Interview de Mme Nicole Belloubet, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse à BFM TV le 2 avril 2024, sur la suspension des espaces numériques de travail (ENT) suite aux menaces d'attentats envoyées dans des lycées et les groupes de niveau.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Nicole BELLOUBET.

NICOLE BELLOUBET
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être dans ce studio pour répondre à mes questions, après une semaine particulièrement troublée dans l'Education nationale, le départ du proviseur du lycée Maurice-Ravel menacé de mort après avoir demandé à une élève de retirer son voile, les menaces d'attentat et les diffusions d'images de décapitations sur des messageries internes de collèges, de lycées, et puis cette journée de grève aujourd'hui dans un certain nombre d'établissements contre les groupes de niveau, vos réponses donc ce matin sont particulièrement attendues. Je voudrais d'abord qu'on revienne sur cette suspension des ENT, les ENT ce sont ces espaces numériques de travail, au moment où on se parle elles ont été suspendues ces messageries internes, à l'usage des professeurs et des élèves, parce qu'effectivement un certain nombre de menaces avaient été proférées. D'abord, est-ce que vous allez les rouvrir, est-ce qu'on va retrouver ces ENT pour les élèves et les profs ?

NICOLE BELLOUBET
Ah oui, bien sûr, l'idée c'est que cette suspension soit temporaire. En réalité, si vous voulez, je voudrais juste dire en chapeau que la sécurité des enseignants c'est la condition d'une école qui fonctionne, et dans notre République l'école c'est l'un des symboles les plus forts, on doit la sécurité à nos enseignants et à l'ensemble des personnels qui travaillent dans les écoles. Cette sécurité, évidemment, elle prend diverses formes, et ce que vous évoquez là, au travers des espaces numériques de travail, c'est évidemment la sécurité numérique pour… vous savez qu'il y a eu évidemment des messages, disons qui étaient très menaçants, qui ont été diffusés la semaine dernière…

APOLLINE DE MALHERBE
Combien d'élèves, pardon mais, on parle de quoi, est-ce qu'on parle d'une poignée, est-ce qu'on parle, est-ce que vous avez une idée de combien d'élèves ont été confrontés à ces messages, et même à ces vidéos de décapitations, il faut quand même dire ce qui est ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, il y a eu à peu près 400 établissements qui ont été visés, sur une vingtaine d'académies, et donc, évidemment, des élèves qui ont été visés, je n'en n'ai pas le nombre exact, mais enfin ils sont…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça compte en milliers.

NICOLE BELLOUBET
Oui, bien sûr…

APOLLINE DE MALHERBE
Peut-être même en dizaines de milliers.

NICOLE BELLOUBET
Je ne sais pas, mais en tout cas trop, et c'est inacceptable, et donc ces messages sont entrés par les comptes personnels de nos élèves, c'est la raison pour laquelle j'ai demandé que soit suspendue la messagerie des ENT, pour que nous puissions réinitialiser ces comptes, sécuriser l'ensemble du dispositif, refaire passer des consignes de prudence sur la gestion de ces comptes, on ne donne pas son numéro, son code d'accès, et donc il y a des éléments importants de ce point de vue-là, et évidemment remettre en fonctionnement les ENT, puisque nous en avons besoin.

APOLLINE DE MALHERBE
Avez-vous une perspective, est-ce que vous pouvez dire aux parents, aux élèves, qui nous écoutent ce matin, qu'au retour des vacances, par exemple…

NICOLE BELLOUBET
Absolument.

APOLLINE DE MALHERBE
Puisque selon les zones les vacances commencent ce vendredi pour certaines ?

NICOLE BELLOUBET
Oui, c'est notre objectif, si vous voulez, de suspendre les ENT pendant ces vacances de printemps pour pouvoir faire les premiers travaux dessus, de sécurisation, et ensuite de rouvrir après les vacances. C'est un travail que je conduis en lien avec les collectivités territoriales. Je les ai réunies, j'ai eu au téléphone la présidente de l'ARF, Madame DELGA, Monsieur SAUVADET des départements de France, pour que nous travaillions, évidemment, ensemble.

APOLLINE DE MALHERBE
Nicole BELLOUBET, vous avez annoncé des forces mobiles, scolaires, nationales, qui seraient composées d'une vingtaine de personnes qui pourraient être envoyées dans des établissements scolaires en cas de difficulté, j'aimerais qu'on essaie de rentrer dans le détail concret, c'est-à-dire qu'on a presque l'impression que ce sont des pompiers de la laïcité, ou pompiers de menaces, ça va marcher comment, ils venir d'où ?

NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, c'est le deuxième type d'atteintes à la sécurité de nos personnels, on vient de parler de la sécurité numérique, il y a également d'autres types d'atteintes, qui peuvent être matérielles, qui peuvent être physiques, dans un établissement en crise, pour une raison ou pour une autre, il est important que nous puissions dépêcher des personnels qui, aux côtés des chefs d'établissements, aux côtés des équipes enseignantes, soient là pour rétablir le plus tôt possible le calme et la sécurité. Alors, il y a des équipes académiques qui font cela, mais j'ai souhaité créer une force nationale, scolaire, mobile que nous pourrions dépêcher dans tel établissement très rapidement pour l'aider à rétablir le calme…

APOLLINE DE MALHERBE
Sachant qu'il y a déjà des réserves effectivement, ce qu'on appelle les réserves, les brigades de réserve qui sont très rarement appelées en vrai.

NICOLE BELLOUBET
Elles sont appelées, encore une fois, pour venir pendant un temps limité, apporter du calme et de la sécurité, je crois que c'est important qu'on puisse dire aux chefs d'établissement, aux équipes éducatives, « vous nous appelez, on est là. » Franchement, je le dis, moi mon souci c'est de montrer qu'on est en permanence aux côtés des équipes éducatives, que ce soit lorsqu'il y a des atteintes à la laïcité, dont on sait qu'elles sont inacceptables, c'est ce qui s'est passé à Ravel, ou que ce soit dans des attaques numériques ou physiques.

APOLLINE DE MALHERBE
On va revenir sur Ravel dans un instant, aussi sur la question de la suite de la plainte, puisque Gabriel ATTAL avait annoncé que l'Etat porterait plainte, mais puisque vous parlez de ces brigades, j'aimerais qu'on essaye de comprendre concrètement à quoi elles serviraient. Je voudrais vous donner deux exemples très concrets, très précis, et savoir quoi faire. Il y a une professeure de musique de Maurice-Ravel qui a témoigné dans le journal « Le Parisien » la semaine dernière, et voilà ce qu'elle raconte. « Le problème plus global », dit-elle, « c'est la place qu'a prise la religion dans les établissements scolaires. Aujourd'hui », raconte-t-elle, « les élèves de 6e refusent de chanter en période de ramadan parce que c'est haram, c'est à dire péché », qu'est-ce qu'elle doit faire cette prof ?

NICOLE BELLOUBET
Eh bien écoutez, d'abord elle en parle, c'est ce qu'elle vient de faire, mais elle en parle à son chef d'établissement, et elle en parle à son équipe, enfin aux personnels qui travaillent dans l'établissement. Ensuite…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais quand elle est devant les élèves, je veux dire, je voudrais qu'on imagine la scène, elle est dans une classe, elle est devant ses élèves de 6e, elle a une poignée, un peu plus, d'élèves qui lui disent « mais madame on refuse de chanter… »

NICOLE BELLOUBET
Elle explique, elle explique qu'à l'école, à l'école c'est le principe de la laïcité qui s'applique, donc à l'école la religion n'a pas sa place, c'est très clair, et c'est bien parce qu'à l'école nous travaillons dans un espace commun, neutre, que les différences pourront ensuite s'exprimer et s'expliquer. Moi je le dis clairement, à l'école ce n'est pas ce que l'on croit qui s'impose, mais ce que l'on sait et ce que l'on doit savoir, c'est la science.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, mais là on en parle calmement…

NICOLE BELLOUBET
Oui, on en parle calmement, mais je pense qu'il faut… les principes.

APOLLINE DE MALHERBE
…Moi j'entends bien le principe, mais j'essaie de me mettre à la place d'un prof, qui est quand même face à une classe d'élèves, qui pour certains sont peut-être véhéments, turbulents, qui disent « mais madame, on ne veut pas chanter », est-ce que sur le moment elle doit les forcer à chanter, est-ce qu'elle doit leur dire « écoutez, vous êtes en classe de musique, le principe c'est qu'on chante, vous allez chanter », ou est-ce qu'elle doit respecter ?

NICOLE BELLOUBET
Ah non, elle ne doit pas respecter, non, non…

APOLLINE DE MALHERBE
D'accord, donc elle doit les forcer à chanter ?

NICOLE BELLOUBET
Non, mais les forcer, on ne force pas quelqu'un à chanter, mais on explique, on dialogue, c'est, me semble-t-il, le premier temps, et on explique pourquoi, à l'école, en cours de musique, on applique le programme du cours de musique quel que soit le temps et le moment, c'est très important…

APOLLINE DE MALHERBE
Ramadan, pas ramadan, haram, pas haram.

NICOLE BELLOUBET
Mais bien sûr, bien sûr, c'est le principe de la laïcité, et je poursuis, si vous le voulez bien. Si l'enseignant se trouve en difficulté, il peut faire appel aux corps d'inspection, qui sont présents, qui sont dépêchés immédiatement, aux équipes « Valeurs de la République », présentes dans chaque académie, qui peuvent venir accompagner l'enseignant s'il le souhaite, aux cellules d'appui pédagogique, que nous allons créer, et qui peuvent venir dans la classe, ou à côté de la classe, pour réexpliquer. A l'école, le seul terrain c'est celui des programmes et de la science.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais, encore une fois, j'essaye d'imaginer la scène, s'il doit y avoir une suspension du cours parce que certains refusent obstinément de chanter…

NICOLE BELLOUBET
Je ne crois pas qu'il faille suspendre le cours, il faut expliquer pourquoi on doit suivre le programme…

APOLLINE DE MALHERBE
Ces brigades seront là, ces brigades ou l'académie, seront là…

NICOLE BELLOUBET
Ah, très vite !

APOLLINE DE MALHERBE
Peut-être la semaine suivante, parce qu'en fait le cours de musique c'est une fois par semaine, par exemple.

NICOLE BELLOUBET
Alors, la semaine suivante, mais, très bien… elle peut, dans le cours, elle peut expliquer pourquoi il faut appliquer le programme, c'est-à-dire chanter en l'occurrence, et puis, si c'est nécessaire, la semaine suivante elle peut se faire accompagner par quelqu'un d'autre, si elle le veut, évidemment, la liberté pédagogique, là, est entière.

APOLLINE DE MALHERBE
Encore une fois, pour qu'on ne soit pas dans la théorie, mais dans la pratique, deuxième exemple, celui du professeur de français, qui s'appelle Grégory LE FLOCH, qui enseigne depuis 13 ans, en collège et en lycée, il a témoigné dans le magazine « l'Obs », il a écrit une lettre à ses élèves, il leur dit « parmi vous monte quelque chose qui m'inquiète et contre lequel je bute, quelque chose de bruyant et qui hurle, tout sera bientôt impossible, vous êtes face à une morale rabougrie et aveugle qui n'est ni de votre âge, ni de votre siècle. » Et là il donne des exemples, il dit qu'il a été menacé par un élève, menacé d'être dénoncé à son père, parce qu'il lisait et étudiait en classe une scène de Roméo et Juliette où les deux amants s'embrassent. Que faire ?

NICOLE BELLOUBET
Eh bien le professeur, là encore, je le dis clairement, il doit expliquer pourquoi Roméo et Juliette est au programme, c'est pour expliquer la diversité des écrits, la diversité des auteurs, la diversité des compositions scéniques, il l'explique, et il me semble que, là encore, il n'a pas à… il ne me semble pas, je suis certaine, il n'a pas à céder devant des récriminations de ce type-là, il n'a pas à céder à la peur car nous sommes à ses côtés moi je le dis clairement, si les enseignants…

APOLLINE DE MALHERBE
Il ne cède pas à la peur d'ailleurs, il dit qu'il persiste et qu'il continue, mais qu'il est effrayé par la multiplication de ces exemples.

NICOLE BELLOUBET
Non, mais il faut qu'il continue… je comprends qu'il soit effrayé, et c'est la raison pour laquelle nous ne devons pas transiger, on ne transige pas avec la laïcité, on ne transige pas avec la science à l'école.

APOLLINE DE MALHERBE
Dernier exemple, sur les sorties scolaires, c'est encore Grégory LE FLOCH qui le raconte, il dit « la première fois qu'on m'a confié des terminales littéraires j'ai voulu leur faire découvrir les grands musées parisiens… »

NICOLE BELLOUBET
Oui, c'est très normal.

APOLLINE DE MALHERBE
« Le projet reposait sur le volontariat, rien de formel, tout était libre. » « Nous avons commencé », raconte-t-il, « par l'Institut du monde arabe, mes élèves furent tous au rendez-vous, ce fut un succès réjouissant, la conversation après la visite m'a montré des élèves curieux et intéressés, la semaine suivante au tout du Musée d'Orsay, mais à l'heure convenue il n'y eu qu'une maigre poignée d'élèves, dans mon souvenir, deux, deux élèves qui se sont présentés, le lendemain en classe j'eu l'explication, ils avaient vu sur Internet que le Musée d'Orsay exposait des statues de femmes nues, c'était donc rédhibitoire. » Que faire ?

NICOLE BELLOUBET
Là encore, alors vous me dites que c'était sur la base du volontariat, donc les choses sont peut-être un petit peu différentes, mais là encore, il me semble que si c'est quelque chose qui entre dans le programme, il faut expliquer, il faut expliquer que la diversité de la création artistique passe par différents stades. Il ne doit pas y avoir de pudeur fondée sur la religion, qui s'exprimerait dans le cadre de l'école, dans le cadre de l'école ; en dehors de l'école, c'est tout autre chose, mais dans le cadre de l'école, ce qui nous unit, je le redis ici, c'est…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes inquiète quand vous voyez la multiplication de ces témoignages…

NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, moi je pense…

APOLLINE DE MALHERBE
Pour vous, est-ce qu'on est dans un moment crucial. Es- ce que vous vous dites que c'est un moment important, qu'il faut mener ce combat ?

NICOLE BELLOUBET
Nous sommes dans un moment de vigilance, comme d'ailleurs toujours cela l'a été avec plus ou moins d'acuité, en ce qui concerne la laïcité. Nous sommes dans un moment de vigilance, on l'a été au moment des affaires en 89, au moment des affaires dites du voile…

APOLLINE DE MALHERBE
Du voile de Creil.

NICOLE BELLOUBET
On est dans un moment où il faut être vigilant et où il faut être ferme. Parce que, je le redis, c'est la condition de notre vie en commun qui s'expose là, et qui s'exprime là. On ne peut pas transiger. Pardonnez-moi si je me répète.

APOLLINE DE MALHERBE
Parmi les éléments de fermeté, Gabriel ATTAL a annoncé que l'Etat allait porter plainte contre la jeune femme qui était à l'origine de l'affaire de l'établissement Maurice Ravel, pour une plainte pour dénonciation calomnieuse. Est-ce que cette plainte a été déposée et au nom de qui va-t-elle être déposée ?

NICOLE BELLOUBET
Elle l'a été…

APOLLINE DE MALHERBE
Elle l'a été ?

NICOLE BELLOUBET
Au nom de l'Etat, c'est le Rectorat de Paris qui l'a fait, puisqu'il agit en l'occurrence au nom de l'Etat. Effectivement, cela a été fait.

APOLLINE DE MALHERBE
Le Rectorat a déposé plainte…

NICOLE BELLOUBET
Oui oui, tout à fait.

APOLLINE DE MALHERBE
... sous ce chef d'accusation de dénonciation calomnieuse.

NICOLE BELLOUBET
Absolument.

APOLLINE DE MALHERBE
Richard…

NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez, pardon…

APOLLINE DE MALHERBE
Allez-y, allez-y.

NICOLE BELLOUBET
Non, ce que je veux dire ici, c'est que, comme nous ne voulons pas céder à rien qui viendrait heurter les principes de l'école républicaine, nous avons décidé juridiquement d'être très ferme, c'est…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous porterez plainte systématiquement ?

NICOLE BELLOUBET
Nous allons désormais nous porter systématiquement partie civile. L'Etat, c'est-à-dire sans doute les rectorats, vont systématiquement se porter civiles dès lors qu'il y a une atteinte commise à l'endroit de l'école. Et c'est parce que l'Etat ira en justice, que l'école obtiendra réparation. Quand il y aura eu des dégâts, que ce soit des dégâts matériels ou des dégâts moraux, à l'endroit de nos professeurs, de nos équipes éducatives, eh bien il n'est pas anormal que l'Etat se porte partie civile. Nous ne céderons en rien.

APOLLINE DE MALHERBE
Une question à propos de Samuel PATY, est ce que vous estimez, vous, Nicole BELLOUBET, que l'Etat a une part de responsabilité dans la mort de Samuel PATY, de ne pas l'avoir protégé ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, si vous voulez, il y a sans doute des choses qui auraient pu être mieux faites. Pour autant, je ne suis pas certaine que l'on puisse dire que l'Etat a une part de responsabilité dans l'assassinat de Samuel PATY. Mais cet assassinat terroriste, qui a beaucoup marqué, a été un électrochoc pour l'Etat. Cela nous a conduit à avoir la fermeté, dont je témoigne ici et dont mes prédécesseurs ont également témoigné, à remettre en place des procédures de sécurité auprès de nos équipes éducatives. C'est ce que je voudrais dire ici…

APOLLINE DE MALHERBE
Je voudrais que vous puissiez écouter les mots de la soeur de Samuel PATY, qui était à ce même micro la semaine dernière.

MICKAELLE PATY, SOEUR CADETTE DE SAMUEL PATY
En termes de collecte d'informations, je pense qu'il n'y a pas eu de faille. Ce n'est pas au niveau de la collecte le problème, c'est qu'est-ce qu'on en fait de ces éléments ? Le fait de rassembler les informations, avoir conscience effectivement qu'il peut se passer quelque chose, aurait dû amener à minima une protection de mon frère. Il était totalement évident qu'il aurait dû être mis en retrait et qu'il aurait dû bénéficier d'une protection.

APOLLINE DE MALHERBE
De quoi est mort votre frère ? Comment qualifieriez les choses ?

MICKAELLE PATY
D'un abandon. D'un abandon.

APOLLINE DE MALHERBE
Qu'est-ce que vous répondez, Nicole BELLOUBET ?

NICOLE BELLOUBET
Je réponds qu'il est mort d'un assassinat terroriste, et que certes, je le redis devant vous, il y a des choses qui auraient pu être mieux faites. Mais il me semble difficile de considérer que l'Etat a une part de responsabilité dans cet assassinat terroriste.

APOLLINE DE MALHERBE
Nicole BELLOUBET, jour de grève aujourd'hui dans l'Education nationale, contre la mise en place des groupes de niveaux. Alors, d'abord, je m'y perds un peu. Je n'arrive plus à savoir s'il y aura des groupes de niveaux ou pas.

NICOLE BELLOUBET
Il y aura une prise en charge particulière de nos élèves de 6e et de 5e, en français et en maths, en groupes. Moi, je préfère parler de groupes de besoins. C'est-à-dire que l'idée n'est pas de classer un élève en début de 6e et qu'il ressorte en fin de 5e en étant dans le groupe des plus faibles ou des plus forts, mais au contraire en fonction des compétences qu'il devra acquérir en français et en maths, qu'il puisse évoluer d'un groupe à l'autre en fonction de ses besoins. Je le redis ici devant vous, par exemple, puisque vous aimez les exemples concrets…

APOLLINE DE MALHERBE
Oui.

NICOLE BELLOUBET
En maths, vous apprenez, et la numération et la géométrie. Vous pouvez avoir un élève qui est à l'aise en numération et qui est plus en difficulté en géométrie. Eh bien, dans cette même année, il pourra être dans des groupes différents, en fonction de ce qu'il apprendra, en fonction de la géométrie…

APOLLINE DE MALHERBE
Et comment vous sélectionnez ? C'est-à-dire comment ça se passe, en fonction des notes, des évaluations…

NICOLE BELLOUBET
Eh bien on ne sélectionne pas, on ne sélectionne pas. Non, ce sont les enseignants... En début d'année, les enseignants vont prendre les élèves en classe entière, et en fonction des thématiques abordées, ils pourront les répartir en groupes. C'est assez simple et somme toute de bonne logique. Et donc moi, je le redis ici, ce n'est pas du tout un tri des élèves. Pas du tout. L'idée est au contraire de leur donner, en groupes, selon leur niveau, des compétences mieux assises et mieux assurées.

APOLLINE DE MALHERBE
En groupes, selon leur niveau, j'avoue que moi j'entends groupes de niveaux, quand même.

NICOLE BELLOUBET
Non, pas du tout, en groupes selon leur niveau, en fonction de la compétence requise. En géométrie vous êtes un peu plus faibles, eh bien on va peut-être vous prendre en plus petits groupes. Mais si en numération vous êtes bon, eh bien vous serez en classe entière. Donc si vous voulez, c'est assez simple, c'est-à-dire qu'on va travailler selon les besoins des élèves.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est des groupes de soutien ?

NICOLE BELLOUBET
Non, je n''appellerais pas ce soutien, j'appellerais ça des groupes pour travailler les programmes, mais en plus petit nombre, en fonction des situations ou bien…

APOLLINE DE MALHERBE
Ça va se passer en plus des horaires de cours, c'est-à-dire on va vous dire…

NICOLE BELLOUBET
Non, pas du tout dans les 4 heures et demie. Non non, il y a 4 heures et demie de Français, on…

APOLLINE DE MALHERBE
Et donc dans la classe, on met ceux qui sont bons en algèbre d'un côté, ceux qui sont…

NICOLE BELLOUBET
Oui mais vous savez, ça va se faire…

APOLLINE DE MALHERBE
Et le prof passe d'un groupe à l'autre.

NICOLE BELLOUBET
Ça va se faire assez naturellement. C'est-à-dire qu'en 6e vous avez un nombre d'élèves. Soit ils sont répartis en différents groupes, soit ce sont plusieurs classes de 6e qui vont être réparties dans les mêmes groupes. Cela va se faire, me semble-t-il, assez naturellement. Mais je le redis, ce ne sont pas des groupes qui sont, qui doivent trier les élèves, c'est au contraire un dispositif qui leur permet de mieux apprendre. Parce qu'on a un objectif, un seul, qui est d'améliorer les résultats de tous nos élèves.

APOLLINE DE MALHERBE
Un certain nombre d'élèves... de professeurs sont aujourd'hui en grève, jour de grève dans l'Education nationale. D'abord, est ce que vous avez une idée de, à quel point ça va être suivi, pas suivi ?

NICOLE BELLOUBET
Non, je n'ai pas d'idée au moment où je vous parle. Je pense que nos enseignants auxquels je fais vraiment confiance, parce qu'il faut le redire, les enseignants travaillent beaucoup et ils ont besoin de reconnaissance. Je pense qu'ils savent que la priorité, c'est évidemment d'être aux côtés des élèves et devant les élèves.

APOLLINE DE MALHERBE
Certains établissements disent qu'ils prévoient de la désobéissance civile. C'est ce que raconte le journal Libération ce matin, qui a le témoignage d'un certain nombre de professeurs qui disent qu'ils n'appliqueront pas ces groupes…

NICOLE BELLOUBET
Je ne l'imagine pas, parce que s'ils en comprennent la philosophie…

APOLLINE DE MALHERBE
Je ne sais plus comment les dire, j'avoue...

NICOLE BELLOUBET
Parlez de groupes…

APOLLINE DE MALHERBE
Je ne sais plus s'il faut dire... Bon, groupes, tout court.

NICOLE BELLOUBET
Parlez de groupes de besoins. Je trouve que c'est très juste…

APOLLINE DE MALHERBE
Groupes de besoins.

NICOLE BELLOUBET
Ces groupes, si nos enseignants en comprennent la philosophie, et ils la comprendront évidemment, puisqu'aux côtés de leurs principaux, ils vont bien comprendre qu'il ne s'agit pas de trier des élèves mais de leur apporter, selon une pédagogie différenciée, des compétences. Eh bien je pense qu'il n'y a pas de raison d'entrer en résistance comme cela est dit.

APOLLINE DE MALHERBE
Si toutefois ils mettent en application ce qu'ils disent aux journalistes de Libération, c'est-à-dire effectivement cette forme de désobéissance civile où ils refuseraient d'appliquer ces groupes de besoins, est-ce que vous prévoyez des sanctions ? Est-ce que vous dites : attention, si vous ne le faites pas, il y aura des sanctions ?

NICOLE BELLOUBET
Je ne suis pas dans l'ordre des sanctions. Je suis dans l'ordre de la conviction. Je redis ici que la main est donnée aux établissements, au plus près des besoins du terrain, pour mettre en place ces groupes de besoins. Et je suis persuadée que, ainsi conçus, ces groupes seront mis en place partout, avec intelligence, en fonction de ce qui se passe sur le terrain. Par ailleurs, juste un mot, ils seront accompagnés puisque j'ai donné deux demi-journées de concertation pour que les équipes éducatives réfléchissent à la mise en place de ces groupes. Ils seront accompagnés par tous les corps d'inspection pédagogique. Donc je pense qu'il y a les moyens pour mettre en place ces dispositifs.

APOLLINE DE MALHERBE
Nicole BELLOUBET, il y a une mobilisation particulière en Seine-Saint-Denis, où les professeurs et les parents dénoncent notamment des établissements scolaires délabrés et une absence de professeurs moins remplacés qu'ailleurs en France. D'abord, est-ce que vous êtes d'accord sur le constat et est-ce que vous apporterez une réponse particulière ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, si vous voulez, la question des établissements, lycées et collèges, elle relève des collectivités territoriales, c'est-à-dire que ce n'est pas l'Etat qui gère les lycées et les collèges. Je parle des bâtiments, ce sont le département et la région, la région Ile-de-France. J'ai eu un contact et des entretiens avec Valérie PECRESSE et avec Stéphane TROUSSEL. Nous avons évoqué ces questions-là. Ils investissent, ils rénovent, nous devons évidemment…

APOLLINE DE MALHERBE
Et s'il faut, à un moment, un coup de main de l'Etat, est-ce que vous le ferez ?

NICOLE BELLOUBET
Alors, cela a été fait en 2019, puisqu'en 2019…

APOLLINE DE MALHERBE
Raison pour laquelle je vous interroge, en vous disant : ça a déjà été fait, est-ce que ça sera fait à nouveau ?

NICOLE BELLOUBET
Le précédent Premier ministre a donné 20 millions d'euros sur 10 ans, donc 2019, c'est encore en cours, pour la rénovation des écoles. Donc, il y a déjà un effort qui a été fait. Je rappelle qu'en Seine Saint-Denis, il y a un effort important qui a été fait pour les fonctionnaires puisqu'ils bénéficient d'une prime de fidélisation, de 12 000 €, versée au bout de 5 ans de présence dans le département, elle va être versée, là, pour la première fois, dans quelques semaines ou dans quelques jours.

APOLLINE DE MALHERBE
Nicole BELLOUBET, vous êtes ministre de l'Education Nationale, mais parfois, en vous écoutant, je me demande si vous n'êtes pas un peu ministre de l'Intérieur, presque malgré vous, c'est-à-dire qu'en fait on est quand même beaucoup sur des questions d'organisation, de sécurité, de locaux. C'est un peu le ministère de la crise, quand même.

NICOLE BELLOUBET
La question des groupes de besoin en 6e, 5e, on est là au coeur de la pédagogie et c'est évidemment ce qui fait l'essentiel.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais hormis tout cela, vous le voyez bien, les questions, elles sont beaucoup d'ordre de sécurité.

NICOLE BELLOUBET
Je travaille beaucoup avec mes collègues Gérald DARMANIN et Eric DUPOND-MORETTI, sur tout ce qui est sécurité, bien entendu, je ne l'ai pas dit, mais ils sont très présents. Et vous savez, quand il y a des enquêtes qui sont conduites pour arrêter les personnes qui ont diffusé les messages sur Internet, tout cela a donné leurs fruits…

APOLLINE DE MALHERBE
Mais vous imaginiez à quel point cette question de la sécurité prendrait autant de place ?

NICOLE BELLOUBET
Je me sens pleinement ministre de l'Education et je n'entends pas du tout marcher sur les plates-bandes de mes collègues.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Nicole BELLOUBET d'être venue apporter des réponses ce matin. Vous qui êtes ministre de l'Education Nationale.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 avril 2024