le chef de l'État a annoncé l'instauration de prix planchers, c'est-à-dire de prix minimums garantis pour les produits agricoles. C'est une proposition que les députés communistes défendent depuis des années, même si nous préférons parler de prix rémunérateurs. Elle fait partie intégrante d'un pacte d'avenir que nous proposons aux agriculteurs et aux agricultrices de notre pays, pour leur garantir des revenus dignes – car tel est bien l'enjeu.

Si nous ne voulons pas méconnaître la diversité des régions et des exploitations, si nous ne voulons pas non plus que les prix planchers deviennent des prix plafonds, la création d'un tel dispositif nécessite une révision en profondeur de la loi Egalim. Cette dernière échoue jusqu'à présent à protéger les producteurs car elle repose sur une liberté contractuelle, laissant les producteurs à la merci des outils de négociation des acheteurs, des indicateurs et des formules de calcul que les acheteurs concoctent pour mieux dicter leurs conditions.

Lors des débats relatifs à la loi Egalim, nous avions proposé de confier à l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires la mission d'évaluer la pertinence des indicateurs qui servent à la négociation des contrats. Nous avions aussi proposé de créer des conférences permanentes territoriales associant la profession agricole, les filières, les pouvoirs publics et la société civile, afin de permettre la fixation des prix qui couvrent les coûts de production des agriculteurs, rémunération incluse. Pour sécuriser la chaîne de valeur, il est également indispensable d'instaurer un coefficient multiplicateur entre le prix d'achat au producteur et le prix de vente aux consommateurs : c'est la garantie, pour ces derniers, d'un prix juste.

Madame la ministre, êtes-vous prête à remettre le travail sur l'ouvrage avec l'ensemble des parlementaires, pour aboutir enfin à un texte qui fasse consensus et qui sécurise, sans la figer arbitrairement, la rémunération des agriculteurs ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Les lois Egalim ont suscité des progrès réels – il suffit, pour s'en convaincre, d'arpenter les allées du Salon de l'agriculture et de discuter avec des agriculteurs qui ont conclu une contractualisation, pluriannuelle ou fondée sur des indicateurs de référence, rémunérant correctement leur production. Dans la filière laitière, la contractualisation couvre 90% des volumes et 70% des exploitations. Certes, tout n'est pas parfait, mais il convient de souligner les avancées importantes réalisées grâce aux lois Egalim.

Vous évoquez une liberté contractuelle, mais cela ne correspond pas tout à fait à la réalité. Des indicateurs de référence sont en effet définis par filière, à charge pour le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de s'assurer qu'ils sont correctement définis et qu'ils représentent la réalité de la filière. Un médiateur des relations commerciales agricoles intervient par ailleurs. Il est parvenu à trouver des accords dans des négociations compliquées, en réunissant les acteurs autour de la table. Il est intervenu dans une soixantaine de dossiers au cours des négociations pour 2024. Il existe en outre un Comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA), dont les décisions s'imposent aux parties.

Ces outils contribuent à renforcer le pouvoir des agriculteurs dans le cadre des négociations, l'instrument ultime étant la contractualisation tripartite, annuelle ou pluriannuelle, que j'ai déjà évoquée. Nous avons des exemples de contractualisations de ce type qui fonctionnent, avec un prix transparent, équitable pour l'agriculteur, et permettant au transformateur de ne pas devoir aborder ce point lorsqu'il négocie sa relation contractuelle avec le distributeur.

M. le président
La parole est à Mme Marie Pochon.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES)
La question du revenu est au cœur des revendications des agriculteurs et par conséquent de nos débats, à juste titre, car il s'agit là d'une condition de notre souveraineté alimentaire, ainsi que du renouvellement des générations d'exploitants – 100 000 fermes françaises ont disparu en dix ans, la moitié des agriculteurs atteindra l'âge de la retraite au cours des dix prochaines années. Il est donc impératif de renforcer l'attractivité des métiers agricoles, ce qui passe en premier lieu par une digne rémunération.

Le président Macron a déclaré vouloir instaurer un prix plancher des produits agricoles : cette annonce bienvenue, quoique tardive, a suscité beaucoup d'espoirs car ces prix minimaux, fixés de manière décentralisée par les filières, devraient constituer un filet de sécurité, visant à couvrir les coûts de production et à rémunérer le travail paysan. Madame la ministre, comment vous positionnez-vous au sujet de cette promesse – la tenir serait la moindre des choses afin de restaurer quelque peu la confiance en la politique ? Quelles conditions permettraient d'en atteindre l'objectif, c'est-à-dire, pour les agriculteurs, la garantie d'un revenu digne ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Votre question, madame la députée, va me permettre de suivre le fil de ma précédente réponse et de compléter celle-ci. Notre idée consiste à fonder ces prix sur les indicateurs de référence élaborés au sein des filières ; je le répète, nous avons confié à vos collègues Anne-Laure Babault et Alexis Izard une mission de quatre mois, celle d'aller à la rencontre des représentants de ces filières et de déterminer comment mettre au point ce processus de marche en avant. Notre vision n'est pas celle d'un prix administré et ne correspond donc pas au texte déposé en son temps par le groupe LFI ; nous pensons en revanche obliger le transformateur à négocier avec le producteur avant de commencer à le faire avec le distributeur.

Les députés Babault et Izard présenteront d'ici à l'été leurs recommandations, lesquelles donneront lieu dans la foulée à un projet de loi ; je sais du reste qu'ils s'appuieront sur les travaux du Parlement, assez riches au sujet de la construction des prix à partir d'indicateurs de référence. Quant aux deux conditions nécessaires à la réussite de cette démarche, vous les connaissez : d'une part un système de contrôle et de sanctions à l'encontre des tricheurs qui incite à respecter le cadre contractuel, d'autre part le fait de s'assurer que la loi sera bien appliquée, ce dernier point renvoyant à la question des centrales d'achat européennes créées en partie afin de contourner les lois Egalim – preuve, d'ailleurs, du mordant de celles-ci, mais aussi de la nécessité d'une sécurisation juridique.

M. le président
La parole est à M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani (LIOT)
Madame la ministre, je vous soumets les questions suivantes, qui se posent avec acuité. Premièrement, celle de la pertinence des prix planchers esquissés par le Président de la République, alors que nombre d'économistes, ainsi que des représentants du monde agricole croisés ces jours-ci, font part de leur scepticisme : si cette méthode semble fonctionner en Suisse, elle ne sera pas sans poser problème au sein d'une économie européenne ouverte, et alors que nous sommes bien loin du consensus entre les vingt-sept États membres. A contrario, pourquoi ne pas soutenir ce qui marche, autrement dit les prix planchers fixés à l'initiative des consommateurs ? J'ai tout à l'heure évoqué la démarche " C'est qui le patron ?! ", laquelle, après quelques années, concerne 3 000 exploitations et est plébiscitée par plus de 16 millions de consommateurs. Donner au client le choix de la composition des produits et assurer au producteur une juste rémunération, n'est-ce pas un modèle vertueux à reproduire, voire à généraliser ?

Deuxièmement, quelles sont les pistes de réforme en matière de soutien aux petites exploitations ? Nous savons que les aides de la PAC vont surtout aux grandes, alors que sont mal loties des filières particulièrement sinistrées, comme la filière ovine qui, en Corse comme sur le continent, connaît depuis quinze ans d'importantes difficultés.

Troisièmement, avant même d'envisager de nouvelles réformes, comment comptez-vous lutter contre le contournement des lois Egalim qui peinent à être appliquées ? Je pense à la délocalisation des centrales d'achat par des groupes de la grande distribution, mais aussi à la perte de vitesse de la filière bio. Sur ces trois points, les agriculteurs attendent des réponses très concrètes.

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
En d'autres termes, monsieur le député, si je vais au bout de votre logique, vous me demandez en quoi Egalim diffère du commerce équitable. Les objectifs sont similaires : la transparence et une rémunération correcte, dans le cadre de contrats de préférence pluriannuels, de l'exploitant agricole. En revanche, le commerce équitable relève d'une démarche volontaire, tandis qu'Egalim, étant de nature législative, s'applique obligatoirement, et plus précisément aux mécanismes contractuels. En outre, le commerce équitable constitue aussi un label, ayant par définition une vocation marketing, ce je ne prends pas en mauvaise part : il s'agit de permettre au consommateur de distinguer ainsi tel produit de tel autre qui n'a pas été élaboré dans les mêmes conditions. Les deux dispositifs ne sont d'ailleurs pas incompatibles.

Par l'outil législatif, nous cherchons à faire en sorte que l'esprit qui a inspiré les lois Egalim, c'est-à-dire la construction en avant d'un prix fondé sur les indicateurs de référence, lesquels reposent sur les coûts de production en tenant compte des différences de charges à travers le territoire, puisse réellement s'incarner dans le cadre contractuel. Il y a des avancées, certains acteurs ont accompli cette démarche, c'est pourquoi je dis qu'il faut prendre ce qui, dans les lois Egalim, a fonctionné. D'autres acteurs se révèlent moins enthousiastes, pas seulement des distributeurs, soit dit en passant : des exploitants des filières, attachés aux références du marché spot, sont réticents à la marche en avant, à la contractualisation. Il convient que notre réflexion intègre ce paramètre. Pour toutes ces raisons, nous souhaitons remettre Egalim sur le métier, l'approfondir, étendre sa portée.

M. le président
Merci de conclure, madame la ministre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
La PAC vient d'être refondée à partir d'un projet stratégique national, avec une part d'écorégime permettant d'équilibrer les aides surfaciques. Quant au reste, j'ai entendu vos interrogations ; je tenterai d'y répondre plus tard, en citant notamment la viticulture.

M. le président
La parole est à Mme Eléonore Caroit.

Mme Eléonore Caroit (RE)
Je remercie avant tout le groupe Écologiste d'avoir organisé ce débat et Mme la ministre d'être à nouveau présente ce soir car nous avons eu hier un débat similaire. Le partage de la valeur constitue en ce moment une question essentielle, y compris pour la majorité ; il est depuis 2018 au cœur de l'action du Président de la République, comme en témoignent les lois Egalim, qui ont permis de rééquilibrer le rapport de force lors des négociations entre producteurs, transformateurs et distributeurs. Pourtant, nous sommes encore loin du compte : 20% des agriculteurs rencontrent de très graves difficultés financières. Hier, nos échanges nous ont permis de conclure à la nécessité de muscler le dispositif Egalim, de renforcer les contrôles, de s'assurer qu'il est appliqué.

Je souhaite revenir sur le commerce international, en particulier sur l'épineuse question, déjà évoquée un peu plus tôt, des accords de libre-échange. Dans notre hémicycle, dans les rues européennes, ils sont désignés comme responsables des souffrances des producteurs. Or cet intitulé générique cache une grande variété de partenariats conclus avec diverses parties du monde, aux périmètres et aux modalités très différents, ayant d'ailleurs largement évolué au fil des années. Tous facilitent la circulation des biens et services par l'abaissement, voire la suppression des barrières tarifaires ou non tarifaires – autrement dit les limitations législatives. S'ils y sont inclus, ce qui n'est pas toujours le cas, les produits agricoles sont fréquemment soumis à des contingents tarifaires ; ces accords fixent parfois même des prix planchers, par exemple pour les tomates et les courgettes de Géorgie.

Selon le rapport présenté en 2023 par nos collègues Thomas Ménagé et Lysiane Métayer, les filières françaises du lait et des vins et spiritueux sont les grands bénéficiaires des accords de libre-échange : l'Accord économique et commercial global (Ceta) a ainsi accru de 30% nos exportations vers le Canada, alors que la France exporte trois fois plus de bœuf qu'elle n'en importe du Canada. Le Président de la République s'est par ailleurs très fermement opposé à la conclusion d'un accord de libre-échange ne respectant pas l'accord de Paris ; il refuse depuis 2019, pour la même raison, de ratifier l'accord de libre-échange entre le Mercosur et l'Union européenne.

M. le président
Il faut conclure, chère collègue.

Mme Eléonore Caroit
Je souhaite donc, madame la ministre, connaître votre point de vue. Ces accords peuvent-ils contribuer à une meilleure régulation des systèmes alimentaires internationaux, voire à la diffusion de normes environnementales exigeantes ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Vous avez raison, madame la députée, de souligner l'importance de ces accords qui ne sont en fait pas de libre-échange – pour échanger, il n'est pas besoin d'accord, comme en témoigne le commerce entre la France et la Chine –, mais de régulation du libre-échange, puisque leurs clauses visent à des échanges " responsables ". Telle est la position française : faire intégrer systématiquement aux accords de libre-échange européens des clauses relatives à l'accord de Paris, ou tendant à imposer à l'autre partie nos normes sanitaires et environnementales. C'est là, je le répète, le sens de ces accords, bien que chacun ait en effet ses mérites et ses règles propres.

Comme vous l'avez évoqué, l'équilibre de certaines filières dépend fortement des exportations, qui constituent, dans nombre de cours de ferme, un enjeu majeur : les deux tiers des calories produites en France sont exportées ! Nous ne pouvons donc pas nous permettre une approche caricaturale du libre-échange ; encore une fois, le commerce international rémunère notre agriculture, lui a permis de se développer, de se moderniser. Ce qui pose problème, c'est la concurrence déloyale : l'un des moyens de la combattre consiste à inclure dans les accords des clauses régulatoires, et c'est pour cette raison que le Président de la République, contre l'avis de nombreux États européens, s'oppose à l'accord avec l'Australie comme à l'accord avec le Mercosur.

M. le président
La parole est à M. Yoann Gillet.

M. Yoann Gillet (RN)
" Il faut rendre à l'agriculteur sa place et son rang ", écrivait Alphonse Karr. Ces mots prennent une résonance particulière alors que, depuis des semaines, l'Europe est traversée par des mouvements d'agriculteurs luttant pour leur survie. Tout en multipliant les discours sur la souveraineté alimentaire, la Macronie et l'Union européenne n'ont cessé de semer les graines de cette colère : accords de libre-échange dépourvus de clauses miroirs, normes administratives, pression fiscale, autant de causes des problèmes rencontrés par les producteurs. La responsabilité d'Emmanuel Macron, des gouvernements successifs, des instances européennes, est établie ; cela n'empêche pas le Président de la République et le Premier ministre, au lieu de s'atteler à la tâche, de préférer s'adonner à la politique politicienne – notamment en tapant sur le Rassemblement national, mais ce n'est pas le sujet. Pendant ce temps, en dix ans, pas moins de 100 000 exploitations ont disparu ; les prévisions ne sont guère plus réjouissantes.

Près de 18% des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté. Et si le volume de l'ensemble de la production agricole a augmenté de 2,9% entre 2022 et 2023, les prix des produits agricoles ont chuté de 3,7%. Il faut donc prendre des mesures. C'est pourquoi le Rassemblement national, par les voix de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, a formulé plusieurs propositions.

Vous avez parlé des traités de libre-échange et de leurs aspects positifs. S'ils peuvent effectivement présenter un intérêt en matière d'exportations, vous ne pouvez pas raconter tout et son contraire, voire n'importe quoi. La France est le vingt-deuxième pays exportateur mondial, mais aussi le cinquième importateur. Le déséquilibre est donc criant.

Par ailleurs, demain, 29 février, les députés européens de la Macronie s'apprêtent à voter un nouveau traité de libre-échange, avec le Chili, qui continuera de détruire l'agriculture française.

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Il est aisé de brasser des chiffres. Permettez-moi d'en citer un également : le revenu disponible des exploitations a progressé de 93% entre 2017 et 2022 – chiffre issu de la statistique française. Je n'en tire pas la conclusion que toutes les exploitations agricoles françaises vont bien et je ne brandis pas non plus ce chiffre pour essayer de tuer le débat. J'essaie simplement de vous démontrer que si je retiens cet angle-là, je peux affirmer des choses très positives sur l'agriculture française, car il y a des agriculteurs, notamment ceux qui exportent, qui vivent bien de leur travail et se développent.

Si je comprends bien vos propos, il faudrait interdire le commerce international, puisque vous mentionnez des pays avec lesquels il n'existe pas de traité de libre-échange. Sans traité, comment peut-on réguler l'échange ? Faut-il fermer les frontières ? Et que se passerait-il dans ce cas ? L'agriculture française s'effondrerait puisque l'exportation est l'une de ses forces. Vous semblez sous-entendre que la France importerait davantage qu'elle n'exporte. Or il se trouve que la filière agricole est l'une des plus exportatrices et parmi celles dont la balance commerciale est la meilleure. J'avoue ne pas bien comprendre votre question.

M. Yoann Gillet
Quelle caricature !

M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NUPES)
Je remercie le groupe Écologiste d'avoir organisé ce débat. La question majeure est la suivante : comment ceux qui nous nourrissent peuvent-ils vivre avec des revenus de misère ? Il a fallu que la colère des agriculteurs éclate au grand jour, ces derniers mois, pour que vous commenciez à agir.

Toutefois, les agriculteurs attendent une vraie politique, qui leur assure des revenus dignes. Un travailleur agricole à temps plein dégage en moyenne une richesse de 11 420 euros par an dans les territoires d'outre-mer, contre 29 700 euros dans l'Hexagone, selon l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odeadom). Les petits planteurs de canne à La Réunion n'ont pas de revenu garanti ; celui-ci dépend du bon vouloir des industriels. De plus, comment imaginer qu'un agriculteur qui a travaillé pendant quarante-deux ans et demi se retrouve avec une retraite à taux plein de 650 euros par mois ? Certains, qui ont eu des carrières incomplètes, ne perçoivent même pas 200 ou 300 euros et vivent en dessous du seuil de pauvreté, dans une société marquée par l'explosion des coûts.

Par ailleurs, La Réunion est en grande partie un parc national, dans lequel il faut respecter davantage de normes. Y ajouter les normes européennes en matière agricole est trop contraignant. Les réglementations nationales et européennes ne sont pas adaptées aux territoires d'outre-mer, d'autant qu'ils ne pratiquent pas une agriculture intensive, mais plutôt familiale.

En matière d'élevage caprin, par exemple, l'Europe impose des boucles d'identification électronique. Or elles sont inutiles à La Réunion où les éleveurs ne disposent pas de lecteurs. Reste qu'elles sont obligatoires pour bénéficier des aides européennes. S'agissant de la production de carottes, on a interdit aux agriculteurs d'utiliser des désherbants, mais on continue à importer des carottes de Chine qui sont cultivées avec ces mêmes désherbants. La concurrence est totalement déloyale.

En conséquence, quelle politique de revenus envisagez-vous pour les agriculteurs d'outre-mer ? Comment parvenir à établir un prix plancher des produits agricoles, sachant que les coûts, les modes de production et les normes pour le lait, les carottes, les salades ou les tomates ne sont pas les mêmes d'un territoire à un autre ? Enfin, nous n'avons plus de référent des territoires d'outre-mer depuis deux ans au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Comment pouvons-nous, dans ces conditions, être compris ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Vous signalez la situation particulière de l'outre-mer, en soulignant que certaines règles agricoles établies de manière générale s'appliquent mal à la spécificité de vos territoires. L'exemple que vous prenez est à cet égard frappant : j'ai besoin de ce type d'exemples pour nourrir l'agenda de simplification que nous engagerons aux niveaux européen et français – parce qu'il faut aussi balayer devant notre porte. Il est possible que certaines règles nationales ne soient pas adaptées aux territoires ultramarins, si leur particularité n'a pas été prise en compte.

Ensuite, vous posez en creux la question de la souveraineté, en expliquant qu'il est interdit d'utiliser certaines molécules pour produire des carottes dans les territoires ultramarins, alors que nous en importons de pays qui utilisent ces mêmes molécules. Nous avons bâti un plan de souveraineté pour chaque territoire d'outre-mer ; ils seront confiés à l'Odeadom pour être déclinés et appliqués. Nous travaillons également à des indicateurs spécifiques à l'outre-mer. Le Président de la République réunissait aujourd'hui l'ensemble des représentants agricoles de l'outre-mer pour évoquer ces différents éléments.

Oui, vous avez raison, il faut une politique adaptée à l'outre-mer et nous portons souvent cette parole auprès des pays de l'Union européenne. Nous sommes d'accord pour dire qu'il faut être très attentif aux spécificités ultramarines et que la déclinaison de textes qui ont du sens sur le continent européen peut parfois être décalée dans vos territoires. J'ajoute que nous disposons d'un bureau des outre-mer et d'un délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, dont l'une des missions est d'accompagner vos territoires.

M. le président
La parole est à M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC)
Je tiens tout d'abord à remercier le groupe Écologiste de nous donner l'occasion, pour la seconde soirée consécutive, de discuter de ce sujet fondamental.

Le groupe Socialistes a produit aujourd'hui une note de contribution au débat sur la crise agricole, que je vous invite à consulter sur le site de la Fondation Jean-Jaurès. Elle pointe tous les angles morts du débat, tant pour les pouvoirs publics que pour la société civile, qui n'ont pas été abordés au cours de cette crise : la question du foncier, celle du partage de la valeur, celle de l'allocation des aides publiques, le côté obscur du secteur amont de l'agriculture ou encore l'absence en France d'instruments de régulation des marchés, pourtant disponibles au sein de l'Union européenne.

Je souhaite appeler votre attention sur deux sujets en particulier, qui correspondent au débat de ce soir : celui du partage de la valeur et celui relatif au commerce extérieur. Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, puisque vous êtes nouvelle dans vos fonctions, que, pour vous entendre pour la deuxième soirée consécutive, il me semble que votre récit sur le commerce extérieur et le partage de la valeur comporte un angle mort, celui des limites planétaires : les prévisions d'Agrimonde-Terra démontrent qu'aucune agriculture ne devra concurrencer une autre, parce que nous aurons besoin de toutes les terres, de tous les paysans et, pour reprendre les mots d'Edgard Pisani, " de toutes les agricultures du monde pour [nous] nourrir ". Tout système concurrentiel qui détruit l'agriculture sur un autre continent alimente le récit d'une sinistre fin pour notre planète.

Je souhaite également aborder la question des mesures miroirs et de leur effectivité. Dans votre récit politique – mais vous n'êtes pas la seule à le tenir, puisque les députés européens de votre mouvement politique ont le même et restent dans une forme d'incantation des mesures miroirs –, ces dernières deviennent une sorte de miroir aux alouettes, qui viendrait bénir toute extension du commerce international.

Pour qu'elles fonctionnent, les mesures miroirs doivent être effectives. Le groupe Socialistes formule, à ce titre, une proposition très précise : l'inversion de la charge de la preuve. Tout d'abord, tolérance zéro pour les pesticides interdits en Europe dans les produits importés ; ensuite, plus largement, un système d'inversion de la charge de la preuve qui crée une certification, délivrée par un organisme tiers agréé par l'Union européenne, qui garantisse que les standards européens sont bien respectés par les opérateurs économiques. Que pensez-vous de cette proposition et êtes-vous prête à la soutenir ? Notez que je ne baigne pas dans l'illusion de solutions nationales et que je propose des solutions européennes que vous pourriez défendre.

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
En ce qui concerne le commerce extérieur, je plaide non pas pour un système concurrentiel mais plutôt pour un système complémentaire. Je n'ai pas le sentiment que les exportations françaises soient un instrument de prédation vis-à-vis des autres pays. Ce serait même plutôt l'inverse ! C'est d'ailleurs le reproche exprimé autour de cette table s'agissant de la concurrence déloyale exercée par d'autres pays, puisque certaines productions importées en France sont produites dans des conditions environnementales et sociales moins-disantes – or on ne peut pas imposer notre modèle social et demander que les autres le payent. C'est une forme de prédation exercée sur l'agriculture française, alors qu'elle-même s'impose de respecter des règles environnementales qui sont profitables à l'ensemble de la planète. J'inverserai donc votre logique. Néanmoins, j'entends votre argument puisque c'est celui que reprennent les agriculteurs lorsqu'ils disent contribuer à sauver la planète en faisant des efforts alors que les autres ne le font pas et, qu'à la fin, ce sont ces derniers qui gagnent des parts de marché. Cet argument est parfaitement légitime.

Vous soulevez également la question des clauses miroirs.

M. Dominique Potier
Les mesures miroirs ! Ce n'est pas pareil.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Vous avez raison. Ce qui importe avec les mesures miroirs, c'est leur effectivité, donc d'assurer un contrôle et de prévoir des sanctions. C'est pour cela que nous souhaitons instaurer une force de contrôle européenne. Vous savez mieux que moi que, pour les exportations, la marchandise est dédouanée mais que le site lui-même de production, dans le secteur de l'élevage notamment, doit faire l'objet d'un contrôle et d'une homologation sur place – un peu comme pour les médicaments. C'est, à mon sens, une piste intéressante à suivre. D'ailleurs d'autres pays le font : c'est-à-dire homologation du site, puis validation du fait que la marchandise provient bien du site. Dans la mesure où le site produit dans des conditions considérées comme acceptables pour le pays qui importe, alors la marchandise peut entrer sur le territoire.

M. le président
La parole est à M. Jean-Claude Raux.

M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES)
La filière bio traverse une crise sans précédent. Par exemple, à côté de chez moi – et je crains qu'il ne s'agisse pas d'une situation isolée –, faute de débouchés, 30 à 40% du lait bio sont déclassés en lait conventionnel. De ce fait, les revenus sont loin d'être à la hauteur de l'investissement et très loin du juste prix que vous évoquiez, madame la ministre.

Dans ce contexte, nous observons une baisse du nombre de conversions et les agriculteurs et agricultrices ont le sentiment de ne pas recevoir le soutien attendu ; ils pourraient même jeter l'éponge. Nous devons donc, d'un côté, faire face à l'urgence et tout faire pour sauvegarder l'agriculture biologique et, de l'autre, nous devons garantir sa montée en puissance – même si l'un de nos invités nous rappelait un peu plus tôt que le plan Ambition bio n'est pas au niveau. Pourtant, nous savons qu'il s'agit de la solution à bien des enjeux, qu'ils soient sociétaux ou environnementaux.

Pour illustrer l'urgence de la réponse à apporter, permettez-moi de vous lire un message reçu sur Messenger aujourd'hui, à onze heures cinquante-sept. Je vous rassure, madame la ministre, il n'y a ni mise en scène ni dramatisation : " Bonjour, Je me présente, monsieur X, agriculteur dans le 44 en bio. Aujourd'hui, je suis aux abois et acculé. Je ne sais plus comment faire et, malgré de nombreux appels à l'aide, rien ! Je n'en peux plus et ne sais plus comment faire ni réagir. C'est un message de désespoir. "

Que puis-je répondre à cet agriculteur ? Pouvez-vous confirmer votre indispensable soutien à l'agriculture biologique, pour sa survie et son développement ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Ma première réponse à cet agriculteur est de l'inviter à signaler son cas auprès de sa sous-préfecture – l'État recense les exploitations en situation de tension de trésorerie, ce qui correspond à la situation dont vous venez de nous faire part. Nous avons pris plusieurs mesures. Nous avons tout d'abord porté le montant du plan bio de 50 à 90 millions d'euros afin de diminuer les tensions que subit la filière. Ensuite, après négociation avec les banques lors d'une réunion qui s'est tenue hier en présence du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, nous avons autorisé le paiement différé du capital et la contraction de prêts de trésorerie à des taux très compétitifs. Enfin, il existe des dispositifs spécifiques selon la nature de l'activité de l'exploitant. Il s'agit de mesures d'urgence.

J'en viens au marché du bio : il ne bénéficie pas de la croissance attendue dans l'ensemble des secteurs concernés. La restauration collective constitue un premier levier puisque la loi Egalim, dont c'est l'une des avancées, prévoit qu'elle comporte au moins 20% de produits bio et 50% de produits bénéficiant d'un signe officiel de qualité. Or ces objectifs ne sont pas atteints, même si la part du bio et des signes de qualité augmente. Marc Fesneau et moi-même avons écrit à toutes les régions, à tous les départements et à tous les groupements de communes, dont nous connaissons l'intérêt pour la question et la volonté de soutenir les agriculteurs, pour leur demander de communiquer sur leur implication concernant le recours aux produits issus de l'agriculture biologique, de s'inscrire sur le site ma-cantine.agriculture.gouv.fr et de participer à une conférence des solutions pour accélérer le déploiement du bio et des signes de qualité et d'alimentation durable sur le territoire.

M. le président
La parole est à M. Frédéric Maillot.

M. Frédéric Maillot (GDR-NUPES)
Les agriculteurs réunionnais tirent la sonnette d'alarme face à la hausse de leurs cotisations sociales à compter de 2026. Au nom de la justice sociale, nous devons revenir sur cette mesure adoptée en recourant au 49.3. Le Gouvernement a décidé, par les articles 18 et 26 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, que les cotisations seront basées non plus sur la superficie de l'exploitation mais sur le bénéfice des exploitants agricoles. Ces mesures sont inacceptables et inconcevables. À La Réunion, pour un bénéfice de 50 000 euros, le montant que devra payer un agriculteur pour sa protection sociale passera de 2 000 euros à une fourchette comprise entre 15 000 et 20 000 euros, soit une augmentation de 30 à 45%.

Pour la majorité des agriculteurs réunionnais qui ont de petites exploitations familiales, ces montants sont aberrants – notre collègue Ratenon l'a rappelé. Madame la ministre, nous pouvons encore modifier cette disposition qui condamne les agriculteurs réunionnais. Ils ne peuvent plus accumuler les fardeaux qui découlent de ces décisions arbitraires et déconnectées de la réalité.

Je profite du temps qui me reste pour rappeler qu'à La Réunion, nous mangeons du riz, midi et soir. Nous importons 43 000 tonnes de riz chaque année. Depuis janvier, l'Inde a restreint ses exportations de riz. Les Réunionnais ne savent pas à quoi ressemble le riz avant que celui-ci arrive dans leur assiette. Je n'ai jamais vu un champ de riz à La Réunion, alors que le riz est notre aliment principal. Quand on ne plante pas ce qu'on mange, on n'est pas libre. Je fais partie des Réunionnais qui ne veulent pas troquer le riz pour des spaghettis. Nous voulons manger du riz réunionnais.

M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Vous posez plus largement la question du pouvoir d'achat à La Réunion.

M. Frédéric Maillot
Du pouvoir de vivre.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée
Le pouvoir de vivre. Les cotisations sociales correspondent à une protection coûteuse et renforcée. La France peut se prévaloir d'un haut niveau de protection sociale. Votre exemple illustre très bien le lien entre le pouvoir d'achat et les importations. Historiquement, à La Réunion, le riz était importé. Nous souhaitons promouvoir des plans de souveraineté pour chaque territoire d'outre-mer. Compte tenu de leur dépendance aux importations de produits alimentaires et de leur potentiel, de nouvelles productions agricoles pourraient être développées, en particulier à La Réunion. Tous les aliments ne pourront toutefois pas nécessairement être produits localement. Pour le métayage, les fruits, ou l'élevage, des marges de manœuvre existent, mais je ne sais pas si La Réunion, au vu de son climat, de sa géographie, est capable de produire du riz dans les quantités que vous décrivez – je n'ai bien sûr pas la prétention de connaître par cœur votre territoire. Cela montre bien l'intérêt du commerce international pour répondre à des besoins que l'on ne peut pas satisfaire localement.

Vous évoquez ensuite l'effondrement de la biodiversité et la capacité à nourrir l'ensemble de la planète. C'est la raison pour laquelle nous développons des plans de souveraineté alimentaire et travaillons à ce que la pression sur l'environnement diminue. Cela répond à un double objectif : nourrir les populations et préserver la capacité de production des terres.

M. le président
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 6 mars 2024