Interview de M. Franck Riester, ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger, à BFM Business le 18 mars 2024, sur la réélection en Russie de Vladimir Poutine et l'accord de libre-échange CETA avec le Canada.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Franck Riester - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité, de la francophonie et des Français de l'étranger ;
  • Christophe Jakubyszyn - Journaliste

Média : BFM Business

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Notre invité à 07h19, c'est Franck RIESTER, ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l'Attractivité. Bonjour Franck RIESTER.

FRANCK RIESTER
Bonjour.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On va évidemment parler de ce traité CETA, qui arrive au Sénat jeudi et qui pourrait avoir un barrage de la part des communistes et des LR. C'est nouveau, mais c'est comme ça. On va d'abord dire un mot sur la Russie, la réélection, bien évidemment, de Vladimir POUTINE, 87%, un discours aussi, assez martial, qui a suivi sa réélection. Est-ce que c'est inquiétant cette réélection de Vladimir POUTINE, jusqu'en 2030, peut être 2036 s'il se fait ensuite réélire ?

FRANCK RIESTER
Bon, ce n'est pas une grande surprise. Ces élections étaient, ni pluralistes, ni libres, c'est très révélateur d'ailleurs du fonctionnement de monsieur POUTINE. On est dans le cadre, d'ailleurs, d'un régime autoritaire, avec la présence de policiers ou de militaires, à peu près dans tous les bureaux de vote, la répression des oppositions, l'élimination des opposants. Voilà. Et ça montre à quel point on est différents du régime russe aujourd'hui, nous, les grandes démocraties occidentales ou européennes. Et donc…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Main tendue, quand même, là, de Vladimir POUTINE dans son discours cette nuit, il reprend à la volée la proposition d'Emmanuel MACRON d'avoir une trêve olympique. Est-ce que ça, vous considérez que c'est une bonne nouvelle ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, je me méfie beaucoup de ce que peut dire Vladimir POUTINE. Attendons de voir comment les choses évoluent. En tout état de cause, il ne faut pas que ce qui se passe en Ukraine, et que les dires de Vladimir POUTINE, perturbent les Jeux olympique, qui doivent être une grande fête du sport à Paris cet été.

LAURE CLOSIER
Il y a un lien entre la Russie et cet accord de libre-échange CETA avec le Canada, qui doit être voté au Sénat jeudi, qui est déjà partiellement en cours, en vigueur, puisqu'il y a déjà des échanges commerciaux, c'est que l'on peut acheter au Canada ce qu'on ne peut plus acheter à la Russie, notamment du pétrole et certains matériaux. C'est un de vos arguments, pour notamment défendre cet accord de libre-échange.

FRANCK RIESTER
Oui, effectivement, il y a eu depuis la mise en oeuvre provisoire en 2017 de cet accord, une augmentation très forte de nos échanges, exportations de l'Europe et de la France, en particulier vers le Canada, mais aussi importations plus fortes depuis le Canada, notamment, de ce dont on a besoin pour être indépendant, souverain en matière d'hydrocarbures, de pétrole notamment, en matière de métaux critiques, je pense à l'uranium et je pense au lithium. Et donc cet accord est un bon accord, qui démontre qu'il était un bon accord sur le papier, et c'est pour cela que nous l'avions soutenu dans la négociation qui avait été menée par François HOLLANDE à l'époque et Matthias FEKL, qui était socialiste, on l'avait soutenu, on soutient, on l'a soutenu au moment du vote à l'Assemblée nationale, puisque ce projet de loi de ratification du CETA a déjà été mis à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, a été voté à l'Assemblée nationale, mais maintenant on le soutient encore plus, si je puis dire, parce qu'au-delà de ce qu'il y a dans l'accord lui-même, sur le papier, on a vu les résultats et qui sont bons : plus d'exportations, plus d'importations…

LAURE CLOSIER
+ 33%.

FRANCK RIESTER
... et une capacité à prendre en compte ce que défend le président la République depuis longtemps, c'est-à-dire la nécessité de bâtir une autonomie stratégique en diversifiant nos approvisionnements, en étant moins dépendants des Russes, notamment, et en retrouvant avec le Canada, un fournisseur en matières premières, beaucoup plus fiable, puisque c'est une grande démocratie amie, avec qui on partage un grand nombre de combats sur la démocratie, les libertés, les droits de l'homme, le développement durable. Et c'est évidemment aussi un grand pays francophone.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, la question évidemment qui fâche : est-ce que c'est bon pour nous, agriculteurs ? Parce que c'est ça qui fait que peut être notamment les LR, une partie d'entre eux, vont voter avec les socialistes et les communistes, contre la ratification du traité. Est-ce que c'est qu'on sacrifie l'agriculture pour peut-être l'uranium et le GNL ?

FRANCK RIESTER
Alors, c'est un mauvais coup pour notre économie, pour notre souveraineté et pour notre agriculture. Et c'est hallucinant, entre nous, de ne pas le ratifier. C'est hallucinant entre nous, que la droite, les sénateurs de droite, alors beaucoup sont mal à l'aise, et je ne renonce pas de les convaincre de voter le texte jeudi. C'est fou, sidérant que les sénateurs de droite s'allient avec les communistes sur un sujet économique et commercial, et reprennent une partie de leurs argumentaires. Et ça me sidère. Et donc oui, c'est bon aussi pour notre agriculture. C'est bon parce que nos producteurs exportent et ont vu leurs exportations bondir depuis la mise en oeuvre de cet accord. Pourquoi ? Eh bien parce qu'il y a une baisse très forte des droits tarifaires, c'est-à-dire des tarifs douaniers. Le fromage, + 60% d'exportations. Pour deux raisons : baisse des tarifs douaniers, on est passé de 220% à zéro taxe douanière…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et protection des appellations d'origine contrôlée.

FRANCK RIESTER
Et protection des appellations d'origine protégée.

LAURE CLOSIER
Mais c'est quoi la différence entre un bon accord de libre-échange et un mauvais accord de libre -échange ?

FRANCK RIESTER
Mais, regardez : le Cantal, le Reblochon, le Brie de Meaux, que je connais bien puisque je suis élu de Seine-et-Marne, sont protégés, et bien d'autres, 42 appellations d'origine protégée sont protégées au Canada. Et donc on ne peut plus vendre des copies de Roquefort ou de Cantal au Canada, ce qui permet à nos produits et à nos producteurs, et à nos producteurs de lait, de pouvoir exporter au Canada d'une façon très importante.

LAURE CLOSIER
Rien à voir avec l'accord du Mercosur, dans son détail, sur le fond, c'est la différence entre un bon accord et un mauvais accord.

FRANCK RIESTER
Oui, on ne dit pas, on ne s'excite pas sur notre siège en disant « libre échange, libre échange, libre échange ». Libre échange est une bonne chose à partir du moment où c'est encadré et où ce sont des, en ce qui concerne les accords de libre-échange, les accords commerciaux, de bons accords. L'accord avec le CETA est un bon accord. On a vu que, on voit que la mise en oeuvre provisoire est positive à tout point de vue. En revanche, il y a des accords qu'on ne soutient pas et qu'on continuera à ne pas soutenir et à s'opposer, c'est par exemple le Mercosur où là…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais pourquoi vous ne soutenez pas ?

FRANCK RIESTER
Parce qu'il y a un certain nombre de dispositions dans le Mercosur qui sont beaucoup moins bonnes pour notre pays, notamment la mise en oeuvre de quotas d'importation de produits agricoles à un niveau bien trop élevé. Il n'y a pas du tout la même ambition en matière de développement durable qu'il y a dans le CETA, et on voit bien que, de ce point de vue-là, on ne peut pas l'accepter. En revanche, le CETA, c'est très positif, et d'ailleurs à tel point que même les filières sensibles pour lesquelles on a une attention toute particulière, je pense à la volaille, je pense au porc, je pense bien sûr au boeuf, sont aussi protégées avec le CETA, et d'ailleurs il n'y a pas d'exportation du Canada vers la France et vers l'Europe. Pourquoi ? Parce qu'il y a justement ces fameuses, vous savez, mesures miroirs, qui permettent d'imposer à nos compétiteurs, à nos concurrents des pays tiers, d'avoir les mêmes normes de production que nos propres producteurs.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Notamment sanitaires.

FRANCK RIESTER
Notamment sanitaires et environnementales.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
... d'hormones, par exemple, dans la viande de boeuf.

FRANCK RIESTER
Exactement. Eh bien justement, là il y a une mesure miroir qui est en oeuvre depuis maintenant plusieurs années en Europe, qui impose à tous nos exportateurs de pays tiers, qui exportent vers le marché unique européen, de ne pas utiliser d'hormones comme facteur de croissance pour l'élevage de bovins par exemple. Et c'est donc pour cela que le Canada, qui utilise pour un certain nombre d'élevages, les hormones, ne peut pas exporter vers la France et vers l'Europe. Et donc on a aujourd'hui des exportations en provenance du Canada qui sont infimes. C'est 0,0034% du marché français qui est importé depuis le Canada. Donc, vous voyez, on a un accord qui nous permet d'être plus souverains par rapport à la Russie, qui nous permettent d'augmenter nos exportations de biens textiles, cosmétiques, pharmaceutiques, et bien d'autres, vers le Canada, qui protègent une partie de notre identité que sont les AOP, qui nous permet d'exporter des vins et spiritueux, du fromage, des produits laitiers et agroalimentaires d'une façon exceptionnelle, qui ne met pas en danger nos filières sensibles, et pourtant des sénateurs LR, associés aux communistes, risquent d'envoyer un message ravageur aux Canadiens, grand pays ami, l'année du 80e anniversaire du Débarquement...

LAURE CLOSIER
Il n'y a pas que nous, il y a 10 pays qui n'ont pas ratifié. Il n'y a pas que la France chez qui ça pose problème.

FRANCK RIESTER
Attendez, une grande partie des pays l'ont ratifié. Il y a encore un certain nombre de pays qui sont en cours de ratification. Et…

LAURE CLOSIER
Si ce n'est pas ratifié, qu'est-ce qui se passe ?

FRANCK RIESTER
J'espère que d'ici à jeudi, la sagesse, la fameuse sagesse du Sénat, va l'emporter.

LAURE CLOSIER
Ce n'est pas gagné.

FRANCK RIESTER
Mais oui, ce n'est pas gagné, parce que certains LR…

LAURE CLOSIER
Du coup, si ça ne passe pas ?

FRANCK RIESTER
Certains LR utilisent cette ratification comme bouc émissaire aux problèmes agricoles qui existent. Il y a des problèmes agricoles. D'ailleurs c'est pour ça que le Premier ministre, le gouvernement, à la demande du président de la République, sont très mobilisés pour répondre à cette crise agricole. Mais ce n'est, c'est un bouc émissaire que de dire que le CETA n'est pas un bon accord. Et d'autre part, il ne faut pas être naïf, c'est une instrumentalisation en pleine campagne européenne, c'est dire « on va battre MACRON ». Franchement, ce n'est pas au niveau et ce n'est pas au niveau de l'intérêt général, l'intérêt général de nos agriculteurs, et battre... et ne pas voter la ratification du Sénat, c'est faire un mauvais coup aux agriculteurs.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Laure vous demandait : qu'est-ce qui se passe si ce n'est pas ratifié ? Est-ce qu'on arrête et on met fin à l'accord qui s'appliquait depuis 6 ans de manière transitoire ?

FRANCK RIESTER
Alors, ça complique énormément sa ratification. On verra quelles décisions on prend si on n'a pas le vote positif du Sénat. Parce que s'il y a le vote du positif du Sénat, il y a la ratification de cet accord, et c'est ce que j'appelle évidemment de mes voeux. Et s'il n'y a pas un vote positif, on verra quelle stratégie on retient. Mais c'est…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Commission mixte paritaire ?

FRANCK RIESTER
Alors, possiblement, il faut qu'on en discute, il faut qu'on regarde, il faut qu'on voie les positions des uns et des autres. Moi, vous savez, là, en ce moment, je me mobilise pour qu'il y ait le vote positif. Je crois qu'on peut l'obtenir. J'essaie de convaincre aussi les socialistes. Parce que, les socialistes. C'est quand même François HOLLANDE qui l'a soutenu, qui l'a négocié avec Matthias FEKL, qui était ministre du Commerce extérieur, qui était un très bon ministre du Commerce extérieur, et qui ont expliqué à ce moment-là que c'était un très bon accord. Et les faits l'ont prouvé. Donc les socialistes aujourd'hui, je ne comprendrais pas qu'ils ne votent pas le texte.

LAURE CLOSIER
Oui, c'est ça votre boulot aujourd'hui, c'est d'expliquer l'intérêt du Commerce extérieur. Vous allez finir par être ministre du protectionnisme, en fait, au point où ça va…

FRANCK RIESTER
Non, contre le protectionnisme.

LAURE CLOSIER
Eh bien…

FRANCK RIESTER
Contre le protectionnisme. Mais oui, parce que la France est une grande économie exportatrice. On a besoin d'exporter et on voit notre déficit commercial des biens qui nous joue des tours. On a besoin d'exporter davantage, on a besoin de créer des synergies plus fortes avec des pays amis avec qui on va pouvoir créer des chaînes de valeur plus solides, plus résilientes. Et notre agriculture, si on veut qu'elle soit forte dans l'avenir, si on veut assurer notre souveraineté alimentaire, on a besoin que notre agriculture continue d'exporter. C'est le cas avec le Canada. Soutenons cet accord.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Franck RIESTER, vous êtes aussi ministre de l'Attractivité. Ça nous intéresse beaucoup ici. On a vu dans le dans La Tribune, dimanche, le patron du MEDEF, Patrick MARTIN, estimait qu'il y avait un risque de décrochage des investissements des entreprises, notamment parce que dans le budget, dans votre budget, la tentation de Bercy de remettre en question les dispositifs de soutien aux entreprises est déjà là, alors même que notre économie ralentit. Est-ce que dans le tour de vis, il faut faire aussi un tour de vis sur les entreprises ?

FRANCK RIESTER
Ce n'est pas de tour de vis sur les entreprises, c'est de regarder dans tous les dispositifs d'accompagnement, comment on peut dépenser aussi bien, voire mieux, et avec un montant global inférieur. On a besoin d'avoir un équilibre financier. On a besoin de faire en sorte que la France tienne ses engagements qui ont été pris devant l'Europe, de réduction des déficits. Chacun doit faire un effort. Les entreprises, aujourd'hui sont aidées. Il y a eu des dispositifs d'accompagnement pendant le Covid. Face à l'inflation, aujourd'hui, il faut que les dispositifs d'accompagnement soient les plus utiles possibles. Regardons avec les chefs d'entreprise quels sont les dispositifs, comment on peut les améliorer et comment ils peuvent coûter un peu moins cher. Mais vous savez, on a un agenda pro-business depuis 2017, à la demande du président de la République, c'est moins d'impôts pour les entreprises, c'est plus de simplicité. Vous avez vu qu'il allait y avoir une nouvelle accélération dans la simplification des normes avec plusieurs textes à l'Assemblée nationale et au Sénat. Moi-même, je prépare un plan spécifique dans ce cadre-là pour les exportateurs, pour simplifier, dématérialiser les démarches. Nous allons continuer aussi à innover, à accompagner l'innovation des entreprises, pour que la France reste, comme elle l'est depuis quatre ans, le premier pays en termes d'attractivité en Europe, avec le plus grand nombre d'investissements étrangers sur son sol, devant la Grande-Bretagne et devant l'Allemagne.

LAURE CLOSIER
Il vous reste trois jours pour convaincre sur le CETA. Franck RIESTER, merci d'être venus nous voir ce matin dans " Good morning Business ".

FRANCK RIESTER
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 mars 2024