Texte intégral
Mme Sophie Panonacle, vice-présidente. Nous avons le plaisir de recevoir M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. La gestion des risques naturels majeurs outre-mer concerne plusieurs ministères dont le vôtre, monsieur le ministre, et c'est de leur synergie que découlent les politiques publiques d'anticipation, de gestion de crise et de réparation dont vous nous parlerez. Á l'évidence, le réchauffement climatique peut aggraver l'intensité, voire la conjonction des phénomènes naturels et entraîner des dégâts considérables.
Cette audition est transmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale et l'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Avant de vous céder la parole, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Christophe Béchu prête serment.)
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Je me félicite de l'occasion qui m'est donnée de répondre, en toute transparence, aux questions de votre commission d'enquête. Outre cela, je tirerai de vos travaux les enseignements utiles pour continuer d'améliorer l'efficacité des politiques publiques menées dans les outre-mer par mon ministère, souvent dans un contexte interministériel, y compris sur ces sujets.
Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires est chargé de la prévention des risques que nous avons mission de cerner et de quantifier pour mener des politiques de prévention adaptées, alors que le réchauffement climatique aggrave la fréquence et l'intensité de certains phénomènes naturels dangereux. Nous agissons à la fois quotidiennement et sur le long terme pour assurer à la France une résilience face aux risques, limiter l'impact de la dégradation de notre environnement sur notre santé et éviter le gaspillage.
J'ai précisé en octobre dernier que nous devions nous adapter à la trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique reposant sur le scénario tendanciel du Groupe d'experts inter-gouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) qui anticipe une augmentation de 4 degrés Celsius en France métropolitaine en 2100. Sur cette base, nous sommes en train de bâtir le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC-3) ; il sera soumis à la consultation du public dans les prochaines semaines. Ce plan comprendra bien sûr un important volet relatif à la prévention des risques naturels majeurs sur l'ensemble du territoire. Une attention particulière sera portée à la bonne prise en compte des territoires ultramarins, soumis non seulement aux risques qui menacent la métropole mais aussi à des risques spécifiques.
Haroun Tazieff, le premier commissaire chargé de la prévention des risques naturels majeurs, au début des années 1980, a donné des risques naturels majeurs la définition suivante : « La menace sur l'homme et son environnement direct, sur ses installations, la menace dont la gravité est telle que la société se trouve absolument dépassée par l'immensité du désastre ».
Tous nos territoires sont susceptibles d'être affectés par des risques naturels majeurs, mais les outre-mer doivent faire face à des aléas particuliers – éruptions volcaniques, cyclones, ouragans, tsunamis – ou à des risques rendus spécifiques par l'insularité et l'étroitesse de ces territoires. Faire face à une inondation majeure compromettant l'alimentation en eau et en électricité peut demander des moyens logistiques qui, parce qu'ils sont inexistants dans certains de ces territoires, doivent donc être acheminés depuis la France métropolitaine. Ces territoires ont pour autre particularité la résilience de leur population qui, ayant largement intégré la culture du risque, a des réflexes de protection collective.
Comment faire face à ces phénomènes dans les territoires ultramarins dans une perspective de réchauffement climatique ? Comment mieux prévenir les conséquences des risques et adapter la politique de prévention pour préserver les vies humaines ?
Notre action est fondée sur trois piliers : connaître, prévenir, faire face. La connaissance des risques et de leur évolution compte tenu du changement climatique suppose de cerner les vulnérabilités et d'anticiper comment un phénomène naturel dangereux peut se transformer en catastrophe. La prévention consiste à réduire les vulnérabilités des territoires les plus exposés ; il faut en particulier veiller à maîtriser l'urbanisation pour que nos concitoyens résident dans les zones les plus sûres, et pour cela adapter le bâti, par exemple en rehaussant les exigences réglementaires en matière de construction en fonction des risques naturels – je pense évidemment à la résistance aux vents cycloniques. Pour faire face, enfin, le ministère contribue à la gestion de crise, qui relève de la responsabilité du ministère de l'intérieur, par la production d'informations en amont et la surveillance à toutes les étapes ; ainsi, nous animons le réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte.
Face au changement climatique déjà à l'œuvre et aux incertitudes qu'il fait peser sur la solidarité nationale en cas de catastrophes naturelles, nous disposons encore de marges de manœuvre pour améliorer notre connaissance et la gestion des nouveaux phénomènes liées à ce changement. Nous menons pour cela une action constante avec les experts de Météo France, de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; cette liste n'est pas exhaustive.
Nous devons aussi améliorer la prise en compte des risques dans toutes les politiques publiques, particulièrement en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme. Le dialogue avec les collectivités territoriales est donc un élément clé ; le fonds vert, dispositif dont j'ai porté la création, témoigne de la volonté de disposer des moyens permettant ces partenariats.
Enfin, je suis convaincu qu'un citoyen bien informé peut agir rationnellement pour sa propre sécurité en adoptant les gestes qui sauvent et que notre sécurité collective dépend de l'appropriation par les individus de l'ensemble de ces réflexes ou de ces bonnes pratiques. Il en va de notre résilience collective ; de ce point de vue, les outre-mer sont aux avant-postes. Je salue l'inscription dans la loi, en juillet 2023, de la Journée nationale de la résilience en vue d'assurer la préparation de la population aux risques naturels ou technologiques.
Nous avons pour impératif de concevoir et d'appliquer les politiques publiques en tenant compte de la diversité des territoires et donc des spécificités de chaque territoire ultramarin, que ne menacent pas les mêmes risques. C'est ce qui fait l'intérêt de votre mission et c'est ce qui fera, je n'en doute pas, l'intérêt de ses conclusions.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je vous remercie de vous être rendu avec autant de célérité à notre invitation. Je vous prie d'excuser l'absence du président de notre commission, M. Mansour Kamardine, retenu à Mayotte où il accueille Mme la ministre Marie Guevenoux dans le cadre de la préparation de la loi concernant l'île.
Notre commission d'enquête, créée après l'adoption par le Parlement d'une proposition de résolution en ce sens, est la preuve d'une prise en conscience globale. Il ne s'agit pas de chercher à tout prix ce qui ne fonctionne pas mais de déterminer si les politiques menées sont cohérentes et propres à nous prémunir des risques envisagés et si les moyens sont à la hauteur de la prévention nécessaire.
Vous avez dit avec raison que certains territoires d'outre-mer peuvent être confrontés à l'ensemble des risques naturels majeurs. Á cela s'ajoute que les risques encourus sont parfois très imbriqués : il nous a été indiqué au cours de plusieurs auditions que risque volcanique signifie souvent risque sismique, risque de tsunami, glissements de terrain… La prévention se traduit souvent par des plans : plans de prévention des risques naturels (PPRN), plans de sauvegarde communaux (PSC), plan Orsec. Or, au fil des auditions, nous avons constaté les lacunes de l'actualisation de ces plans. Non seulement certains demanderaient à être révisés parce qu'ils ne tiennent pas compte de l'aggravation des risques liée à l'évolution du climat mais d'autres n'existent tout simplement pas. Comment accompagnez-vous les collectivités de territoires dont – rien ne sert de faire semblant – on connaît le déficit en matière de moyens d'ingénierie, dans la rédaction ou l'actualisation de ces documents, par exemple les PPRN qui permettent de dessiner une cartographie prévoyant un urbanisme maîtrisé compatible avec la gestion des risques, comme vous l'appelez de vos vœux ?
M. Christophe Béchu, ministre. Nous sommes nous-mêmes en train de réactualiser la nature des risques auxquels nous sommes confrontés, pas seulement pour les outre-mer mais partout en France. Ainsi, dans la trajectoire d'adaptation au changement climatique, la lutte contre le recul du trait de côte diffère selon l'augmentation envisagée de la température : selon qu'elle est de 2 ou de 4 degrés Celsius, la montée des océans n'est pas la même, ni donc les cartographies, les conséquences, le coût des factures.
Un nombre considérable de ces risques étant liés au dérèglement climatique, il est logique d'articuler la trajectoire d'adaptation au changement climatique avec un plan national d'adaptation et, dans le sillage de ce plan, d'actualiser les risques et les moyens. Le PNACC-3 et son volet spécifique " Outremer " vous apporteront la satisfaction de mesurer des mises à jour reflétant la somme de nos connaissances à cet instant.
Pour l'ingénierie des cartes et du suivi, le PNACC-3 devra d'évidence définir comment l'État et les collectivités devront mettre à niveau, contextualiser et parfois géolocaliser les éléments nécessaires. Pour le trait de côte, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a été chargé de prévoir des cartes pour la France métropolitaine. Il n'y a aucune raison que ce qui est fait pour l'Hexagone ne le soit pas pour les territoires et les départements ultramarins, et le niveau d'ingénierie indispensable est tel que ce travail ne peut être confié aux collectivités ni dans l'Hexagone ni Outre-mer. Les connaissances actualisées par les opérateurs du ministère forment un socle qui rend le travail nettement plus simple, mais ce sont bien les services des préfectures qui doivent faire le lien avec les agences dépendant de l'État ; je pense en particulier au Cerema, en passe de s'imposer comme l'agence de l'adaptation, cependant que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) est l'agence de la transition et de l'atténuation.
Reste sous-jacente la question des moyens budgétaires nécessaires pour pouvoir réaliser cette adaptation. Ma réflexion n'est pas arrêtée sur le niveau de ce qui doit être porté par l'État pour mutualiser une partie des coûts et de ce qui sera laissé à la main des collectivités, qui feront ensuite appel à des cabinets pour les accompagner dans la rédaction de ces plans, lesquels ne seront pas figés dans le temps. Les règles d'actualisation des différents dispositifs seront précisées compte tenu de l'évolution des risques. Dans le projet de loi de finances pour 2024, le Parlement a ouvert la voie en autorisant qu'une partie du fonds vert serve à accompagner la réalisation des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET). Est-ce le chemin à suivre pour permettre de soutenir cette ingénierie ? Devons-nous orienter le fonds vert vers la prévention des risques naturels ou l'élargir aux politiques de préservation de la biodiversité ou d'atténuation ? Notre réflexion est toujours en cours et je prendrai connaissance avec intérêt des conclusions de votre commission à ce sujet.
Ces plans, outils de prévention, sont d'autant plus nécessaires que dans certains cas ils rendent la commune considérée éligible à un financement en cas de catastrophe naturelle, notamment au fonds Barnier. Les communes ont donc tout intérêt à rédiger des documents de ce type. J'ajoute qu'en cas de survenance de tels sinistres, l'existence de ces plans préventifs ou de ces cartes permet d'obtenir les niveaux d'indemnisation les plus élevés.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je me souviens avoir entendu exposer, au cours d'un déplacement à La Réunion avec Mme Elisabeth Borne, alors Première ministre, des projets envisagés avec l'aide du fonds vert du Fonds Vert dont certains allaient plus loin que la seule préservation de la biodiversité.
Avec le ministre de l'économie et des finances, vous avez, monsieur le ministre, demandé un rapport sur l'assurabilité des risques climatiques, chargeant ses auteurs de faire des propositions visant à garantir la soutenabilité du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles et à renforcer le rôle du système assurantiel dans la prévention, l'atténuation et l'adaptation face au dérèglement climatique. De fait, le taux d'assurance de ces risques est extrêmement faible outre-mer : à Mayotte, seuls 6% des biens sont assurés, et le taux maximum est de 68 % pour ce qui concerne La Réunion, avec un très fort déficit d'assurance pour l'habitat, un déficit très marqué pour l'immobilier économique – et je crains fort qu'une partie de l'immobilier public ne soit pas tellement mieux assurée. Bien entendu, les victimes non assurées de tels sinistres n'ont pas droit à des indemnisations par les compagnies d'assurance mais elles n'ont pas non plus accès aux versements du fonds Barnier, ni au fonds de secours pour l'outre-mer sinon dans de très mauvaises conditions et jamais à la hauteur des dégâts subis. Quelles conclusions seront tirées de ce rapport ?
M. Christophe Béchu, ministre. Je n'ai nullement l'intention d'esquiver votre question mais le rapport nous a été remis avant-hier et un travail interministériel reste à conclure puisque, avant que l'on parle du régime des catastrophes naturelles, tout ce qui est assurance classique relève d'abord du ministère de l'économie et des finances. Selon les chiffres dont je dispose, c'est effectivement une caractéristique commune aux outre-mer que le faible taux de souscription d'assurances : il est de 50% en moyenne dans ces territoires pour 96% en moyenne dans l'Hexagone. Dans ces territoires, la moitié des biens ne sont pas assurés en assurance ouvrage et le nombre de particuliers ayant souscrit à des assurances de responsabilité civile est considéré comme " négligeable " par le ministère de l'économie et des finances. Le différentiel avec la métropole est substantiel : on y compte 2% de non-assurés contre 20% à La Réunion et 50% à Saint-Martin.
La commande d'un rapport sur l'assurabilité des risques climatiques s'explique par l'explosion du coût des indemnisations liées aux catastrophes naturelles répertoriées dans l'Hexagone et outre-mer. Le rapport vise à définir comment rehausser le niveau de notre régime d'indemnisation de ces sinistres en fonction d'un risque climatique qui s'accroît tous les ans. Au-delà de l'augmentation, déjà officialisée par le Gouvernement, du taux de la cotisation " catastrophe naturelle " sur les contrats d'assurance de dommages aux biens d'habitation et professionnels, qui passera de 12% à 20% à partir du 1er janvier 2025, les auteurs du rapport recommandent de prévoir un coefficient d'actualisation de ce taux tenant compte du risque de dégradation. Je précise que le taux de 12% n'avait pas varié depuis plus de vingt ans. Doit-on prévoir un mécanisme automatique ? Y a-t-il matière à renforcer le " porter à connaissance " des habitants du degré de risque auxquels ils s'exposent en fonction des secteurs dans lesquels ils décident de s'implanter ? Pour éviter que des assureurs ne se détournent de certains territoires, ne faut-il pas mettre un point un système de " bonus-malus " tel que les compagnies d'assurance qui s'écarteraient systématiquement de territoires cumulant les risques, singulièrement outre-mer, soient tenues de cotiser à un dispositif de péréquation en faveur des assureurs qui jouent le jeu ? Le rapport qui vient de nous être remis comprend trente-sept propositions et je n'entrerai pas davantage dans le détail aujourd'hui, car nous avons convenu d'un temps de travail supplémentaire. Mais l'on voit bien que toute réflexion sur les assurances doit être renforcée pour ce qui concerne l'outre-mer.
D'autre part, nous attendons le rapport de la mission confiée à M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, sur l'assurabilité des collectivités territoriales. Avec l'accentuation du dérèglement climatique, elles éprouvent de plus en plus de difficultés à s'assurer face au désengagement croissant des assureurs. Je n'ai pas de statistiques comparatives à ce sujet sur la situation dans l'Hexagone et outre-mer, mais certains niveaux de primes demandés ou de franchises exigées disent le casse-tête auquel certains maires se trouvent confrontés. Or les dégâts causés par les sinistres considérés ne touchent pas seulement des biens privés mais aussi des routes et des bâtiments publics, a fortiori outre-mer étant donné la typologie des aléas climatiques, tsunami ou cyclone par exemple.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J'admets que, 48 heures après la remise d'un rapport, un temps de débroussaillage est encore nécessaire et je ne pousserai donc pas ce questionnement plus avant. Mais je puis témoigner que ce matin même, lors d'une audition conduite par la mission d'information sur la situation du département de Mayotte, tous les artisans réunis témoignaient de leurs difficultés à trouver des assurances dommages ouvrage, ce qui change évidemment tout pour l'économie du bâtiment. Les collectivités elles-mêmes n'ont pas toujours les moyens d'être aux normes les plus exigeantes en matière de prévention. Nous verrons avec intérêt quelles conclusions de ce rapport vous retiendrez.
Alors que vous peaufinez le PNACC-3, quel bilan dressez-vous du PNACC-2 ? Quelles en ont été les limites et comment songez-vous à faire évoluer cette démarche ?
M. Christophe Béchu, ministre. Le changement principal est que le PNACC-3 sera fondé sur une trajectoire qui n'a rien de commun avec celle du PNACC-2, quel que soit le bilan que l'on en tire. Une sorte de mise à jour du logiciel bouleverse tout, une augmentation de 4 degrés Celsius de la température étant évidemment tout autre chose qu'une augmentation de 1,5 degré. J'ajoute que le PNACC-2 n'avait pour ainsi dire pas pris en compte la spécificité des territoires ultramarins ; la question relevait plus de la figure imposée que d'un travail fouillé. D'autre part, le document montrait des lacunes dans la poursuite des objectifs stratégiques et dans le suivi visant à assurer que les objectifs définis étaient tenus. Il en ira différemment dans le PNACC-3 : si l'on se fixe des objectifs relatifs à la nécessaire adaptation, il faut faire plus que sonner le tocsin.
Autre chose : le PNACC-2 pointait une inquiétude sur la viabilité du système d'indemnisation des catastrophes naturelles mais s'en tenait là. Nous avons commencé à nous saisir du sujet avant même d'avoir dévoilé la teneur du PNACC-3 en officialisant déjà le quasi doublement du taux de la cotisation " catastrophe naturelle " et la réflexion sur le niveau d'indexation souhaitable pour la suite.
Enfin, quand le PNACC-2 a été lancé, les données climatiques accompagnant le travail étaient peu nombreuses, si bien que des mises à jour ont dû être faites par Météo France ex post. Cette fois, nous souhaitons dire la vérité climatique avant de conclure le PNACC-3. Cela s'est traduit par des discussions préalables conduites dans le cadre de la matinée " La France s'adapte ".
Telles sont les différences saillantes entre le PNACC-2 et le PNACC-3.
Mme Sophie Panonacle, présidente. Vous parliez tout à l'heure de l'évolution des risques. À mon sens, l'érosion côtière entre dans ce cadre. Certes, lors de sa dernière assemblée plénière, le Comité national du trait de côte (CNTC) s'est entendu pour dire que l'érosion des régions côtières n'était toujours pas un risque naturel majeur mais un phénomène prévisible. Je me plie à l'opinion de la majorité mais elle me laisse dubitative puisque des scientifiques nous disent que l'érosion est combinée à la submersion marine qui est elle-même un risque, et qu'étant donné l'évolution du climat, plus le temps passera et moins on pourra différencier submersion et érosion. C'est pourquoi, à mon avis, nous devrons décider de considérer ce phénomène comme un risque.
J'aime entendre dire que le Cerema est l'agence de l'adaptation. Nous étions impatients de découvrir le magnifique travail du Centre, qui nous accompagne depuis de nombreux mois et qui mérite dès à présent nos félicitations.
La spécificité des territoires est un autre point extrêmement important. Nous l'avons constaté ce matin en accueillant sept porteurs de projets partenariaux d'aménagement (PPA). Alors qu'ils sont confrontés au même enjeu, la recomposition stratégique de leur territoire, il leur faudra trouver des solutions différentes et, qu'il s'agisse de protection, de renaturation ou de recomposition, un travail de dentellière les attend face à l'ensemble des risques naturels majeurs. La prise en considération des spécificités territoriales, notamment Outre-mer, s'impose absolument.
Nous attendons avec impatience de découvrir la teneur du PNACC-3 ; jusqu'à présent, un volet « adaptation » fort manquait. Alors que l'on parle d'atténuation depuis des dizaines d'années, l'adaptation est enfin au cœur de la politique publique. Je vous en remercie.
M. Christophe Béchu, ministre. Je confirme que l'ensemble des cartes du Cerema seront publiées demain. Elles reprendront les trois scénarios que le CNTC, que vous présidez, avait souhaité : l'horizon à cinq ans, l'horizon 2050 et l'horizon 2100. On se rend compte qu'à court terme, les deux territoires ultramarins les plus menacés sont la Martinique et la Guadeloupe, dont les degrés d'exposition au recul du trait de côte sont les plus marqués. Comme vous, je considère qu'un moment viendra où les risques finiront par se cumuler. Cela suppose un travail plus précis, que j'ai annoncé lors du dernier CNTC auquel j'ai participé le 29 juin 2023. La question sera à nouveau au cœur de nos échanges pour le prochain CNTC, prévu pour se tenir en juin prochain. Je m'y rendrai à vos côtés pour que nous fassions le point de façon à tenir l'engagement qu'un dispositif soit intégré dans le budget 2025 au titre de la lutte contre l'érosion côtière.
Mme Sophie Panonacle, présidente. J'aime à vous l'entendre dire et je serai ravie de vous accueillir en juin pour définir les modalités de financement des stratégies de recomposition.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. J'ai constaté le recul du trait de côte à Mayotte et la difficulté que cela provoque pour la collectivité unique. On nous a montré des reconstitutions de digues ; le coût était de 1,2 million d'euros par 100 mètres. De très nombreuses communes des territoires ultramarins étant bâties sur les côtes pour des raisons historiques évidentes, les enjeux sont considérables.
Les aléas climatiques ont la mauvaise idée de ne pas limiter leurs effets aux circonscriptions administratives ; c'est contrariant, mais nous devons en tenir compte. A La Réunion, le cyclone Belal avait été remarquablement anticipé par les collectivités locales et les services de l'État et la résilience de la population a été très forte ; les victimes dénombrées n'avaient malheureusement pas suivi les solutions qui leur avaient été proposées. Puis le cyclone a dévié de sa trajectoire initiale pour frapper l'Île Maurice beaucoup plus durement qu'on ne l'avait envisagé. Considérez-vous nécessaire une coopération régionale pour se protéger de ces aléas ? Si oui, comment l'assumer ? Nos territoires d'outre-mer sont très rarement isolés ; des États voisins peuvent subir des aléas climatiques graves et nous pouvons nous-mêmes avoir besoin d'eux. Qu'en pensez-vous ?
M. Christophe Béchu, ministre. Notre faculté d'anticipation dépend du fait que nous disposons de services météorologiques capables de faire les prévisions. De ce point de vue, tous les États ne sont pas également dotés, et dans la plupart de nos outre-mer nos voisins ne disposent pas de capacités d'analyse météorologique comparables aux nôtres. Météo France est l'un des rares services météorologiques opérant sur la totalité des zones géographiques. Dans certains cas, cet opérateur rend déjà des services à nos voisins : par exemple, en étant un centre de référence à La Réunion pour l'analyse des cyclones qui pourraient frapper le continent ou des territoires proches. Parallèlement, Météo France International vend ses services à des États, avec un socle d'ingénierie, d'analyse, de compétences et de supercalculateurs opéré depuis le territoire métropolitain.
L'ONU se penche sur la prévention des risques, et deux modèles s'affrontent. Les Gafam expliquent qu'ils pourraient proposer des services d'analyse en s'appuyant sur leur puissance de calcul et sur l'intelligence artificielle ; des opérateurs publics tels que Météo France suggèrent que l'on s'appuie d'abord sur des modèles qui ne soient pas directement liés aux Gafam ou à des entreprises privées. J'ai eu l'occasion de faire valoir notre point de vue, qui est de conforter des modèles publics, car si dans un premier temps ces services sont gratuits, j'ai assez peu de doutes sur le fait qu'étant proposés par des entreprises marchandes, ils finiront par être facturés – alors même que dans de nombreux cas les logiciels des Gafam utilisent des données publiques fournies par les services météorologiques nationaux. Nous n'allons pas relancer des débats sur la propriété intellectuelle mais je vous donne absolument raison sur le fait qu'il y a là un sujet de coopération internationale. C'est donc à l'honneur de l'ONU de se préoccuper de cette question, puisqu'en certains lieux il n'existe pas de services météorologiques performants. La France peut jouer un rôle dans un dispositif international grâce à ses outre-mer et grâce aux délégations de Météo France présentes en diverses régions du monde.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je suis l'auteur d'une proposition de loi visant à encadrer l'intelligence artificielle par le droit d'auteur, et la préoccupation qui s'exprime ici est similaire. J'ajoute que si nous entrons dans cette logique, que je soutiens entièrement, nous devrons assumer les investissements correspondants.
À la suite des dégâts catastrophiques dus à l'ouragan Irma et aux difficultés de la reconstruction, un délégué interministériel aux risques majeurs en outre-mer a été nommé en 2019 mais sa mission a pris fin en 2021. Il nous a indiqué que l'élaboration d'un projet de loi sur les risques majeurs outre-mer avait été envisagée juste avant la crise sanitaire. On peut comprendre que les esprits aient alors été occupés à d'autres choses, mais les risques sont toujours là. Comptez-vous remettre l'ouvrage sur le métier ?
M. Christophe Béchu, ministre. L'engagement avait été pris que les recommandations de la délégation interministérielle seraient reprises dans la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale ; il est vrai que toutes n'ont pas été transférées en droit positif. Néanmoins, une bonne partie de ces préconisations ont été mises en œuvre, parfois au niveau réglementaire, parfois sur le plan budgétaire, parfois par quelques évolutions législatives. Je serais surpris que votre commission ne s'interroge pas sur l'opportunité de reprendre et de perpétuer cette délégation dont je comprends l'intérêt puisque vous exposerez des pistes dont la mise en œuvre exigera un suivi. Cela peut paraître une réponse de Normand, mais nous ne sommes plus dans la situation de 2021, une partie de ce qu'il fallait faire ayant été fait. Il est probable qu'à l'issue de vos travaux l'accent soit mis sur les sujets pour lesquels l'action doit être intensifiée. Cela pourrait rendre pertinente l'interrogation sur cette recréation.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je prends acte de votre réponse en forme d'encouragement. Si vous voulez ajouter quelque chose, je vous en prie.
M. Christophe Béchu, ministre. Je considère que la fin de cette audition n'épuise pas le devoir d'information que j'ai à l'égard du Parlement. Si vous souhaitez me faire parvenir des questions écrites liées à l'objet de cette commission d'enquête, nous vous ferons bien entendu parvenir les éléments qui pourraient vous être utiles.
M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Monsieur le ministre, je vous remercie.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 29 avril 2024