Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué, chargé de l'Europe, à France 3 le 14 avril 2024, sur l'attaque de l'Iran contre Israël, l'avenir du CETA, l'immigration et les élections européennes.

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Média : France 3

Texte intégral

Q - Jean-Noël Barrot, bonjour.

R - Bonjour.

Q - Vous êtes ministre délégué à l'Europe, rattaché au ministère des affaires étrangères. On va parler des événements de cette nuit, une nuit tendue. L'alerte est levée à l'heure qu'il est en Israël, les autorités israéliennes disent avoir intercepté 99% des tirs iraniens qui visaient leur territoire. En quelques heures hier, l'Iran a lancé plus de 200 drones et missiles. Aucun n'a pénétré le territoire israélien. L'espace aérien a même été rouvert ce matin. Pour l'Iran, l'affaire est désormais close et l'Iran demande à Israël de ne pas riposter. Cette opération était destinée elle-même à répliquer, rappelons-le, à une attaque du consulat iranien à Damas le 1er avril par Israël, qui a fait plusieurs morts, même si l'armée israélienne, pour l'instant, ne confirme pas. Les condamnations de l'attaque aérienne de l'Iran ont été nombreuses. La France, par la voix du ministre des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a dénoncé cette attaque qui franchit un nouveau palier dans des actions de déstabilisation de la part de l'Iran. Est-ce que la voix de la France - et de l'Europe, on peut élargir - a un poids dans cette région du monde où ce sont les Etats-Unis qui font la pluie et le beau temps, on peut le dire ?

R - La France a condamné cette attaque avec la plus grande fermeté par la voix du Président de la République et celle de Stéphane Séjourné, constatant qu'effectivement, avec cette agression sans précédent, l'Iran franchit un nouveau palier dans ses actions de déstabilisation de la région. Et la France agit résolument, comme toujours, pour appeler nos partenaires à la retenue et agir pour la désescalade. La diplomatie française est reconnue et a un impact dans cette région. Le rôle de la France est également d'entraîner avec elle, sur ses positions, la communauté internationale. Et depuis l'attentat terroriste du Hamas le 7 octobre en Israël, la France, au niveau européen, a contribué très largement à unifier les positions.

Q - Ça, c'est intéressant, parce qu'il y a Ursula von der Leyen qui a réagi notamment ce matin. Elle, elle dit, la présidente de la Commission européenne... Elle appelle tous les acteurs à stopper l'escalade. "Tous les acteurs", c'est-à-dire qu'il n'y ait pas soit Israël d'un côté, soit l'Iran de l'autre. Est-ce qu'Israël a une part de responsabilité aussi dans ce qu'il s'est passé cette nuit ?

R - Les 27 dirigeants de l'Union européenne s'exprimeront sous peu sur cette question.

Q - Lors de quel... Lors d'un Conseil européen ?

R - Un Conseil européen les réunira la semaine prochaine. Peut-être s'exprimeront-ils à cette occasion-là ; peut-être le feront-ils préalablement, étant donné qu'un certain nombre de ses dirigeants ont d'ores et déjà pris la parole. Mais il y aura très certainement une parole forte et unie de la part des Européens, qui veulent jouer le rôle d'une puissance d'équilibre dans cette région. C'est ce qu'ils font depuis le 7 octobre dernier et l'attentat du Hamas en Israël.

Q - Il y a une réunion du G7 aujourd'hui, coordonnée et initiée par le président américain, Joe Biden. Emmanuel Macron y participera, bien évidemment. Est-ce qu'on peut imaginer une prise de parole d'Emmanuel Macron à l'issue de ce G7 ?

R - On peut l'imaginer. Le Président de la République a d'ores et déjà condamné cette attaque, évoqué l'action diplomatique de la France pour appeler nos partenaires à la retenue. S'il le juge utile à l'issue de cette réunion du G7, il prendra la parole.

Q - Alors, action diplomatique de la France ; action militaire peut-être aussi, parce que le porte-parole de l'armée israélienne a indiqué que la France avait participé aux opérations. De quelle manière ?

R - Il appartiendra au Président de la République de rendre compte d'une action éventuelle de la France pour éviter l'embrasement de la région dans ces circonstances.

Q - Est-ce qu'il faudra en rendre compte aussi devant la représentation parlementaire ? Vous allez certainement peut-être avoir une demande de débat parlementaire sur le rôle de la France en Israël, particulièrement là, ces dernières heures. Vous y êtes prêts ?

R - Le Parlement est souverain et peut demander des comptes au Gouvernement à tout moment.

Q - Et vous y êtes prêts ?

R - Bien évidemment.

Q - Ces derniers jours, la France avait demandé à ses ressortissants de ne pas se rendre en Israël, en Iran, au Liban, dans les territoires palestiniens occupés à cause des risques d'escalade militaire. On a vu ce que ça a donné ces dernières heures. Le message est toujours d'actualité ?

R - Absolument. Et j'invite nos compatriotes à suivre attentivement les indications et les prescriptions du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Q - Donc pour l'instant, c'est toujours le même mot d'ordre ?

R - Jusqu'à nouvel ordre.

Q - Gabriel Attal était cette semaine au Canada pour rassurer Justin Trudeau sur l'avenir du CETA, cet accord commercial entre l'Europe et le Canada rejeté récemment au Sénat par la droite et la gauche. Avec la France, dix pays européens doivent ratifier cet accord commercial entré en vigueur à titre provisoire en 2017. Et le débat a resurgi lors de la crise agricole. Des deux côtés en tout cas, les Premiers ministres ont voulu rassurer.

(...)

Q - Jean-Noël Barrot, l'accord sur le CETA doit repasser maintenant devant les députés, une fois que les sénateurs l'ont rejeté. Souhaitez-vous que ce soit avant ou après les élections européennes ?

R - Le rejet de cet accord du CETA par le Sénat, c'est irresponsable et c'est démagogique. On a entendu le Premier ministre à l'instant. Cet accord, il a bénéficié à nos agriculteurs, à nos entreprises et à nos emplois. Donc, la droite qui était à l'origine de cet accord et la gauche qui l'a signé, qui se sont unies au Sénat pour le rejeter, devront en rendre compte et expliquer dans leurs départements aux agriculteurs, aux entrepreneurs ce pour quoi ils ont rejeté cet accord.

Q - Ça, c'est pour le Sénat. Maintenant ce sont les députés qui doivent du coup revoter.

R - Evidemment.

Q - Est-ce que vous souhaitez que ce soit avant ou après les élections européennes ?

R - Je crois qu'il faut soustraire ce débat si important pour nos filières agricoles, pour notre industrie textile ou sidérurgique, aux postures et aux gesticulations préélectorales et que nous aurons après les élections européennes tout le temps nécessaire pour avoir un débat apaisé sur ce sujet important.

Q - Est-ce que ce n'est pas un peu dommage, parce que comme justement c'est un sujet qui intéresse les Français - mais l'Europe, en général - de ne pas débattre avant les élections européennes ? Ça éclairerait les électeurs.

R - Je crois que ce sont les sénateurs communistes qui ont instrumentalisé cet accord dont dépend l'avenir de l'agriculture française à des fins électoralistes, c'est-à-dire pour préparer les élections européennes.

Q - Ok, j'entends bien, mais est-ce que les électeurs n'auraient pas envie justement d'un débat pour être au courant de ce qui se passe derrière ce CETA ?

R - Non, les électeurs ont envie qu'on leur parle d'Europe, de projet pour l'Europe. Ils ont envie qu'on leur parle de l'objet de cette élection du 9 juin et pas qu'on détourne leur attention sur des sujets nationaux ou sur d'autres sujets.

Q - Donc, si le Parti communiste veut inscrire ce texte, comme il prévoit, le 30 avril dans sa niche parlementaire, le Gouvernement fera tout pour s'y opposer ?

R - Le Gouvernement privilégie un débat apaisé, chiffres à l'appui, sur cette question si importante pour l'avenir de nos agriculteurs. Il faut interroger nos agriculteurs pour savoir ce qu'ils pensent de cet accord. Et dans certaines filières, ça a été une opportunité extraordinaire.

Q - Et s'il doit y avoir débat : après les européennes, c'est ce que vous avez dit.

R - Absolument.

Q - L'immigration, c'est aussi l'un des thèmes des élections européennes, en particulier à droite et à l'extrême droite. Mercredi, les députés européens ont voté le pacte "asile et migration". Mais droite et gauche françaises, elles, s'y sont opposées.

(...)

Q - Jean-Noël Barrot, en revanche, il y a un parti qui a voté pour à 100% ce texte sur l'asile et l'immigration, c'est Renaissance - Renew, au niveau européen - votre parti, avec l'aide de la droite et du Parti socialiste européen, je le rappelle. Donc pour vous, cela reste une belle victoire malgré tout ?

R- Absolument. Avec l'adoption au Parlement européen de ce pacte sur la migration et l'asile, on ne parlera plus jamais "d'Europe passoire". C'était un engagement du Président de la République en 2017 dans son discours de la Sorbonne. Sept ans plus tard, c'est devenu réalité. Et comme votre reportage l'a très bien expliqué, grâce à la solidarité désormais actée entre les Etats membres et grâce à un meilleur contrôle à nos frontières avec le filtrage et le suivi des personnes qui rentrent sur le territoire européen, nous reprenons la maîtrise de notre politique migratoire. Alors oui, il y a un certain nombre de candidats de droite et de gauche qui ne l'ont pas voté. Mais personne n'est dupe. Ce sont des candidats qui préfèrent vivre des problèmes, alimenter les problèmes, pour en faire du carburant électoral, plutôt que de les résoudre.

Q - On va revenir sur la campagne. Juste un petit mot, vous avez parlé du discours de la Sorbonne d'Emmanuel Macron : est-ce qu'il y aura un deuxième discours de la Sorbonne ?

R - Il y aura un nouveau discours et c'est bien naturel puisque ...

Q - Quand ?

R - Dans les prochaines semaines. Dans son discours de la Sorbonne de 2017, le Président de la République brisait un certain nombre de tabous et donnait rendez-vous aux citoyens français au printemps 2024 pour faire un état des lieux. Et ce que je peux vous dire, c'est que ces tabous ont été brisés, que l'Europe a changé et que le Président de la République s'exprimera prochainement pour en faire état.

Q - On parle du 25 avril ...

R - Autour du 25 avril.

(...)

Q - Alors, vous savez que pour les élections européennes du 19 juin, il y a une grande incertitude, c'est le taux de participation. Est-ce que les Français vont aller voter ? C'est un scrutin qui généralement est boudé par les Français. Le Gouvernement d'habitude, on a vu ça en tout cas l'an passé, lance des campagnes de sensibilisation ou d'information pour inciter les Français à s'inscrire sur les listes électorales ou à aller voter. Est-ce qu'il y aura ça cette année ?

R - L'abstention, ce n'est pas une fatalité. En 2019, nous l'avons fait baisser sous la barre des 50%, son niveau le plus bas en 25 ans. Et nous pouvons faire mieux en 2024. Alors comment ? D'abord en facilitant le vote. Et cette année, pour la première fois, c'est inédit, il sera possible de donner une procuration 100% en ligne sans avoir à aller au commissariat ou à la gendarmerie, mais simplement sur le site maprocuration.gouv.fr.

Q - Ça, c'est d'accord, est-ce qu'il y aura une campagne de sensibilisation ?

R - Bien sûr, une campagne de communication inédite, qui va commencer lundi...

Q - Demain ?

R - Absolument. Qui utilisera tous les canaux de communication : les nouveaux médias, les réseaux sociaux, les séries télévisées, qui vont prêter un certain nombre de leurs comédiens ou acteurs pour participer à cette campagne.

Q - Les réseaux sociaux ? Vous n'avez pas peur des réseaux sociaux, dans ce cas-là ?

R - Non, les réseaux sociaux...

Q - Parce que j'entends dire que parfois les Russes pourraient désinformer. Vous n'avez pas peur d'être court-circuités ?

R - Mais sur les réseaux sociaux, on peut aussi communiquer de l'information de qualité. Donc ce sont tous les canaux qui vont être utilisés. J'ajoute à cela nos postes diplomatiques, puisque les Français établis hors de France sont eux aussi appelés aux urnes. Et je voudrais simplement rappeler un dernier point, parce qu'hier, à Reims, à Compiègne, avant-hier à Bourgoin-Jallieu, j'ai constaté qu'un certain nombre de nos concitoyens européens, ressortissants d'autres pays de l'Union européenne, n'était pas tout à fait au courant de leurs droits. Il est possible aux élections européennes, pour les ressortissants d'autres pays membres de l'Union européenne, de voter.

Q - Une dernière chose, quelque chose qui est en train de devenir une affaire, c'est Euronews. Euronews, c'est une chaîne d'information qui parle de l'Europe, qui est basée à Lyon. Elle a été rachetée en juillet 2022 par un fonds d'investissement portugais. Mais une enquête de plusieurs médias, dont Le Monde, a vu que derrière ce fonds portugais, en fait, c'était de l'argent hongrois et de proches du président hongrois Viktor Orban, qui a même des arrière-pensées politiques parce qu'il a dit qu'en rachetant Euronews, il voulait "dégauchiser Euronews". Est-ce que vous allez demander des explications aux propriétaires ?

R - Dans un monde où la démocratie est fragilisée et attaquée de toute part, l'Europe, l'Union européenne est notre assurance-vie. Et l'assurance-vie pour la démocratie, c'est la liberté et l'indépendance des médias. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté tout récemment un règlement sur la liberté des médias, qui évitera pour l'avenir que des médias puissent être infiltrés par des puissances et des ingérences étrangères...

Q - Mais sur Euronews, est-ce que vous allez demander des comptes sur le financement d'Euronews ?

R - Nous avons désormais des règles qui préservent la liberté et l'indépendance des médias. Ensuite, avoir des médias européens comme Euronews, comme Arte, c'est évidemment indispensable.

Q - Mais Euronews aux mains de Viktor Orban, ça ne vous gêne pas ?

R - Vous prenez peut-être là un certain raccourci.

Q - C'est une enquête du Monde.

R - En tout cas, ce que je peux vous dire, c'est que nous avons désormais un cadre très protecteur pour ce pilier de la démocratie qu'est l'indépendance des médias.

Q - Il n'y aura pas d'enquête sur Euronews ?

R - Nous avons un cadre. Il faut que ce cadre soit désormais respecté.

Q - Et pour l'avenir ?

R - Par les investisseurs d'Euronews.

Q - Merci, Jean-Noël Barrot, d'avoir accepté notre invitation.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 avril 2024