Texte intégral
Q - Jean-Noël Barrot, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes au ministère des affaires étrangères. Tôt ce matin, Israël a frappé l'Iran. L'Iran dit qu'il ne s'est rien passé mais bon, Israël a frappé l'Iran - drones, missiles près d'Ispahan. Est-ce que des installations nucléaires iraniennes ont été visées ?
R - Ce que je peux vous dire en tout cas, c'est que dans la nuit de samedi à dimanche soir de la semaine dernière, l'Iran a franchi un palier supplémentaire dans ses actions de déstabilisation de la région en envoyant en Israël des centaines de drones et une centaine de missiles balistiques, et que nous avons condamné cette attaque avec la plus grande fermeté tout en appelant, à Paris comme à Bruxelles, à la désescalade et à la retenue dans cette région. Il est sans doute un peu tôt pour que je puisse vous faire des commentaires sur ce qu'il s'est passé cette nuit. La position de la France, c'est d'appeler tous les partenaires de la région à la désescalade et à la retenue.
Q - Oui. Washington a été prévenu de l'attaque par Israël. Est-ce que la France a été prévenue ?
R - Le Président de la République s'exprimera en temps utile sur cette attaque.
Q - La France a été prévenue, j'imagine, j'espère. Non, Jean-Noël Barrot ?
R - La France est très présente dans cette région, comme vous le savez.
Q - C'est pour ça !
R - Elle y déploie une activité diplomatique intense. Elle a, ces derniers jours, appelé chacun à la retenue et à la désescalade dans une région du monde qui est déjà soumise, depuis l'attentat terroriste du Hamas en Israël, à une forte pression, une pression extrême.
Q - Est-ce que vous approuvez la riposte israélienne ?
R - Nous allons attendre de qualifier d'abord ce qu'il s'est passé cette nuit avant de le commenter.
Q - Oui, mais enfin il y a eu cette nuit des bombardements, même si les Iraniens le nient.
R - Ce que la France a dit, c'est que l'attaque de l'Iran en Israël le week-end dernier était inacceptable.
Q - Oui, ça je le sais.
R - Elle a exprimé sa pleine solidarité avec Israël, tout en appelant à la désescalade.
Q - Donc vous n'approuvez pas la riposte ? En appelant à la désescalade, ça veut dire : "ne ripostez pas", quoi ?
R - La désescalade, cela signifie que tout doit être fait pour éviter l'embrasement de cette région.
Q - Et qu'Israël doit s'arrêter là ?
R - Israël est en droit de se défendre face aux agressions qu'elle subit, dans le respect du droit international et du droit humanitaire. C'est une situation qui est éminemment complexe, une situation qui est d'une gravité sans précédent dans la région. Le mot d'ordre, c'est la désescalade et la retenue.
Q - Est-ce qu'Israël doit s'arrêter là ?
R - Le mot d'ordre, c'est la désescalade et la retenue.
Q - Donc la retenue, la désescalade, ça veut dire qu'Israël doit s'arrêter là ?
R - Je vous le dis, Israël depuis six mois...
Q - J'insiste parce que c'est clair. Si vous me dites : "oui, Israël doit s'arrêter là", c'est clair, Jean-Noël Barrot.
R - Le mot d'ordre, c'est la désescalade. C'est-à-dire que tout doit être fait pour éviter l'embrasement dans cette région où les équilibres sont fragiles.
Q - À l'ONU, les Etats-Unis ont bloqué la reconnaissance d'un Etat palestinien. Vous avez vu ça ?
R - J'ai vu ça.
Q - Bien. Quelle a été la position de la France ?
R - La France a soutenu cette résolution visant à reconnaître ou à faire reconnaître par l'ONU la Palestine comme un Etat membre de l'Organisation des Nations unies. C'est une résolution que nous avons soutenue car nous considérons que nous ne pouvons pas repousser ad vitam aeternam cette reconnaissance et qu'il était bon qu'elle puisse avancer.
Q - Oui. Cinq pays de l'Union européenne, quatre pays plus la Norvège, sont prêts à reconnaître un Etat - c'est autre chose - un Etat palestinien. Est-ce que la France est prête ?
R - Il n'y a pas de tabou sur cette question. La France est prête à le faire le moment venu, dans le cadre d'un processus de paix structuré et organisé.
Q - Donc, la France est prête à reconnaître un Etat palestinien ?
R - Le moment venu, dans le cadre d'un processus de paix structuré et organisé.
Q - Bien. Jean-Noël Barrot, l'Ukraine. Pourquoi l'Occident, dont la France, intercepte-t-il les missiles et drones tirés sur Israël par l'Iran et ne le fait pas pour les missiles et drones russes tirés sur l'Ukraine ?
R - La situation n'est pas comparable. Les interceptions qui ont eu lieu dans le Proche-Orient sont des interceptions qui concernaient le ciel au-dessus des forces françaises. Ça n'a rien à voir avec la situation en Ukraine. Ceci étant dit...
Q - Donc on s'en lave les mains ?
R - Evidemment que non.
Q - Jean-Noël Barrot, si ça ne concerne pas les forces françaises, les missiles russes peuvent atterrir et tuer en Ukraine ?
R - Mais vous plaisantez ! La France et l'Europe ont apporté un soutien massif, colossal à la résistance ukrainienne depuis deux ans. D'ailleurs, l'Union européenne est l'organisation politique ou la région du monde qui a apporté le plus grand soutien à l'Ukraine depuis le début de la guerre d'agression russe. C'est le cas de la France, par exemple, qui a livré des canons Caesar, des SCALP, ainsi que de nombreuses munitions à la résistance ukrainienne pour qu'elle puisse faire face.
Q - Vous savez très bien que l'Europe a livré très peu de missiles, très peu de défense antiaérienne aux Ukrainiens pour se prémunir, justement, des bombardements russes.
R - Mais beaucoup plus que le reste du monde. Et nous avons décidé, le mois dernier, de renforcer la Facilité européenne de paix, de manière à faire en sorte que le plus grand soutien puisse être accordé, sur le plan militaire, à l'Ukraine.
Q - L'Ukraine qui appelle à l'aide : vous avez vu cela ? Qui appelle à l'aide. Les Russes grignotent chaque jour du territoire ukrainien. Qui réagit ?
R - Nous réagissons. Le 26 février dernier, le Président de la République a rassemblé une vingtaine de chefs d'Etat et de gouvernement pour appeler à renforcer et approfondir le soutien militaire à l'Ukraine, en disant avec beaucoup de force et de clarté que ce soutien s'inscrirait dans la durée, qu'il serait aussi intense que nécessaire. C'est ce que nous avons matérialisé pays par pays avec des plans d'aide à l'Ukraine. C'est le cas de la France, qui a signé avec le président Zelensky, un plan de 3 milliards d'euros pour l'année 2024. Et c'est vrai au niveau européen, où nous avons d'abord débloqué une enveloppe de 50 milliards d'euros pour l'aide civile, l'aide économique à l'Ukraine, puis 5 milliards d'euros pour l'aide militaire à l'Ukraine, et nous allons continuer. Notre objectif c'est que, au mois de juin, avant l'été, l'Europe puisse se doter des moyens de financer durablement la résistance ukrainienne.
Q - Oui, 80% des équipements fournis à l'Ukraine, équipements militaires, ont été achetés hors de l'Union européenne, parce que nous ne fabriquons pas suffisamment d'équipements militaires dans l'Union européenne.
R - Parce que nous avons pris la mauvaise habitude de nous approvisionner à l'extérieur de l'Union européenne, et qu'il faut que ça cesse. C'est pourquoi la France est le pays en Europe qui pousse le plus fort pour la préférence européenne en matière d'industrie de défense.
Q - Alors, j'ai juste une petite question à propos de l'Ukraine et de la Russie, des sanctions contre la Russie. Est-il vrai que depuis quelques mois, des navires russes chargés d'acier russe, accostent dans le port de Bayonne ? C'est vrai, vous êtes au courant de ça ?
R - Je ne peux pas vous confirmer cette information.
Q - Bon. Ce sont des milliards pour les Russes. Mais vous ne pouvez pas me confirmer cette information ? Je vous dis ça, parce que la presse en fait état.
R - Ce que je puis vous dire, c'est que l'Union européenne, et c'est une première dans son histoire, a décidé de sanctions à l'encontre des intérêts russes. Nous en sommes à négocier le 14e paquet de sanctions, qui vise désormais toutes celles et ceux qui participent au contournement de ces sanctions, et que cette semaine, l'Union européenne a décidé de sanctionner l'Iran - ou plus précisément de renforcer les sanctions contre l'Iran - qui participe, au travers du transfert de drones et de missiles, à aider la Russie dans son agression de l'Ukraine.
(...)
Q - Jean-Noël Barrot, l'Europe, parlons d'Europe. Discours du Président de la République jeudi prochain sur l'Europe. Je crois que c'est à la Sorbonne. C'est bien cela ?
R - C'est cela.
Q - C'est ça. À la Sorbonne, discours sur l'Europe, parce qu'il va falloir parler d'Europe dans cette campagne européenne. On n'en parle pas. C'est le 9 juin. La candidate, votre candidate, est en train de patiner. Alors, cap sur les années à venir, si j'ai bien compris le discours du Président de la République. C'est bien cela ? Il va dresser un cap ? Quel est le cap, d'ailleurs, de l'Europe pour les années à venir ?
R - Il va dresser un cap, mais il va revenir aussi sur l'action qu'il a menée depuis 2017, depuis son premier discours dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, pour montrer que par sa combativité et sa mobilisation, il a fait, en 7 ans, changer l'Europe, en tenant les engagements qu'il avait pris il y a 7 ans. Jamais la France n'a été aussi influente en Europe que ça n'a été le cas depuis 2017. C'est la France qui a donné le "la" dans le concert européen, notamment en installant une idée nouvelle, qui était de plus un concept interdit il y a 7 ans encore, celui de souveraineté européenne.
Q - L'économie européenne décroche. C'est ce que j'ai lu. Qui l'a écrit ? L'ancien Premier ministre italien Enrico Letta. Vous n'êtes pas d'accord, je crois savoir, avec ses propos. Est-ce que l'économie européenne décroche ?
R - Nous sommes face à des risques très graves pour l'avenir de notre continent, et donc de notre pays. Le décrochage économique en fait partie. On pourrait citer le risque climatique, on pourrait...
Q - Donc oui, l'économie européenne décroche ?
R - On pourrait citer le risque du retour de la guerre. Il y a un risque que l'économie européenne décroche. C'est la raison pour laquelle, face à la Chine ou face aux Etats-Unis, qui investissent massivement dans les industries d'avenir, il nous fallait nous doter à nouveau d'une politique industrielle en Europe. Et c'est une victoire française. Il a fallu batailler, il a fallu livrer bataille. C'est ce que le Président de la République a fait depuis 7 ans. Et c'est désormais chose faite. Cette semaine, une nouvelle fois à Bruxelles, les 27 dirigeants se sont ralliés aux positions françaises pour affirmer que l'Europe devait se doter de la capacité d'investir dans les industries.
Q - Comment ?
R - Eh bien justement, en se donnant les moyens, et notamment en réorientant l'épargne des Européens, qui aujourd'hui fuient l'Europe pour aller s'investir aux Etats-Unis, vers ces industries d'avenir, de manière à ce que nous puissions, que l'on parle de l'intelligence artificielle, du quantique...
Q - Concrètement, comment fait-on ?
R - Ah, on peut en parler si vous voulez. Concrètement, il faut que les tuyaux soient branchés sur l'industrie européenne. Cela veut dire qu'il faut que, au travers de l'Union européenne, les superviseurs, ceux qui veillent sur l'épargne des Européens, harmonisent leurs pratiques.
Q - Oui, et plus de protection, plus de protection européenne ?
R - Pas nécessairement. Vous savez, aujourd'hui, si 300 milliards d'euros chaque année quittent l'Union européenne pour aller s'investir aux Etats-Unis, c'est tout simplement parce qu'à ce jour, l'Europe de l'épargne est un patchwork. Et ce que dit Enrico Letta, c'est qu'il faut harmoniser les conditions de l'investissement et de l'épargne en Europe.
Q - J'ai vu ça, mais il faut aussi contrôler les importations et notamment la volonté chinoise de s'imposer partout, en Europe aussi, et notamment dans l'automobile. On le voit, un constructeur chinois qui ouvre une usine en Espagne, qui va inonder, inonder le continent européen de voitures chinoises. Il va falloir se prémunir contre cela. Le président chinois sera à Paris bientôt. Que va dire Emmanuel Macron au président chinois ?
R - Vous le dites avec beaucoup de justesse, l'Europe doit sortir de la naïveté et de l'innocence. Et c'est précisément ce qui s'est produit depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République en 2017, où il dit quelque chose qui était tabou à l'époque, c'est-à-dire que nous devons imposer vis à vis de nos grands partenaires commerciaux de la réciprocité. Nous avons créé un poste de procureur commercial, nous avons créé une taxe carbone aux frontières, et nous nous sommes donné des lois européennes qui permettent à la Commission d'ouvrir des enquêtes, par exemple à l'endroit de la Chine, qui subventionne ses véhicules électriques, qui subventionne ses panneaux solaires, qui subventionne son énergie éolienne ou en tout cas, ses pales éoliennes. Désormais, l'Europe sait se faire entendre et sait se faire respecter et c'est une excellente chose. Il a fallu toute la combativité du Président de la République pour faire entendre cette voix française en Europe.
(...)
Q - Les réseaux sociaux, réguler l'utilisation des réseaux sociaux. Très bien. Vous connaissez parfaitement le sujet, mais comment ? On bloque TikTok ?
R - Vous savez qu'on vient d'adopter une loi, la loi pour sécuriser et réguler l'espace numérique. C'est l'un des éléments de ce bilan des 100 premiers jours du Premier ministre, qui va permettre de bannir des réseaux sociaux celles et ceux qui se sont rendus coupables de cyberharcèlement, comme ça a été le cas pendant les émeutes, qui va permettre de mettre fin à l'exposition massive des enfants à la pornographie sur Internet, qui va permettre aussi de déployer ce filtre anti-arnaques, qui était une promesse du Président de la République, pour protéger les Français contre les campagnes ...
Q - Mais est-ce qu'il faut bloquer certains, je ne sais pas, bloquer TikTok par exemple ?
R - Quel est l'objectif que vous poursuivez ? S'il s'agit de punir celles et ceux qui, sur Internet, se livrent à des actions de violence, de haine ou de cyberharcèlement, nous avons désormais avec le bannissement numérique ...
Q - C'est suffisant donc ....
R - Le bannissement numérique, il me semble que c'est une sanction particulièrement lourde.
Q - Je vous dis ça parce que le Premier ministre a parlé de réguler l'utilisation des réseaux sociaux !
R - Oui, à la maison, en accompagnant les parents dans leur propre accompagnement des enfants face à des outils qu'ils ne maîtrisent pas toujours. Et nous avons, s'agissant des sanctions, un arsenal qui est désormais assez complet.
Q - Il a dit aussi qu'il faut contrôler l'âge des jeunes inscrits sur les réseaux sociaux. Mais comment ? Comment ?
R - En portant au niveau européen ce principe-là, l'idée qu'on ne puisse plus s'inscrire sur un réseau social sans que l'âge n'ait été vérifié. Puisque, vous le savez, sur TikTok, sur Facebook, sur Instagram, on doit en principe avoir 13 ans pour s'inscrire, mais personne ne vérifie sérieusement l'âge des utilisateurs. C'est une mesure qui doit être prise au niveau européen et cela fait sans doute partie des propositions qui seront portées par Valérie Hayer et ses colistiers.
Q - C'est une proposition ?
R - Je suppose.
Q - Bon. Merci Jean-Noël Barrot d'être venu nous voir.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 2024