Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion, en application de l'article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de Mme Sabrina Sebaihi et plusieurs de ses collègues relative à la reconnaissance et à la condamnation du massacre des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris (no 2243).
(…)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité
Le 17 octobre 1961, une manifestation est organisée à Paris, à l'appel du Front de libération nationale algérien, pour protester contre l'instauration d'un couvre-feu par un décret du 5 octobre de la même année. Cette manifestation est réprimée dans la violence par les services agissant sous l'autorité du préfet de police de l'époque, Maurice Papon.
Mme Laure Lavalette
Un ami des socialistes !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Taisez-vous !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
Cette journée, comme celle de la fusillade de la rue d'Isly du 26 mars 1962 que le Président de la République française a qualifiée de " massacre impardonnable pour la République " et celle du 5 juillet 1962 à Oran où des centaines d'Européens, essentiellement des Français, furent massacrés, figure parmi les plus tragiques de l'histoire de la guerre d'Algérie. Elles marquent la mémoire tragique et douloureuse que nous en gardons collectivement.
Parce qu'aucun déni ne grandit la République, nous devons accepter de regarder ces événements en face, avec lucidité.
Nos plus hautes autorités ont qualifié ce qui s'est passé cette nuit du 17 octobre 1961 : en 2012, le président Hollande parle de " sanglante répression " ; le 17 octobre 2021, soixante ans après les faits, le président de la République Emmanuel Macron observe une minute de silence sur le pont de Bezons à la mémoire des victimes des " crimes inexcusables pour la République " alors commis sous l'autorité de Maurice Papon.
Nous comprenons donc l'intention qui vous pousse à déposer aujourd'hui cette proposition de résolution.
Revenons un instant, si vous le permettez, sur ce qui s'est passé concrètement ce jour-là. Je crois que revenir sur les faits nous aide, d'année en année, à affronter la réalité de ce que furent ces moments tragiques de notre histoire nationale.
Le 5 octobre 1961, un couvre-feu est imposé aux Français musulmans d'Algérie, leur interdisant de circuler dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne entre vingt heures trente et cinq heures trente du matin. Le 17 octobre, une manifestation pacifique est organisée à Paris par le FLN pour protester contre ce couvre-feu. Dans la soirée, plus de 25 000 hommes, femmes et enfants se rassemblent pour participer à cette manifestation.
La préfecture de police met en place un dispositif de sécurisation en répartissant près de 10 000 policiers dans différents points de la capitale. Ce soir-là, près de 12 000 personnes sont arrêtées et transférées au stade de Coubertin et au Palais des sports, réquisitionnés pour la circonstance. Nombre d'entre elles furent blessées, plusieurs dizaines furent tuées et leurs corps jetés dans la Seine. Ayons aujourd'hui une pensée pour ces victimes et leurs familles, frappées de plein fouet par l'engrenage de la violence. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Mme Soumya Bourouaha applaudit également.)
Cet engrenage, les historiens l'ont décrit et analysé. Les faits ont été documentés par de premières recherches d'historiens, qui continuent leurs investigations. Ce travail de l'histoire et de la mémoire doit se poursuivre également pour les journées tragiques des 26 mars et du 5 juillet 1962. Le 26 mars 1962, aussi, des Français ont vu des représentants de leur armée – des soldats du 4e régiment de tirailleurs – retourner contre eux des armes qui devaient les protéger. Après le massacre de la rue d'Isly, les obsèques religieuses furent interdites et les corps convoyés directement au cimetière par des camions militaires, au jour et à l'heure choisis par les autorités. C'est dans cette même volonté de compréhension et d'explication, dans le souci du respect dû aux victimes et à leurs familles, que nous souhaitons nous inscrire dans une démarche de transparence et de vérité en faveur d'une mémoire commune et apaisée de la guerre d'Algérie.
Ce travail est long. Il se manifeste également par des actes et des paroles, qui donnent corps à notre volonté de reconnaître et d'assumer cette part de l'histoire de nos deux pays. En les répétant à intervalles réguliers, nous en faisons des traces qui signifient aux victimes, à leurs proches, aux générations futures, que nous reconnaissons les faits.
Dès 2001, une stèle est apposée par le maire de Paris sur le pont Saint-Michel. En 2012, le président de la République François Hollande déclare pour la première fois que « la République reconnaît avec lucidité les faits » et rend hommage aux victimes. Depuis 2017, le Président de la République a témoigné à de nombreuses reprises de sa volonté de travailler à la pacification des mémoires de la guerre d'Algérie.
Mme Laure Lavalette
Ce n'est pas du tout de la pacification !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
Le 13 septembre 2018, il reconnaît les circonstances du décès de Maurice Audin et l'usage de la torture en Algérie. (Mme Myriam Clapot applaudit.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
On n'entend pas beaucoup le Rassemblement national sur la torture en Algérie !
Mme Dominique Faure, ministre déléguée
En juillet 2020, il prend la décision de restituer à l'Algérie des crânes d'Algériens conservés depuis le XIXe siècle au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN). Le 16 octobre 2021, il dépose une gerbe au pont de Bezons, en mémoire des victimes du 17 octobre 1961, et reconnaît que " les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République ".
En 2022, en janvier, s'adressant aux rapatriés, il rappelle le massacre d'Oran du 5 juillet 1962 et qualifie de " massacre impardonnable pour la République " la fusillade de la rue d'Isly. En février, il rend hommage aux neuf victimes de la répression contre la manifestation pour la paix et l'indépendance en Algérie. En octobre, il préside une cérémonie d'hommage aux combattants ayant pris part à la guerre d'Algérie, au cours de laquelle il a demandé pardon à la communauté des Harkis en raison du sort cruel qui leur a été réservé à la fin de la guerre.
Je crois que nous avons donc démontré avec constance notre souhait de ne rien éluder de l'histoire et d'en regarder toutes les facettes avec la même lucidité et la même volonté d'apaiser. Nous avons considéré que, pour que la réconciliation des mémoires s'opère, il importait que les hommages puissent être rendus à chacun. C'est ce que nous avons fait, aussi, pour les victimes du 17 octobre 1961.
Nous avons également, comme le souhaite la présente proposition de résolution, créé les conditions d'un travail conjoint de nos deux pays sur l'histoire et la mémoire de cette guerre. Suivant une recommandation du rapport de Benjamin Stora, le Président de la République et son homologue algérien ont décidé de mettre en place une commission mixte indépendante d'historiens français et algériens, chargée d'étudier les archives algériennes et françaises portant sur la période coloniale et la guerre d'Algérie. Ses travaux ont débuté le 19 avril 2023. Elle les organise conformément à la volonté initiale de nos deux pays de lui laisser le temps de travailler en profondeur. Elle s'est réunie à quatre reprises déjà, en France ou en Algérie.
Les historiens analysent donc les archives et les faits qu'elles relatent, pour nous livrer peu à peu une histoire partagée de la guerre en général et du 17 octobre 1961 en particulier. Beaucoup reste à faire pour écrire cette histoire mais c'est, à mon sens, la seule façon de bâtir une réconciliation sincère et durable. Je pense important de laisser les historiens faire ce travail avant d'envisager une nouvelle journée commémorative spécifique pour les victimes du 17 octobre 1961.
Nous disposons déjà, comme vous le savez, de trois dates pour commémorer ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie (M. Frank Giletti s'exclame) : le 5 décembre, " journée nationale d'hommage aux morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie " ; le 19 mars, " journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc " ; et, depuis 2022, la date du 18 octobre a été choisie pour rendre hommage aux combattants de la guerre d'Algérie, reconnue définitivement en tant que telle par la loi 18 octobre 1999 relative à la substitution, à l'expression " aux opérations effectuées en Afrique du Nord ", de l'expression " à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc ".
Je n'ignore pas que ces dates n'apportent pas toujours le baume nécessaire à toutes les victimes de la guerre, qui aspirent naturellement à être honorées en un jour particulier. Je crois néanmoins que la réconciliation des mémoires passe aussi et avant tout par leur rassemblement. Honorer ensemble tous nos morts, quel que soit le jour, a pour moi une valeur et une puissance de symbole fortes.
Pensons ensemble, le même jour, réunis dans tous nos lieux de mémoire, à toutes les victimes de la guerre d'Algérie, qu'elles soient civiles ou militaires. Adressons-leur au même moment le témoignage de la conscience et de la reconnaissance de ce qu'elles ont subi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Vincent Thiébaut applaudit également.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 3 avril 2024