Entretien de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec et France 24 et RFI le 8 avril 2024, sur le génocide rwandais, le conflit dans l'est de la République démocratique du Congo, l'élection présidentielle au Sénégal, la présence militaire de la France en Afrique, la situation à Gaza et en Ukraine et les élections européennes.

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Média : France 24

Texte intégral

Q - Bonjour et bienvenue sur France 24 et Radio France Internationale. Nous sommes à Abidjan, où notre invité Stéphane Séjourné, ministre français des affaires étrangères, vient d'achever sa première tournée africaine. Bonjour, Monsieur le Ministre.

R - Bonjour.

Q - Pour vous interroger, je suis avec Marie Normand, ma collègue de RFI.

Q - Bonjour, Stéphane Séjourné.

R - Bonjour, bonjour à vous deux.

Q - Stéphane Séjourné, votre tournée vous a mené à Nairobi, à Kigali et à Abidjan. Au Rwanda justement, vous avez participé à la commémoration des 30 ans du génocide des Tutsi, événement marqué, côté français, par ce qu'on peut appeler une confusion. Jeudi, l'Elysée transmettait à la presse ces propos : "la France - je cite - aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, mais n'en a pas eu la volonté". Des mots très forts, qu'on ne retrouve pas dans la vidéo du chef de l'Etat qui a été diffusée à l'occasion de ces commémorations. Pourquoi, Monsieur le Ministre ?

R - La France a voulu la réconciliation, et le discours du Président de la République en 2021 fait cette réconciliation. D'ailleurs, c'est ce discours qui me permet, en tant que ministre des affaires étrangères, d'être à ces commémorations, qui étaient denses, qui étaient pleines d'émotion aussi, au cours desquelles nous avons pu entendre un certain nombre de témoignages poignants, terribles, aussi. Le génocide est le dernier génocide, d'ailleurs, du XXe siècle. Et effectivement, il y a eu cette polémique, mais qui n'enlève en rien le travail qui a été fait, d'introspection, de reconnaissance de nos responsabilités et de regarder en face nos responsabilités dans cette crise, qui a été fait en 2021 par le Président de la République. Donc je pense que c'est une polémique qui est vaine. Elle ne retire rien à la volonté de réconciliation de la France. J'ai pu d'ailleurs m'entretenir avec le président de la République là-bas, et ça m'a permis également de réitérer notre volonté de poursuivre dans cette réconciliation.

Q - En 2021, vous le disiez, le Président Emmanuel Macron a évoqué la responsabilité accablante de la France. Pourquoi vous n'allez pas au bout de ce processus mémoriel, en reconnaissant par exemple la culpabilité de la France ? Et pourquoi pas en présentant des excuses au Rwanda ?

R - Nous avons reconnu les responsabilités. D'ailleurs, ça a été dit dans les discours des uns et des autres pendant les commémorations : la communauté internationale n'a pas été à la hauteur, en 1994. Nous avons participé à ça. Le Président de la République a reconnu les responsabilités françaises. C'est ça qui nous a permis de réengager, aussi, avec le Rwanda sur tout un tas de sujets, bilatéraux notamment, avec une coopération plus grande, la francophonie... J'ai abordé un certain nombre de sujets, j'ai signé un certain nombre d'accords internationaux avec mon homologue. Et donc je crois que nous avons été jusqu'à ce que nous avons voulu avec les autorités rwandaises, c'est-à-dire faire ce travail d'introspection fort et reconnaître nos responsabilités. Et je pense que c'était ça qui était attendu aujourd'hui, et ce qui me permet d'ailleurs de poursuivre notre relation bilatérale, avec des sujets économiques et de francophonie, aujourd'hui.

Q - Et est-ce que vous avez évoqué aussi le conflit dans l'est de la République démocratique du Congo, à la frontière du Rwanda, donc ? Paris condamne les deux pays pour leur soutien aux groupes armés dans cette région. Est-ce que cette position d'équilibriste est tenable ?

R - C'est d'abord une position de paix et de conserver la paix. Et donc moi, en tant que ministre des affaires étrangères, je dois passer des messages aux deux parties - forts, fermes - qui doivent permettre, justement, de reprendre un processus de discussion, un processus d'accord et qui doit permettre que l'escalade n'advienne pas, puisque c'est ça le risque qu'on a aujourd'hui dans la région. Donc oui, je vais réitérer à mes deux homologues - que j'ai régulièrement, d'ailleurs, au téléphone sur ces sujets-là - nos demandes, que ce soit d'ailleurs à la partie rwandaise comme à la partie congolaise. Et donc nous avançons sur ces deux sujets.

Q - La France pourrait prendre des sanctions ? Emmanuel Macron avait dit qu'il y aurait des sanctions si ce cessez-le-feu n'était pas respecté et un an est passé. Y aura-t-il donc des sanctions, Monsieur le Ministre ?

R - À ce stade, nous sommes encore sur les messages à passer et, encore une fois, l'objectif principal c'est de reprendre les discussions et de remettre tout le monde autour de la table. Ce sont les discussions que j'ai eues avec mes homologues.

Q - La France doit jouer un rôle de médiateur ?

R - J'ai bon espoir qu'il puisse y avoir, dans les prochaines semaines, dans les prochains mois, un certain nombre d'avancées.

Q - À Paris ?

R - Je ne peux pas encore vous le certifier.

Q - Autre région, autres enjeux, Monsieur le Ministre. Au Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, président nouvellement élu à la tête du Sénégal, promet un changement systémique. Le nouveau chef d'Etat sénégalais veut par exemple quitter le franc CFA. Comment la France envisage-t-elle ses relations avec ce président, ce président qui porte de nouvelles aspirations ?

R - D'abord, dire de manière très sincère et avec transparence que le processus démocratique a fonctionné et qu'il y a des alternances, comme dans beaucoup de pays. Alors, on peut aimer plus ou moins les orientations politiques, mais il faut qu'on puisse collectivement se satisfaire que les institutions sénégalaises ont été fortes, que l'alternance est venue par les urnes et que l'élection a été totalement transparente. Et donc c'est la force du Sénégal de permettre ça. Une démocratie, j'ai envie de dire, mature, avérée, qui elle-même construit ses alternances en fonction de ce que veut le peuple. C'est ce qu'on appelle une démocratie qui vit et qui permet, justement, ça. C'est aussi un message qui est envoyé à un certain nombre de régimes qui pensent que les idées ne peuvent advenir que par la force ou par des régimes militaires. Ça, c'est le premier point.

Q - Vos relations avec le pays, comment vous l'envisagez ?

R - Elles seront forcément bonnes. Nous voulons travailler avec eux. Je les ai sollicités, évidemment, pour qu'ils puissent venir à Paris et moi venir également pour une visite bilatérale s'il le fallait. On va prendre contact. Mais je trouve que c'est un bon exemple, en tout cas, d'alternance démocratique, et que ces alternances démocratiques permettent justement d'avoir des changements de gouvernement, avec des idées différentes, dans le cadre constitutionnel encadré. La France a été transparente également avec l'ancien président. Il fallait, dans le cadre de la Constitution, organiser ces élections. Elles ont été faites et je trouve que c'est une bonne chose.

Q - Sur le franc CFA, restons-y, Bassirou Diomaye Faye veut quitter cette zone. Une réforme a été annoncée en 2020, mais elle a échoué. Pourquoi ?

R - D'abord, sur le franc CFA, nous ne sommes plus dans la gouvernance, nous n'avons plus de réserves en France, notamment pour garantir la monnaie. Je n'ai aucun avis, presque, sur le sujet. Si les pays africains se mettent d'accord pour changer le nom, organiser différemment leur organisation monétaire, c'est la souveraineté des Etats. Et nous voulons bien accompagner ce mouvement. S'il s'agit uniquement du symbole du nom, il peut être changé. S'il s'agit d'une organisation différente de l'organisation monétaire, elle peut également être changée. C'est une décision souveraine des Etats africains et ce n'est pas à la France d'avoir un avis là-dessus. Nous avons fait notre part du chemin en sortant de la gouvernance du CFA. C'est maintenant aux Etats africains de décider.

Q - Sur la question sécuritaire, Emmanuel Macron a annoncé début 2023 une réduction des effectifs militaires français déployés sur le continent. Son envoyé spécial en Afrique, Jean-Marie Bockel, a déclaré récemment que la France resterait au Tchad - il y était. Le Tchad qui abrite l'une des plus importantes bases de la France sur le continent, le Tchad qui s'est aussi rapproché de Moscou. Est-ce que cela vous inquiète ?

R - D'abord, sur les bases militaires, vous l'avez dit, Jean-Marie Bockel organise des consultations, et c'est à la fois aux armées et à Jean-Marie Bockel de restituer les consultations qu'il est en train de faire. En tout cas, le Président de la République a décidé de rénover nos bases, d'organiser, avec moins de militaires déployés, des bases qui soient plus imbriquées localement avec les armées nationales et africaines. Et donc nous sommes à l'écoute en ce moment. Il y a des consultations qui sont faites et, là-dessus, je pense que c'est le sens, aussi, de l'Histoire.

Q - Si le Tchad venait à signer un partenariat avec la Russie par exemple, vous y resterez quand même ?

R - Chacun, encore une fois, est libre de sa propre souveraineté. Chacun peut avoir ses partenariats avec les Russes. Moi, ce que je dis juste aux gouvernants et aux responsables politiques qui signent des partenariats avec la Russie, c'est que ce n'est souvent ni gratuit, ni constant. Soit les Russes se payent directement, avec notamment la question des ressources nationales, ou soit demandent à être payés pour assurer une sécurité. Donc après, c'est de leur responsabilité de le faire. Moi je n'ai pas d'avis à avoir et je pense que ce n'est pas le bon sens du narratif français de devoir avoir un avis sur l'intégrité territoriale et la souveraineté, des accords bilatéraux que passent les pays africains.

Q - La France a dû quitter successivement le Mali, le Burkina Faso, le Niger. Est-ce que vous avez maintenu des canaux de discussion avec ces pays ?

R - D'abord, nous les avons quitté parce qu'ils ont souhaité que nous les quittions. Il faut toujours le rappeler. Et la France fera plus avec ses partenaires qui veulent faire plus, et fera moins avec ceux qui nous rejettent.

Q - Avec ceux que je viens de citer.

R - Voilà. C'était une évidence et nous nous sommes retirés. Nous ne nous sommes pas retirés sur les aspects humanitaires. Nous gardons des liens avec la société civile, qui me semblent importants. Et donc ce travail continue, pas avec les gouvernements, pas avec les autorités, mais en tout cas avec les organisations humanitaires et la société civile.

Q - Est-ce que le Maroc, dont la France se rapproche en ce moment, peut être un intermédiaire avec ces pays du Sahel ?

R - Le Maroc devient une puissance régionale affirmée. Elle doit même permettre d'avoir une forme d'organisation régionale et permettre aussi sa stabilité. Donc oui, toutes les initiatives, aujourd'hui, du Maroc dans la région sont les bienvenues. C'est, encore une fois, aux Marocains de décider de leurs accords, mais je crois qu'ils ont une volonté, de leur côté, de pouvoir tisser des liens avec leurs voisins.

Q - Et à quel prix se fait ce réchauffement-là ? Est-ce que la France fait évoluer, en ce moment, sa ligne sur la question du Sahara occidental ?

R - Je l'ai dit en étant là-bas, nous avons reconnu le fait que le Maroc développe économiquement cette zone. Nous avons même été un peu au-delà puisque nous allons même faire venir des opérateurs publics pour la développer avec eux. Après, pour ce qui est de la question diplomatique, c'est entre les deux chefs d'Etat que cela se gérera et se réglera. Et je n'ai pas d'annonce à faire aujourd'hui devant vous.

Q - Donc reconnaissance économique, plutôt. On quitte le continent africain, Stéphane Séjourné. 7ème mois de guerre de riposte d'Israël à l'attaque terroriste du Hamas, plus de 33.000 morts à Gaza. Washington évoque pour la première fois un conditionnement de son soutien à Israël. Est-ce que l'idée fait son chemin aussi en France, et dans l'Union européenne, qui est le premier partenaire commercial d'Israël ?

R - D'abord, la France agit dans tous les cercles diplomatiques. On organisera encore dans quelques semaines des concertations avec les pays arabes et les Américains, les Anglais, les Allemands, pour justement trouver un processus politique à la crise sécuritaire qui est en parallèle. J'aurai également à continuer la concertation d'une proposition de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies qui sera portée par la France, qui à la fois met en avant la question du 7 octobre comme étant un acte terroriste, et qui le définit pour la première fois aux Nations unies - ils ne sont toujours pas positionnés là-dessus -, et puis en même temps qui donne un certain nombre de paramètres politiques sur la solution à deux Etats. C'est une concertation que nous menons et que nous continuons à mener. Et dans le cadre de cette concertation, oui, il faudra voir quels sont les autres éléments de rapport de force que nous pouvons avoir pour ouvrir un certain nombre de points de passage humanitaire. Nous revendiquons et nous demandons encore l'ouverture dans le nord et dans le sud, à Rafa et dans le nord notamment de Gaza, l'ouverture de points de passage, pour que 300 camions minimum puissent passer. C'est le minimum qu'il faut aujourd'hui...

Q - Mais est-ce que vous pensez à conditionner votre soutien ?

R - il faudra des leviers d'influence. Ces leviers d'influence, ils sont multiples. Ils passent par, au maximum, des sanctions. La France a été le premier pays à proposer au niveau européen des sanctions contre les colons violents en Cisjordanie. On continuera, s'il le faut, pour pouvoir obtenir l'ouverture humanitaire. Et la contrepartie aussi du Hamas, qu'il ne faut pas oublier : trois de nos compatriotes sont toujours otages à Gaza, et cette libération est sans condition.

Q - Solution à deux Etats, vous l'évoquiez, Paris la défend. Pour trouver une issue à ce conflit, est-ce que la France, à l'image de l'Espagne, veut reconnaître dès cette année la Palestine comme un Etat ?

R - Alors c'est un sujet qui n'est pas tabou, le Président l'a dit dans ces termes. Je ne vais pas vous dire l'inverse ici. Je crois profondément que ce sujet est par contre très intimement lié au processus de paix. Et que de reconnaître politiquement l'Etat palestinien sans pour autant en faire une solution politique pour la région serait une erreur. Et donc on peut se faire plaisir, tous, au niveau européen, en se disant "nous reconnaissons unilatéralement". Je ne crois pas que ça soit utile de le faire seul, sans processus de paix et sans l'introduire dans un processus de paix comme une des conditions pour qu'on puisse avoir la cessation des hostilités et des garanties de sécurité pour Israël et pour les Palestiniens également. Donc je suis très... Il faut dépolitiser, je pense, ce sujet. Ce n'est pas une question politique, c'est une solution. Il faut le voir comme ça.

Q - Mais Stéphane Séjourné, cette solution à deux Etats que vous prônez, le gouvernement Netanyahou n'en veut pas. Les manifestations ont repris d'ailleurs contre ce gouvernement. Est-ce que vous estimez que Benyamin Netanyahou est un obstacle, aujourd'hui, à la résolution de ce conflit ?

R - Non, moi je ne rentrerai pas là-dedans. Israël est une grande démocratie, il y aura probablement des élections ; aux Israéliens de décider. Comme dirait le Président de la République, nous prenons les responsables politiques que les peuples nous donnent et nous discutons avec eux. Alors on peut ne pas être en accord, mais on ne doit pas avoir de jugement sur leur légitimité à exercer aujourd'hui le pouvoir. Et Israël est une grande démocratie, on restera des amis d'Israël, et on peut avoir des divergences avec les gouvernements, et c'est le cas aujourd'hui sur la question humanitaire.

Q - Autre guerre aux portes de l'Europe maintenant, celle qui oppose l'Ukraine à la Russie. La semaine dernière, le ministre français des armées et son homologue russe se sont parlés, ce qui a donné lieu à deux versions très différentes. Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction entre cet appel d'une part et les récents propos d'Emmanuel Macron qui n'exclut pas l'envoi de troupes en Ukraine ? Est-ce que c'est le moment de reprendre contact avec Moscou ?

R - Alors, que je rappelle le contexte de cette prise de contact, qui n'avait pas comme objet la prise de contact sur le conflit en lui-même en Ukraine, mais suite aux attentats qu'a subi Moscou. Nous avons une longue tradition, historique maintenant, avec la Russie de coopération sur le terrorisme. Et c'est dans ce cadre-là que le ministre des armées a pris contact avec son homologue pour lui proposer une coopération et un échange d'informations sur cet attentat terroriste. Alors il y a eu deux communiqués très différents. Nous savons ce que nous avons dit, au ministère et au ministre des armées. Je sais quel communiqué croire.

Q - Et cette coopération, donc, contre le terrorisme, elle continue malgré la guerre ?

R - De fait, elle ne continue pas, puisque c'était une proposition, et le communiqué russe...

Q - Vous avez transmis des informations...

R - ..., en réalité, en langage russe, propose que nous n'ayons pas de coopération. Puisque le communiqué est clairement en décalage avec ce que le ministre des armées a proposé.

Q - On peut parler à Moscou encore, même en pleine guerre informationnelle ?

R - Je crois que ce n'est pas, aujourd'hui, notre intérêt, de discuter avec les responsables russes, puisque les communiqués qui sortent et les comptes-rendus qui en en sont faits sont mensongés. Et donc il faut d'abord peut-être rétablir la confiance, peut-être surtout avoir une évolution sur le terrain militaire en Ukraine, pour que les relations puissent se renouer. Ce n'est pas le cas encore aujourd'hui.

Q - Le terrain militaire justement, Monsieur le Ministre, l'Ukraine en perd. L'aide américaine est bloquée, elle pourrait même ne plus venir si Donald Trump venait à être élu en novembre prochain. Les Européens sont-ils capables de tenir seuls ?

R - Les Européens seront au rendez-vous de l'aide dans la durée et ça, il faut que tout le monde en soit convaincu. C'est une question existentielle pour l'Europe, puisqu'elle détermine également notre risque sécuritaire dans la durée, vous l'évoquiez. On a des incertitudes quant au soutien à l'Ukraine, mais on a également des incertitudes quant à l'interprétation de la clause de soutien sur l'OTAN, par exemple, des Américains. On a eu quelques déclarations de Donald Trump en ce sens qui nous posent des interrogations sur la capacité des Américains à venir en soutien si les pays européens étaient attaqués. Toutes ces interrogations nous incitent à nous organiser collectivement. Donc ça veut dire d'abord s'organiser en Européens vers une défense européenne, pas en substitution de l'OTAN, pas en substitution de notre coopération avec les Alliés, mais en plus. Et puis ça nous incite également à prendre le relais du soutien à l'Ukraine, et surtout que la Russie soit assurée que les Européens garderont ce soutien dans la région. C'est fondamental dans notre stratégie de conviction, et c'est fondamental dans la paix à venir. Et nous souhaitons évidemment, comme tout le monde, que la paix puisse advenir dans cette région.

Q - En gros, l'Ukraine peut encore gagner la guerre sans l'aide des Américains, c'est ce que vous dites ?

R - Je pense que l'Ukraine peut gagner la guerre et que tout dépend de notre soutien.

Q - De votre soutien en tant que...

R - De notre soutien collectif. Je suis ici par exemple en Côte d'Ivoire. Le président m'a rappelé le soutien sur la position. Je crois que les votes notamment aux Nations unies de la part de la Côte d'Ivoire sont exemplaires sur la question ukrainienne. À nous de convaincre plus largement, y compris en Afrique.

Q - Le Président Emmanuel Macron : un déplacement a été annoncé en Ukraine, est-ce qu'il est toujours d'actualité ?

R - Ça, je ne pourrai pas vous le dire. D'abord pour des questions de sécurité. Et puis il y aura probablement des initiatives de notre part, soit à mon niveau, soit au niveau du Président de la République, à la fois pour matérialiser ce soutien et à la fois pour organiser des déplacements sur place, faire des annonces, probablement. En tout cas, je le souhaite.

Q - C'est en tout cas une guerre qui pèse sur la campagne pour les Européennes. L'Union européenne renouvelle son Parlement dans quelques semaines, avec une percée des extrêmes attendue, en tout cas selon les sondages. Le groupe Renew dont vous avez pris la tête s'était posé comme une forme de rempart à ces partis nationalistes, populistes, Stéphane Séjourné, et pourtant ils gagnent encore du terrain.

R - Bon, d'abord, les institutions européennes peuvent être bloquées à l'issue de ce scrutin.

Q - C'est votre crainte ?

R - C'est ma crainte et c'est ce qui peut réellement se passer si on en regarde les majorités et les minorités de blocage qui peuvent être réalisées. Vous savez, d'expérience, la présidente de la Commission européenne a été élue à 8 voix au Parlement européen il y a 5 ans, et pourtant nous avions une large majorité, et pourtant, nous pensions avoir une large majorité sur ce vote. On voit bien la difficulté, là, de pouvoir organiser les choses. Donc oui, il peut y avoir un blocage des institutions, tant d'ailleurs sur le programme politique qui sera porté par la Commission que sur les postes à responsabilités. Je le dis, ce n'est pas anodin, notamment dans la période avec l'Ukraine, puisqu'on sera dans un moment de l'histoire de tous les risques : élections aux Etats-Unis avec aussi une crainte de l'incapacité des Américains à bouger, si proche de cette élection, peut-être des institutions européennes bloquées et, des fois, vous l'évoquiez, un front russe qui peut avancer. Ce contexte est le pire des scénarios. Et donc oui, cette élection, elle est majeure en Europe. Probablement, c'est l'élection la plus importante depuis 1979, je le disais régulièrement dans les interviews, je le crois sincèrement. La montée des extrêmes et des populistes se fait un peu partout, dans tous les pays. Quand je vois, y compris un pays comme le Portugal, qui était l'exception notamment à l'extrême-droite en Europe, aujourd'hui a des scores de 18, 19, 20% pour les extrêmes. Donc oui, c'est inquiétant. Ça veut dire que les pro-européens doivent se réveiller en termes de mobilisation dans cette élection, et plus profondément, pour aller plus loin dans l'analyse, il faudra aller convaincre tous nos concitoyens que l'Europe, elle est là pour protéger et que nous avons besoin d'Europe dans la période. Parce que l'Europe protège et, depuis maintenant des dizaines d'années, nous a garanti la paix.

Q - Et j'aimerais vous poser une dernière question sur Haïti. La première étape de votre déplacement en Afrique, Stéphane Séjourné, c'était le Kenya, avec des convergences de vue, dites-vous, sur plusieurs conflits, dont celui qui prévaut en Haïti. La France soutient la force d'appui à la police nationale haïtienne menée par le Kenya, mais salon Nairobi, l'argent n'est pas là. Comment vous l'expliquez ?

R - Nous travaillons avec tout le monde pour lever de l'argent. Encore une fois la France est au rendez-vous puisque nous avons participé et nous sommes présents localement. Notre ambassadeur est sur le terrain et fait un excellent travail, que je veux d'ailleurs saluer.

Q - Merci Monsieur le Ministre d'avoir répondu à nos questions, et merci à vous de nous avoir suivi sur nos deux antennes, RFI et France 24.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 avril 2024