Déclaration de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer, sur la recrudescence des actes antisémites, au Sénat le 27 février 2024.

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Circonstance : Audition devant la Commission des lois du Sénat

Texte intégral


M. François-Noël Buffet, président. - Nous vous accueillons, M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer, pour évoquer la question de la recrudescence des actes antisémites. Cette audition est ouverte à tous les sénateurs.

L'année 2023 a marqué un triste record dans notre pays : d'après les chiffres d'un récent rapport du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), qui s'appuie sur les données du ministère de l'intérieur et des outre-mer, le nombre d'actes antisémites recensés en France a été multiplié par quatre, atteignant 1 676, contre 436 en 2022. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale nous n'avions connu de tels chiffres, y compris lors des précédentes périodes de tensions en Israël et en Palestine.

Cette augmentation plus que significative trouve, sans surprise, une partie de son explication dans les événements qui ont suivi les attaques du 7 octobre 2023 sur le sol israélien et les opérations militaires dans la bande de Gaza. Lors des trois derniers mois de 2023, les actes antisémites recensés en France ont effet augmenté de 1 000%. D'une quarantaine chaque mois sur la période estivale, les actes antisémites sont ainsi passés à 563 en octobre, 504 en novembre et 175 en décembre, toujours selon le Crif.

Cette audition a pour objet non pas de commenter les terribles événements qui frappent le Proche-Orient, mais de faire la lumière sur le déferlement de haine et de violence ayant touché la communauté juive de France, qui, pour rappel, est la première communauté juive d'Europe, avec environ 500 000 personnes vivant sur le territoire national.

Outre sa dimension conjoncturelle, liée à la situation de la bande de Gaza, une telle recrudescence des actes antisémites doit également nous conduire à nous interroger quant à son potentiel caractère structurel. Je pense en particulier à un chiffre transmis par le Crif, selon lequel 12,7 % des actes antisémites recensés en 2023 ont eu lieu en milieu scolaire, dont une majorité au collège. Cela augure d'un rajeunissement ou d'une transmission de l'antisémitisme qui me semblent éminemment préoccupants sur le long terme.

Je le rappelle, un immense rassemblement a eu lieu à Paris le 12 novembre dernier, sur l'initiative conjointe de la présidente de l'Assemblée nationale et du président du Sénat, pour marquer notre désapprobation profonde face à de tels actes.

Monsieur le ministre, si la commission vous a convié aujourd'hui, c'est pour que vous puissiez nous apporter un éclairage sur la situation et son évolution, sur le profil des personnes commettant ces actes antisémites, ainsi que sur les moyens mis en oeuvre pour y faire face et les mesures restant à mettre en place pour que la communauté juive de France se sente en sécurité dans notre pays, au même titre que tous les Français, quelles que soient leurs croyances.

À ma connaissance, le dernier chiffre que vous avez rendu public date du 8 novembre 2023. Vous aviez alors annoncé au Sénat, lors des questions d'actualité au Gouvernement, 1 159 actes antisémites. Confirmez-vous les chiffres du Crif sur l'ensemble de l'année 2023 ? Quelle est la tendance des deux premiers mois de l'année 2024 ?

Enfin, auriez-vous des éléments à nous communiquer sur la réponse pénale qui a été apportée aux 1 676 actes antisémites recensés l'an dernier ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Monsieur le président de la commission des lois, je vous remercie de votre invitation sur la question évidemment très importante des actes antisémites.

Je ferai un rapide état des lieux des actes antireligieux en général, rappellerai les actions engagées par le ministère de l'intérieur et des outre-mer pour protéger les croyants des cultes et, plus généralement, toute personne présente sur le territoire national, exposerai les mesures prises après l'ignoble attaque des terroristes du Hamas du 7 octobre et présenterai les perspectives et propositions en matière pénale, même si le garde des sceaux serait peut-être mieux à même de vous apporter des éléments sur ce point.

Les chiffres des actes antisémites communiqués par le ministère de l'intérieur comprennent à la fois les plaintes déposées et les faits recensés par les services de police, de gendarmerie ou les préfets. Ceux du Crif sont parfois un peu différents, mais la tendance est similaire.

De manière générale, le niveau des actes antisémitiques sur le territoire national depuis quinze ans est élevé, avec 200, 300, voire 400 faits par an. Mais l'augmentation constatée en 2023 par rapport à 2022 - 284% - n'a pas d'équivalent. Et, en 2023, les actes antisémites représentaient 60% des actes antireligieux, contre 26% en 2022.

À partir du mois d'octobre, nos compatriotes juifs ont subi de très nombreuses menaces. Si les tueries du 7 octobre ont sans doute fait naître de l'empathie, elles ont également eu pour conséquence une multiplication des actes antisémites sur le territoire national. Tous les pays occidentaux ont connu un phénomène comparable.

En France, nous avons la première communauté juive, la première communauté arabo-musulmane et, à certains égards, la première communauté chrétienne d'Europe. En conséquence, les lieux de cultes - églises, synagogues, mosquées, etc. - sont nombreux sur notre territoire.

Les chiffres des atteintes aux personnes, qui sont en très forte hausse, concernent davantage les menaces que les actes physiques, les services de police, de gendarmerie et les préfets ayant dans la plupart des cas réussi à empêcher que ces menaces ne se concrétisent.

Ceux des atteintes aux biens sont inquiétants, car ce sont essentiellement des lieux privés, comme le domicile ou des commerces, de nos compatriotes juifs qui sont touchés. Au ministère de l'intérieur, nous parlons d'un " antisémitisme de voisinage ", contre des appartements ou des maisons dont les occupants sont reconnus comme faisant partie de la communauté juive ou contre des commerces tenus, ou supposément tenus, par des compatriotes juifs.

Il faut également accorder une vigilance particulière aux établissements éducatifs et scolaires. Nous avons protégé beaucoup d'écoles juives et de crèches communautaires.

La montée des actes antisémites dans la sphère professionnelle, par définition non communautaire, est également très préoccupante. Les atteintes et les violences en milieu professionnel contre les personnes de confession juive ou de " confession juive apparente " sont extrêmement nombreuses.

J'en viens à l'antisémitisme politique : une cinquantaine de parlementaires, sur quelque 1000 parlementaires au total, ont reçu des propos injurieux à caractère antisémite. Je précise que tous n'étaient pas de confession juive...

Le sujet principal sur lequel le Parlement devrait, me semble-t-il, se pencher ardemment est celui des réseaux sociaux, qui sont devenus un gigantesque déversoir. Nous avons eu plus de 12 000 signalements sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos). Encore ne s'agit-il que de signalements : il y a sans doute des centaines de milliers de personnes qui lisent des contenus à caractère antisémite sans les signaler.

Parmi les actes antireligieux, il y a les actes antichrétiens. Les atteintes aux personnes, qui concernent des ministres du culte ou des croyants, sont importantes. Elles sont moins nombreuses que les atteintes aux personnes à caractère antisémite, mais elles n'en sont pas moins insupportables. On note une baisse des atteintes aux biens, en raison, notamment, du renforcement de la protection des lieux de culte chrétiens que nous avons engagé. Parfois, ces actes relèvent plus du banditisme - je pense par exemple aux vols dans les églises - que de la revendication militante ; mais c'est tout aussi condamnable.

Les actes antimusulmans ont également beaucoup augmenté, même s'ils n'atteignent pas le niveau des actes antisémites. Des lieux de culte ont été pris à partie de manière particulièrement violente.

Afin d'établir une classification - dans les faits, il n'est pas toujours évident de distinguer si un acte est raciste, xénophobe, antisémite ou antichrétien, etc. -, le ministère de l'intérieur retient la notion d'actes " altérophobes ", c'est-à-dire émanant de personnes qui n'aiment pas l'altérité en raison de la croyance supposée ou de la " race " supposée. Ces actes ont continué à augmenter en fin d'année, en particulier au mois de novembre. Certains sont antimusulmans, mais la plupart sont antisémites : en 2023, 43% des actes altérophobes avaient un caractère antisémite.

Le ministère de l'intérieur et des outre-mer a engagé un grand nombre d'actions. Il y a eu très peu de passages à l'acte - il faut s'en réjouir -, grâce aux forces de police et de gendarmerie et aux militaires de l'opération Sentinelle, qui ont assuré une présence vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur l'intégralité des sites de confession juive. Des personnes qui faisaient des signes d'égorgement devant des synagogues, dessinaient nuitamment des croix gammées ou déposaient des cochons devant des mosquées ou des lieux de culte juifs ont pu être interpellées. C'est ce qui explique le décalage entre la forte augmentation des actes antisémites recensés et le faible nombre d'actes physiques effectivement commis.

La France a été le seul pays à interdire - cela m'a parfois valu des critiques - des manifestations dans les jours qui ont suivi le 7 octobre. Si la diplomatie française, ainsi que votre serviteur sont clairement pour la création d'un État palestinien, se réjouir de massacres et de viols de masse n'a rien à voir avec la cause palestinienne. J'ai été nourri par l'expérience de 2013 et de 2014, lorsque mes prédécesseurs avaient laissé se dérouler des manifestations dans lesquelles certains criaient : " Mort aux juifs ! " dans les rues de Paris.

J'ai expliqué pourquoi nous avions interdit ces manifestations, interdictions qui ont toutes été validées par les tribunaux administratifs. Je constate qu'il n'y a pas eu de manifestations comme celles de Londres, Berlin ou Sidney, avec des appels à la mort des juifs et des effigies brûlées.

Nous avons également renforcé la sécurisation des lieux de culte. Lors de l'examen de la loi de 2021 confortant le respect des principes de la République, il est apparu que la loi de séparation des églises et de l'État n'empêche pas le subventionnement des cultes et des lieux de culte, dès lors qu'il s'agit de les rendre conformes à ce qu'exige la loi pour l'accès des personnes handicapées ou bien de les sécuriser. L'État et les communes peuvent ainsi financer des caméras de vidéoprotection, des portiques de sécurité, des sorties de secours ou bien des aménagements de sécurité pour les cultes chrétien, musulman et juif.

Les chrétiens utilisent peu les crédits prévus et refusent notamment les caméras de vidéoprotection, car ils considèrent que l'État n'a pas à savoir qui va à l'office. En revanche, les musulmans y ont de plus en plus recours, de sorte que, pas plus tard qu'hier, j'ai annoncé le doublement de l'enveloppe de 569 000 euros actuellement prévue. Quant à nos compatriotes juifs, ils ont utilisé en 2023, avant le 7 octobre, 4,5 millions d'euros sur les 6 millions d'euros prévus au total pour le subventionnement des cultes. Cela témoigne non seulement d'une grande inquiétude de leur part, mais aussi d'un accompagnement important par l'État.

Depuis cinq ans au moins, dans le cadre du programme K, nous prévoyons une enveloppe financière pour aider la communauté juive à protéger ses écoles. Cette mesure a été mise en place à la suite du massacre de l'école Ozar Hatorah à Toulouse.

Nous veillons à mieux protéger les lieux de culte et à présenter ceux qui y porteraient atteinte devant la justice. L'augmentation des crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) que vous avez votée sert à la protection des lieux de culte, en particulier ceux de nos compatriotes juifs.

Nous avons par ailleurs beaucoup travaillé sur les pouvoirs de police administrative, dans le cadre notamment de la loi confortant le respect des principes de la République. Même en dehors de la période de l'état d'urgence, période particulière au lendemain des attentats, nous avons pris un grand nombre d'arrêtés de fermeture de lieux de culte ou de dissolution d'associations, sur le fondement de l'antisémitisme et de l'article L. 127-1 du code de la sécurité intérieure.

En 2023, à la suite de l'affaire contre un imam bien connu, le Conseil d'État a reconnu que le séparatisme et l'antisémitisme, dans la mesure où ils constituaient une provocation explicite et délibérée à la haine, permettaient l'expulsion du territoire national. Je rappelle que l'imam Iquioussen vivait depuis très longtemps sur le territoire national, où il avait quatre enfants, où il était propriétaire et où il n'avait pas de casier judiciaire. Il s'était marié en France et parlait très bien français de sorte qu'il a été difficile de procéder à son expulsion. Je rappelle que le tribunal administratif de Paris avait d'ailleurs suspendu l'arrêté d'expulsion, ce qui m'a valu quelques quolibets de la part de la majorité sénatoriale. Aujourd'hui, M. Iquioussen a été expulsé dans son pays d'origine. Surtout, le Conseil d'État a rendu un excellent arrêt précisant que le séparatisme et l'antisémitisme pouvaient justifier une mesure d'expulsion, et la décision prise contre l'imam Iquioussen pourra faire jurisprudence. Dans le cadre du recours au fond déposé par l'imam contre l'arrêté du ministère de l'intérieur, les rapporteurs viennent de nous donner raison. Il faudra voir ce que donnera le délibéré du tribunal administratif de Paris.

Par conséquent, nous avons les moyens administratifs non seulement de dissoudre des associations ou de fermer des lieux de culte, mais aussi d'expulser des personnes pour antisémitisme.

Le 7 octobre a constitué un moment très grave pour la communauté juive ainsi que pour nous tous. Dès le lendemain de cette ignoble action du Hamas, sur la demande du Président de la République, j'ai écrit à tous les préfets de France pour leur fixer des consignes claires afin de lutter contre l'antisémitisme et de protéger nos compatriotes : surveillance de certains lieux vingt-quatre heures sur vingt-quatre et saisine systématique du procureur de la République pour tout fait antisémite ou constituant une apologie du terrorisme. Des centaines de procédures ont été engagées au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, dont certaines ont donné lieu à des condamnations extrêmement fermes prononcées par la justice. Nous avons également interdit 124 manifestations, et ces interdictions ont été confirmées par les tribunaux administratifs. Enfin, nous avons retiré leur titre de séjour à 79 étrangers que nous avons expulsés pour actes d'apologie du terrorisme, d'appel à la haine ou d'antisémitisme. Ainsi, toutes les personnes étrangères qui ont été condamnées de façon définitive pour antisémitisme ont été expulsées du territoire national.

D'un point de vue géographique, les lieux de culte juif sont très concentrés, ce qui pose un problème de mobilisation des forces de l'ordre pour assurer leur sécurité. La plaque parisienne est particulièrement visée, notamment l'Essonne et le Val-d'Oise, dans la grande couronne, où il faut prendre en compte l'existence de quartiers parfois très difficiles et communautarisés, avec les déséquilibres que cela peut impliquer. Une anecdote montre la détresse et l'humour dont peuvent faire preuve nos compatriotes juifs. Lorsque je me suis rendu à Créteil, quelques jours après le 7 octobre, pour un événement auquel assistaient certains parlementaires et des représentants du Crif, un homme assez âgé, à qui je demandais s'il allait bien et s'il avait peur, m'a répondu : " Vous savez, je m'inquiète quand je vois tout ça. Et puis, quand j'écoute la radio, quand je regarde la télévision et les réseaux sociaux, j'entends que nous, les juifs, nous dirigeons le monde, nous sommes très riches et nous n'avons aucun problème. Alors, ça me rassure. " Cette réponse ne manquait pas d'humour, d'autant que cette personne était homme de ménage dans le lycée public du coin. Toutefois, cela montre surtout que la caricature antisémite, qui n'est pas forcément une menace, s'est largement exprimée pendant cette période.

Par conséquent, l'essentiel du travail des policiers et des gendarmes a été de protéger les communautés juives dans des quartiers et des territoires qui ne font pas la une des journaux, mais où réside une grande partie de la communauté juive de France, que ce soit dans le Val-de-Marne ou dans le Val-d'Oise, ou bien au-delà de l'Île-de-France, en Alsace ou en Lorraine, à Marseille ou encore dans la région lyonnaise.

Par conséquent, le budget du ministère de l'intérieur est bien utilisé et nous avons amplifié et réorganisé notre action de police. Le préfet de police a été particulièrement réactif pour protéger les lieux de culte que les gens ont pu continuer à fréquenter sans problème, si j'ose dire, même si ce n'était pas sans éprouver une certaine peur.

Concernant les perspectives, il faut prendre en compte le fait que l'Insee ne fait pas de remontées statistiques validées scientifiquement. Nous ne disposons donc que des chiffres du Crif et de ceux du ministère de l'intérieur. Le garde des sceaux pourrait sans doute également communiquer un certain nombre de données. Tous ces chiffres ont leur vérité, mais sont issus d'approches différentes. Il serait assez utile que l'Insee travaille à produire des statistiques communes sur les actes antisémites, les plaintes et les réponses pénales, en distinguant ce qui relève des actes racistes et des actes antireligieux.

Nous avons mis en place un observatoire des actes antireligieux, conformément aux recommandations du rapport remis le 29 mars 2022 par Isabelle Florennes et Ludovic Mendes sur les actes antireligieux en France. Le bureau central des cultes est chargé de son secrétariat et il serait intéressant que la cheffe de ce bureau soit entendue chaque année par votre commission. Nous sommes, je crois, le premier pays européen à avoir créé un observatoire de ce type.

Nous avons aussi exploité les outils numériques pour aider nos compatriotes juifs, de la même manière que nous le faisons pour aider les femmes dans les transports en commun. Il est très difficile, au moment où l'on est victime d'une agression, de passer un coup de fil et de donner des détails. Nous avons donc créé l'application gratuite " Ma Sécurité " directement reliée aux sites " magendarmerie.fr " ou " moncommissariat.fr ". Elle permet non seulement de déposer une pré-plainte ou une plainte en ligne, mais surtout de démarrer une conversation - chat - en direct, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, avec un policier ou un gendarme. Les policiers sont intervenus à de nombreuses reprises à la suite de ce type de signalements. Les propos et les menaces antisémites peuvent être proférés de manière extrêmement discrète, très souvent dans le métro, dans les Uber, dans les taxis, ou bien chez les commerçants qui refusent de servir des juifs. La nouvelle application nous a permis d'intervenir dans des cas où nous ne le faisions pas forcément auparavant.

Désormais, il est possible de déposer une visio-plainte ou une plainte en ligne pour ce genre d'incidents. En outre, le service de protection de la communauté juive (SCPJ) a un accord de partenariat avec le ministère de l'intérieur, dans le cadre duquel il peut accompagner des personnes qui souhaitent déposer plainte afin qu'elles obtiennent une réponse très rapide. Lorsque le rabbin de Levallois-Perret a reçu des menaces de mort sur TikTok, à la fin du mois d'octobre dernier, il n'a fallu qu'une seule journée à la police pour prendre la plainte, interpeller l'auteur des menaces et le placer en détention provisoire. Or, la personne avait sur elle les moyens de passer à l'acte.

La plateforme Pharos a enregistré 211 543 signalements contre 175 924 en 2022. Même s'il s'agit la plupart du temps de contenus pédophiles ou portant atteinte aux enfants, cette augmentation est due à 90 % à des signalements pour contenus antisémites sur les plateformes numériques. Nous n'arrivons pas à faire entendre raison aux grandes plateformes de réseau social pour qu'elles intensifient leur travail de modération des contenus haineux. En effet, je vous rappelle que les responsables de Pharos ne peuvent que signaler des contenus et que c'est à la plateforme visée de les retirer, ce qui prend parfois trop de temps, comme cela a été le cas pour la vidéo montant une jeune fille violentée dans le véhicule - pick-up - des terroristes du Hamas. Il a fallu attendre plusieurs jours avant que cette vidéo ne soit retirée de l'ensemble des plateformes, alors qu'elle portait atteinte à la dignité de la personne humaine, qu'elle faisait l'apologie du crime, qu'elle était tout à fait lugubre et, surtout, qu'elle encourageait le passage à l'acte.

Nous rencontrons des difficultés, en particulier avec la plateforme X-Twitter, dont le dirigeant favorise une politique qui fait preuve de beaucoup moins de modération qu'auparavant. Quelque 75% des contenus signalés comme apologétiques ou antisémites pendant cette période provenaient de Twitter. Or, il s'agit d'un réseau social moins regardé que TikTok, Facebook ou Instagram.

Le Conseil d'État et l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) contrôlent le contenu diffusé sur les chaînes d'information en continu. Je regrette qu'il n'y ait pas l'équivalent pour les réseaux sociaux, qui sont parfois plus efficaces en matière de propagande que certaines chaînes d'information. Il faudrait donc envisager de mettre en place, indépendamment du règlement sur les services numériques - Digital Services Act -, une autorité susceptible d'intervenir pour ce genre de médias.

En effet, quand la lutte pour le retrait de contenus ne suffit pas, les auteurs de ces contenus ont un sentiment d'impunité. Le temps pour que la justice opère peut être long par rapport à la vie médiatique et certains ont ironisé sur l'efficacité du travail des services de police. Cependant, lorsqu'une " influenceuse ", si l'on peut employer ce terme, a mentionné le bébé israélien mort dans un four allumé pour dire que ce n'était pas vrai, nous avons ouvert une enquête au titre de l'article 40 du code de procédure pénale auprès du procureur de la République et cette personne a été interpellée, puis condamnée à dix mois de prison avec sursis pour apologie du terrorisme. Il est très important de pouvoir identifier les personnes qui contribuent à diffuser des fausses nouvelles - fakes news.

Enfin, il faut mentionner les groupes Telegram ou WhatsApp qui ne sont pas des réseaux sociaux, dans la mesure où ils ne sont pas ouverts à tout le monde, mais qui peuvent rassembler jusqu'à 200 000 personnes. Ils peuvent porter sur un sujet parfaitement anodin, mais également servir à vendre de la drogue ou à échanger des adresses ou des vidéos d'enfants violés. On y diffuse parfois des informations sur l'apologie du terrorisme comme des vidéos de décapitation, sans qu'aucune modération ne s'applique. On y trouve aussi, bien évidemment, de la propagande antisémite. Ceux qui sont passés à l'acte ont souvent mentionné, lors des enquêtes de police, leur adhésion à ces groupes de messages qui constituent une forme de réseau social sans être catégorisés comme tels, de sorte qu'ils échappent à toute modération et que je ne peux pas intervenir en tant que ministre de l'intérieur.

Il faut prendre en compte l'évolution des technologies dans les usages de la vie quotidienne, car on ne peut pas en rester au temps des écoutes téléphoniques à l'ancienne. Le Parlement doit construire un équilibre entre, d'une part, ce qui relève de la correspondance personnelle et de la liberté d'expression, et, d'autre part, la possibilité pour la police d'intervenir. Le premier lieu de diffusion de l'antisémitisme en France, ce sont les réseaux sociaux.

M. François-Noël Buffet, président. - Pas plus tard que ce matin, la commission mixte paritaire qui s'est réunie pour examiner les dispositions restant en discussion sur la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires s'est heurtée à une difficulté lorsqu'elle a évoqué l'allongement du délai de prescription en cas de diffamation à l'égard des élus, car certains de ses membres ont considéré qu'il ne fallait pas toucher au droit de la presse sans tenir compte de l'évolution de la situation.

M. Jérôme Durain. - Le Gouvernement a pris assez tôt la mesure de la flambée des actes antisémites tout en soulignant de manière plus générale que la montée des actes antireligieux constituait une menace réelle pour notre société. La vague d'antisémitisme n'est pas seulement le problème de la communauté juive, mais celui de la République tout entière. Compte tenu de son importance, il est temps de sonner le tocsin.

Je m'interroge sur l'instrumentalisation qu'ont pu en faire certaines puissances étrangères. Je pense aux croix gammées dessinées sur les murs de Paris par des petites mains salariées d'un commanditaire moldave. Cette affaire a contribué à relativiser la menace et à décrédibiliser certains médias. Des collègues députés ont déposé une proposition de loi pour prévenir les ingérences étrangères en France. Le texte est soutenu par la très compétente délégation parlementaire au renseignement. Où en est le Gouvernement sur ce sujet ?

M. François Bonhomme. - Votre présentation chiffrée et vos statistiques sont irréfutables. Toutefois, on ne peut pas en rester là, car depuis vingt ans, la France connaît une augmentation caractérisée des actes antisémites. Le livre intitulé Les territoires perdus de la République est déjà ancien et le chercheur Bernard Rougier a transformé l'expression en " territoires conquis par l'islamisme ". Les épisodes dramatiques ont été nombreux depuis l'assassinat d'Ilan Halimi en 2006. Un rapport des inspecteurs de l'éducation nationale a montré que l'enseignement de la Shoah était devenu impossible dans certains établissements au point que les professeurs traitent désormais l'histoire du nazisme sans parler des juifs. Il a fallu attendre des semaines pour que le meurtre de Mireille Knoll soit requalifié en acte antisémite. Il semble qu'il y ait une peur de qualifier et de nommer les choses. Parfois, on brouille même le message en disant qu'il s'agit d'un retour aux années 1930. Or je ne vois pas dans tous ces actes une quelconque nostalgie du troisième Reich. Le danger vient plutôt de la montée d'un certain communautarisme musulman.

Les actes antireligieux n'ont pas tous le même sens. Pouvez-vous nous livrer une analyse claire sur ce sujet ? En effet, dans l'hommage national qu'il a rendu le 7 février dernier aux victimes du Hamas, le Président de la République n'a pas eu des propos clairs. Jamais il n'a prononcé les mots de " terrorisme islamiste ". Or, toute la société est gangrenée.

Les mesures que vous avez évoquées ont leur intérêt, mais aussi leurs limites. Elles ne traduisent pas l'ampleur du danger qui menace. Il faut un discours clair de la part des pouvoirs publics et il importe que l'État soutienne l'enseignement qui doit être donné aux jeunes générations, car elles sont loin d'être rompues aux réflexes à avoir contre l'antisémitisme.

Monsieur le ministre, quelle est votre analyse des causes de l'antisémitisme en France ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Les actes antisémites prennent aujourd'hui la forme d'un phénomène violent, mais cela fait des années que l'on a mis le sujet sous le tapis. Les actes antireligieux sont tous à condamner, mais l'antisémitisme est d'une gravité particulière.

Vous nous avez donné une carte des lieux que vous sécurisez. Toutefois, pour une compréhension plus fine du phénomène, il faudrait que vous nous donniez aussi une cartographie des actes commis pour analyser sociologiquement la situation.

À Sarcelles, cela fait longtemps qu'aucun enfant juif ne va plus dans une école publique. Il est insupportable que des générations entières d'adolescents se construisent dans la haine de l'autre. La communauté juive de France est la plus importante d'Europe et il faut en tenir compte. Nous devons avoir une réalité chiffrée de ce qui se passe dans les départements, car les situations diffèrent. La haine de l'autre ne peut pas continuer de diviser le pays.

Enfin, vous avez parlé de fermeture de lieux de culte pour antisémitisme. Ces fermetures sont-elles définitives ou provisoires ?

Mme Colombe Brossel. - Comme membre de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, je ne peux que trouver effrayant le nombre d'actes antisémites commis en milieu scolaire. Les chiffres sont-ils en augmentation depuis les attentats du 7 octobre ? Le ministère de l'éducation nationale a-t-il mis en oeuvre des modalités particulières pour lutter contre ce type d'actes à l'intérieur des établissements scolaires ? Ces chiffres concernent-ils aussi l'université ?

En tant qu'élue parisienne, j'ai constaté que le Mémorial de la Shoah faisait un travail remarquable, notamment en matière d'accompagnement éducatif. Il est financé principalement par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) et par les collectivités territoriales. Je crois qu'il faut l'aider encore plus pour qu'il puisse accompagner davantage les enseignants. C'est un outil précieux pour lutter contre la recrudescence d'actes antisémites.

Mme Françoise Gatel. - On voit bien comment certains États fort malveillants à notre égard manipulent l'opinion publique. Ce sujet est important.

L'" antisémitisme de voisinage " - expression terrible, car elle signifie qu'il est intégré - montre que le rapport à la laïcité a complètement changé. L'histoire de la Seconde Guerre mondiale n'est plus assez bien enseignée. Il reste beaucoup à faire en matière d'éducation. Ainsi, il faudrait enseigner l'histoire des religions à l'école, car c'est aussi l'histoire de civilisations. La laïcité ne doit pas nous interdire d'enseigner ce qui a fait nos sociétés.

Enfin, vous évoquez à juste titre la colonisation des réseaux sociaux. Pensez-vous qu'il faudrait de nouvelles dispositions législatives ? Le président Buffet a rappelé les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtés lors de l'examen de la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires.

Mme Isabelle Florennes. - Je me réjouis de la création de l'observatoire sur les actes antireligieux, qui répond à une recommandation figurant dans notre rapport de 2022. Je me félicite aussi de l'augmentation des crédits du programme K.

Qu'en est-il de la transmission de l'information sur les enquêtes concernant les actes antireligieux aux régions, aux départements et aux cours d'appel, pour que les victimes y aient accès ? Cela fait l'objet d'une demande très forte, en particulier pour les actes antisémites.

Les statistiques concernant ces actes montrent une augmentation importante de ceux qui sont commis par les jeunes. Les relations avec le ministère de l'éducation nationale ont-elles évolué sur ce sujet ? La mise en oeuvre des dispositifs qui existent nous a toujours semblé compliquée.

Mme Nathalie Goulet. - Je suis fille et petite-fille de déportés juifs de France. Je remercie le ministre pour son action en faveur de la protection des lieux de culte. Il y a une forme d'incrédulité à penser qu'en 2024 il faille encore enlever une mezouza ou changer son nom pour commander un Uber quand on a un nom juif.

Il faudrait affiner les statistiques, non seulement au niveau local, mais aussi par nature d'infraction et en fonction des suites judiciaires. Le dernier travail complet en ce sens date de l'époque lors de laquelle Dominique Perben était garde des sceaux.

M. André Reichardt. - Je m'inscris dans la suite des observations de Nathalie  Goulet et de Jacqueline Eustache-Brinio. De quels chiffres disposez-vous concernant les actes antisémites en Alsace, qui est une région où la communauté juive est importante et où la loi de 1905 ne s'applique pas. Le dialogue intercultuel est très développé en Alsace. Cela a-t-il une incidence ?

M. Laurent Lafon. - L'année 2024 est celle des jeux Olympiques. Vos services pourront-ils à la fois assurer la sécurité des jeux et celle des différents lieux de culte ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Monsieur Durain, vous avez évoqué l'affaire des tags antisémites, ces étoiles de David peintes en bleu par deux équipes de Moldaves, manifestement embauchées par un proxy étranger, sans doute russe - l'enquête le dira. Ces faits de manipulation ont été réalisés par des personnes arrivées quarante-huit heures avant sur le territoire national, et expulsées ou reparties quarante-huit heures après. Cette ingérence étrangère visant la confusion, voire la désinformation, a créé un halo de suspicion généralisée.

Ces ingérences étrangères sont très importantes, physiquement, mais aussi dans le champ informationnel. C'est du ressort du ministère de l'intérieur, puisque la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a pour première mission la contre-ingérence.

Ces ingérences proviennent de nombreux pays. Certaines pourraient être qualifiées de soft : une influence respectable, comme les Français en exercent sans doute à l'étranger. Encore faut-il les connaître. Je plaide, avec la DGSI, pour une " Haute Autorité pour la transparence de la vie publique des ingérences ". On peut avoir des affinités, des liens, peut-être même des financements d'un État étranger, mais il faut que ce soit connu, pour savoir distinguer la conviction personnelle et l'influence. Les ingérences soft ne sont pas à interdire, mais à connaître.

D'autres ingérences sont plus agressives. La plus caractéristique est l'espionnage, qui n'existe pas que dans les films ou les bandes dessinées. J'ai à connaître des affaires d'espionnage extrêmement organisées, planifiées, financées, qu'il s'agisse d'espionnage économique, industriel ou politique. Nos amis américains ont été eux-mêmes touchés très récemment par une attaque cyber.

Enfin, il existe des ingérences entre le soft et l'espionnage, d'information, de propagande, de diffusion, comme l'affaire évoquée par Jérôme Durain. Elle était même un peu grossière, même s'il a fallu quarante-huit heures pour s'en apercevoir, avec des personnes payées en liquide par d'autres qui venaient d'arriver, et que l'on a assez vite retrouvées. Ces ingérences existent, sont de plus en plus importantes, et il faut s'en prémunir.

Le président Laurent Lafon a parlé des jeux Olympiques. La première menace est russe, incontestablement, mais il y en a d'autres. La Russie est notre principale ennemie sur ces questions d'ingérence et de guerre informationnelle, mais elle n'est pas seule. D'autres puissances, asiatiques, font aussi ce genre de travail. Je suis personnellement favorable à tout ce qui permet au ministère de l'intérieur d'accomplir ses missions, de lutter contre ces ingérences et de mieux les punir. Il s'agit d'une forme d'espionnage 2.0 ou 3.0 qu'il nous faut combattre, car le pire est de ne pas connaître l'origine des attaques que nous subissons sur notre sol.

Monsieur Bonhomme, vous ne vous satisfaites pas de mes propos et critiquez l'action du Président de la République. Je n'ai pas entendu la même chose que vous dans son discours. Je ne comprends pas votre cohérence. Vous m'avez posé une question très agressive sur l'accueil des juifs au sein de l'Élysée. Je vous ai expliqué que c'était justement parce qu'ils subissaient une agression particulièrement ignoble depuis le 7 octobre que le Président avait accueilli le grand rabbin, pour recevoir de lui un prix européen. Monsieur Bonhomme, c'est un peu bizarre d'avoir deux salles, deux ambiances. Vous connaissez le contexte extrêmement violent d'augmentation des actes antisémites. La France est le seul pays à tenir ce genre de cérémonie dans des circonstances absolument terribles pour nos compatriotes juifs. Personne n'a protégé sa communauté nationale comme nous. Aucun pays n'a interdit les manifestations pro-Hamas que nous avons eu à subir. Et si nous n'avons pas connu de drame alors que la tension était - et reste - très forte, c'est aussi parce que le Président de la République a pris des mesures extrêmement courageuses.

Malheureusement, en France, l'antisémitisme est très ancien. Il est nourri de plusieurs influences. L'antisémitisme d'ultra-droite, ou venu du fascisme, est aujourd'hui complété par celui de l'islam radical, incontestablement. Sur les 47 décrets de dissolution d'association pour motif d'antisémitisme, la moitié des structures provient de l'ultra-droite, l'autre moitié de l'islamisme, et une a été qualifiée de complotiste.

Il est évident qu'un islam radical porte un discours antisémite, ou antisioniste - c'est pour moi la même chose - très nourri, notamment dans les quartiers que vous évoquez - dont je ne pense pas qu'ils soient perdus pour la République. Avec Jacqueline Eustache-Brinio, constatons qu'une forme d'islam radical, militant, politique, attaque les juifs intuitu personae, parce qu'ils sont juifs. Je rappelle que le sinistre imam Mahjoubi a été expulsé aussi parce qu'il tenait des propos antisémites.

Qu'est-ce qui relève du séparatisme de l'islam radical et qu'est-ce qui relève de l'ultra-droite ? La proportion est aujourd'hui plus importante pour le premier, incontestablement. Je tiens la liste de toutes ces structures dissoutes à la disposition du président de la commission des lois. Je regrette de ne pas toujours être suivi par la justice administrative, par exemple concernant le collectif Palestine vaincra.

On a tendance à demander au ministre de l'intérieur pourquoi des gamins de 13 ans donnent des coups de couteaux à des gamins de 14 ans, pourquoi les gens deviennent antisémites, et pourquoi il y a des attentats terroristes. Il me semble qu'il y a d'autres explications que l'action des services de police et de gendarmerie. Je me sens comme un urgentiste. Si quelqu'un, dans cette salle, a un accident vasculaire cérébral (AVC), qu'il a une surcharge pondérale, qu'il fume depuis quarante ans, qu'il boit beaucoup, ne dort pas, est stressé, vous appellerez le Samu, qui mettra plus ou moins de temps pour venir. Mais si le Samu ne le sauve pas, ce ne sera pas sa faute. Ce sera parce que cette personne a bu, mangé gras, pas dormi, été stressée depuis 40 ans. Le ministre de l'intérieur, les policiers et les gendarmes sont le Samu. Il est dur de leur dire qu'ils sont responsables des chiffres de la délinquance.

On connaît tous les causes : une mauvaise éducation, une mauvaise autorité parentale, une immigration pas toujours contrôlée, un urbanisme délirant, des excuses sociales, des politiques qui n'ont pas pris leurs responsabilités... L'imam Iquioussen professait depuis quarante ans sur le sol de la République, et pas un gouvernement ne l'a expulsé. M. Mahjoubi a eu onze enfants sur le territoire national - il ne les a pas tous eus depuis que je suis ministre de l'intérieur ! Barakacity, que j'ai fait fermer trois mois après ma nomination, récupérait depuis quinze ans de l'argent et finançait des associations totalement islamisées au sens politique du terme. On pourrait multiplier les exemples.

Malheureusement, beaucoup de causes ont mené à cet antisémitisme d'atmosphère : il est dû à des éléments culturels, historiques, géopolitiques, et à l'islam radical, parfois utilisé par des États étrangers. La complaisance que nous avons tous eue vis-à-vis des Frères musulmans est coupable. Je le dis depuis trois ans. C'est une bonne chose que nous ayons désormais des alliés, comme l'Arabie saoudite, qui les combattent.

Jacqueline Eustache-Brinio a posé une question sur la durée de fermeture des lieux de culte. J'ose vous dire que l'un de mes amendements lors de la discussion du projet de loi confortant les principes de la République portait cette durée à dix-huit mois et que le Sénat, dans sa grande sagesse, a préféré six mois. Pour être honnête, mon amendement n'aurait peut-être pas été validé par le Conseil constitutionnel, la liberté de culte étant garantie par notre Constitution. En vérité, cette durée de trois ou six mois ne me gêne pas, d'abord parce qu'elle est renouvelable, et que la justice a toujours validé mes décisions en ce sens ; ensuite, parce que ce ne sont pas les murs, mais les personnes, qui sont antisémites. Lorsque nous fermons le lieu de culte, c'est pour faire le ménage au sein de l'association. Cela fonctionne très bien. Dans le cas très précis d'une mosquée en banlieue parisienne, j'ai même anticipé la réouverture, car l'association a pris des décisions telles que se séparer de l'imam, mettre fin à des financements et changer de président.

Bien sûr, le ministre de l'intérieur est toujours preneur de moyens larges de police administrative, mais au fond, les dispositions actuelles sont satisfaisantes. Six mesures de fermeture ont été prises sous l'état d'urgence par mes prédécesseurs et dix-huit sans l'état d'urgence, grâce à la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (Silt) de 2017 puis la loi confortant le respect des principes de la République.

La salle de prière de Hautmont est désormais débarrassée de ses vilains canards - vous avez vu que le courageux maire a gagné son procès. La mosquée de Beauvais, que j'avais pris la décision de fermer en 2021, est rentrée dans un chemin plus droit. À la mosquée de Pantin, les choses ont beaucoup changé.

Il est important de souligner que le renouvellement de la durée de fermeture, sous le contrôle du juge, permet au ministre de l'intérieur de faire son travail.

Je fournirai l'intégralité des données géographiques à la commission des lois. C'est singulièrement Paris qui a connu le plus d'actes antisémites. Cela paraît contre-intuitif, car ce n'est pas à Paris que se situent les quartiers les plus perdus de la République, mais c'est là que l'on dénombre le plus de lieux de la communauté juive. La région d'Île-de-France a été le site de 43% des actes antisémites, celle d'Auvergne-Rhône-Alpes de 11%, et la région Sud-Provence-Alpes-Côte-d'Azur de 11% également. Pour ce qui est des départements, Paris a connu 268 faits ; le Rhône, 86 faits ; les Bouches-du-Rhône, 83 faits ; et le Val-d'Oise, 73 faits. L'observatoire du bureau central des cultes pourra fournir, la prochaine fois, davantage d'éléments.

Je n'ai pas de chiffres concernant l'école et l'université. Le ministère de l'intérieur compte les faits lorsqu'ils sont signalés par le ministère de l'éducation nationale. Le sont-ils tous ? Je ne saurai le dire. On a fait beaucoup d'efforts, avec l'éducation nationale, au lendemain de l'assassinat de Samuel Paty. Nous avons plus de difficultés avec l'université, mais aussi avec des entreprises, parfois publiques, qui accueillent des salles de prière indues ou connaissent des actes antisémites. Parfois, je ne reçois pas de réponse de leur part.

À l'université, la lutte antisioniste peut correspondre à une forme d'antisémitisme militant. Je regrette que le président de l'université, dans ce cas, empêche la venue des policiers sur son campus. Mais il y a aussi beaucoup de lâcheté de la part d'entreprises privées et publiques.

L'éducation nationale a mis en place un outil de remontée des signalements depuis le 7 octobre. Elle a également travaillé à un observatoire des actes antireligieux, antisémites, racistes et xénophobes.

La tendance, en 2024, semble plutôt à la décrue des actes antireligieux, mais celle-ci est relative ; les chiffres restant hauts.

En matière d'islam radical, les choses se sont beaucoup améliorées. Depuis mon arrivée au ministère, d'une centaine de lieux de culte radicalisés porteurs de propos antisémites ou anti-Français, sur les 2 600 mosquées de France, on est passé à 35. Mais pour celui qui me succèdera comme ministre de l'intérieur, le problème ne sera pas tant le lieu de culte que le réseau social, et l'imam Google ou l'imam TikTok radicalisé.

Je veux aussi dire que nos amis musulmans subissent beaucoup d'actes à leur encontre, peut-être encore trop méconnus. Nos compatriotes juifs sont protégés par la République, ce qui nous fournit informations et preuves. Le SPCJ effectue également un très gros travail. Et je pense que nous constaterons un continent caché d'actes antimusulmans souvent venus de l'ultra-droite. Il faut combattre ces actes de la même manière.

J'en viens aux jeux Olympiques : nous avons décru notre posture de protection des lieux, à la demande de la communauté juive elle-même. Il n'est pas toujours très efficace de placer des policiers devant un bâtiment, d'abord parce qu'ils deviennent une cible, mais aussi parce qu'ils peuvent attirer l'attention sur un lieu discret. Et puis cela ne fait plaisir à personne de voir des policiers surarmés devant son lieu de culte. Bien sûr, on protège toujours constamment certains lieux, tels que la synagogue de la Victoire à Paris.

Nous sommes passés à des patrouilles dynamiques. C'est ce qui sera mis en place pour les jeux Olympiques. Cela dépendra, bien sûr, d'éventuels attentats, menaces et événements géopolitiques. Indépendamment de l'énorme mobilisation des policiers et des gendarmes, nous avons prévu des policiers et des gendarmes de réserve, pour faire face à des événements extraordinaires tels qu'une crise migratoire, des feux de forêt ou un événement géopolitique qui nous pousse à protéger davantage la communauté juive. Je remercie les policiers et gendarmes très mobilisés, eux-mêmes parfois victimes d'attaques.

Madame Goulet, nous vous fournirons des chiffres, et surtout l'observatoire préparera des données plus explicites la prochaine fois.

M. François-Noël Buffet, président. - Merci, monsieur le ministre, de votre participation.


Source https://www.senat.fr, le 12 mars 2024