Texte intégral
M. Philippe Mouiller, président. - Nous entendons cette après-midi Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles.
J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
Merci, madame la ministre, de venir nous présenter votre feuille de route, au sein d'un ministère dont l'intitulé a pour nous tout son sens. Votre portefeuille ministériel regroupant l'enfance et les familles, comme ce fut déjà le cas par le passé, vous êtes appelée à traiter de nombreux sujets brûlants, à commencer par l'avenir de l'aide sociale à l'enfance (ASE), à laquelle nous avons consacré divers travaux.
L'ASE se trouve dans une situation difficile, liée notamment à la question des mineurs non accompagnés (MNA). Nous sommes, de même, très attentifs à la politique familiale, domaine dans lequel nous avons avant tout besoin de stabilité.
Après votre propos liminaire, Mme la rapporteure générale, puis nos collègues, ne manqueront pas de vous poser un certain nombre de questions.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé et des solidarités, de la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et du garde des sceaux, ministre de la justice, chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles. - C'est un grand honneur pour moi de vous présenter aujourd'hui ma feuille de route.
Notre action s'inscrit dans la continuité des travaux menés par mes prédécesseurs, Adrien Taquet et Charlotte Caubel, et par les deux assemblées du Parlement. Dans mes précédentes fonctions, j'étais d'ailleurs chargée des dossiers relatifs à la jeunesse : la continuité n'en est que plus grande.
J'ajoute que c'est une force de disposer aujourd'hui d'une vision globale, de la conception de l'enfant jusqu'au début de sa vie adulte en passant par l'adolescence.
Dans la continuité des 1 000 premiers jours, nous nous efforcerons de soutenir la parentalité et d'aider toutes les familles. Selon un récent sondage, 80 % des Français considèrent la famille comme ce qu'ils ont de plus précieux : c'est dire l'importance de ces enjeux.
L'arrivée d'un enfant est bien sûr une grande joie, mais elle entraîne aussi un certain nombre de difficultés, auxquelles nous devons répondre : elles seront au coeur de ma mission. Je pense à l'accueil du jeune enfant, soutenu par la stratégie des 1 000 premiers jours, qui est fondamental ; ou encore aux nombreuses questions liées aux modes de garde, aux congés parentaux et à l'adaptation du temps de travail. Quand les enfants grandissent, d'autres interrogations se font jour et le Gouvernement déploie d'autres initiatives en conséquence, comme le « pass colo » et le service civique écologique. Je n'oublie pas non plus la question de la responsabilité parentale.
Mon portefeuille ministériel couvre tout un parcours de vie, à savoir l'enfance et la jeunesse. Ce parcours est jalonné de relations nouées avec les adultes, qu'il s'agisse des parents et de la sphère familiale élargie, des mondes de l'éducation nationale, de l'éducation populaire ou de la petite enfance. Je n'oublie évidemment pas les éducateurs et les médiateurs, qui accompagnent nos enfants à des moments importants de leur existence.
Cette mission est sans aucun doute l'une des plus belles qu'il m'ait été donné d'accomplir, d'autant que je suis désormais une jeune mère de famille.
En la matière, nous devons faire face à des réalités très difficiles, qui sont aussi au coeur de ma mission. Je pense aux victimes de maltraitances, de violences et d'inceste ; nous continuerons à lever les tabous, pour mieux les défendre. Je pense aussi aux situations où les parents ne sont plus en mesure d'apporter aux enfants ce dont ils ont besoin. Je pense aux MNA et aux jeunes majeurs sortant de l'ASE.
Je souhaite assurer, en leur faveur, la pleine application de la loi Taquet. J'ai d'ailleurs traité de cette question avec le président Sauvadet lors d'une de mes premières réunions de travail. En effet, c'est avec l'appui des départements et de Départements de France que nous pourrons apporter de véritables réponses. Nous relancerons très vite les groupes de travail à cette fin, en veillant à couvrir les réalités territoriales dans leur diversité. Les drames survenus ces derniers jours nous rappellent que cet effort est essentiel.
Je n'ignore pas les difficultés qu'affronte la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Je n'oublie pas non plus les enfants confrontés à des problèmes de santé. Frédéric Valletoux et moi-même veillerons à donner suite aux travaux des assises de la santé de l'enfant. La santé mentale, que nous ne parvenons pas encore à appréhender dans sa globalité, est à ce titre un enjeu essentiel.
L'exposition des enfants aux écrans est un autre sujet important, sur lequel je recevrai très bientôt des conclusions d'experts. Dans ce domaine comme dans les autres, je souhaite lever les tabous sans jamais tomber dans le jugement moralisateur. Il faut avant tout être au côté des parents à l'heure où de nouvelles menaces apparaissent.
Je serai au côté des familles en assurant la mise en oeuvre du pacte des solidarités. Malgré les difficultés et les accidents de la vie, on ne doit jamais céder au sentiment de fatalité. À cet égard, la politique de prévention sera également prioritaire.
Protéger les familles, c'est leur apporter un certain nombre de réponses sur la place de tel ou tel de leurs membres, qu'il s'agisse de la fratrie ou des grands-parents.
La délinquance des plus jeunes est un enjeu considérable - on a pu l'observer l'été dernier comme au cours des derniers jours. Comment répondre à ces situations de violence ? Comment accompagner les professionnels ? Étant donné mon périmètre d'action, je relève à la fois de Mme la ministre de l'éducation nationale - beaucoup de choses se passent à l'intérieur de l'école, sur les temps scolaire, périscolaire et extrascolaire -, de M. le garde des sceaux - j'entends ainsi m'appuyer sur la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) comme sur les juges des enfants - et, bien sûr, de Mme la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Être au côté des familles, c'est leur simplifier la vie en leur apportant des réponses très concrètes.
C'est construire, avec vous, une société de plus en plus accueillante et juste, dans l'espace public comme dans la vie professionnelle - les écarts de salaires entre les femmes et les hommes persistent, et ils continuent de s'accroître dans certaines situations, par exemple après une maternité.
C'est améliorer encore et toujours le service public de la petite enfance. Pour mener à bien ce magnifique projet, nous accomplirons un travail de proximité avec le bloc communal et intercommunal comme avec les syndicats d'employeurs, pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. En parallèle, le congé de naissance, voulu par le Président de la République, permettra une meilleure répartition du temps de congé au sein du couple.
Il ne faut pas fermer les yeux sur cette réalité : nous faisons face à l'effondrement de notre démographie. C'est pourquoi nous entendons mener une politique volontariste en faveur de la natalité, sans jamais porter de jugement moralisateur sur les femmes qui ne souhaitent pas d'enfant. J'y insiste, le premier frein qu'il convient de lever, c'est celui de la garde. Aujourd'hui, les solidarités familiales changent, ne serait-ce que parce que les grands-parents sont plus loin. Or je souhaite mener un projet pour les familles, dans leur diversité et dans leur ensemble.
Mon portefeuille ministériel a une dimension à la fois sociale, éducative et régalienne. Cette triple tutelle a pu être perçue comme un triple contrôle, à tort : je l'ai moi-même souhaitée. Je la conçois comme le moyen de construire nombre de passerelles et, ce faisant, d'assurer un continuum de protection en faveur des enfants.
C'est ainsi que j'entends travailler, avec les professionnels, les élus locaux et les membres des deux assemblées parlementaires. Je mesure l'ampleur de la tâche ; mais, étant à la fois élue d'un territoire et ancienne parlementaire, je ne pars pas d'une feuille blanche. Je suis animée par une volonté d'écoute et de coconstruction, pour apporter un certain nombre de réponses et de moyens aux familles, dans un esprit de continuité.
Telle est la philosophie dans laquelle s'inscrit mon action dans des domaines aussi variés que la lutte contre le non-recours aux droits, le rapport des jeunes enfants aux écrans, la lutte contre l'obésité, la lutte contre l'infertilité, la santé mentale des enfants, la garde d'enfant ou encore la place du périscolaire et de l'extrascolaire, pour les enfants de 3 à 14 ans.
C'est avec pragmatisme que j'entends travailler et je suis évidemment à la disposition de votre commission.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci d'avoir exposé votre feuille de route et votre ambition personnelle sur des sujets éminemment importants. Nous connaissons votre énergie et votre enthousiasme.
Mon collègue Olivier Henno, rapporteur de la branche famille, ne peut être présent cette après-midi, j'imagine donc la série de question.
Tout d'abord, pouvez-vous revenir sur la création du service public de la petite enfance ? En septembre dernier, une mission commune de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF) a été chargée d'étudier les possibilités d'évolution du modèle économique des micro-crèches en vue de favoriser la qualité de l'accueil dans ces établissements, ainsi que leur accessibilité géographique et financière. Quelles voies d'amélioration le Gouvernement entend-il désormais explorer ? Pouvez-vous nous préciser le calendrier prévu ?
Ensuite, la réforme de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) a fait l'objet de nombreuses annonces. Il est désormais question d'assurer sa refonte au profit d'un « congé de naissance ». Notre commission a bien montré la perte de bénéficiaires de la prestation actuelle et la nécessité de changer, à terme, son architecture. Entre 2011 et 2021, le nombre de ses bénéficiaires a chuté de 57,9 %.
Quels sont les contours déjà retenus pour le futur congé de naissance ? Pouvez-vous nous assurer que toutes les familles pourront bénéficier d'une durée suffisante de présence auprès de l'enfant, y compris celles où un seul parent fera usage de ce congé ?
De plus, avec Adrien Taquet, nous avons beaucoup travaillé sur les 1 000 premiers jours, projet enthousiasmant et plébiscité par les acteurs de la petite enfance. Or, à l'heure du « réarmement démographique » annoncé par le Président de la République, certains outils centraux de cette politique publique semblent remis en cause, voire abandonnés. L'association Maman Blues a alerté en ce sens.
Je pense en particulier à l'application 1 000 premiers jours Blues, développée dans le cadre de la fabrique numérique des ministères sociaux lors du quinquennat précédent. Cette application apporte un service gratuit d'auto-diagnostic, d'écoute, puis d'orientation vers un professionnel et un parcours de soins pour les mères présentant des signes de dépression post-partum. Elle a été utile pour des milliers de parents, mais sa fermeture a été décidée par votre administration. Comptez-vous revenir sur cette mesure ? Plus largement, qu'allez-vous faire pour mieux soutenir la politique des 1 000 premiers jours, alors qu'une nouvelle feuille de route est annoncée depuis l'été dernier ? Il faut capitaliser sur cette base, d'autant que tout le monde a adhéré à ce projet et que le travail mené par M. Cyrulnik a été unanimement salué. Dans ce domaine plus encore que dans d'autres, nous avons besoin de continuité et de stabilité.
Enfin, je tiens à insister sur la santé mentale des jeunes et en particulier sur les problèmes d'addiction. Il faut poursuivre les efforts engagés : la réduction des risques passe aussi par la lutte contre les addictions.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - La santé mentale des jeunes Français est aujourd'hui dans une situation très préoccupante, toutes classes sociales confondues. Je vais évidemment travailler avec Frédéric Valletoux, pour traiter de l'accès aux soins ou encore développer le dispositif « Mon chèque psy ». Mais s'y ajoutent des questions de prévention et de soutien. De nouvelles addictions se font jour, qui ont des conséquences sociales, scolaires et médicales, notamment sur la croissance. Seul un regard global nous permettra d'apporter de véritables réponses.
La santé mentale des jeunes est une priorité du Premier ministre. Nous aurons les moyens nécessaires pour continuer les travaux engagés et développer cette approche globale, qu'il s'agisse des très jeunes, des adolescents ou des post-adolescents, jusqu'à 25 ans. Nous assurerons une véritable continuité.
La politique des 1 000 premiers jours n'a pas été abandonnée, mais son organisation a évolué : c'est peut-être ce qui a suscité des incompréhensions.
À l'origine, cette politique relevait du secrétariat général du ministère. Elle a été transférée à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), pour la simple et bonne raison qu'elle a vocation à être pérennisée.
Cette stratégie fonctionne. Elle a apporté un certain nombre de réponses et permis de lever des tabous, par exemple au sujet du post-partum. L'application créée apporte des informations scientifiquement étayées et des réponses concrètes. Il est indispensable de poursuivre la stratégie des 1 000 premiers jours et je le ferai.
Le renforcement de la prévention périnatale sera un axe prioritaire. Les entretiens prénataux précoces, proposés par les centres de protection maternelle et infantile (PMI), seront systématisés. Aujourd'hui, 50 % des femmes en bénéficient ; l'objectif est d'atteindre 80 % en 2026.
Pour ce qui concerne le prénatal et le postnatal, les visites à domicile seront encouragées.
Nous poursuivrons le soutien à l'arrivée de l'enfant, assuré par les caisses d'allocations familiales (CAF) et par les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).
Pour ce qui concerne l'entretien postnatal, proposé de manière obligatoire depuis juillet 2022, nous ne sommes pas encore au rendez-vous ; mais je suivrai sa montée en charge.
Il est nécessaire de répondre à des vulnérabilités plus spécifiques. Je pense notamment à la prématernité, qui fait l'objet d'expérimentations intéressantes.
D'autres travaux se penchent sur les moyens de donner du temps aux jeunes parents, notamment dans le cadre du congé de naissance.
Aujourd'hui, sept pères sur dix prennent leur congé de paternité. Quant au congé de naissance, il a vocation à combler les lacunes de la PreParE, dont toutes les familles ne peuvent pas bénéficier. Compte tenu du coût de la vie, tout le monde ne peut pas profiter de ce temps, qui est pourtant nécessaire à la construction affective de l'enfant. Le congé de naissance sera mieux rémunéré. Sa durée est en cours de discussion. Il ne remplacera pas les congés de paternité et de maternité, il viendra s'y ajouter.
J'ajoute que nous tenons à préserver le libre choix entre PreParE et congé de naissance, dont les possibilités de répartition entre les parents doivent encore être précisées ; les concertations se poursuivent. Mais, pour que le congé de naissance ait du sens, il faut assurer la montée en charge du service public de la petite enfance. C'est bien la question des moyens d'accueil du jeune enfant qui est essentielle. Il faut proposer à toutes les familles des solutions de qualité à des prix raisonnables. Il faut réduire l'écart constaté entre la garde assurée par les assistantes maternelles et les modes de garde collectifs, à commencer par les crèches. On ne saurait prétendre - je le précise - qu'un mode de garde est meilleur qu'un autre. C'est bien dans un esprit de convergence que des réformes ont déjà été menées sur le complément de mode de garde (CMG).
Il convient également de renforcer l'attractivité des métiers de la petite enfance et d'obtenir la mobilisation du bloc communal et intercommunal. C'est absolument indispensable.
Nous disposons, à cette fin, d'une convention d'objectifs et de gestion (COG) d'une ampleur historique : plus de 6 milliards d'euros supplémentaires ont été mobilisés pour permettre le développement du service public de la petite enfance. Mais cette extension ne se décrétera pas. Elle exige d'abord des hommes et des femmes, puis des mesures de soutien. Dans les zones très urbaines, nous agissons en matière de foncier. Ailleurs, nous entendons soutenir les maisons d'assistantes maternelles (MAM). Un certain nombre de travaux sont en cours.
Il faut garder à l'esprit cette réalité démographique : plus de 40 % des assistantes maternelles vont partir à la retraite d'ici à 2030, ce qui représente plus de 300 000 places. Or, aujourd'hui, 200 000 places manquent déjà. Il faut que la nouvelle génération prenne la relève, sinon le service public de la petite enfance ne restera qu'un voeu pieux.
Quant au rapport Igas-IGF, je ne l'ai pas encore reçu, mais cela ne saurait tarder et ce document sera rendu public. J'examinerai ses conclusions avec le plus grand intérêt et pourrai évidemment revenir sur ce point avec vous.
Mme Laurence Muller-Bronn. - La belle mission qui vous est confiée recouvre des réalités parfois difficiles.
J'attire ainsi votre attention sur la situation préoccupante de la Ciivise, laquelle a pourtant été saluée pour le sérieux, l'efficacité et la qualité de son travail. En novembre 2023, la Ciivise a publié un rapport très épais, fruit de trois années d'un travail inédit reposant sur le recueil de plus de 30 000 témoignages. Mais, depuis lors, son avenir n'a cessé d'être remis en cause.
L'éviction du juge Édouard Durand, dont les professionnels de la protection de l'enfance et les associations demandaient pourtant le maintien, a entraîné la démission de onze membres sur les vingt que comptait la Ciivise. Parmi les démissionnaires figure la psychiatre Muriel Salmona, dont l'expertise a considérablement fait progresser la compréhension des victimes.
La semaine dernière, l'audition au Sénat de l'actrice Judith Godrèche a permis de rappeler l'incompréhension provoquée par cette éviction et par les décisions gouvernementales qui ont suivi : d'autres pistes ont alors été évoquées, au mépris du travail accompli.
Depuis la démission de la nouvelle présidente de la Ciivise, le 5 février dernier, l'activité de cette instance est de nouveau en suspens. Or, dans ce domaine, le temps perdu entraîne une grave perte de chance pour les quelque 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année. À quelle échéance le Gouvernement entend-il assurer la continuité des travaux de la Ciivise ? Comment compte-t-il poursuivre la mise en oeuvre de ses travaux ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je me réjouis que vous entendiez poursuivre la politique à la fois riche et complète engagée par vos prédécesseurs. Je me félicite en particulier que les 1 000 premiers jours restent une priorité ; en la matière, la ville d'Arras a d'ailleurs joué un rôle précurseur en la matière en créant une maison des 1 000 premiers jours - il s'agit même d'un véritable complexe - inaugurée par M. Cyrulnik.
À moyen terme, ne serait-il pas opportun de repenser la politique des prestations familiales ? Cette politique est devenue un véritable labyrinthe. Elle souffre d'un certain nombre d'effets de seuil qui créent des injustices et des incompréhensions, voire aggravent le non-recours. Pour favoriser la reprise démographique, ne pourrait-on envisager le versement des allocations familiales dès le premier enfant et développer encore davantage l'accompagnement des familles ?
M. Xavier Iacovelli. - Depuis Laurence Rossignol, la France n'avait pas eu de ministre chargée de l'enfance, de la jeunesse et des familles : je me réjouis d'autant plus de votre nomination. C'est une véritable reconnaissance de ces politiques.
Vous entendez assurer la pleine application de la loi Taquet, ce qui n'est manifestement pas simple. Je pense notamment à l'hébergement hôtelier des enfants relevant de l'ASE. L'article 3 de la loi Taquet l'interdit, mais les décrets d'application permettent la labellisation d'un certain nombre d'hôtels sociaux et de campings : la volonté du législateur est donc contournée. Quel contrôle l'État entend-il mettre en oeuvre pour proscrire concrètement l'hébergement hôtelier ?
De même, le registre des données relatives aux enfants placés, prévu par la loi depuis 2012, reste malheureusement vide, car les départements ne font pas remonter les informations. En résultent de véritables problèmes, aujourd'hui, pour les anciens enfants placés.
En parallèle - chacun en a conscience -, la population des assistants familiaux vieillit. Lors de l'examen du projet de loi Taquet, nous avions proposé, sans succès, que des couples ou des personnes seules travaillant puissent accueillir des enfants de l'ASE. Que pensez-vous de cette solution, qui mériterait évidemment d'être encadrée ?
Enfin, les problèmes de surpoids et d'obésité coûteraient à tout le moins 14 milliards d'euros par an à l'assurance maladie. Plusieurs groupes politiques du Sénat, dont le nôtre, ont défendu en conséquence l'instauration de taxes comportementales, notamment sur le sucre, qui est aussi addictif que la cocaïne ; mais l'industrie agroalimentaire a contré notre initiative. Quelle est votre feuille de route sur ces questions ?
M. Khalifé Khalifé. - Vous couvrez à vous seule plus de la moitié des compétences des départements : je vous en félicite et je m'en réjouis, car votre ministère est, pour les conseils départementaux, un interlocuteur unique, ce qui est plus simple.
C'est précisément au nom des conseils départementaux que je vous interroge. Leurs dépenses liées à l'enfance et aux familles augmentent sensiblement, qu'il s'agisse de la protection de l'enfance et des MNA ou du handicap. L'État a conscience de ces enjeux - je le sais -, mais votre prédécesseur a eu un mot malheureux en évoquant la recentralisation de la politique de protection de l'enfance. Quelles actions comptez-vous mener dans ce domaine ?
En outre, vous savez dans quelle situation de précarité se trouvent certains étudiants. Les collectivités territoriales tentent par tous les moyens d'y faire face. Le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) de Paris a demandé à bon nombre d'étudiants de quitter leur appartement précocement cette année, du fait de la tenue des jeux Olympiques. De même, on a fait comprendre aux jeunes bénévoles qu'ils devront se débrouiller pour se déplacer et se loger pendant les Jeux. Pouvez-vous nous éclairer sur ces questions ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Madame Muller-Bronn, lorsque j'ai pris mes fonctions, la Ciivise connaissait une crise du fait de la démission de ses deux co-présidents. Pour ma part, j'ai pu travailler sur la base de son rapport, d'une très grande qualité, qui comprend plus de 82 propositions et plus de 30 000 témoignages - une libération de la parole et la levée d'un tabou comme rarement depuis les travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase).
J'ai reçu les membres de la Ciivise quelques jours après mon arrivée au ministère, et le juge Édouard Durand sera reçu par ma ministre de tutelle, Catherine Vautrin. Notre objectif est que les travaux de cette commission se poursuivent et que soit mise en place une nouvelle gouvernance - j'espère que ce sera le cas dans les prochains jours. Les 30 000 témoignages recueillis ne sont que le début d'un mouvement ; mon prédécesseur Adrien Taquet disait que cette libération de la parole et cette prise en compte des violences sexuelles au sein des familles prendraient au moins dix ans. Lors de cette rencontre, les membres de la Ciivise ont insisté sur l'importance de la prise de la parole de l'enfant dès le plus jeune âge et sur les doubles vulnérabilités, notamment en cas de handicap.
Il est essentiel que les travaux de cette commission se poursuivent pour permettre aux victimes de parler et pour mettre en oeuvre ses recommandations. Il convient donc de sortir de cette situation difficile et violente.
Monsieur Vanlerenberghe, la question du versement des prestations familiales dès le premier enfant doit être posée, car c'est un moment important pour les familles. Dans le même esprit, nous avions décidé du versement de la prime à la naissance pendant la grossesse. Je souhaite réduire un certain nombre d'effets de seuil qui affectent plus particulièrement les classes moyennes. Le complément de libre choix du mode de garde (CMG) a été réformé en ce sens et pour une application en 2025 ; ainsi, pour les familles monoparentales, il sera étendu jusqu'aux 12 ans de l'enfant. Les deux parents pourront bénéficier de ce complément lorsque l'enfant est en garde alternée. Il s'agit d'adapter les dispositifs aux réalités de notre temps.
Vous avez salué les travaux portant sur les 1 000 premiers jours de l'enfant. Je serai au rendez-vous pour soutenir ce magnifique projet qui prend aussi effet dans les territoires, et notamment le vôtre, monsieur le sénateur.
Vous avez évoqué la question du non-recours aux droits. Nous avons engagé des travaux sur les solidarités à la source, afin de permettre aux familles qui ne connaissent pas leurs droits de les faire valoir ; ce chantier est porté par Catherine Vautrin.
Monsieur le sénateur Iacovelli, vous m'avez interrogée sur l'application de la loi Taquet. Tous les décrets ne sont pas encore sortis. Deux semaines après mon arrivée, nous avons publié trois décrets, portant respectivement sur l'hébergement en hôtel, le mentorat et le parrainage. Le premier de ces décrets - très attendu -, qui acte l'interdiction stricte d'héberger des jeunes de moins de 16 ans en hôtel, correspond à l'esprit de ladite loi. Des dérogations très limitées ont été prévues, après des discussions avec les départements qui ont duré plus de deux ans. Un jeune ne pourra pas être hébergé en hôtel plus de deux mois et la présence d'un adulte formé sera obligatoire vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
M. Xavier Iacovelli. - Formé ou diplômé ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Cette question n'est pas clairement réglée. Je me suis publiquement engagée à ce qu'un nouveau décret précise ce point. La question de la qualification de l'adulte, et notamment de la nécessité d'être titulaire du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa), a ainsi été posée. Il conviendra de tirer les conséquences de l'application du décret interdisant l'hébergement en hôtel. Je précise que les dérogations prévues ne peuvent s'appliquer que dans des cas très urgents, et en aucune façon à des enfants en situation de handicap. Le dialogue est engagé avec les départements. Je suis consciente des problèmes de recrutement ; pour autant, on ne saurait se satisfaire d'une situation dans laquelle les enfants ne seraient ni accompagnés ni protégés. Je suis très mobilisée sur ce dossier, en lien avec les présidents de département. J'entends votre alerte : le décret à venir permettra d'affiner nos travaux.
Je souhaite qu'il y ait davantage d'assistants familiaux, car les enfants qu'il convient de protéger sont de plus en plus nombreux. Aujourd'hui, ces professionnels ne peuvent exercer une profession en plus de celle-ci. Pour ma part, je ne vois pas de raison objective justifiant cette interdiction. Nous manquons cruellement de places et de familles d'accueil. Or de nombreuses personnes souhaitent accueillir ces enfants. Il nous faut donc accompagner cet élan, en prévoyant les formations nécessaires.
La mise en oeuvre du fichier national des agréments des assistants familiaux a pris du retard ; je vais m'atteler à régler cette question.
Monsieur le sénateur Khalifé, pour ce qui concerne les jeux Olympiques et Paralympiques et le logement des étudiants pendant cette période, votre intuition était la bonne, mais la ministre des sports et la ministre de l'enseignement supérieur pourront vous donner des réponses plus précises. La réquisition des logements des résidences des Crous a été validée par le Conseil d'État. Ces derniers proposeront aux étudiants une solution de relogement, et ceux-ci percevront une indemnité. Enfin, pour que les Jeux soient un moment populaire et accessible à tous, le monde associatif, les bénévoles et les jeunes bénéficieront d'un certain nombre de places.
J'en viens au secteur de la protection de l'enfance. Des présidents de département vivent des situations de plus en plus difficiles à cause du manque d'attractivité de ces métiers. Les professionnels, qui ne sont pas assez nombreux, sont fatigués. La méthode que je suivrai consistera à accompagner les départements afin d'assurer le respect de l'ensemble de la loi Taquet, à soutenir les professionnels qui proposent des alternatives et à apporter une solution spécifique aux jeunes en situation de double, voire triple, vulnérabilité.
Mon objectif est que ces enfants bénéficient de l'accompagnement nécessaire et que les décisions soient mises en oeuvre dans chaque territoire. C'est pourquoi j'ai reçu le président des Départements de France (DF), François Sauvadet, dès ma prise de fonctions, ainsi que les associations concernées. L'urgence est réelle car, il faut le dire, la protection de l'enfance vit une situation de crise.
Mme Laurence Rossignol. - Vous avez dit que le congé de naissance ne se substituerait ni au congé de maternité ni au congé de paternité - nous le savions -, et que votre philosophie était celle du libre choix ; nous n'en avions jamais douté.
Votre prédécesseur avait fait des annonces plus précises quant à l'objectif de la prestation partagée d'éducation de l'enfant. Qu'en est-il ?
Parmi les 82 propositions de la Ciivise, lesquelles comptez-vous reprendre ? Les acteurs du secteur réclament unanimement le retour du juge Édouard Durand au sein de cette commission. Pourquoi n'y est-il plus ? Où est le blocage ?
L'ancienne secrétaire d'État chargée de l'enfance Charlotte Caubel avait annoncé la fin du pécule versé aux jeunes de l'ASE. Reprenez-vous cette proposition à votre compte ? Que comptez-vous faire pour que le pécule soit versé à tous ceux qui y ont droit, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui ?
Il est indispensable de parler avec le président Sauvadet, mais il existe une disparité totale entre les départements, notamment en termes de mise en oeuvre des politiques. La question du versement du pécule se pose ainsi dans certains d'entre eux.
Le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) a demandé un plan Marshall pour la protection de l'enfance. Vous dites que vous accompagnerez les départements pour les aider à renforcer l'attractivité des métiers concernés. Or la majeure partie des décisions dans ce domaine ne relèvent pas de ces collectivités ; nous parlons en effet de diplômes d'État, de refonte des formations, de prérecrutement d'éducateurs : autant de questions qui relèvent de l'État. On laisse trop les départements se débrouiller seuls avec la politique très complexe de la protection de l'enfance, alors même qu'ils n'ont pas les moyens de l'assumer... Il faut piloter cette politique ! Sur ce point, l'attractivité des métiers est déterminante, car il y a trop de roulement de personnel et de sous-qualification.
Quel est le rôle de votre ministère dans la lutte contre l'infertilité, qui est, selon moi, un problème de santé publique ?
Mme Marion Canalès. - On peut regretter que ces sujets, liés à ceux de la santé, de l'éducation nationale, de la justice, de l'enseignement supérieur et des collectivités territoriales, ne soient pas de la responsabilité d'un ministre de plein exercice - ce n'est pas une critique à votre endroit, madame la ministre.
Un plan 2023-2027 de lutte contre les violences faites aux enfants avait été annoncé par Élisabeth Borne lors du troisième comité interministériel à l'enfance. À cet égard, le dispositif « Santé protégée » devait être généralisé. Un contact a-t-il été pris avec la Conférence des directeurs généraux de centre hospitalier universitaire (CHU) ? Une expérimentation a lieu au CHU de Nantes, mais l'annonce a été faite qu'il ne restait plus qu'une année pour mettre en oeuvre ce dispositif.
Quels sont vos objectifs en ce qui concerne le programme d'expérimentation Pegase (protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance) ?
Des jeunes relevant de la politique de protection de l'enfance ont une santé très dégradée et sont surmédicalisés, ce qui représente un coût exorbitant, selon certaines revues scientifiques. Il faudrait se pencher sur ce sujet.
Les agences régionales de santé (ARS) semblent parfois assez peu concernées par la protection de l'enfance, car elles considèrent que cette question relève des départements et des autres services de l'État. Or la santé des enfants, physique ou mentale, est un problème grave. Qu'en est-il des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, annoncées depuis longtemps ?
L'article 35 de la loi Taquet prévoit qu'un rapport nous soit fourni sur les actes des infirmiers en protection maternelle et infantile (PMI) pris en charge par la sécurité sociale. Ce rapport n'est jamais sorti ! Dans certains départements, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) rembourse ces actes, dans d'autres ce n'est pas le cas.
Des « grand-messes » ont eu lieu en présence de votre prédécesseur Charlotte Caubel et de représentants des comités départementaux de la protection de l'enfance (CDPE), et une expérimentation est en cours dans une dizaine de territoires. Mais quid de la mise en oeuvre finale de ce dispositif des CDPE ? Quelle est l'implication des préfets de région dans ces comités ? Tous les acteurs devront se mettre autour de la table.
En ce qui concerne l'exécution des décisions de justice, il arrive souvent que les juges des enfants prennent des décisions d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) qui ne sont pas appliquées ; il faut alors procéder à une mesure de placement. Or le nombre de places est insuffisant et les familles d'accueil sont vieillissantes.
La loi Taquet prévoyait une disposition visant à favoriser l'accueil par un membre de la famille ou un tiers digne de confiance. Or ce type d'accueil est en baisse continue depuis 2010.
Mme Borne avait également annoncé des mesures en faveur de la scolarité protégée. Qu'en est-il ?
Mme Chantal Deseyne. - On constate une telle pénurie d'offre de modes de garde pour la petite enfance, que certaines mères de famille renoncent à reprendre un emploi. Quelle politique d'offre met-on en place, avec quel financement ? Le reste à charge pour les familles est relativement élevé...
J'ai commis avec mes collègues Brigitte Devésa et Michelle Meunier voilà dix-huit mois un rapport intitulé Surpoids et obésité, l'autre pandémie. Plus le repérage et le diagnostic sont précoces, meilleure est la prise en charge. Quelles mesures comptez-vous prendre pour lutter contre ce problème ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Madame la ministre, je me félicite du large périmètre de votre ministère délégué.
Le congé parental d'éducation suscite beaucoup d'intérêt et d'attentes chez ceux des responsables politiques que la chute de la natalité préoccupe et parmi les parents désireux de passer un temps de qualité auprès de leurs jeunes enfants. Le Président de la République avait évoqué une durée de six mois ; pour votre part, vous avez dit dans une interview récente que celle-ci n'était pas véritablement fixée. Quelle que soit cette durée, chaque parent pourra-t-il bénéficier de l'entièreté de ce congé, ou celui-ci sera-t-il partagé ? Dans les familles séparées, le père et la mère pourront-ils tous deux bénéficier du congé ? Si l'un des parents ne souhaite pas bénéficier de la totalité de ce congé, lui sera-t-il possible de le mutualiser avec l'autre parent ?
En tant qu'élue locale, vous connaissez les difficultés liées au continuum de prise en charge. Les attributions de places en crèche s'intègrent souvent dans un cycle de trois ans. Lorsque l'on a manqué une commission d'attribution, il est très difficile de trouver une place...
Se pose en outre le problème du foncier et des maisons d'assistants maternels.
Vos fonctions étant au carrefour de nombreux sujets, il vous faut mener une politique globale. Comment procéderez-vous ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Sur le congé de naissance, les décisions définitives ne sont pas encore prises, car des discussions ont encore lieu - notamment avec les associations familiales. La situation des familles monoparentales est pour moi une priorité, mais il est un peu tôt pour que je vous réponde précisément sur ce point. Je suis à votre disposition pour travailler sur les propositions relatives à la durée de ce congé et à son partage entre les parents.
La question du libre choix est essentielle. Le congé de naissance, dont le modèle serait différent de celui de la PreParE, serait financé par des indemnités journalières. Cela permettra de faire bénéficier les classes moyennes d'un congé de qualité, dont la durée exacte n'est pas décidée. Cette mesure est un progrès, mais elle ne peut avoir de sens que si l'offre de modes de garde est suffisante. Cette conditionnalité est réelle ! Les attributions de places en crèche s'inscrivent dans un calendrier ; j'en ai une expérience toute personnelle. Cette procédure ne cadre ni avec la vie familiale ni avec l'arrivée d'un enfant. Disant cela, je ne mets pas en doute la transparence de l'attribution de places. Il convient aussi d'accompagner les fratries susceptibles de bénéficier d'un mode de garde collectif.
Je souhaite permettre le développement de tous les modes de garde en réduisant les écarts de coût, qui sont un frein pour de nombreuses familles.
La PreParE continuera de constituer une réponse pour les familles qui le souhaitent, mais il nous faut élargir les réponses possibles.
Mme la sénatrice Rossignol a évoqué le plan contre l'infertilité. Ce sujet, qui n'est pas exclusivement médical et touche un couple sur quatre, est encore un tabou dans notre société. Je vous renvoie sur cette question au rapport sur les causes d'infertilité du professeur Samir Hamamah et de Mme Salomé Berliou, qui mentionne la santé environnementale et l'âge de plus en plus tardif de l'arrivée du premier enfant. Il nous faut informer et proposer un accompagnement sociétal pour ne pas laisser les personnes seules face à ce problème. Pourquoi pas un bilan de fertilité à 25 ans, qui ne ferait pas l'objet d'une injonction ?
Madame la sénatrice Deseyne, vous avez raison, le reste à charge est trop important, au point de retarder le retour au travail de certaines femmes. Je tiens aussi à insister sur le problème des disparités salariales lorsque les femmes reprennent un emploi à la suite d'une première maternité. On en revient à la question de l'offre de modes de garde. À cet égard, la revalorisation prévue dans la convention collective des salariés de la petite enfance est une première étape. J'ai la volonté de mobiliser tous les salariés de ce secteur, qu'ils relèvent d'un mode de garde individuel ou collectif. C'est une avancée dans le sens de l'attractivité de ces métiers.
Mon ministère est outillé pour traiter du problème du surpoids et de l'obésité en favorisant la prévention à l'école, mais aussi dans les secteurs périscolaire et extrascolaire. Ce sujet s'inscrit aussi dans le cadre de la politique de soutien à la parentalité, mais il faut trouver des professionnels, surtout en zone rurale. Votre rapport, madame la sénatrice, sera l'un des éléments structurants du plan à venir, qui est l'une de mes priorités.
Madame la sénatrice Canalès, la mise en place du conseil départemental pour la protection de l'enfance est en effet expérimentée dans dix départements, dont je réunirai les représentants afin de dresser un premier bilan.
Mme la sénatrice Rossignol m'a conseillé de ne pas parler au seul président Sauvadet. Je vous rassure ; je travaille avec l'ensemble des présidents de département ! Je me suis rendue en Meurthe-et-Moselle, j'irai demain dans le Maine-et-Loire, puis dans plusieurs départements ruraux, pour prendre connaissance des opportunités présentes pour chaque territoire. Je trouve évident de travailler avec les hommes et les femmes qui accompagnent nos enfants au quotidien.
Mme Corinne Imbert. - En tant qu'élue départementale, le sujet de la protection de l'enfance me tient à coeur. Or, vous l'avez dit, ce secteur traverse une crise. Cette politique doit s'évaluer sur le temps long. Par ailleurs, 25 % à 30 % des enfants qui sont confiés présentent des troubles du comportement ; un grand nombre d'entre eux ont un dossier à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Un accompagnement très professionnel leur est donc nécessaire.
Quelle est votre vision des foyers de l'enfance, dont on connaît le rôle d'accueil d'urgence, et qui sont confrontés à un problème de recrutement d'éducateurs ? Quel soutien apporterez-vous aux conseils départementaux de la protection de l'enfance ?
Certains éducateurs spécialisés de la protection de l'enfance, qui sont de très bons professionnels, choisissent le statut d'autoentrepreneur pour proposer leurs prestations. Est-il bon que les enfants changent régulièrement d'accompagnateur ?
Mme Pascale Gruny. - Les enfants sont l'avenir de la France, notre avenir. Nous sommes tous concernés - et notamment l'ensemble du Gouvernement -, mais peu en ont conscience. Nous vous assurons donc de notre soutien.
Rapporteur du projet de loi pour le plein emploi, en 2023, et du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, en 2018, j'ai entendu bien des promesses. Une ordonnance relative aux services aux familles a été publiée trois ans après la première habilitation législative. Pour les classes moyennes, la crèche coûte très cher. On n'en parle jamais. Et que se passe-t-il lorsque la personne à laquelle on confie son enfant est en arrêt de travail ?
Votre prédécesseur avait commencé à travailler sur la parentalité. Des parents désemparés peuvent négliger l'éducation de leur enfant, qui peut sombrer dans la délinquance.
Les élus des départements des Hauts-de-France, qui font partie des dix départements les plus pauvres de France, vous ont écrit le 5 mars dernier pour vous demander de venir discuter avec eux de l'ASE, dont les dépenses sont, chez nous, en train de rattraper celui du RSA. Nous ne savons plus comment faire...
Mme Nadia Sollogoub. - Dans mon territoire très rural de la Nièvre, les élus savent que l'offre de modes de garde de qualité est un levier important pour attirer de nouveaux habitants. Les élus construisent donc des crèches. Mais il y a un problème d'articulation entre l'éducation nationale et la CAF au moment de l'élaboration de la carte scolaire. J'en veux pour preuve la situation de la commune nivernaise de Saint-Parize-le-Châtel, dont la crèche est pleine mais où l'on ferme une classe. Je sais bien qu'il ne faut pas mélanger école et structure de garde, mais que peuvent faire concrètement les familles et les maires ? Faudrait-il compter les élèves préscolarisés dans les effectifs de l'école ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je partage vos propos, madame la ministre. Comme le disait Mme Gruny, le sujet de l'enfant concerne tous les membres du Gouvernement, ainsi que l'ensemble des Françaises et des Français : l'enfant est l'avenir de l'homme, de la femme et de la famille.
J'ai récemment rencontré le nouveau directeur départemental de la police nationale de mon département. Selon ses dires, il y a dans les commissariats du Pas-de-Calais 2 500 dossiers de violences familiales non traités, dont à peu près 1 000 concernent de jeunes enfants. Ces dossiers devraient être prioritaires.
La reconnaissance des métiers de la protection de l'enfance est essentielle. Dans le Pas-de-Calais, environ 7 000 enfants sont confiés à l'ASE. Or on ne trouve plus d'assistants familiaux ! Nous affichons des annonces un peu partout pour en recruter.
Le métier d'assistant familial n'est pas assez valorisé. Dans les départements, seuls ces professionnels n'ont pas le statut de fonctionnaire ; ils se sentent donc un peu à l'écart. Nous devons travailler sur la reconnaissance et la revalorisation de tous ces métiers.
Madame la ministre, j'espère que nous pourrons nous rencontrer dans mon département.
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - J'ai bien reçu l'invitation des élus des Hauts-de-France et je vais m'y rendre.
Madame Apourceau-Poly, je partage votre plaidoyer en faveur des assistants familiaux. Il faut assouplir les conditions d'accès à cette profession et la reconnaître. Cette reconnaissance était d'ailleurs prévue dans la loi Taquet, au travers de ses dispositions relatives au statut et à l'attribution du Smic dès le premier enfant gardé. La question de l'attractivité de ces métiers est importante, de même que celles de la place de ces professionnels au sein des équipes pédagogiques et de leurs relations avec les PMI. C'est l'un des chantiers auxquels je m'attellerai.
La question du répit se pose aussi pour les assistants familiaux.
Mme Élisabeth Doineau. - Un décret est-il sorti pour préciser le droit au repos mensuel ?
Mme Sarah El Haïry, ministre déléguée. - Je vérifierai.
La question de la coordination entre l'éducation nationale et les CAF concerne tous les territoires. Le comité départemental des services aux familles (CDSF) peut être un lieu de discussion, puisque le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) y siège et que la CAF le préside ; ils doivent donc pouvoir se coordonner. Visiblement, il y a eu un problème dans votre département de la Nièvre, Mme la sénatrice.
Les foyers de l'enfance sont des dispositifs clefs, tout à fait nécessaires, car ils apportent des réponses à des jeunes qui ont des besoins spécifiques ; il s'agit désormais d'accompagner davantage ces jeunes. L'objectif est de renforcer l'attractivité de ces métiers. Certains éducateurs sont prêts à accompagner des enfants en situation de double, voire triple, vulnérabilité, et d'autres non.
Les éducateurs qui choisissent le statut d'auto-entrepreneur deviennent prestataires de service. Cette situation n'est pas idéale pour les enfants. Ce sujet a été évoqué avec les représentants des départements.
Sept sujets ont été identifiés, sur lesquels les présidents ou les vice-présidents de département travailleront, en lien avec les services de l'État : l'attractivité des métiers et la fidélisation des professionnels ; les mesures de prévention et d'alternative au placement, question liée à celle de l'accueil des enfants par un tiers digne de confiance ou leur entourage ; la sécurisation de la qualité des placements par le renforcement des parcours sans rupture ; l'accès aux droits des enfants de l'ASE et le projet d'autonomie - à cet égard, je précise à Mme Rossignol que nous ne touchons pas à leur pécule, mais que nous voulons nous assurer qu'ils disposent d'un compte bancaire sur lequel le verser - ; les mineurs non accompagnés ; le renforcement de la gouvernance ; l'accompagnement des jeunes majeurs de 18 à 21 ans.
Je n'oublie pas non plus que la solidarité familiale est précieuse lorsqu'il s'agit de faire garder son enfant ; elle m'a permis de m'entretenir avec vous aujourd'hui !
M. le président. - Un rapport de la Cour des comptes portant sur l'accueil du jeune enfant nous sera présenté en juin prochain. Ce sera pour nous l'occasion de revenir sur certains de ces sujets.
Nous vous remercions, madame la ministre.
Source https://www.senat.fr, le 21 mars 2024