Déclaration de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, au Sénat le 6 mars 2024.

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Circonstance : Audition devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Texte intégral

C'est avec un grand plaisir que j'aborderai les grandes orientations qui guideront mon action à la tête de ce ministère, à l'occasion de cette première audition. Je pourrai apporter des explications plus précises à certaines de vos questions à l'issue de cette introduction.

Le ministère des affaires étrangères connaît une importante transformation, sur le fondement des orientations annoncées au Quai d'Orsay par le Président de la République en mars 2023, notamment grâce aux efforts de Catherine Colonna, à laquelle je rends hommage.

Par ailleurs, mon ministère est concerné par l'effort budgétaire de 10 milliards d'euros demandé à l'Etat en 2024. Cela se traduira par des réductions de crédits à hauteur de 174 millions d'euros sur la mission "Action extérieure de l'Etat" et de 742 millions pour l'aide publique au développement.

En ce qui concerne la mission "Action extérieure de l'Etat", nous allons procéder à plusieurs ajustements au sein de notre programmation pour 2024. Pour autant, nous souhaitons préserver au maximum les réformes engagées dans le prolongement des Etats généraux de la diplomatie, en particulier le déploiement de l'agenda de transformation et le réarmement du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Je veillerai à la protection de ces grands chantiers prioritaires. De même, nos activités au service des Français de l'étranger et dans le domaine consulaire seront maintenues. Nous préserverons les augmentations d'emplois prévues, notamment dans le réseau consulaire.

Concernant l'aide au développement, l'effort financier qui nous est demandé nécessitera un travail de réorganisation de notre plan de charge pour 2024. Il faudra préserver toutes les actions humanitaires qui ont le plus d'impact pour les populations. Il y va de la crédibilité de la France dans sa capacité à répondre aux crises et à tenir ses promesses.

Mon ministère doit répondre aux attentes fortes de nos concitoyens dans un monde en crise. Les Français veulent continuer à compter sur notre ministère pour vivre en paix dans un monde qui leur offre des opportunités. Or les crises se multiplient, se complexifient, et elles vont probablement durer. Elles sont parfois amplifiées par des Etats qui misent sur l'instabilité et le chaos. Nos efforts diplomatiques se déploient aux quatre coins du monde pour dénouer les tensions, former des coalitions, favoriser la désescalade et rappeler, partout, nos principes. Dans ces crises, la France apporte une réponse humanitaire tout en oeuvrant pour la stabilité des régions et le développement : telle est notre feuille de route.

C'est le cas à Gaza, dont la population a bénéficié d'une aide additionnelle de 100 millions d'euros de la part de la France et de l'envoi de plus de 1.000 tonnes de fret humanitaire. C'est aussi le cas depuis deux ans en Ukraine, à qui nous fournirons une aide militaire supplémentaire de 3 milliards d'euros en 2024. Je pense également au soutien de la France aux Arméniens et aux Arméniennes qui ont été forcés de fuir leur pays. Le Sénat s'est d'ailleurs mobilisé sur cette question, dans le cadre de l'adoption de la proposition de résolution transpartisane sur l'intégrité territoriale de l'Arménie, en janvier 2024.

En septembre 2023, les sujets internationaux ont occupé une large partie des échanges à l'occasion des rencontres de Saint-Denis organisées par le Président de la République. À cette occasion, nous avons décidé d'organiser des assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, qui auront lieu le lundi 11 mars. Je me réjouis d'échanger avec vous sur les synergies entre mon ministère, la diplomatie parlementaire et les élus locaux, qui oeuvrent, en concertation avec l'Etat, dans les domaines de l'humanitaire et du développement. Nos citoyens doivent être davantage convaincus que l'action diplomatique influence également leur vie.

J'en viens à la Russie, dont la posture se durcit avec une intensité sans précédent. La répression envers la population se renforce. Je pense notamment au décès tragique d'Alexeï Navalny. La Russie se montre de plus en plus agressive sur le champ de bataille ukrainien, mais aussi à notre encontre. Elle multiplie les manoeuvres de désinformation en Europe et en France, selon un narratif clair, tendant à nous persuader que sa victoire est inéluctable. Or, comme nous cherchons à le démontrer, cette idée est fausse : l'Ukraine a déjà infligé des pertes immenses à la Russie, elle a contraint sa flotte au repli en Crimée et elle a rouvert un couloir d'exportation en mer Noire. Ce corridor, au maintien duquel nous avons contribué, joue un rôle vital : il a permis d'éviter une crise alimentaire mondiale, notamment en Afrique.

L'année 2024 marquera un tournant dans notre soutien à l'Ukraine et notre sécurité à tous. Notre soutien à ce pays est franc, durable et inébranlable. Il contribue à notre sécurité immédiate en tant que Français et Européens. En agissant ainsi, nous pesons sur la stratégie de la Russie et évitons les conséquences dévastatrices qu'entraînerait sa victoire.

L'accord bilatéral de coopération sur la sécurité que nous avons signé avec l'Ukraine le 16 février témoigne de la solidité de notre engagement. Il est essentiel, car il inscrit notre soutien militaire et civil dans la durée et dans une logique collective, puisque vingt-cinq pays ont déjà pris cet engagement et que six d'entre eux ont signé un accord bilatéral avec l'Ukraine. Le Gouvernement a d'ailleurs décidé d'organiser un débat suivi d'un vote au Parlement sur cet accord.

Celui-ci prévoit la poursuite de l'aide militaire pour l'année 2024 et l'étend à tous les autres champs, comme la formation, la coopération entre nos industries de défense ou encore l'aide civile. Le débat qui aura lieu le 13 mars dans l'hémicycle sera l'occasion de revenir en détail sur la finalité politique et diplomatique de cet accord.

Nous continuerons à jouer un rôle d'entraînement vis-à-vis de la position de nos voisins européens. J'assurerai, avec le ministre des armées, le suivi de la rencontre du 26 février au niveau ministériel. Plusieurs initiatives concrètes seront rapidement opérationnelles. N'oublions pas que la grande majorité - disons 90% - des mesures décidées lors de cette réunion ont fait l'objet d'un consensus très large. Je pense notamment à la coopération entre nos industries de défense et à la coproduction d'armes et de munitions sur le sol ukrainien, dont les modalités seront définies par une discussion ultérieure. Nous avons également décidé de contribuer à la protection de la frontière avec la Biélorussie par des moyens non militaires, en réponse à une demande des Ukrainiens, dont une partie des troupes, chargée de sécuriser cette zone, ne peut se rendre sur le front.

Cet accord renforce enfin la coopération dans le domaine de la cyberdéfense et du déminage, et le soutien aux pays directement menacés par la Russie, en particulier la Moldavie. Je rencontrerai prochainement la présidente Maia Sandu, en compagnie du Président de la République, à Paris au cours d'un déjeuner, afin de coordonner nos actions. Nous réinvestissons le rapport de force en imaginant également de nouvelles solutions pour soutenir l'Ukraine et renforcer la défense de notre continent.

L'étendue de notre soutien ne saurait être dictée par Moscou. C'est notre principe. Les initiatives que j'ai évoquées témoignent aussi de notre capacité à nous adapter et à agir collectivement pour la sécurité de l'Ukraine et la nôtre. Le cadre de notre action est clair : faire échec à la Russie sans lui faire la guerre. Dans ce cadre, rien ne doit être exclu. Le Président de la République l'a répété en amont de la réunion du 26 février, même si le débat public a effacé cette dimension au profit de la discussion sur la présence des forces militaires sur le territoire et la cobelligérance.

À l'échelle internationale, nous devons continuer à entraver l'entreprise de destruction russe par des sanctions et en luttant contre leur contournement. Nous devons aussi dire à l'ensemble de la communauté internationale que fermer les yeux sur le contournement de ces sanctions et traiter la Russie comme un partenaire fiable, c'est aider ce pays à renverser l'ordre international fondé sur des règles. Notre premier argument est que la Russie viole le droit international : il y a un agresseur et un agressé. C'est essentiel, et nous le répétons depuis deux ans, mais ce narratif a parfois tendance à s'inverser dans le débat public...

J'en viens à la situation au Proche-Orient. Nous constatons d'abord que trois de nos compatriotes sont encore portés disparus. Au total, 134 otages sont retenus à Gaza. Les services de mon ministère et de l'Etat restent mobilisés pour assurer leur libération. Nous observons ensuite l'intensification des bombardements israéliens et l'avancée de l'armée vers la ville de Rafah, où sont massés 1,4 million de civils gazaouis, quand la ville ne compte habituellement que 300.000 habitants. Le 29 février nous avons vu des émeutes de la faim et des tirs. Nous avons soutenu l'enquête lancée sur ces faits. Je l'ai déjà dit : affamer les Gazaouis est injustifiable. Nous faisons face à une situation humanitaire dramatique, et les tensions restent vives, notamment dans le sud du Liban. Les foyers de crises se multiplient autour de Gaza.

En réponse, nous agissons sans relâche. Notre diplomatie compte, parce qu'elle est entendue et comprise par toutes les parties, mais aussi parce qu'elle agit pour l'urgence du moment tout en cherchant des solutions pour le jour d'après. En effet, nous nous attachons à prendre en compte l'urgence humanitaire, mais aussi à rechercher une solution politique, en vue d'établir la sécurité de tous et d'éradiquer le terrorisme. Un cessez-le-feu à Gaza est urgent et indispensable. Nous y travaillons avec tous nos partenaires, dans tous les formats possibles. La France participe ainsi aux discussions conduites par les pays arabes et les Etats-Unis pour apporter une réponse à la crise actuelle et oeuvrer en faveur de la proposition de paix qui devra être formulée.

Les Gazaouis doivent recevoir davantage d'aide humanitaire : l'idée fait désormais consensus à l'international. Tous les points de passage doivent être ouverts. Il en va de la responsabilité de l'Etat démocratique qu'est Israël, dont nous avons, par ailleurs, toujours reconnu le droit à se défendre, dans le cadre du droit international.

Nous avons récemment procédé à un nouveau largage d'aide humanitaire avec nos partenaires jordaniens et égyptiens. Nous avons aussi soigné des blessés et procédé aux premières évacuations d'enfants vers des hôpitaux français.

Pour que la région retrouve la paix, nous poursuivons notre engagement contre le terrorisme, en mobilisant nos partenaires européens pour sanctionner le Hamas. La France a aussi joué un rôle moteur dans les sanctions à l'encontre des colons israéliens violents.

Enfin, nous posons les conditions de la paix dans tous les échanges auxquels nous participons en plaidant pour un Etat palestinien reconnu dans ses frontières et viable, avec une autorité palestinienne revivifiée, dotée d'une nouvelle gouvernance. Tous les partenaires de la région doivent viser cet objectif : la solution à deux Etats.

J'en viens à notre partenariat avec les pays africains. Nous devons être un partenaire fiable et crédible pour ces Etats, en nous appuyant sur de nombreux atouts : l'inventivité de nos entreprises, l'attractivité de nos universités ou encore l'excellence de nos industries culturelles et créatives. Nous appuyons les organisations régionales africaines pour faciliter les sorties de crises. Dans l'Afrique des Grands Lacs, nous envoyons des messages à Kigali et à Kinshasa pour trouver la voie de la désescalade et parvenir à une solution durable au conflit. J'ai échangé à plusieurs reprises avec mes homologues dans ces pays. Par ailleurs, nous accueillerons à Paris le 15 avril une conférence humanitaire pour le Soudan et ses voisins, afin de contribuer à la résolution de cette crise humanitaire dramatique. Cette crise ne doit pas être oubliée.

Parce que l'état du monde dépend de l'état du climat et de nos ressources, notre diplomatie est engagée pour notre planète. J'en tire toutes les conséquences pour mon ministère. Je mettrai en oeuvre une diplomatie étrangère climatique. Si la France est déterminée dans ses actions, la communauté internationale n'est pas sur la bonne trajectoire. La diplomatie française déploiera tous ses efforts pour inciter nos partenaires à réduire leurs émissions, à décarboner leur économie et à sortir des énergies fossiles. L'accord de Paris doit être mis en oeuvre. Nous veillerons à ce que les prochaines échéances portent leurs fruits. Je pense notamment à la COP29. La question des financements est centrale pour permettre au monde de mettre en oeuvre la transition écologique. Ainsi, les pays du Nord ont atteint leur objectif de mobiliser 100 milliards de dollars d'aide pour le Sud en faveur du climat, ce qui est une avancée notoire.

Nous contribuerons à retisser le lien de la solidarité internationale : c'est le sens des initiatives prises par le Président de la République en juin dernier. Je pense notamment au Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P). Retisser ce lien, c'est aussi nous mobiliser plus fortement encore en faveur d'un multilatéralisme qui fonctionne. Pour qu'il soit efficace et inclusif. Il s'agit également de battre en brèche l'idée qu'il existerait un "Nord global" et un "Sud global". La communauté internationale est forte de chacun de ses membres dès lors qu'ils regardent dans la même direction. Un ordre international doit être fondé sur le droit, sur des principes fondamentaux et sur l'intérêt des peuples.

La diplomatie que je mènerai sera climatique, mais également féministe. La diplomatie française doit défendre les droits des filles et des femmes sans concession dans un monde de plus en plus compliqué. À l'étranger, nous oeuvrons pour qu'elles prennent part à la vie politique, sociale et économique de leur pays ! Je pense notamment à l'Afghanistan, où les femmes sont effacées de la société, où leur existence est niée. Tant qu'il en sera ainsi, nous ne pourrons pas dialoguer avec les talibans. Le 8 mars, j'annoncerai de nouvelles mesures pour renforcer notre action diplomatique en la matière.

2024 sera pour la France une année diplomatique hors du commun !

Pour conclure sur une tonalité plus positive, nous aurons cette année l'occasion d'accueillir le monde entier. Mon ministère travaille déjà pour organiser la venue de nombreuses délégations internationales dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) et des touristes que nous aurons la chance de recevoir. Partout dans le monde et à travers les réseaux diplomatiques, les Jeux vont aussi rayonner et nous permettre de montrer l'étendue de nos savoir-faire dans tous les domaines. C'est une opportunité importante, qui doit être vécue comme un événement international d'ampleur pour notre pays, avec des répercussions économiques et diplomatiques.

En octobre 2024 aura également lieu le XIXe sommet de la francophonie. Il sera une nouvelle occasion d'affirmer le modèle de partenariat que nous souhaitons renouer avec le reste du monde : des partenariats fiables et ouverts, fondés sur des valeurs et porteur d'opportunités pour nos concitoyens.

Vous pouvez compter sur mon engagement !

(...)

R - Je ne peux pas m'engager sur l'outil, législatif ou non, qui vous sera proposé dans le cadre des restrictions budgétaires.

Nous contribuons aux demandes d'effort budgétaire de 10 milliards pour 2024, ce qui représentera une diminution de nos crédits de 174 millions d'euros sur la mission Action extérieure de l'Etat, dont 134 millions sur le programme 105.

Au-delà de la question de la sanctuarisation du budget du programme 105, il s'agira essentiellement d'une diminution de la réserve, ce qui nous permet de poursuivre les objectifs du ministère, que Mme Colonna avait construits sur le fondement des conclusions des Etats généraux de la diplomatie et des annonces du Président de la République. La gestion de la mission "Action extérieure de l'Etat" sera donc pilotée de manière très rigoureuse. Mes services organisent toutes les six semaines une réunion de contrôle afin de ne pas dépasser notre budget : la gestion devra être très contrainte, étant donné que nous ne disposerons quasiment plus de fonds en réserves.

(...)

R - Un total de 174 millions d'euros doit être économisé sur l'ensemble des budgets des programmes 105, 185 et 151, dont 115 millions correspondent à des crédits qui avaient été gelés en début d'année afin de constituer notre réserve de précaution. Nous continuerons à suivre les objectifs fixés pour le programme 105. En revanche, la réserve de crédits dont nous disposons pour ce programme sera amputée, et nécessitera une gestion rigoureuse.

Nous évaluons actuellement les conséquences des restrictions budgétaires, mais il n'y aura pas de retour en arrière sur ce budget. Les actions consulaires et les équivalents temps plein (ETP) prévus seront maintenus.

Des élections sont organisées cette année dans huit des dix pays les plus peuplés du monde. En France et en Europe, les élections se déroulent sans poison ni prison. Nous devons être fiers de notre système électoral. J'ai entrepris avec mes homologues allemands et polonais des démarches importantes pour dénoncer les éventuelles ingérences étrangères. Plusieurs organisations avaient prévu des campagnes d'influence informationnelle. Nous avons notamment découvert l'existence d'un dispositif de 193 sites internet de propagande prorusse prêts à être activés (VIGINUM caractérise l'implication d'une entreprise russe domiciliée en Crimée, TigerWeb, dans la création et l'administration des sites du réseau "Portal Kombat").

La question n'est pas politique, mais opérationnelle : nous continuerons à veiller au bon déroulement de ces élections, malgré la multiplication des opérations de piratage informatique. Autrefois liés à des groupes de contrebande, ces actes pourraient s'institutionnaliser et menacer nos services publics.

L'organisation des élections européennes et des jeux Olympiques nous rend vulnérables à plusieurs égards. La sécurité de nos services publics, notamment de nos hôpitaux et des transports en commun, vis-à-vis d'éventuelles attaques informatiques, doit être assurée.

(...)

R - Le programme 151 est le moins affecté en volume, les annulations pouvant être absorbées par les fonds qui avaient été mis en réserve. Je tiens à vous rassurer : les créations d'ETP prévues seront maintenues, tout comme les bourses, même si les annulations de crédits réduisent notre capacité à élargir le champ de ces dernières ou à faire face à l'inflation. Le concours de l'Etat au financement de la catégorie aidée des adhérents à la Caisse des Français de l'étranger (CFE) sera examiné, mais les montants en jeu sont assez faibles.

(...)

R - Je suis en train d'étudier avec mes services comment ventiler l'effort de 174 millions d'euros qui est demandé à la mission Action extérieure de l'Etat. Nous devons prioriser notre action, mais les grands axes que je viens d'évoquer seront maintenus : les bourses, le réseau consulaire, l'aide aux Français de l'étranger, à laquelle je suis, comme vous, très attaché. L'utilisation des crédits mis en réserve nous aurait permis de faire preuve de plus de souplesse. Nous devrons être extrêmement rigoureux dans la gestion. Nous ferons en sorte que cet effort budgétaire affecte le moins possible la réalisation de nos objectifs et de nos priorités.

(...)

R - Nous avons porté l'aide au développement de 0,43% à 0,55% du RNB. C'est une hausse historique, et les coupes budgétaires annoncées n'effacent pas totalement cet effort. Je ne peux pas vous indiquer précisément aujourd'hui, comme j'ai pu le faire à propos des programmes précédents, comment nous procéderons. Nous étudierons avec les opérateurs les actions en cours. Je suis très sensible à votre argument relatif au respect de nos engagements politiques et diplomatiques. L'humanitaire restera une priorité absolue. Nous comptons mettre davantage à contribution le multilatéral et privilégier le bilatéral, afin de tenir nos engagements bilatéraux et étudier, quitte à les reporter, nos contributions à certains fonds internationaux.

En ce qui concerne la proposition de loi transpartisane qui sera examinée en séance au Sénat le 26 mars, je n'ai pas pris position au fond. Je souhaite que le processus aille le plus vite possible. Si un repositionnement de la commission auprès du ministère des affaires étrangères était décidé, je me porterais garant de son indépendance et du rôle des parlementaires en son sein. Sans doute faudra-t-il mutualiser, rapprocher de cette commission les différents outils d'évaluation qui existent déjà et lui donner accès à différentes informations pour qu'elle puisse travailler. Si la proposition de loi est adoptée, nous pourrons réfléchir à son fonctionnement opérationnel et préciser le rôle des parlementaires. Vous me trouverez à vos côtés pour veiller à la transparence.

(...)

R - Le Gouvernement appliquera la loi ! Je soutiendrai tout schéma qui permette de mettre en oeuvre cette commission le plus rapidement possible de manière opérationnelle et qui soit conforme aux attentes des parlementaires. Je prendrai évidemment une position lorsque je serai au banc dans l'hémicycle, mais il appartient au Parlement de jouer son rôle de législateur et de voter le texte. Le Gouvernement jouera son rôle ensuite, dans la mise en place et l'organisation de la commission.

(...)

R - En ce qui concerne le Sénégal, la France a été très clair avec Macky Sall : il fallait soutenir certains principes auxquels nous sommes attachés - l'Etat de droit, le respect de la Constitution de ce pays - et ne pas laisser à penser, que la France s'ingérait dans la vie politique sénégalaise, afin de ne pas donner prise à des propos complotistes, alimentés par certaines puissances étrangères, comme cela s'est produit ailleurs. Notre position a été soutenue par la plupart des Etats, notamment les Etats-Unis et le Canada : nous attendons des élections dans les meilleurs délais et conformément à la Constitution. Nous serons fermes sur ce point, mais sans faire preuve d'ingérence.

En ce qui concerne le Rwanda, j'ai eu des échanges avec mes homologues pour que nous fassions pression sur le M23. Nous sommes sur la même ligne. Je partage vos inquiétudes. Des événements inacceptables se sont produits dans des villes frontalières. Il faut rester très attentif à la situation. Nous devons continuer à adresser un message de fermeté, comme le Président de la République et moi-même le faisons.

(...)

Un mot sur l'aide au développement. Nous avons multiplié par quatre l'aide humanitaire en six ans. Je viens d'indiquer mes priorités : éviter toute répercussion sur nos accords bilatéraux et sur les programmes en cours, afin que la responsabilité de l'Etat ne soit pas engagée. L'aide humanitaire est une dimension importante de notre politique et nous examinerons en premier les crédits destinés au multilatéral.

Sur l'Iran, je comprends votre position mais, quand on fait de la diplomatie, on doit parler à tout le monde, c'est comme cela que l'on peut faire bouger les choses. La totalité de mon entretien avec mon homologue iranien a concerné la situation de nos compatriotes arbitrairement détenus. J'espère que cette entrevue permettra de faire évoluer la situation. Je fais tout pour trouver une solution.

Nous avons pris des initiatives en ce qui concerne nos liens avec le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. J'ai rencontré mes homologues. Il importe de rétablir des relations diplomatiques normales, fondées sur une relation d'égal à égal, comme le souhaitent ces pays, de reconstruire le lien de confiance qui avait été abîmé par des incompréhensions.

(...)

R - Je me suis rendu au Liban. Jean-Yves Le Drian est très investi sur le volet politique. Nous essayons de convaincre nos amis libanais de compléter leur dispositif institutionnel : beaucoup parlent au nom du Liban, mais ce n'est pas toujours au nom et dans l'intérêt des Libanais ! Les Qatariens et les Américains sont aussi très impliqués et M. Biden a nommé un envoyé spécial.

Au Liban, notre particularité et notre plus-value, c'est que nous parlons à tout le monde. La France compte plus de 20.000 ressortissants sur place. En 2006, l'évacuation des ressortissants européens et français avait été à la fois traumatique et très coûteuse. Nous faisons tout, et engageons tous les acteurs du conflit, pour ne pas avoir à en arriver là de nouveau.

J'ai fait des propositions aux Libanais. Elles ont été bien accueillies, y compris officiellement par les responsables libanais.

Pour prévenir l'escalade, nous parlons à tout le monde. Il faut éviter d'étendre le conflit au Liban. Nous avons transmis ce message à nos interlocuteurs, aux Iraniens, au Hezbollah, aux responsables politiques libanais. Ces propositions devront servir de cadre à de futures négociations de paix.

J'ai demandé à mes équipes de préparer un déplacement au Guyana. On étudie la possibilité d'ouvrir une ambassade. L'augmentation du nombre d'ETP ayant été maintenue dans l'arbitrage budgétaire, la création d'un nouveau poste diplomatique est possible. Nous avons aussi soutenu fermement l'intégrité territoriale du Guyana, nous assumons nos propos : à l'heure où nous défendons le respect du droit international dans certaines parties du monde, nous devons faire de même partout.

(...)

R - Sur le Sahara, mes propos marquent un changement sensible : j'ai dit qu'il convenait maintenant d'avancer rapidement. Nous soutenons les efforts du Maroc pour développer la zone et nous y participerons.

Nous devons toutefois relever encore un certain nombre de défis pour définir une feuille de route et donner un contenu à notre relation diplomatique.

Je partage votre analyse sur le Guyana et sur la pertinence de la création d'une ambassade. J'irai sur place et ferai des annonces.

Quant au Tchad, je vous invite à interroger Sébastien Lecornu sur l'aspect militaire. Les Tchadiens sont préoccupés par l'avenir de la base militaire. Nous tiendrons compte de leur position. M. Bockel travaille sur ce sujet et prendra en considération toutes ses dimensions.

(...)

R - Nous restons dans le cadre des résolutions de l'ONU et du droit international, qui permet d'agir dans des territoires comme le Sahara occidental dès lors que c'est au bénéfice des populations locales. La France est l'un des premiers pays à avoir soutenu, y compris aux Nations unies, le plan marocain pour le Sahara. Nous estimons que la discussion sur ce sujet doit avoir lieu dans un cadre multilatéral.

(...)

R - Je vous invite à interroger Sébastien Lecornu pour avoir plus de précisions en ce qui concerne la divulgation du contenu d'une conversation entre des militaires allemands. Il s'agit d'une manoeuvre de manipulation assez grossière. La Russie souhaite nous faire comprendre qu'elle peut déstabiliser notre opinion publique. C'est un message d'intimidation et il faut le traiter comme tel. Malheureusement, les répercussions dans l'opinion ne font qu'inciter la Russie à persévérer dans cette voie. En effet, dans nos pays, les journalistes sont libres et ne posent pas les questions qu'on leur demande de poser ! Nous devons donc nous demander pourquoi la Russie a divulgué cette écoute et ne pas nous infliger un débat interne et intra-européen susceptible de nous faire du mal.

En ce qui concerne le processus d'adhésion à l'Union européenne, vous connaissez la position de la France : nous sommes favorables à l'adhésion de ces pays, dans un cadre défini, sous réserve de la réalisation des réformes nécessaires et de la définition d'une nouvelle gouvernance européenne qui permette à l'Union de fonctionner à trente-deux membres. Il nous a fallu douze mois pour réagir à des attaques commerciales de pays tiers, alors que les Etats-Unis sont capables d'agir beaucoup plus rapidement. Je pense, par exemple, au dumping sur l'acier, qui a détruit une partie de la sidérurgie européenne. L'Union européenne n'a pas su répondre, faute de consensus : la difficulté serait accrue si elle comptait trente-deux membres !

Un budget de 250 millions d'euros reste alloué à l'aide alimentaire de la France. Le programme Food and Agriculture Resilience Mission (Farm) est ainsi maintenu à hauteur de 75 millions d'euros. Celui-ci vise à faciliter la circulation des produits agricoles et à soutenir la production dans les pays aidés.

Néanmoins, la réponse aux crises alimentaires est aussi géopolitique : il s'agit d'éviter la fermeture du corridor d'exportation de céréales en mer Noire. La rétention des stocks de blé ukrainien nous a ainsi fait frôler une catastrophe humanitaire générale en Afrique en 2022. Notre action doit donc aussi être diplomatique.

En ce qui concerne notre réseau diplomatique, aucune ambassade n'a été fermée : nous réfléchissons même à en rouvrir certaines ! Quelques postes consulaires ont été fermés, en fonction des priorités définies à partir de critères de représentativité et d'influence. Notre réseau reste l'un des meilleurs au monde. Nous ferons tout, dans les années à venir, pour le conserver et le développer.

Les crises actuelles nous rappellent que la France doit être présente partout. Notre réseau diplomatique nous garantit de figurer dans tous les cénacles de discussion pour la résolution des crises ; c'est aussi dans l'intérêt des Français. Ce n'est pas seulement une question d'influence, de rayonnement de notre culture ou de la francophonie : le maintien de notre présence diplomatique constitue une question existentielle, dans un contexte de retour de la guerre.

Je ne rouvrirai pas le débat sur la réforme du corps diplomatique, mais 84% des diplomates ont rejoint le nouveau corps interministériel des administrateurs de l'Etat. Côtoyant ces diplomates depuis un mois et demi, je peux affirmer que tous font preuve d'une profonde loyauté et témoigner de leurs compétences et de leur expérience. En dehors même de leur statut, les profils sont de grande qualité. Nous devons aussi valoriser cette dimension de notre diplomatie, qui contribue à la richesse de notre influence partout dans le monde.

En ce qui concerne le soutien aux droits des femmes, nous restons particulièrement intransigeants vis-à-vis de l'Afghanistan. J'ai également reçu les associations de défense des victimes. J'annoncerai le 8 mars de nouvelles propositions sur la diplomatie féministe dans cette perspective, et différents événements seront organisés tout au long de l'année. À ce titre, il me semble que l'inscription dans la Constitution de la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) confère à la France une légitimité d'intervenir sur la question des droits des femmes et témoigne de l'avant-gardisme de notre position.

Concernant la mort d'Alexeï Navalny, de nombreuses déclarations publiques ont été entendues. Que dire de plus ? Pour ma part, j'y vois davantage un aveu de faiblesse de Moscou qu'une marque de force de la part de la Russie. Quand on enferme et que l'on tue ses opposants politiques, c'est qu'on les craint. Tout en rendant hommage à Alexeï Navalny, je veux rappeler que, sans poison ni prison, notre démocratie peut se tenir fière. En dehors de tout clivage partisan, nous devons continuer à la défendre politiquement et collectivement.

Enfin, la France se situe dans un rapport de concurrence avec Israël sur le marché des armes. Nous ne vendons pas d'armes à proprement parler à cet Etat, qui, au contraire, est en concurrence avec notre industrie sur les marchés internationaux. Il existe des partenariats historiques marginaux sur des composants et des équipements israéliens, qui sont souvent revendus à des pays tiers. Je pense notamment à des composants utilisés pour créer du matériel militaire, qui sont ensuite rachetés par des pays européens, comme l'Allemagne. Nous fournissons des composants qui interviennent dans les systèmes défensifs, tels que le Dôme de fer israélien, mais aucun matériel militaire létal n'est vendu à Israël. Sébastien Lecornu pourra vous donner davantage de précisions sur ces composants.


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 mai 2024