Conférence de presse conjointe de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et de M. Antony Blinken, secrétaire d'État des États-Unis, sur les conflits en Ukraine, à Gaza, au Soudan et dans le Caucase, Paris le 2 avril 2024.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et de M. Antony Blinken, secrétaire d'État des États-Unis

Texte intégral

Bonjour à toutes et à tous,

Cher Antony, c'est un grand plaisir de te recevoir ici à Paris. La France, tu le sais, est profondément attachée à l'alliance qui l'unit avec les Etats-Unis d'Amérique dans le cadre de l'OTAN, dont nous célébrons d'ailleurs le 75ème anniversaire, et aussi dans le cadre, évidemment, de nos relations bilatérales.

Pendant presque deux siècles et demi, nous avons toujours été ensemble, de tous les combats, avec les États-Unis d'Amérique, pour la liberté. Les Etats-Unis savent ce qu'ils doivent à la France, mais je peux te dire très concrètement qu'ici en France, nous savons, la France sait ce qu'elle doit aux États-Unis, dans son histoire. En ce 80ème anniversaire du Débarquement, nous aurons d'ailleurs l'occasion de le redire avec force, notre amitié franco-américaine, le 6 juin prochain, sur les plages du Débarquement.

Et c'est cet esprit de liberté qui nous anime qui nous a conduit à soutenir ensemble l'Ukraine. La Russie, vous le savez, Mesdames et Messieurs, mène depuis deux ans une agression injustifiable contre un pays libre et souverain. Non content d'opprimer son propre peuple, Vladimir Poutine veut soumettre le peuple ukrainien. Mais deux obstacles, aujourd'hui, l'en empêchent depuis maintenant deux ans. D'abord, bien sûr, le courage, qu'on doit saluer ici, des Ukrainiens, qui depuis maintenant deux ans repoussent les assauts de l'armée russe. Leur combat est un combat de légitime défense, un droit garanti par la Charte des Nations unies. Ce combat, il est juste, et il faut systématiquement le rappeler. Ensuite, c'est la détermination des pays qui soutiennent l'Ukraine à maintenir leur niveau de mobilisation dans la durée. La réunion ministérielle de l'OTAN à Bruxelles, d'ailleurs, doit demain être l'occasion pour nous d'intensifier notre soutien à Kiev et d'envoyer un signal très clair de notre détermination à soutenir l'Ukraine dans la durée.

La conférence de Paris du 26 février était également une étape décisive en ce sens, et nous mettons dorénavant en œuvre les conclusions dans un certain nombre de coalitions de pays, couvrant les besoins des Ukrainiens avec les Etats-Unis. Cher Antony, nous coprésidons également la coalition sur l'artillerie, dans laquelle nous poursuivons la mise en œuvre d'une partie de nos initiatives.

Pour affaiblir ce soutien, la Russie recourt, et je l'ai dit souvent ici en conférence de presse, aux mensonges et à la manipulation de nos opinions publiques. Je sais qu'elle finance notamment des ingérences, promeut des faux médias, accuse l'Ukraine et l'Europe de crimes commis par d'autres - dernièrement, Daech- c'est d'ailleurs une manière assez grossière de masquer le fait que la Russie s'est trompée d'ennemi en négligeant le risque du terrorisme islamique sur son territoire. Nous serons d'ailleurs déterminés, en Europe, à contrer cette propagande. Je vous le dis aujourd'hui, en guise d'annonce, que la France proposera prochainement un régime de sanctions dédié à ceux qui soutiennent les entreprises de désinformation et de déstabilisation de notre pays et de l'ensemble des Européens. C'est une discussion qu'il faut qu'on ait à 27, mais c'est une proposition française.

Nous avons, cher Antony, évoqué évidemment le Proche-Orient. Permettez-moi d'abord d'exprimer notre condamnation ferme de la frappe israélienne qui a conduit à la mort de sept humanitaires de l'ONG World Central Kitchen. La protection du personnel humanitaire est un impératif moral et juridique auquel tout le monde doit se tenir.

La situation, vous la connaissez. La situation humanitaire sur place est catastrophique et s'aggrave de jour en jour. Rien ne justifie une telle tragédie. Dans ce contexte, les décisions du Conseil de sécurité doivent être mises en œuvre, y compris la résolution 2728 récemment adoptée. Que dit-elle ? Elle dit tout simplement que tous les otages doivent être libérés immédiatement et sans condition, qu'un cessez-le-feu immédiat et durable doit garantir la protection de tous les civils et l'entrée massive d'aide humanitaire. Dans ce contexte, j'ai pu présenter également au Secrétaire d'Etat des initiatives de la France au Conseil de sécurité. Et je pense qu'il est possible de créer un consensus à New York sur la base d'une solution à deux Etats, sur une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens, sur des garanties de sécurité de part et d'autre. J'ai trouvé d'ailleurs constructifs nos échanges, une approche constructive ; et je continuerai, dans les prochains jours, dans les prochaines semaines, à faire ce travail auprès des acteurs de la région et auprès des membres du Conseil de sécurité, qu'ils soient élus ou membres permanents.

Nous devons également éviter l'escalade régionale, je pense notamment au Liban. Nous avons évoqué cette question, pour laquelle la France a fait des propositions, accueillies favorablement par les parties libanaises. Je continuerai à parler à tous les acteurs qui sont intéressés. Tous les acteurs, y compris l'Iran, doivent s'abstenir de rechercher l'escalade.

Nous avons également évoqué la guerre au Soudan, une des pires crises humanitaires au monde. Un an après le début du conflit, nous organiserons, à Paris le 15 avril, une grande conférence humanitaire sur le Soudan, présidée par la France, l'Allemagne et l'Union européenne. Nous devons nous mobiliser sur cette grande crise qui est clairement oubliée à la fois des médias et des responsables politiques. Je sais que je peux compter en tout cas sur l'investissement des Etats-Unis, cher Antony, pour faire que cette conférence soit un succès au service des populations en détresse.

Enfin, une autre crise préoccupe la France et les Etats-Unis au Caucase du Sud. Nous avons réaffirmé notre attachement à l'intégrité territoriale de l'Arménie, aujourd'hui mise en cause par l'Azerbaïdjan. Je veux redire ici ma préoccupation face à l'emballement et à la rhétorique azerbaïdjanaise, la multiplication des fausses informations émanant de Bakou et tendant d'ailleurs à imputer à l'Arménie la responsabilité d'une escalade qu'elle est peut-être la seule aujourd'hui à vouloir éviter dans cette partie du monde. Je vois d'ailleurs dans ces exercices de propagande beaucoup de similitudes avec ce que la Russie impose à l'Ukraine. Et je pense que nous devrions, cher Antony, y être très attentifs, à six mois de la tenue de la COP29 à Bakou.

Voilà, Monsieur le Secrétaire d'Etat, pour cette courte introduction. Je me réjouis en tout cas de poursuivre ces échanges à Bruxelles demain. Dans les semaines qui viennent, nous avons encore tant à faire pour que les valeurs qui en réalité font nos deux pays puissent prévaloir dans l'ensemble de la scène internationale.

Cher Antony, merci de ces discussions. Je te cède la parole. Encore une fois, merci de la qualité de nos échanges.

(...)

R - Je vais être assez clair et direct puisque, pour ce qui est des attaques ukrainiennes sur les raffineries russes, le sujet est presque sans commentaire de notre part : l'Ukraine agit en légitime défense et nous considérons que c'est la Russie l'agresseur. Dans ces conditions, il n'y a pas beaucoup d'autres commentaires à faire. Je crois que vous m'aurez compris.

Q - J'ai une question concernant le raid israélien sur le consulat - la question s'adresse à vous deux, Messieurs, s'il vous plaît - iranien à Damas. Je voulais savoir si vous redoutez une escalade dans la région ? Et j'ai envie de poser la question, qui est presque en follow-up avec ce qui s'est passé à Gaza récemment : est-ce qu'Israël a franchi des lignes rouges, d'après vous ? Et quelles seraient les lignes rouges, d'après vous, à Gaza ou ailleurs, concernant la façon dont agit Israël en ce moment ?

R - Pour être très clair, tout le sens de notre action depuis le début - et je crois que le Secrétaire d'Etat est dans la même dynamique - est d'empêcher l'escalade régionale. Et il y a des acteurs qui cherchent d'évidence l'extension du conflit, au nord d'Israël, en mer Rouge, on en a discuté, on l'a déjà commenté beaucoup, ici, à travers les frappes contre les Etats-Unis en Syrie ou en Irak. Et donc le risque d'embrasement est entièrement leur responsabilité. Donc moi, je n'ai pas, y compris de qualification à proposer, mais je veux vous dire que tout le sens de notre action est d'empêcher cette escalade et que, dans ce cadre-là, nous nous abstiendrons de qualifier ce qui s'est passé.

(...)

R - De notre côté, nous avons déjà salué, la semaine dernière, l'adoption de la résolution 2728, et nous appelons d'ailleurs les parties à en respecter le contenu. S'il n'y a pas de respect du contenu, il n'y a plus de droit international et il n'y a plus de réglementation multilatérale. La France est également - et vous l'évoquiez - à l'initiative pour travailler au Conseil de sécurité avec ses partenaires, dont les Etats-Unis, sur les paramètres de cette sortie de crise, notamment les paramètres politiques. On discute en plusieurs lieux des paramètres politiques, autour de la solution à deux Etats : pour construire la voie de débouchés sur la crise politique, cela doit être accompagné d'un cessez-le-feu, de l'entrée d'aide humanitaire et d'un dispositif politique qui nous permette de garantir la sécurité de part et d'autre. Et puis, nous avons également discuté avec le Secrétaire d'État, - et c'était aussi le sens de ma visite en Egypte avec mes homologues égyptien et jordanien, c'était également une partie de la visite que j'ai effectuée au Guyana, qui est également membre élu du Conseil de sécurité des Nations unies - sur ces paramètres de sortie de crise et d'une éventuelle résolution. Pour tout vous dire, nous allons continuer à nous concerter avec l'ensemble des membres du Conseil et plus largement, je pense, avec les pays qui sont dans la région. Et nous devons pouvoir - et c'est notre intuition et notre certitude - trouver un consensus qui soit le plus large possible autour de la sortie de crise durable. Si cela doit passer par une nouvelle résolution, cela passera par une nouvelle résolution. S'il peut y avoir un autre biais, il y en aura un autre. Mais en tout cas, je pense que c'est la responsabilité de la France que d'entrevoir cette solution.

Q - À propos de l'Ukraine, je voulais savoir si les points de vue entre la France et les Etats-Unis s'étaient rapprochés sur la possible invitation de l'Ukraine à rejoindre un jour l'OTAN ? Est-ce que vous en avez discuté aujourd'hui - en prélude bien sûr au sommet de Washington en juillet ? Et puis, petite question à propos de l'Iran, vis-à-vis de l'Ukraine : on sent un regain d'inquiétude des autorités occidentales à propos de la livraison de missiles iraniens à la Russie dans le conflit en Ukraine, où en est-on, quelles sont les informations que vous avez à ce sujet ? Merci.

R - Comme nous l'avons dit au sommet de Vilnius, je pense qu'on partage ce point-là. Les Etats membres de l'OTAN s'engagent à soutenir les réformes de l'Ukraine dans la voie de l'intégration à l'OTAN. Nous devrons d'ailleurs travailler, à ce sommet de l'OTAN, sur l'unité. Je pense que c'est important, je pense que la France et les Etats-Unis sont attachés à cette unité sur ce sujet-là. Dans les prochaines heures et dans les prochains jours, je pense qu'on confirmera une unité des pays de l'OTAN autour de cette formule qui devrait rester la même, celle de Vilnius.

(...)

Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2024