Texte intégral
Monsieur le Premier ministre, Cher Gabriel,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Directeurs d'administrations centrales,
Mesdames et Messieurs,
Je veux d'abord vous remercier, cher Gabriel, de nous faire l'honneur de votre présence ici à Bercy pour évoquer les résultats du plan que vous avez initié il y a moins d'un an et qui constitue, aujourd'hui, l'une de mes priorités.
Le plan fraude comporte 36 chantiers. Il est piloté par le Ministère chargé des Comptes publics mais mobilise plus largement l'ensemble des services concernés par la fraude, DGFiP, DGDDI, URSSAF, les caisses nationales de sécurité sociale, Tracfin, la MICAF, le SEJF, la DNRED, et au final tous les ministères et opérateurs.
Ce plan, nous le suivons de près et nous pouvons dresser le bilan suivant :
- Sur 20 dispositions législatives, 14 ont été déjà adoptées (70%), notamment dans le cadre des textes financiers de fin d'année ;
- Sur 16 dispositions réglementaires, 7 ont été prises ; 5 autres textes font actuellement l'objet des consultations obligatoires et devraient donc être publiés prochainement ; Le travail se poursuit.
- Pour les 14 mesures qui ne nécessitaient pas d'évolution du cadre juridique, la moitié est déjà en cours de mise en oeuvre (7)
Au-delà de ce bilan global, je voudrais revenir en particulier sur trois apports essentiels de ce plan : traquer la fraude aux aides publiques, traquer la fraude à l'ère du numérique, traquer la fraude à la source.
Le premier apport, c'est le renforcement de la lutte contre la fraude aux aides publiques.
Les aides publiques, c'est la nouvelle frontière en matière de fraude et c'est aussi, bien sûr, un enjeu en matière de finances publiques.
Les aides que nous versons sont massives avec, par exemple, les aides à la rénovation énergétique de l'ANAH, qui représentent 3,5 Md€ en 2024, le CPF, pour plus de 2 Md€, les primes aux apprentis, pour près de 4 Md€, les aides à l'acquisition de véhicules propres, pour 1,5 Md€. C'est parce que nous versons beaucoup d'aides que nous devons être particulièrement vigilants face à des risques de fraudes de plus en plus sophistiquées.
Je vous donne un exemple : sur le CPF, après plusieurs signalements émis par des organismes bancaires, Tracfin a mené des investigations sur cinq organismes de formation ayant bénéficié de près de neuf millions d'euros reçus de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Des critères de suspicion tels que la dispense de formation exclusivement à distance, des anomalies présentes sur les sites Internet des organismes, le nombre important de stagiaires et la présence de faux documents conduisaient à des soupçons en matière de fraude.
Un travail d'enquête significatif a permis d'identifier un réseau de blanchiment. Tracfin a alors établi que ce réseau, également utilisé par d'autres sociétés européennes, avait reçu plus de 210 millions d'euros en deux ans. Des transmissions ont ainsi pu être faites au parquet de Bobigny, à la DGCCRF et à la CDC.
Il n'est pas concevable que l'argent des contribuables soit détourné au profit de ceux qui n'y ont pas le droit.
C'est pourquoi nous avons renforcé les mesures pour lutter contre les détournements des aides. Le plan fraude a déjà permis la mise en place de plusieurs outils.
1) Parmi eux, la création d'une cellule interministérielle de veille et d'analyse des risques de fraude aux aides publiques, qui réunit les services de tous les ministères pour qu'ils échangent sur les schémas de fraude identifiés et s'organisent pour y répondre. Elle a fait ses preuves notamment pour identifier ceux qui détournent l'argent de MaPrimeRénov'. Les informations relatives à près de 800 mandataires potentiellement frauduleux identifiés par l'ANAH ont ainsi pu être partagées et ont donné lieu à des contrôles toujours en cours.
2) Par ailleurs, la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) a récemment permis de recouper les alertes et de structurer une réponse pour des fraudes au Fonds territorial d'accessibilité (FTA) ou aux aides aux employeurs d'alternants (une quinzaine de M€ en jeu a minima).
Il s'agit d'outiller par ce biais des services de l'Etat qui n'étaient pas habitués à gérer ces risques de fraude : identifier des entreprises " coquilles vides ", faire des signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénal et les orienter vers les bonnes juridictions mais aussi nouer la relation avec les magistrats chargés de la lutte contre la criminalité organisée.
Au niveau local, les Comités opérationnels départementaux anti-fraudes permettent de recouper les informations et de transmettre les éléments à la justice.
À titre d'exemple, un salon de coiffure a pu déclarer 70 contrats d'apprentissage pour un préjudice de 100 000 €, alors que la loi prévoit un maximum de deux apprentis par maître d'apprentissage. Grâce au CODAF, la justice a été saisie.
3) Lutter contre la fraude, ce n'est pas seulement saisir la justice, c'est aussi permettre à l'administration de sanctionner. Dans la loi de finances 2024, une sanction administrative a été créée en cas de fraude aux aides publiques. Les fraudes au bonus écologique ou au bonus vélo sont désormais sanctionnables directement par l'administration alors qu'elle devait auparavant saisir la justice. Toutes les administrations peuvent sanctionner les fraudeurs en demandant de restituer l'aide, en appliquant une majoration entre 40 et 80% du montant de l'aide.
4) Toujours concernant les aides publiques, le plan fraude a acté la transformation du service d'enquête judiciaire et fiscal (SEJF) en Office national anti-fraude. C'est notre bras armé en matière d'enquête et de poursuite judiciaires et nous pourrons dès mai prochain le mobiliser en matière de fraudes sociales et de fraudes aux aides publiques.
Le nombre d'officiers judiciaires sera doublé d'ici l'année prochaine [passant de 40 à 80 agents]. Le SEJF, c'est le service qui a récemment été mis à l'honneur par la série d'argent et de sang. J'irai d'ailleurs à leur rencontre demain à Ivry. Nous avons complété le plan fraude en étendant le champ d'autoliquidation de la TVA aux nouveaux certificats de garantie qui ont été créés ces dernières années en matière énergétique pour éviter les carrousels de TVA auxquels nous avons été confrontés avec les quotas carbone.
Le deuxième apport, ce sont des outils pour traquer la fraude à l'ère du numérique.
1) Au fil des innovations technologiques, la fraude évolue et nos méthodes aussi.
Cela passe par une mobilisation accrue des outils numériques et par un renforcement des outils juridiques pour croiser les données et faire face à des montages de plus en plus sophistiqués. J'ai pu le constater directement à Lille lors de mon déplacement à l'URSSAF la semaine dernière, où les inspecteurs utilisent le logiciel de datamining faisant masse des données pour cibler leurs contrôles.
Nous avons également pérennisé et étendu, le webscrapping, c'est-à-dire l'utilisation de données sur les réseaux sociaux, ce qui nous permet notamment de contrôler l'exercice d'activités occultes non déclarées. Un exemple : une entreprise qui ne déclare aucun revenu alors même qu'elle propose des dizaines d'annonces de voitures de luxe sur un site d'annonces en ligne.
La DGFiP est désormais habilitée à mener des enquêtes sous pseudonyme à travers le déploiement de cyber enquêteurs. Ce sont près de 800 agents qui pourront faire des cyber enquêtes auxquels s'ajouteront une cinquantaine d'agents qui pourront agir sous pseudonyme avec les fraudeurs sur internet comme à la Douane.
Plus largement, nous devons continuer à explorer tous les potentiels de l'IA au service de la lutte contre la fraude. Nos services l'utilisent déjà et grâce à elle, ce sont 140 000 piscines qui ont été détectées et qui permettront à nos collectivités de récolter 40M€ au titre de la taxe foncière. Nous allons désormais, par exemple, utiliser cet outil pour identifier tous les bâtiments non déclarés.
Les services s'adaptent également aux nouvelles fraudes à l'ère du numérique. Alors que les cryptomonnaies et leur utilisation à des fins de fraudes et blanchiment ne cessent de s'étendre, nous formons nos agents des services d'enquêtes et de renseignements pour prévenir ces actes qui financent souvent le grand banditisme et le terrorisme et utilisons de nouveaux outils de blockchain pour les identifier.
En ce qui concerne les ventes en ligne, qui là aussi gagnent du terrain, nous responsabilisons les plateformes avec l'injonction numérique. Concrètement, un vendeur qui ne respecte pas ses obligations fiscales sera retiré de la plateforme. La Douane pourra se saisir de ce nouveau dispositif dès les prochains mois. Toujours sur la question de la vente en ligne, le drop shipping est désormais soumis à une taxation effective en matière de TVA.
Le numérique, c'est aussi l'émergence de nouvelles formes de travail, notamment sur les plateformes et nous avons en particulier mis en place le précompte des cotisations sociales des micro-entrepreneurs qui permettra à la fois de lutter contre la sous déclaration et de conforter leurs droits sociaux.
Le dernier apport sur lequel je souhaite insister, ce sont des outils pour tarir la fraude à la source.
Pour lutter contre la fraude, il faut agir vite. Trop souvent nous détectons de la fraude mais nous n'arrêtons pas suffisamment vite le versement des aides.
Lutter contre la fraude à la source, c'est identifier le plus en amont possible les fraudes, en évitant que les sommes soient détournées, et c'est aussi dissuader par la sanction.
1) Les organismes sociaux ont désormais un accès automatisé au fichier des comptes bancaires pour identifier ceux qui sont frauduleux.
2) Par ailleurs, une base interministérielle de RIB frauduleux est mise en place et sera effective d'ici 2025 dans le champ social et d'ici 2027 pour tous les organismes qui versent des aides publiques.
3) Nous sanctionnons aussi ceux qui mettent à disposition des schémas frauduleux en matière fiscale, ceux qui aident à frauder sont des fraudeurs comme les autres. Nous avons également créé le délit d'incitation à la fraude sociale.
Ainsi, ceux qui promeuvent la fraude risqueront 2 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. L'apologie de la fraude n'a pas sa place sur les réseaux sociaux et j'ai signé hier une instruction pour que toutes les caisses de sécurité sociale se saisissent de cette nouvelle disposition.
4) L'enjeu est aussi de parvenir à récupérer l'argent qui est dû à l'Etat français et donc faire payer les fraudeurs. Pour faire payer les fraudeurs, nous luttons contre les sociétés éphémères qui permettent de détourner des montants fraudés qui ne sont jamais récupérés, ces entreprises qui utilisent leur insolvabilité et passent entre les mailles du filet.
5) Il faut aller plus loin, et pouvoir suspendre le versement d'aides publiques sur signalement de Tracfin en cas de suspicion de fraude : il faudra une disposition législative, je suis résolu à la porter.
Ce plan ne serait rien sans les agents qui sont en première ligne face à la fraude et qui se battent sans relâche sur tous ces fronts et je souhaite saluer leur engagement. Je le redis les agents sont au coeur de ce plan avec un renforcement des effectifs prévu d'ici 2027.
Au total, ce sont 1 500 agents supplémentaires pour le contrôle fiscal dont déjà 250 en 2023 et 350 en 2024 ainsi que 1 000 agents supplémentaires dans les caisses de sécurité sociale d'ici 2027.
Enfin, leur sécurité reste notre priorité dans un contexte où toutes et tous avons en mémoire l'assassinat de Ludovic Montuelle à Arras en 2022 et à la suite duquel nous avons donné la faculté de délocaliser les contrôles fiscaux et renforcé les mesures de protection.
Ce plan va vivre et continuer d'évoluer. Le Conseil d'Evaluation des Fraudes rendra de premières conclusions avant l'été. Ce sera l'occasion de disposer de chiffres actualisés en matière de fraudes à la TVA ou encore de fraude évitée.
En somme la lutte contre la fraude, c'est une guerre de mouvement permanente. Nous devons aller plus vite que les fraudeurs en les traquant partout où ils sont : le plan que vous avez lancé, Cher Gabriel, produit déjà des résultats. Ce plan, nous allons continuer à le faire vivre et à l'enrichir de nouvelles mesures.
Je vous remercie
source https://www.economie.gouv.fr, le 21 mars 2024