Interview de M. Patrice Vergriete, ministre délégué, chargé des transports, à France Info le 3 avril 2024, sur le Pass rail et la critique des autorités espagnoles concernant Ouigo.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral


JEROME CHAPUIS
Bonjour Patrice VERGRIETE.

PATRICE VERGRIETE
Bonjour.

JEROME CHAPUIS
Ministre des Transports, grand témoin de France Info ce matin. Le projet de Pass rail avait suscité beaucoup d'attente l'automne dernier, annoncé par Emmanuel MACRON en septembre, 49 euros par mois pour tout le monde, sur tout le territoire, en illimité, lancé dès cet été, et puis, aujourd'hui, ça ne concernerait plus que les jeunes, hors Ile-de-France, ce serait au mieux une expérimentation, alors, où est-on ? Est-ce que le Pass rail verra le jour ?

PATRICE VERGRIETE
Oui, alors, vous l'avez dit, effectivement, septembre dernier, le président de la République avait fait cet engagement de pouvoir accepté un Pass rail illimité sur tout le réseau, à condition bien entendu que les régions soient d'accord, puisque, évidemment, c'est sur tout le réseau, sauf TGV, donc c'est géré à la fois par les régions et par l'Etat, Intercités et TER. Et donc j'ai engagé évidemment ces discussions avec les régions, puisqu'il faut qu'on soit ensemble, Etat et régions, pour pouvoir mettre en oeuvre ça.

JEROME CHAPUIS
Et alors ?

PATRICE VERGRIETE
Et donc, effectivement, on a d'abord échangé sur la dimension, et c'est vrai que les régions, à juste titre, avaient dit : écoutez, illimité sur tout le réseau, ce n'est pas possible, parce que ça risque de saturer, c'est ce qui s'est passé en Allemagne, ça risque de saturer évidemment le réseau pendant un certain temps. Et donc, peut-être qu'il faut passer par une phase intermédiaire. Donc ça a été le sens de ma proposition en direction des jeunes, l'été…

JEROME CHAPUIS
Les moins de 27 ans…

PATRICE VERGRIETE
Comme un premier pas, voilà, moins de 27 ans, l'été, c'est un premier pas. Une chose à peu près similaire avait été mise en place au moment de la sortie du Covid, donc on avait déjà cette expérience ; donc ça correspondait effectivement à une attente des régions. Ensuite, donc j'ai engagé cette discussion avec la présidente de régions de France, Carole DELGA, et on a évoqué ça, donc un dispositif pour les jeunes. Alors, évidemment, l'Ile-de-France exclue, comme ça a été le cas à la sortie du Covid, mais ça ne posait pas de problème, puisque de toute façon, tous les TER et Intercités passant par Paris étaient concernés par le dispositif. Donc pas de problème à exclure l'Ile-de-France. Et puis, là, Carole DELGA a fait le tour des présidents de régions, et puis, ça revient : oui, mais il faut que l'Etat prenne tout en charge en termes de financement. Bon, d'accord, ok, donc la demande des présidents de régions, c'était : 80% pour l'Etat du coût, on accepte. On accepte. L'Etat accepte et prend en charge 80% du coût. Donc je réponds à Carole DELGA : d'accord, ok, dont acte. L'Etat prend en charge 80% du coût.

JEROME CHAPUIS
Ce qui représentait combien ?

PATRICE VERGRIETE
Ce qui représentait, eh bien, 80% de 15 millions d'euros. Donc voilà, vous avez à peu près le chiffre, et tout, en tout cas, vous voyez que pour les 13 régions qui restent, ça faisait un peu plus de 3 millions à se partager, donc effectivement, il ne restait pas grand-chose pour les régions.

JEROME CHAPUIS
Et donc ?

PATRICE VERGRIETE
Et donc, aujourd'hui, on n'a toujours pas l'accord de l'ensemble des présidents de régions, il manque trois présidents de régions notamment, Hervé MORIN, Xavier BERTRAND et Laurent WAUQUIEZ, qui n'ont pas donné leur accord. Et évidemment, on ne peut pas faire une France en peau de léopard, où ce serait possible évidemment dans le Grand-Est et ou en Occitanie et pas possible en Hauts-de-France, vous imaginez que ce n'est pas possible…

JEROME CHAPUIS
Je vous repose la question alors, Patrice VERGRIETE, est-ce que le Pass rail va voir le jour ?

PATRICE VERGRIETE
Eh bien, écoutez, à moins d'un changement de position des régions, aujourd'hui même, parce que, évidemment, pour être opérationnel dès cet été, il faut absolument que la décision soit prise aujourd'hui, parce qu'il faut préparer les billettiques, il faut ça…

JEROME CHAPUIS
Aujourd'hui…

PATRICE VERGRIETE
Donc aujourd'hui, à moins d'un changement de pied des présidents de région, aujourd'hui même, nous ne pouvons pas être opérationnels en 2024. Bien entendu, le gouvernement reste ouvert, et nous continuerons à faire ces propositions pour 2025. Le but du jeu, c'est de pouvoir trouver un accord. Il y a 700.000 jeunes qui sont concernés par cette disposition. On voit bien que ça peut permettre vraiment d'accompagner cette jeunesse dans ses mobilités. Donc nous, on n'a pas envie de lâcher le morceau. On regrette aujourd'hui l'attitude sans explication, finalement, parce qu'il n'y a pas de problème financier. Il n'y a pas de problème avec l'Ile-de-France. Ecoutez, 80% pris en charge par l'Etat. Et en plus, c'était exactement ce que demandaient les régions. Donc là-dessus, pas de problème.

JEROME CHAPUIS
Donc je vous entends bien, il n'y aura pas de Pass rail cet été pour les jeunes en France ?

PATRICE VERGRIETE
Sauf si aujourd'hui même, les présidents de région revenaient sur leur décision. Effectivement, il n'y aura pas de Pass rail cet été. Mais le gouvernement continue à être ouvert à cette possibilité dès 2025. On continue également à travailler sur le développement du ferroviaire en France. Vous le savez, on a ces RER métropolitains qui vont être labellisés cette année. On a la régénération du rail, vous savez, nos concitoyens, au quotidien, vivent quand même des situations difficiles à cause du réseau ferroviaire qui n'a pas été entretenu pendant très longtemps, notamment parce qu'on est dans une politique tout TGV. Donc on continue à travailler sur le ferroviaire. Donc la promesse du président de la République tient toujours. Elle tient toujours. Je le dis aux présidents de régions aujourd'hui. Essayez... Alors, aujourd'hui même, vous pouvez encore revenir sur votre décision. Ou alors, travaillons pour 2025.

JEROME CHAPUIS
Je vous écoute bien, mais 3 millions d'euros, je veux bien que la France soit dans une situation compliquée du point de vue des finances publiques. Mais enfin, il y a 3.000 milliards de dettes. Là, on parle de 3 millions d'euros. L'Etat est vraiment à 3 millions d'euros près pour réaliser une promesse du président de la République ?

PATRICE VERGRIETE
Ah non, mais l'Etat a dit oui. C'est-à-dire…

JEROME CHAPUIS
Vous nous avez dit 15 millions, mais il manque 3 millions…

PATRICE VERGRIETE
Non, non, le 80% pris en charge par l'Etat, c'était la demande des régions, c'est-à-dire c'est eux qui le demandent. Parce qu'effectivement, il y a aussi les TER qui sont concernés. Donc nous, nous avons répondu positivement à la demande financière des régions. Elles ne demandaient pas 100%…

JEROME CHAPUIS
Non, mais je vous demande, s'il manque un tout petit peu d'argent, pourquoi est-ce que pour…

PATRICE VERGRIETE
Ce n'est pas un problème budgétaire…

JEROME CHAPUIS
Pour tenir une promesse qui, encore une fois, est une promesse du président de la République, l'Etat ne peut pas faire un chèque de 3 millions d'euros ?

PATRICE VERGRIETE
Non, mais ce n'est pas un problème budgétaire. L'Etat, et, bien entendu, le préfet. La preuve, c'est qu'on a accepté la demande des régions. C'était la demande des régions, 80%…

JEROME CHAPUIS
J'imagine bien que vous avez décroché votre téléphone pour appeler Laurent WAUQUIEZ, Xavier BERTRAND, Hervé MORIN, les trois présidents de régions, Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes et Hauts-de-France.

PATRICE VERGRIETE
Eh bien, j'ai d'abord appelé Carole DELGA, la présidente des régions de France, et je la laisse évidemment discuter avec les présidents de régions. Un certain nombre de présidents de régions, que je remercie d'ailleurs, m'ont appelé en étant extrêmement déçus. Je pense à Franck LEROY, je pense à Renaud MUSELIER, dès hier, j'ai rencontré le président de la région Bretagne. Evidemment, il était déçu de l'attitude d'un certain nombre de présidents de région qui refusent ça, d'autant plus que c'est absolument incompréhensible.

JEROME CHAPUIS
Vous n'êtes pas en train de vous défausser, là, en fait, d'enterrer une promesse qui était peut-être un peu coûteuse et sur le dos des présidents de régions ?

PATRICE VERGRIETE
Non, puisque nous, on est encore preneurs. Regardez, même encore aujourd'hui ! Aujourd'hui, si les présidents de régions nous disent : ok, on finance, donc ce n'est pas un problème budgétaire. L'Etat est là, est présent, répond. Le gouvernement est présent. Le président de la République s'est engagé. Donc on ne se défausse pas, au contraire, j'ai envie de dire, ce qu'on ne comprend pas aujourd'hui, c'est l'attitude de trois présidents de régions. Il faut être très, très clair.

JEROME CHAPUIS
Les défenseurs de l'environnement vont vous dire que c'est encore une mesure écologique qui fait les frais des bisbilles politiques.

PATRICE VERGRIETE
Non, elle ne fait pas les frais des bisbilles politiques. En tout cas, moi, je ne comprends pas la décision de ces trois présidents de régions aujourd'hui, et je le redis, si aujourd'hui, ils reviennent là-dessus, on le met en place dès 2024. Mais pour être opérationnel en 2024, il faut que la décision tombe aujourd'hui. Sinon, effectivement, eh bien, on réfléchira pour 2025. Mais en tout cas, le gouvernement reste mobilisé…

JEROME CHAPUIS
Donc si ce soir, 3 avril, il n'y a pas d'accord avec les trois présidents de régions concernés, il n'y aura pas de Pass rail ?

PATRICE VERGRIETE
Eh oui, parce que ce n'est pas possible. Alors, je vais vous expliquer pourquoi, parce que certains TER…

JEROME CHAPUIS
Rapidement…

PATRICE VERGRIETE
Certains TER sont pris en charge par plusieurs régions, et donc, on ne pouvait pas le faire si évidemment, on avait ces trois présidents de région hostiles.

JEROME CHAPUIS
J'ai une toute dernière question sur un autre sujet, Patrice VERGRIETE, votre homologue espagnol a critiqué avant-hier, lundi, la filiale à bas coût de la SNCF, Ouigo, qu'il accuse de vendre à perte pour accroître sa part de marché en Espagne. Est-ce que ces accusations sont fondées ?

PATRICE VERGRIETE
Je le rencontre demain à Bruxelles, puisque, là, je m'en vais pour Bruxelles à une réunion des ministres justement des Transports. Je pense que l'explication vient du fait qu'en France, nous avons développé les TGV duplex, à deux niveaux, et donc évidemment, ça permet d'avoir des coûts inférieurs, et de pouvoir pratiquer des prix inférieurs. C'est l'effet de la concurrence aujourd'hui qui permet d'avoir des baisses de coûts, des baisses de prix sur les lignes, j'ai envie de dire, les plus rentables.

JEROME CHAPUIS
Donc il n'y a pas de dumping ?

PATRICE VERGRIETE
Je ne pense pas qu'il y ait de dumping, effectivement là-dessus…

JEROME CHAPUIS
Vous ne pensez pas ou vous en êtes sûr ?

PATRICE VERGRIETE
Ah, mais je n'ai pas les comptes de la SNCF à ma disposition au moment où je vous parle, mais en tout cas, je vois pourquoi la SNCF est plus rentable grâce à ses TGV duplex, et on le voit bien d'ailleurs en France avec le niveau des péages qui est plus élevé.

JEROME CHAPUIS
Merci Patrice VERGRIETE d'avoir été avec nous ce matin. Et donc, on l'a bien compris, le Pass rail risque de faire les frais de cette différence de point de vue entre les régions françaises et l'Etat. On verra ce soir si les trois présidents dont vous nous avez parlé ce matin vous donnent finalement leur accord. Merci d'avoir été avec nous sur France Info.

PATRICE VERGRIETE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 avril 2024