Déclaration de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les droits des femmes dans le monde, à Paris le 8 mars 2024.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journée internationale des droits des femmes

Texte intégral

Madame la Secrétaire générale,
Mesdames les ambassadrices,
Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,

Ce 8 mars est unique. Comme tous les ans, nous célébrons la journée internationale des droits des femmes. Mais cette année, Mesdames et Messieurs, nous inscrivons l'interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution. Je voudrais remercier l'ensemble des parlementaires, de la société civile qui l'ont permis. Le combat des femmes a payé. Par une remarquable mobilisation collective, je dois le dire, celle aussi du Gouvernement, nous conférons le plus haut niveau de protection au droit des femmes à disposer de leur corps, et c'est une bonne nouvelle.

Je pense aux femmes de ce pays, je pense aux filles de ce pays. Elles peuvent désormais se dire : "Ce qui m'est le plus intime et le plus personnel compte. Ce qui est mon choix compte. Ma voix compte, puisque la Constitution la protège."

Je pense aussi aux femmes et aux filles des autres pays du monde. Nous pouvons être fiers d'être le premier pays du monde à protéger aussi fortement le droit à l'IVG. Mais portés par ce sentiment, nous devons être à la hauteur. La France doit initier un mouvement, et forte de cette avancée majeure, elle doit également hausser le ton un peu partout à l'international. Et donc je m'engagerai personnellement pour que ce droit soit également inscrit dans la Charte européenne des droits fondamentaux. C'est un sujet qui avait été déjà porté au Parlement européen par de nombreux groupes politiques transpartisans, et je pense que la France sera le fer de lance de ce projet. Je m'engagerai aussi pour le défendre partout dans le monde, contre les obscurantismes, contre les mouvements anti-droits, contre toutes les tentations rétrogrades qui malheureusement prospèrent.

Nous devons porter, et même renforcer, la coalition pour promouvoir les droits sexuels et reproductifs, créée au Forum Génération Egalité sous l'égide du Président de la République. Dans cet effort pour les droits sexuels et reproductifs, la France prend sa part à hauteur de 400 millions d'euros, de 2021 à 2025. Mesdames et Messieurs, en portant une diplomatie féministe, nous devons également construire un monde où les citoyens peuvent construire leur vie, une vie sereine et digne, une vie libre et prospère. Il est insupportable de penser que des femmes en soient privées parce qu'elles sont des femmes.

J'ai participé, il y a quelques semaines, à une réunion des politiques étrangères féministes à Munich, avec l'ensemble de mes collègues qui sont investis sur ce sujet. Ensemble, nous avons passé des messages clairs et fermes sur la situation des femmes afghanes, l'Afghanistan où les femmes sont effacées de la société, bannies de leur propre vie, confinées à l'inexistence. Avec la contribution active de la France, le Conseil de sécurité a fixé le respect de ces droits comme une condition préalable, et j'entends la faire respecter.

J'annonce également que je réunirai en 2025 les diplomaties féministes et les politiques étrangères féministes à Paris. Nous prendrons ainsi la suite du Mexique, qui accueille la grande réunion annuelle cette année. Nous sommes dotés d'une diplomatie féministe depuis 2019, nous étions parmi les premiers pays à l'annoncer. Nous avançons déjà avec des pays qui ont déclaré porter une diplomatie féministe, comme le Chili, et avec ceux qui veulent s'en doter, puisque maintenant, nous avons une grande expérience depuis 2019 et nous avançons avec des résultats très concrets.

Alors mener une diplomatie féministe, c'est défendre les droits des femmes partout, dans toutes les sphères, sans en oublier. Et quand je dis partout, je veux aussi dire dans l'environnement numérique. Il faut que l'intelligence artificielle soit utilisée pour promouvoir l'égalité, et non l'inverse ; aujourd'hui, c'est souvent l'inverse. C'est un défi que nous devons relever, et c'est pour cela que le laboratoire pour les droits des femmes en ligne, lancé l'an dernier, sera renforcé. Pour intégrer pleinement cette dimension, nous proposerons des solutions très concrètes en vue du sommet pour l'intelligence artificielle qui se tiendra en France sous l'égide du Président de la République.

C'est aussi le cas de l'espace francophone. Le sommet de la francophonie qui se tiendra à Paris et à Villers-Cotterêts au mois d'octobre prochain doit permettre de faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes, à travers une véritable alliance des féministes francophones. Je pousserai également ce sujet.

Et puis c'est le cas aussi dans l'humanitaire. Notre nouvelle stratégie nationale pour l'humanitaire, on peut en être fier, le prend pleinement en compte : 80% de nos financements humanitaires intègrent l'égalité de genre.

C'est le cas aussi dans l'arène politique, Mesdames et Messieurs les élus. En avril prochain, nous célébrerons les 80 ans du droit de vote des femmes en France - 80 ans seulement, on a envie de dire. Et j'annonce aujourd'hui que la France partira en campagne pour rendre ce droit effectif partout dans le monde. Trop peu de progrès ont été accomplis depuis la Conférence de Pékin en 1995. Et donc il est temps d'aller plus loin dans la participation des femmes à la vie politique. Dans d'autres circonstances, dans un autre mandat, je me suis employé à promouvoir les femmes sur des circonscriptions gagnantes : trop souvent, ces parlementaires féminines étaient mises sur des circonscriptions perdantes et ce jeu de la parité a souvent subi le jeu des partis politiques. Je crois qu'un certain nombre de formations politiques y sont venues, et je pense que c'est une bonne solution.

C'est le cas, enfin, de l'arène sportive. Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris seront les premiers jeux paritaires de l'Histoire. On peut s'en féliciter également.

Alors Mesdames et Messieurs, une diplomatie féministe, c'est aussi une diplomatie féminisée. Et, soyons lucides, ce métier a longtemps été injustement réservé aux hommes. Cela doit être derrière nous, définitivement. Aujourd'hui, nous appliquons rigoureusement le principe d'accès aux emplois, y compris aux postes à responsabilité, et nous avons des résultats, ce dont atteste d'ailleurs le label AFNOR pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Ce label nous a une nouvelle fois été remis en 2023. Près de la moitié des personnes nommées aux postes à responsabilité à l'étranger et à Paris sont des femmes. 43% des primo-nommés sont des ambassadrices, en 2023. À titre personnel, je suis très fier que mon cabinet soit paritaire. Ils sont présents aujourd'hui. Nous poursuivons ces efforts.

Et puis j'adresse un message tout particulier aux filles, aux femmes, aux petites filles, qui réfléchissent à leur futur, à leur métier, à leur avenir : vous pouvez être diplomate, ici, dans cette maison. La diplomatie française a également besoin de vous. Je pense que c'est un message important, puisque les vocations se construisent dès le plus jeune âge.

Le féminisme, c'est une façon d'envisager son quotidien, d'avoir des réflexes, de réagir aux idées reçues, aux remarques biaisées. Et donc, pour rendre notre diplomatie complètement féministe, il sera aussi nécessaire de mieux former nos agentes et nos agents, pour que tout le monde, sans exception, prenne en compte l'égalité entre les femmes et les hommes, chaque jour, en réunion d'équipe, ici au ministère, en négociation avec des interlocuteurs étrangers, ou encore au moment d'élaborer nos positions de politique étrangère. Et j'ai décidé aujourd'hui, de rendre obligatoire pour tous les diplomates la formation sur l'égalité de genre et la diplomatie féministe. Je pense que c'est aussi comme ça que nous arriverons à faire évoluer les mentalités, et surtout les réflexes, dans le cadre professionnel. C'est dans ces situations quotidiennes, je le disais, que les inégalités persistent insidieusement. Nous devons intégrer dans notre propre fonctionnement quotidien les besoins spécifiques des femmes. Et c'est pour cela que j'ai également décidé que la santé féminine, y compris l'hygiène menstruelle, serait désormais pleinement prise en compte, ici, au ministère des affaires étrangères.

Je veux aussi que notre diplomatie féministe soit au service des Françaises et des Français à l'étranger. Le ministère est déjà à l'oeuvre avec des actions très concrètes. Nos postes consulaires apportent leur soutien en cas de violence conjugale : 109 cas recensés l'an dernier. Mariages forcés, agressions sexuelles... Ils accompagnent les survivantes vers des structures adéquates et dans des procédures judiciaires qui sont parfois complexes, ou pour leur retour en France, notamment afin d'assurer leur sécurité. Les agentes de ce ministère bénéficient elles aussi d'un accompagnement par les services dédiés, et je suis déterminé à poursuivre nos efforts pour aller encore plus loin dans notre politique de prévention, dans notre politique d'accompagnement, et dans notre politique de protection, comme je viens de le dire.

La diplomatie féministe, Mesdames et Messieurs, ce n'est pas seulement une affaire de diplomates. Vous, membres de la société civile, vous en êtes aussi les artisans. Notre stratégie pour la diplomatie féministe, qui paraîtra cette année, est élaborée avec plus de 200 partenaires, majoritairement issus de la société civile. Et ce travail de réflexion collective, qui inclut toutes les parties prenantes, est essentiel pour parvenir à nos objectifs, y compris en termes de bonnes pratiques. Et je remercie l'ensemble des participants et des partenaires qui travaillent sur cette action.

La société civile doit être aussi au centre de l'action. C'est pourquoi la France a mis en place le fonds de soutien aux organisations féministes le plus important au monde, avec plus de 1000 associations soutenues partout dans le monde. Ce fonds, le FSOF, est d'ailleurs renforcé cette année.

C'est pourquoi la France accueille ces femmes qui défendent les droits, à travers plusieurs initiatives, comme l'initiative Marianne. Nous devons être solidaires de ces personnes engagées, des femmes qui défendent les droits, souvent en risquant leur vie, comme en Iran. Leur combat est notre combat, et je voudrais vraiment qu'on puisse les applaudir.

Mesdames et Messieurs, je conclus en lançant le débat de notre première table ronde. Je souhaiterais insister sur les violences sexuelles liées au conflit. Vous savez qu'avec la résurgence de nombreux conflits dans le monde, ces agressions abjectes, ces crimes atroces sont encore bien trop souvent passés sous silence, comme la stigmatisation dont les survivantes sont ensuite injustement l'objet. Nous condamnons dans les termes les plus forts les viols utilisés comme armes de guerre, partout où ils sont commis. Et c'est toute la communauté internationale qui doit condamner avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté les violences sexuelles barbares commises par le Hamas et d'autres groupes terroristes, le 7 octobre. Personne ne peut, personne ne doit fermer les yeux sur ces actes inhumains, ces faits ignobles, qui sont établis clairement par tous, y compris par les Nations unies. Et parfois, je me désespère de voir un certain nombre de formations politiques faire le tri dans leur indignation.

Personne ne pourra plus oublier les viols commis par les troupes russes en Ukraine. Ces crimes ne doivent pas rester impunis. Et d'ailleurs, c'est un honneur de pouvoir entendre le témoignage d'Oleksandra Matviïtchouk, prix Nobel de la paix en 2022, sur ce sujet. Je veux lui redire que la France restera aux côtés des Ukrainiennes et des Ukrainiens, comme elle l'a déjà fait en finançant les soins des victimes ukrainiennes, en donnant un appui concret aux enquêtes et aux travaux de la Cour pénale internationale, comme elle l'a fait également à travers le fonds créé par Nadia Murad et le docteur Mukwege. Il s'agit d'ailleurs des survivantes ukrainiennes, mais aussi, à celles de la RDC, de la RCA, en Irak également, où tous ces sujets sont malheureusement à l'ordre du jour de nos discussions.

Cela fera 10 ans cette année que le génocide contre les Yézidis a été commis. Là encore, nous ne devons pas oublier, et la justice non plus ne saurait être amnésique sur ce qui s'est passé.

Voilà, Mesdames et Messieurs, l'intolérable prend souvent racine dans l'intolérance. Je le dis souvent, et cette formule, je trouve, résume beaucoup de choses. La France continuera de combattre résolument l'un et l'autre, sans jamais renoncer ni se résigner.

C'est aussi pour cela que je suis fier de vous remettre, au nom de la France, Miriame Djangala-Fall, le prix Simone Veil de la République française. Vous qui représentez un réseau de 700 survivantes centrafricaines. Vous qui brisez le silence en risquant votre vie. Votre exemple pour toute une génération de filles et de femmes est à saluer, et je salue votre détermination, et forme le voeu que votre action continue à inspirer et à sauver des destins ainsi qu'à sauver des vies.

Je vous remercie, et bon débat avec ces sujets qui sont sérieux, mais qui nous donnent aussi des perspectives d'avenir positives dans les combats que nous mènerons, pendant ces années 2024 et 2025.

Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mars 2024