Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane, à Camopi le 25 mars 2024.

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Bien, je voulais d'abord remercier les militaires de nous accueillir ici, sur leur base, nos légionnaires à leurs côtés, les gendarmes, les agents du parc qui œuvrent dans ces forêts qu'on a vus. Merci à nos légionnaires pour tout le travail qui est fait durant toutes ces années. Nous sommes sur la commune de Camopi et je veux vraiment avoir une pensée pour Arnaud Blanc, parce que nous avons eu justement un homme du pays qui a tant contribué à la lutte contre l'orpaillage illégal et contre toutes ces activités qui est tombé ces derniers mois. On était tout à l'heure avec son fils et j'ai une pensée pour toute la famille et ses frères d'armes, comme j'ai aussi une pensée pour le GIGN, et Arnaud Blanc dont la veuve était à nos côtés ce matin à la prise d'armes. Ces hommages suffisent à dire combien la lutte contre l'orpaillage illégal que nous menons ici sur le sol guyanais est non seulement essentielle, mais combien elle est aussi difficile, toujours dangereuse et, l'année dernière a encore fait tomber deux de nos hommes.

Depuis 2008, l'Etat français a organisé l'opération Harpie qui lutte contre l'orpaillage illégal. Nous avons, en 2017 changé le cadre de celle-ci en la complétant justement, en décidant de la complémentarité systématique entre nos légionnaires et nos gendarmes. On a déployé aussi de nouveaux moyens, on y a intégré pleinement les agents du parc et l'ensemble de celles et ceux qui aident à contribuer à la mission. Ces dernières années ont montré le début d'efficacité de cette mission. En effet, on a réussi à commencer à réduire les volumes d'or qui sont extraits par l'orpaillage illégal. C'était en moyenne dix tonnes par an ces dernières années. On a réussi, en 2022, à diminuer à sept tonnes. Les chiffres provisoires de 2023 indiquent encore une baisse à cinq tonnes. Ceci est le fruit de la mobilisation de chaque instant, des innovations à la fois d'organisation technologique et de la mobilisation exceptionnelle de l'ensemble des militaires, gendarmes et de tous les agents qui sont mobilisés, agents des services de l'Etat, et connaissance aussi des élus de terrain et de tous les habitants. Ces résultats sont à consolider et je demande que d'ici les trois mois à venir, on puisse me proposer une approche opérationnelle encore améliorée, c'est-à-dire consolider tout ce qu'on a appris, regarder aussi les innovations et l'adaptation auxquelles les orpailleurs illégaux vont immanquablement aller puisque en permanence, ils innovent. Et c'est vrai que le prix de l'or aujourd'hui va les conduire à innover encore davantage.

Et donc je souhaite qu'on puisse bâtir d'ici à trois mois une nouvelle génération. Elle doit se construire sur les très bons résultats qu'on a eu ces deux dernières années, mais on ne doit pas s'en contenter et essayer d'aller encore plus loin dans la lutte contre l'orpaillage illégal. C'est absolument clé. Pourquoi ? Parce que d'abord, ce sont des systèmes de délinquance qui nourrissent l'insécurité partout sur le territoire. Ensuite, c'est une catastrophe sur le plan de la santé humaine et de la biodiversité parce que ces sites détruisent de la biodiversité, détruisent des forêts, répandent aussi du mercure dans les cours d'eau et donc ont un impact immédiat à la fois sur les animaux, mais aussi et surtout sur les populations qui sont ensuite exposées. Donc, nous allons sans relâche nous appuyer sur ces premiers résultats, mais aller plus loin parce que je considère qu'on ne saurait s'en contenter.

En termes de coopération, je me rendrai dès demain après-midi au Brésil. Notre volonté est d'aller encore plus loin dans ce Harpie III en termes de coopération avec nos voisins brésiliens. Celle-ci s'est beaucoup améliorée ces dernières années, nous l'avons vu à l'instant et témoignage en a été rendu. Elle peut encore s'améliorer et notre volonté est d'avoir une gestion encore plus intégrée, scientifique, mais également militaire, et une coopération policière avec nos voisins brésiliens qui sont face aux mêmes fléaux. Et donc notre volonté est, à travers le déplacement de demain, de bâtir cette nouvelle stratégie qui aura vocation à se finaliser pleinement lors de la COP de l'année prochaine, qui nous permettra de consolider cette nouvelle stratégie transfrontalière. Ces derniers mois ont également permis d'améliorer la coopération avec le Suriname et nous allons aller plus loin en l'espèce pour démanteler les filières de fourniture d'équipement et d'approvisionnement amont des garimpeiros et des trafiquants.

Je voulais aussi dire qu'un débat qu'on a longtemps entendu et qui a alimenté ces dernières années beaucoup de conversations et qui était totalement légitime, c'est le retour vers le territoire de l'or saisi. Alors, malheureusement, face aux quantités que j'évoquais, pour vous redonner un ordre de grandeur, c'est à peu près cinq tonnes produites l'année dernière, c'est une tonne légale à peu près et ce sont quelques dizaines de kilos saisis, 35 kilos à peu près, si je ne dis pas de bêtises. En tout cas, ces saisies allaient vers l'AGRASC, qui est l'agence nationale. La décision que nous avons prise est maintenant de procéder systématiquement aux ventes et que l'argent puisse revenir sur le territoire pour accompagner celui-ci, en particulier sur des initiatives qui sont liées justement à la correction des conséquences de l'orpaillage illégal.

Enfin, le dernier point, c'est que pour donner toutes les opportunités aux territoires dans les zones aurifères qui ne sont pas des zones protégées, je mets à part la zone du parc qui est pour nous d'une protection qui doit être exemplaire et qui ne saurait tolérer quelques-unes de ces activités, mais sur le reste du territoire, dans les zones qui sont identifiées, où il y a, on le sait, des ressources aurifères importantes, la question qui se pose et ce vers quoi je souhaite qu'on aille toujours dans la conception du nouveau programme d'ici à trois mois, c'est celle, dans certains endroits, d'installer de l'orpaillage légal respectant le code de la mine durable que nous avons bâti ces dernières années. Ce code, dont on parlait depuis des décennies, a été finalisé durant le mandat précédent. Mon souhait, c'est qu'on puisse pleinement le décliner et structurer une filière qui n'utilise justement pas le mercure, soit exemplaire en la matière et permette en quelque sorte d'occuper ces sites dont on sait qu'ils sont des réserves importantes, et qui éviterait d'y attirer des orpailleurs illégaux, en tout cas réduirait leur activité. Je veux d'abord qu'il y ait une concertation sur ces sites avec l'ensemble des élus locaux de la filière mine durable guyanaise, avec aussi l'ensemble des experts des services de l'Etat et autres, pour qu'on définisse véritablement les sites sur lesquels on considérait que cette stratégie serait pertinente. Mais c'est celle qui va nous permettre de continuer d'améliorer la protection du territoire, de la santé et aussi de développer une exploitation minière légitime qui fait partie de l'identité et de l'histoire de la Guyane et que nous pouvons aujourd'hui beaucoup mieux encadrer. Voilà ce que je voulais vous dire.


Journaliste
Vous étiez à Camopi il y a quelques instants. En quoi et pourquoi c'était important pour vous d'aller dans cet endroit, on l'a constaté, plutôt reculé et coupé du monde ?

Emmanuel MACRON
D'abord, c'est un territoire de la République. Ensuite, c'est un territoire, je le disais, qui a donné un de ses enfants à une mission essentielle de la République. Je pense qu'il est légitime de rendre hommage, par cette présence aussi, au fait que nous savons ici qu'il y a des femmes et des hommes qui vivent en République française, ils y vivent aussi avec leurs traditions, ils vivent avec leurs spécificités, l'attachement au territoire, la connaissance de celui-ci. Nous avons des peuples autochtones qui ont été sauvés, on en parlait tout à l'heure, qui occupent ce territoire et qui sont aussi la richesse de la Guyane, de la région amazonienne mais aussi de la France.

Ensuite, se joue ici une partie des missions régaliennes extrêmement importantes, celles de la protection de notre territoire, face à des gens qui, venant de l'étranger, viennent piller les ressources et mettre en danger la vie de nos ressortissants. Je pense que c'est très important de redire combien ces missions régaliennes aux confins de la République, ici en Amazonie, dans ce qui est la frontière la plus longue de l'Europe avec le reste du monde, nous comptons bien les défendre et qu'il n'y a pas de double standard. On les défend ici comme partout ailleurs.

Enfin, c'est aussi une manière de comprendre ce qu'on veut y faire parce qu'on parle beaucoup de biodiversité, nous nous engageons. On a pris des dispositions importantes ces dernières années de protection de nos aires marines et terrestres et vous avez ici, dans ce territoire, une écrasante majorité de la biodiversité française. Plus de 75% de notre biodiversité est sur ce seul territoire et plus de 85 % sur nos outre-mer. Et donc, nous avons ici aussi à défendre tout particulièrement cette mission.

Journaliste
Monsieur le Président, vous avez parlé de la filière légale. Celle-ci demande des régulations, une adaptation de la norme. Pour vous, ça doit se faire vraiment dans le cadre du code minier qui est mis en place à partir de juillet 2024 ?

Emmanuel MACRON
Alors, vous savez que c'est une norme nouvelle. J'entends ce qui est dit sur une norme adaptée parce que la norme précédente n'existait quasiment pas et ne permettait pas de faire de la mine durable. Et donc, quand vous entendez aujourd'hui des reproches sur la norme, c'est celle qui préexistait à ce code que nous avons changé et qui a été le fruit, je vous le dis, de plus de dix ans de travail et de beaucoup de désaccords parce que le législateur y a travaillé à travers les majorités. Pour l'avoir vécu dans des conditions successives, je peux vous dire que c'était un sujet très sensible, parce que les confrontations parfois idéologiques se sont opposées sur ce sujet. Je crois qu'aujourd'hui, on a quelque chose de solide qui est robuste d'un point de vue scientifique et productif.

Je pense qu'il faut aussi que tout le monde s'y mette parce qu'on n'aura pas de consensus si derrière, on considère que la bonne manière de faire de la mine légale serait d'alléger des contraintes environnementales ou sanitaires qui sont les seules qui permettent en quelque sorte d'expliquer que c'est meilleur de l'installer que des activités aujourd'hui illégales qui utilisent de mercure ou autres. Simplement, il nous faut, en parallèle de ça, d'abord bien définir ces sites, avoir de la visibilité, comme ce matin on l'évoquait sur l'agriculture. Ce sont des structures aujourd'hui relativement fragiles, artisanales. Il faut donner de la visibilité et accompagner les artisans et les TPE et PME qui sont prêtes à s'installer sur ces sites. Donc, il y a aussi un sujet d'accompagnement pour les rendre viables.

Journaliste
Qu'est-ce que vous dites aux élus locaux qui réclament de l'autonomie, un peu sur le modèle de la Corse, et qui disent : " Vous avez ouvert la porte à la Corse, pourquoi vous ne nous l'ouvrez pas aussi ? "

Emmanuel MACRON
Je suis très pragmatique et je tiens à l'unité de la République, mais je pense que l'unité de la République passe par notre capacité à reconnaître les singularités et la diversité de celle-ci. Et donc, nous aurons ce soir un dîner de travail avec l'ensemble des élus, le président de la collectivité, les parlementaires, les maires, tous les élus qui ont été mobilisés autour du préfet pour avancer, sur la base des travaux d'ailleurs qui ont été faits par les élus, des avis qui s'expriment, mais au service, à mes yeux, d'un projet de territoire. Au fond, pour moi, le débat ne doit pas être idéologique, il doit être pragmatique. Et c'est comme ça, d'ailleurs, que je l'ai fait en Corse. C'est une situation qui est très différente. Ici, vous avez une vraie singularité, si je puis dire, régionale, et vous avez d'ores et déjà un autre cadre institutionnel. Je rappelle que le territoire guyanais n'est pas, dans le cadre de notre Constitution, régi par déjà les mêmes règles que le territoire de Corse, par exemple. Il y a un article qui permet déjà d'adapter beaucoup de choses. Le fait-on pleinement ? L'utilise-t-on comme il faut ? Faut-il créer d'autres adaptations ? C'est tout ce travail qu'on va mener ce soir et sur lequel je suis ouvert s'il est au service d'un projet de territoire dans la République.

Journaliste
Merci.

Emmanuel MACRON
Merci beaucoup.