Texte intégral
YVES CALVI
Cela fait plus d'un an que les agriculteurs l'attendent, le projet de loi d'orientation de l'agriculture sera présenté tout à l'heure en Conseil des ministres, Amandine BEGOT vous recevez ce matin Marc FESNEAU, notre ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
AMANDINE BEGOT
Monsieur le ministre, avant d'évoquer ce projet de loi très attendu, Yves le rappelait, un mot de ces crues qui frappent et qui ont frappé depuis plusieurs jours plusieurs régions, un certain nombre d'exploitations agricoles ont été touchées, on pense notamment par exemple aux vignes de Chablis, est-ce que vous avez ce matin des chiffres et une idée des cultures qui sont les plus touchées ?
MARC FESNEAU
C'est toujours difficile quelques heures ou quelques jours après une inondation, une inondation qui est en cours, on sait qu'on a sans doute des dégâts sur des prairies, sur la vigne il y a une petite inquiétude parce que quand ça trempe dans l'eau comme ça, il y a un risque de maladie qui s'appelle le mildiou, donc on verra un peu plus tard s'il y a des risques de cette nature-là, on est en train de documenter, de regarder les choses qui ont été nécessaires. On a parfois été obligé d'évacuer des animaux qui risquaient eux-mêmes de se noyer, c'était plutôt dans la Vienne, il faut attendre la décrue, d'une certaine façon c'est une fois que l'eau se retire qu'on peut voir l'ampleur des dégâts, pas forcément immenses, mais enfin il faudra regarder au cas par cas, on n'est pas dans la situation, heureusement, du Pas-de-Calais, puisque le Pas-de-Calais c'est une forme de récurrence depuis des mois d'inondations, mais enfin il faut être vigilant parce qu'il peut y avoir des maladies, ce que je dis, après les épisodes, et c'est ça qu'il faut surveiller.
AMANDINE BEGOT
Ce qui est sûr c'est que la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sera prise, sans doute dans toutes ces régions, elle a été accélérée dans un certain nombre de zones, vous nous confirmez que… ?
MARC FESNEAU
Oui, je vous confirme. Alors, c'est une décision du ministre de l'Intérieur, mais c'est la logique des choses, ça permet d'accélérer les procédures et de mobiliser plus rapidement les dispositifs assurantiels et c'est un élément qui est toujours important. Je dis juste un mot, c'est on est dans une année qui est particulièrement pluvieuse, je dis ça sous l'oeil de Louis BODIN, ça doit nous interroger sur les cycles de précipitations, on a des années parfois très sèches, il n'est pas impossible que cet été nous ayons un épisode de sécheresse, ça doit nous inviter à penser le cycle de l'eau, y compris les réserves, pour faire en sorte qu'on garde les millions de mètres cubes d'eau qui passent sous nos fenêtres, pour les périodes où on en aura pas.
AMANDINE BEGOT
Ce n'est pas parce qu'il a beaucoup plu qu'on ne parlera pas de sécheresse cet été, c'est ce que vous nous dites ce matin ?
MARC FESNEAU
C'est difficile de dire qu'on annonce un épisode de chaleur très précoce, tout ça c'est l'objet du dérèglement climatique, et ce n'est pas impossible qu'au mois d'août on se rend compte qu'on a un problème d'accès à l'eau parce que ça redescendra et qu'il y aura eu de la sécheresse et de la chaleur, et donc on a besoin d'être précautionneux et on a besoin de réfléchir sur le temps annuel, voir pluriannuel, ces cycles de l'eau cette année c'est une année absolument exceptionnelle, avec automne, hiver, printemps humide, ce qui est assez rare en cumulé.
AMANDINE BEGOT
Et c'est l'un des enjeux du projet de loi que vous présentez tout à l'heure, justement adapter l'agriculture à ces changements climatiques. Au coeur de ce texte il y a une mesure, qui était d'ailleurs une demande des agriculteurs, la reconnaissance, dans la loi, de l'agriculture comme intérêt général majeur de la nation française. Dit comme ça, ça fait très solennel, qu'est-ce que ça va changer concrètement ?
MARC FESNEAU
C'est solennel dans la déclaration, mais en même temps c'est très pratique, c'est le fait que la souveraineté ali… il en va de la souveraineté alimentaire comme de la souveraineté énergétique, comme de la souveraineté technologique, et on voit bien à quel point en rabattre sur ces sujets-là c'est prendre un risque de dépendance à l'extérieur, et donc ça vise à faire en sorte qu'à chaque fois qu'on a un projet de politiques publiques, une action de politiques publiques, on se pose la question de dire est-ce que ça concourt bien à l'objectif de maintenir, voire de renforcer, notre souveraineté alimentaire et notre sécurité alimentaire, on a besoin de pouvoir nourrir nos propres concitoyens et on a besoin de pouvoir nourrir, y compris à l'extérieur de nos frontières, européennes ou au-delà de nos frontières, tout ça c'est un objet de souveraineté, et donc, dans les politiques publiques, à chaque fois, se poser la question de, quand on fait quelque chose, est-ce que ça vient amoindrir ou renforcer…
AMANDINE BEGOT
Est-ce que ça ne pèse pas sur les agriculteurs ?
MARC FESNEAU
Que ça ne pèse pas sur la volonté que nous avons de produire et d'assurer notre souveraineté.
AMANDINE BEGOT
Alors ça, ce n'est pas ça qui va régler la multiplication des normes, la paperasse…
MARC FESNEAU
Non, mais sur le temps long c'est quelque chose qui va se voir.
AMANDINE BEGOT
La paperasse qu'ont dénoncé les agriculteurs, pas question non plus de revenu, alors que pourtant c'était au coeur des revendications, je rappelle que 18% des agriculteurs vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté.
MARC FESNEAU
Alors, il y a plusieurs réponses à la crise. La question du revenu c'est plutôt la loi EGALIM, les négociations se sont terminées au mois de février, avec des choses plutôt positives, des choses qui l'étaient moins, il y a une mission qui a été confiée à deux parlementaires pour faire des propositions complémentaires et pour regarder sur la loi EGALIM, telle qu'elle existe aujourd'hui, pour regarder aussi dans quelle mesure il y a des gens qui dévoient la loi, les centrales d'achat européennes c'est une façon d'échapper à la réglementation française.
AMANDINE BEGOT
Il faut les interdire ça ?
MARC FESNEAU
Eh bien il faut faire en sorte que la loi française s'applique sur les produits qui sont vendus en France. Et puis, deuxièmement, il faut batailler au niveau européen, alors ça c'est aussi un travail que nous faisons, pour faire en sorte que, au niveau européen, il y a une forme d'EGALIM à la française, ou d'EGALIM à l'européenne, parce qu'après tout nous n'avons pas forcément vocation à en avoir la paternité. Pourquoi ? Parce que la question de la rémunération elle se pose en France, mais elle se pose dans tous les pays européens, donc ça c'est un élément sur la question de la rémunération.
AMANDINE BEGOT
L'idée des prix planchers, pardon, elle est abandonnée ?
MARC FESNEAU
Non, c'est l'idée de construire les prix, alors on peut appeler prix planchers ou prix de référence, à partir des coûts de production. Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? Parfois le transformateur négocie avec le distributeur avant d'avoir fixé son prix avec le producteur. Qu'est-ce qui se passe ? Il y a le prix qu'on a négocié avec le distributeur et on fait une marche-arrière, on dit « à partir de ça je construis mon prix en marche-arrière », or c'est tout l'inverse de la logique d'EGALIM, la logique d'EGALIM c'est quel est le coût de production, je paye mon producteur, et à partir de là j'enclenche ma négociation avec le distributeur, et donc c'est ça sur lequel il faut qu'on essaie d'améliorer le texte, ou les textes successifs qui ont été fait sur EGALIM. Je ne connais personne qui remette en cause EGALIM, tout le monde dit il faut l'améliorer, il faut plus de contrats, il faut plus de transparence et il faut éviter de faire ce que font certains en termes de dévoiement de la loi. Et puis sur la question de la simplification, il y a des aspects réglementaires, donc ça, ça appartient au gouvernement, c'est ce qu'on a fait sur un certain nombre de dispositifs, il y a la question de la Politique Agricole Commune, ça c'est au niveau européen, la Commission, le Conseil des ministres de l'Agriculture, a posé un certain nombre de principes de simplification, de la Politique Agricole Commune, et puis il y a des éléments qui sont dans la loi, parce qu'on a besoin de modifier la loi pour simplifier, ce qui paraît…
AMANDINE BEGOT
Les fameuses haies notamment, on avait dit qu'il y avait…
MARC FESNEAU
Régime unique de la haie…
AMANDINE BEGOT
14 textes je crois !
MARC FESNEAU
Il y avait 14 textes qui régissaient la haie, il n'y en aura plus qu'un. Alors, quand vous lisez le texte ça donne le sentiment d'être assez compliqué, mais en fait c'est une oeuvre de simplification. Pourquoi ? Parce qu'on a besoin d'avoir des haies en France, et qu'aujourd'hui il est plus simple, il est plus confortable de ne pas avoir de haies que d'en avoir, parce qu'il y a tellement de réglementations que les agriculteurs s'y perdent, et donc on avait besoin de simplifier ces éléments-là, et ça on a besoin de modifier la loi. J'ajoute un deuxième élément, ça revient à la notion d'intérêt général majeur, on raccourcit les délais sur les procédures, notamment bâtiments d'élevage et eau, la question ce n'est pas d'en rabattre sur la question de l'environnement, mais la question c'est de ne pas avoir des projets qui durent cinq, sept, huit, dix ans, le dérèglement climatique nous pousse, la question de la souveraineté nous pousse, un projet qui a cinq ou sept ans de retard, c'est un projet qui parfois, et souvent, ne va pas jusqu'au bout, et donc ça c'est l'objectif de la simplification.
AMANDINE BEGOT
L'objectif c'est aussi de recruter, d'attirer des bras, il y a un tiers des agriculteurs qui vont partir à la retraite d'ici dix ans, vous allez simplifier les règles d'installation, les démarches en tout cas, est-ce que vous pouvez nous dire ce matin que chaque agriculteur qui partira en retraite sera remplacé par un nouvel agriculteur ?
MARC FESNEAU
En tout cas c'est notre objectif et c'est l'objectif du gouvernement. Je pense qu'on a 400 000 agriculteurs en France, c'est un étiage dont il ne faut pas trop sortir parce que, à la fois ça permet d'assurer la présence territoriale, ça permet d'assurer la diversité des productions, il y a des grandes productions, et puis il y a des filières qui sont plus petites et plus modestes, mais dont on a besoin, et donc ça c'est un élément important, et puis ça permet aussi d'avoir un dialogue avec la société. A 400 000 vous êtes en limite, puisqu'au fond vous avez moins d'agriculteurs, il y a des communes aujourd'hui qui n'ont plus d'agriculteurs résidant dans leur commune, et donc c'est un seuil en deçà duquel, me semble-t-il, on prend le risque que le dialogue avec la société soit rompu.
AMANDINE BEGOT
Le maillon faible, dit ce matin la FNSEA, qui est plutôt satisfaite globalement de ce texte, puisqu'il y a un certain nombre de ses propositions qui ont été reprises, c'est la question de la compétitivité. Pourquoi ne pas avoir inscrit dans la loi le principe pas d'interdiction sans solution par exemple ?
MARC FESNEAU
Alors, la compétitivité c'est plusieurs choses. La simplification c'est de la compétitivité, quand vous avez des procédures plus courtes, plus simples, c'est de la compétitivité. Deuxième élément, la compétitivité c'est des dispositifs fiscaux, ou autres, on a amélioré le dispositif sur les travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi, ce qu'on appelle le TO-DE, qui vise à améliorer la prise en charge sociale, des charges sociales, pour les saisonniers en particulier, donc ça c'est un élément de la compétitivité.
AMANDINE BEGOT
Mais je pense aux cerises, par exemple, on en a beaucoup parlé, les cerises importées de Turquie, avec des produits qui sont interdits ici en France, nos producteurs de cerises ne peuvent plus faire de cerises, et on en fait venir avec des produits qui…
MARC FESNEAU
Alors, on a interdit désormais les cerises qui étaient traitées avec des produits qui étaient interdits en France, voire en Europe, on a besoin d'abord de chercher des alternatives, pardon de le dire parce que…
AMANDINE BEGOT
Mais pourquoi ne pas systématiser ça dans cette loi, c'est une loi d'orientation pour se projeter ?
MARC FESNEAU
Parce que nous sommes dans un cadre européen, s'il y a des choses à modifier c'est dans le cadre européen, et il faut qu'on fasse attention, moi j'ai souvent vu ça au Parlement, du fait qu'on essaie de légiférer au niveau national, et en fait ça n'a aucune opérabilité parce qu'au fond c'est le niveau européen qui décide, mais on a besoin de chercher des solutions et on a besoin aussi de se caler sur un calendrier européen. On ne peut pas avoir des produits qui soient autorisés partout en Europe et qui ne soient pas autorisés en France, parce que là on crée des distorsions de concurrence.
AMANDINE BEGOT
Juste d'un mot. Gabriel ATTAL avait promis que toutes les aides de la PAC seraient versées au 15 mars, nous sommes le 3 avril, il y a un certain nombre d'aides qui n'ont pas encore été versées, je pense notamment aux aides pour l'agriculture biologique. Est-ce que vous pouvez nous donner une date ce matin, les agriculteurs l'attendent ?
MARC FESNEAU
Alors, pardon d'être un peu technique. Les aides au 15 mars c'est toutes les aides qui bénéficient d'avance au 16 octobre, celles-là sont toutes soldées, à quelques exceptions près…
AMANDINE BEGOT
Heureusement, parce qu'il fallait les payer le 8 octobre, quand même !
MARC FESNEAU
Non, mais ce qu'on oublie de dire…
AMANDINE BEGOT
Non, mais si vous étiez payé pas chaque mois, c'est compliqué, non ?
MARC FESNEAU
Madame BEGOT, ce qu'on oublie de dire c'est que nous sommes le pays qui est le seul à payer en avance la PAC.
AMANDINE BEGOT
D'accord, mais enfin, les auditeurs qui nous entendent et imaginent qu'ils toucheraient leur salaire six mois après !
MARC FESNEAU
Laissez-moi juste finir ; donc, ça c'est fait. Les aides agriculture bio, les mesures agri-environnementales et climatiques, la prise en charge de l'assurance, c'est, à partir du mois de mars, on va faire en sorte que sur avril-mai ce soit fait pour qu'au mois de mai on ait pu solder l'ensemble des dossiers.
AMANDINE BEGOT
Donc fin mai ce sera terminé…
MARC FESNEAU
C'est ça l'objectif.
AMANDINE BEGOT
Emmanuel MACRON recevra les syndicats comme il l'avait promis ?
MARC FESNEAU
Oui.
AMANDINE BEGOT
Quand ?
MARC FESNEAU
L'Elysée donnera la date, mais prochainement, dans les jours qui viennent il recevra les organisations professionnelles. L'idée c'est, me semble-t-il, de donner une perspective et un cap. On essaye de gérer cette crise, elle est historique par son ampleur, et par sa durée aussi, essayons d'en faire quelque chose qui soit historique dans le mouvement nouveau qu'on aura donné à l'agriculture.
AMANDINE BEGOT
Merci beaucoup Marc FESNEAU
MARC FESNEAU
Merci à vous
source : Service d'information du Gouvernement, le 8 avril 2024