Texte intégral
Q - Bonsoir Franck Riester.
R - Bonsoir.
Q - Merci d'être notre invité. Vous êtes désormais de nouveau, mais vous avez élargi votre champ de compétence, puisque vous êtes ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, - ça tombe bien, il y a un sondage qui a une enquête qui a été faite par l'Amcham, l'American Chamber sur le regard des Américains sur la France. On en dira un mot -, vous êtes aussi ministre de la francophonie et des Français de l'étranger. Beaucoup de questions à vous poser. Demain, vous allez au salon de l'agriculture, peut-être pour expliquer pourquoi les accords internationaux, c'est quelque chose de formidable et qui profitent à l'agriculture française. À mon avis, vous aurez peut-être un petit peu de mal à les convaincre, mais on va en parler. D'abord une question sur le Qatar. Hier donc, visite d'Etat, première visite en 15 ans du cheikh Al Thani, de l'Emir Al Thani pardon. Il a annoncé 10 milliards investis dans la France, dans l'économie française ; quelques gros secteurs ont été définis comme ça, est-ce que vous pouvez nous donner un peu plus de précisions sur ces 10 milliards ?
R - D'abord, c'est une annonce très importante, 10 milliards d'investissements d'ici à 2030 par le Qatar, dans le cadre notamment du plan France 2030 pour réindustrialiser le pays et décarboner le pays, en investissant notamment dans des secteurs d'avenir. Et puis c'est la démonstration des bonnes relations entre le Qatar et la France. Il y a des exportations et des échanges commerciaux qui sont presque à 3 milliards d'euros en 2023. Beaucoup d'entreprises françaises qui vont au Qatar, qui exportent au Qatar. Et des investissements qu'on souhaite plus nombreux du Qatar en France pour accompagner la décarbonation de notre économie et la réindustrialisation. Les secteurs d'activité, vraisemblablement, c'est autour du secteur électronique, du secteur de l'énergie, autour de tout ce qu'on fait en matière d'intelligence artificielle, de calcul quantique. Vous savez que la France est leader avec les Etats-Unis sur l'intelligence artificielle, c'est un des grands champs de d'investissement pour l'avenir, une priorité pour notre pays. Et si on peut être accompagnés par un certain nombre de pays dont le Qatar, c'est une très bonne chose.
Q - Mais justement, la question était de savoir est-ce que, -j'en profite pour dire que Bruno Bonnell, justement qui porte France 2030, sera à mon invité la semaine prochaine, ça tombe bien- ça sera des investissements directs dans des entreprises ou via des véhicules ?
R - Dans les deux, il y aura à la fois des investissements communs dans des fonds avec la Bpi ou avec d'autres fonds, comme Ardian, Tikehau, et autres, ou alors directement dans le capital des entreprises.
Q - D'accord. Et ça, c'est pour quand ?
R - D'ici à 2030, et donc bah il y a...
Q - Ce n'est pas 10 milliards d'un seul coup, versés là, à la rentrée...
R - Non, ce n'est pas on fait un chèque pour tel truc, c'est un engagement d'investir 10 milliards d'euros en France dans les projets qui sont des projets prioritaires de la France mais aussi du Qatar.
Q - Franck Riester, demain, donc vous allez au salon de l'agriculture, demain il y aura beaucoup de monde hein je crois, [...]
R - Moi je vais passer la journée rencontrer à peu près toutes les organisations professionnelles, toutes les filières. Je crois que c'est important, notamment parce que l'agriculture, en tant que ministre du commerce extérieur, est un des grands fleurons à l'international, 82 milliards d'euros d'exportations et un excédent dans la balance commerciale de plus de 6 milliards d'euros.
Q - Il faut mieux le souligner, parce que c'est vrai que ça n'existe pas beaucoup, troisième pilier d'exportation.
[...]
R - Chacun sera devant ses responsabilités lors du vote du projet de loi de ratification de l'accord du CETA avec le Canada, qui sera à l'ordre du jour du Sénat, le 21 mars prochain. Est-ce que oui ou non les sénateurs vont voter un accord commercial qui permet à la France, en cinq ans de sa mise en oeuvre provisoire, de voir ses excédents commerciaux augmenter nettement, des exportations augmenter de plus de 33% en cinq ans, et y compris dans le secteur agroalimentaire et agricole. Je vous donne un chiffre : +60% d'exportation des fromages ; et plus quasiment 50% des vins et spiritueux en cinq ans au Canada, parce que c'est un bon accord. Et donc quand j'entends certains dire qu'il faudrait que la France se referme sur elle-même...
Q - Non mais reconnaissez, il y a deux poids deux mesures, les poulets, la viande.
R - Mais non, écoutez-moi. La France est un grand pays exportateur : 2/3 des calories produites en France sont exportées. Nous avons besoin d'exportations. Et les accords commerciaux ne sont pas en soi l'alpha et l'oméga, mais ne sont pas aussi, en soi, à rejeter. Ça dépend de l'accord et de notre capacité à le contrôler. La France a signé le CETA, et maintenant il faut le ratifier par le Parlement français. Il y a eu un vote positif à l'Assemblée nationale en 2019. Il faut maintenant que le Sénat le vote. Ce texte de ratification, c'est important parce que nous avons un accord qui est bénéficiaire pour nos agriculteurs, bénéficiaire pour nos industries. Finalement, voter contre le CETA, ce serait voter contre nos agriculteurs. Sur la filière bovine dont vous parliez, c'est 51 tonnes de bovins qui ont été exportées du Canada vers la France. C'est quasiment rien du tout en 2023. Ça veut dire qu'il n'y a pas d'impact négatif sur les filières sur lesquelles on a toujours, avec juste raison, un regard tout particulier, parce que ce sont des filières sensibles dans la compétition internationale. Et donc nous devons soutenir un accord qui est bon pour nos agriculteurs, et en même temps ne pas lâcher sur ce qu'est notre volonté, c'est que notre commerce européen soit moins naïf, qu'on impose à un certain nombre de producteurs à l'étranger des mesures miroirs, c'est-à-dire des obligations de production similaires à ce que nous imposons aux nôtres.
Q - Oui, mais j'ai écouté le Président de la République. Il nous expliquait que les grands accords internationaux, il ne fallait plus du tout qu'ils soient ceux qu'on avait déjà signés, que le Mercosur, il ne fallait pas le signer parce que ...
R - Vous n'avez pas bien entendu le Président de la République. Il a dit qu'il fallait soutenir le CETA, que c'était un bon accord, mais qu'en revanche, il y a un accord qui dans la négociation est moins bon, nettement moins bon, qu'est l'accord du Mercosur et qu'on ne veut pas signer en l'état, bien sûr, parce qu'un accord en soi c'est un cadre d'échanges particuliers. S'il n'y a pas d'accord commercial, pour autant les échanges continuent. Aujourd'hui, il n'y a pas d'accord commercial de libre-échange avec le Mercosur, pour autant il y a des échanges avec le Mercosur. Simplement, l'avantage d'un accord commercial, c'est que cela encadre les relations. Cela permet de bien préciser quels sont les engagements des uns et des autres. Encore faut-il qu'il soit bien négocié. Le Mercosur, pour l'instant, il ne nous satisfait pas. L'accord CETA nous satisfaisait...
Q - C'était en 2019. Le climat a bien changé, vous êtes d'accord ?
R - Oui mais on a vu les résultats de sa mise en oeuvre provisoire qui sont des résultats ultra bénéficiaires pour l'économie française dans son ensemble, avec une balance commerciale en fort excédant et en forte augmentation avec le Canada, et notamment dans le secteur agroalimentaire et agricole.
Q - Juste un point, si jamais le 21 mars, le Sénat ne ratifie pas...
R - Ne vote pas le projet de loi de ratification.
Q - Voilà, je simplifiais, qu'est-ce qui se passe ensuite ?
R - Cela repasse à l'Assemblée nationale
Q - Et vous pensez que ça passera ?
R - On verra, mais vous savez, c'est très important.
Q - Ce n'est pas évident.
R - On verra bien, mais toujours est-il que avant attendez,
Q - Reconnaissez que cela ne va pas être évident, le climat est très différent.
R - Attendez. Il y a le vote au Sénat. Je pense qu'on peut, en responsabilité, prendre des choix quand on est un parlementaire qui sont bons pour notre économie, bons pour les acteurs économiques, bons pour nos agriculteurs. Il faut expliquer aux producteurs de fromages, qui voient leurs exportations augmenter de 60% au Canada qu'il faudrait revenir sur les avantages qu'ils ont eus en termes d'exportations vers le Canada. Il faut expliquer pourquoi les indications géographiques protégées, les fameuses AOP, vous savez, de fromages bien connus en France, ne pourraient plus être protégées.
Q - Mais le lait, la France était vraiment...
R - Mais le lait, ensuite il est transformé. Ce sont les produits laitiers. Les produits laitiers, on est très excédentaires en exportations. On exporte beaucoup plus que ce qu'on importe. Est-ce qu'on va fermer nos frontières, ou est-ce qu'on va continuer d'accompagner celles et ceux qui produisent du lait à pouvoir trouver des débouchés à travers les produits laitiers ? C'est ça qu'il faut dire aux Français et l'expliquer. Le commerce international est nécessaire pour l'agriculture, nécessaire pour que nous ayons un pays souverain en matière alimentaire.
Q - C'est ce que vous allez expliquer demain au Salon de l'agriculture ?
R - Mais bien sûr !
Q - Vous pensez que vous allez être entendu ?
R - Mais les agriculteurs le savent très bien !
Q - Certains. Les vins et spiritueux, vous l'avez dit. Les céréaliers, pas tout le monde, hein ?
R - Il y a certaines filières qui ont besoin d'être davantage accompagnées que d'autres, mais ce n'est parfois pas le commerce, je dirais, à l'extérieur de l'Union européenne, c'est parfois le commerce à l'intérieur de l'Union européenne. C'est par exemple, ce qu'a proposé le Président de la République, de dire " écoutez, sur un certain nombre de normes environnementales, d'utilisation de produits phytosanitaires par exemple, regardons ceux auxquels vous avez le droit en France, ceux auxquels d'autres pays européens ont le droit, et essayons d'harmoniser tout ça, pour pas que vous soyez en situation de concurrence déloyale ". En fait, le commerce international c'est bon à condition qu'il y ait une concurrence loyale. Et donc regardons tout ce qui est positif et ce qui est négatif. Travaillons-y, sans rejeter la totalité de ce qui est très bénéfique à notre pays en termes de croissance, en termes de finances et en termes d'emplois.
Q - Regardez aussi ce qui se passe sur les céréaliers avec l'Ukraine, hein, c'est très compliqué. Vous avez des céréaliers français qui sont des grandes exploitations, mais qui ont en face des énormes exploitations.
R - Sur les céréales, on a réagi, puisque la Commission européenne, sur l'agriculture avec l'Ukraine, a pris un certain nombre de décisions, notamment d'ores et déjà de mesures de sauvegarde automatiques sur le sucre, sur la volaille et sur l'oeuf, c'est-à-dire, en gros, si jamais il y a des importations trop importantes, automatiquement seront mis en place des tarifs à partir d'un certain niveau. Et en ce qui concerne les céréales, là aussi, la Commission va s'engager très clairement pour mettre en place des mesures de sauvegarde s'il y a une déstabilisation du marché des céréales.
Q - Oui, elle existe, mais bon...
R - Non non, attendez, il y a une déstabilisation dans les pays limitrophes ; aujourd'hui sur l'Union européenne ce n'est pas vrai. Si jamais cela devait exister, la Commission prendra des mesures de sauvegarde.
Q - Un mot : est-ce que vous avez le chiffre du mois de janvier pour le déficit du commerce extérieur ? Sachant que janvier 2023 ça a été mieux, mais ça reste quand même catastrophique.
R - Sur l'année 2023, il y a une nette baisse, notamment parce que le coût de l'énergie et des importations d'énergie s'est amélioré. Pour autant, il y a encore des efforts à faire. Il faut toujours regarder, pas que le commerce des biens, il faut regarder aussi le commerce des services et les revenus des investissements qu'on fait à l'étranger, parce qu'on a la balance des paiements qui est en amélioration, qui est à -33 milliards, donc elle est encore mauvaise. Donc il faut travailler. Il faut travailler en accompagnant le maximum d'entreprises à l'international, en continuant d'améliorer la compétitivité et l'attractivité du pays, et en envoyant ce message de mobilisation générale des acteurs économiques dans le déploiement à l'international, et en arrêtant d'imaginer que c'est en refermant nos frontières, nous, Français ou nous, Européens, qu'on va relever les défis économiques de demain.
Q - Justement, je crois que vous étiez, du reste, cet après-midi, à l'American Chamber, l'Amcham, qui sortait son vingt-quatrième baromètre sur l'attractivité de la France ou pas. On voit qu'il y a un sentiment un peu mitigé des investisseurs américains. Ils continuent à plébisciter la France comme le meilleur pays au sein de l'Europe. Mais en même temps, on voit que le contexte économique qui s'est amélioré, +33%, on pense qu'il s'est amélioré, mais ils sont 32% à trouver que ça s'est détérioré. On voit qu'il y a quand même beaucoup d'interrogations sur le coût du travail. Comment est-ce que vous interprétez, vous, ce baromètre ?
R - D'abord, vous l'avez dit, une satisfaction, c'est que la France est toujours, à la fois dans le nombre d'investissements sur son sol et la perception des acteurs économiques internationaux, le pays le plus attractif d'Europe. Ça, ce n'est pas le fruit du hasard. C'est le fruit de toutes les réformes qui ont été faites par le Président de la République depuis 2017 pour améliorer le climat des affaires. Et on va continuer, en matière de fiscalité, en matière d'investissement dans l'innovation, la recherche, en matière de simplification. Et c'est là qu'il y a beaucoup à faire, c'est le point le plus saillant de cette étude, de ce baromètre, c'est qu'on est encore trop compliqués en France, il faut qu'on simplifie. C'est le mot d'ordre du Premier ministre : simplification, simplification, simplification. Vous savez qu'il y a un projet de loi de simplification qui va être présenté dans quelque temps par Bruno Le Maire. Une deuxième loi sur l'industrie verte pour raccourcir notamment les délais pour pouvoir investir dans la décarbonation de notre industrie. Il faut simplifier. Moi, je suis en train de préparer un plan spécifique de simplification de la vie des exportateurs. Il faut qu'on simplifie nos démarches administratives. Il faut qu'on simplifie les normes. Il faut qu'on garde l'ambition en matière sociale, l'ambition en matière environnementale, mais qu'on fasse confiance aux acteurs économiques. Et ça, c'est la priorité des priorités pour notre gouvernement.
Q - Franck Riester, toute dernière question, vous rentrez d'Abou Dabi, où se tenait justement une réunion des ministres du commerce sur l'OMC. L'OMC est un peu en mort clinique, on voit qu'elle est complètement bloquée, notamment à cause des Américains, il faut appeler un chat un chat. Vous avez le sentiment qu'un jour elle pourra de nouveau régler les contentieux ou, comme vient de le dire le ministre du commerce américain, il y a encore beaucoup, beaucoup de travail à faire.
R - Oui, il y a beaucoup de travail à faire, ce n'est plus bloqué, depuis la nomination de la nouvelle directrice générale de l'OMC, Dr Ngozi Okonjo-Iweala, il y a maintenant un peu plus de deux ans. Il y a deux ans, à Genève, il y a eu déjà des premiers progrès dans les discussions. On a réussi à avoir des accords sur la pêche par exemple, on a remis en place un groupe de travail pour réussir à remettre en fonction le règlement des différends de l'OMC. Et donc c'est long, c'est difficile. Vous voyez bien qu'il y a de plus de plus de tensions géopolitiques...
Q - Ça sert à quoi, encore aujourd'hui, l'OMC, sans faire de démagogie ?
R - Cela permet de mettre sur la table multilatérale des sujets qui touchent au business sur la totalité du globe. Il faut qu'on puisse avoir ces lieux d'échanges, de discussions sur la politique industrielle et les subventions qui sont faites par certains pays. Je pense à la Chine par exemple. Il faut qu'on puisse avoir des règlements des différends, pour que cela ne soit pas une guerre commerciale entre pays, mais qu'il puisse y avoir un règlement international aux conflits commerciaux, qu'il peut y avoir, entre tel ou tel acteur économique ou tel ou tel pays. C'est la clé pour la croissance mondiale. Et on va continuer, nous, Français, de mobiliser toute notre énergie pour trouver des solutions d'amélioration du fonctionnement de cet OMC.
Q - Franck Riester, plein d'énergie, en tous les cas, pour...
R - Il faut !
Q - Voilà, il faut, si on veut essayer de rétablir le commerce extérieur. Merci beaucoup d'être venu nous voir.
R - Merci à vous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 mars 2024