Interview de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué, chargé de l'Europe, à Radio J le 22 mai 2024, sur les ingérences étrangères et les élections européennes.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Jean-Noël BARROT, bonjour.

JEAN-NOËL BARROT
Bonjour, Christophe BARBIER.

CHRISTOPHE BARBIER
Bienvenue. Vous êtes donc chargé de l'Europe au Gouvernement. On va parler de la campagne européenne. On va parler des ingérences étrangères dans cette campagne européenne et dans notre vie politique. On a appris que les mains rouges taguées sur le Mur des justes du Mémorial de la Shoah, c'était probablement encore une ingérence russe. Comment expliquer un tel phénomène ?

JEAN-NOËL BARROT
D'abord, c'est un acte qui est lamentable et qui est totalement condamnable. C'est une enquête qui nous dira quelle en est l'origine et si elle a un lien avec des ingérences étrangères. Mais si c'est le cas ou si ça s'avère être le cas, ça ne sera pas une surprise. Parce que nous sommes pilonnés par la désinformation, la propagande et les opérations d'un des ingérences étrangères. C'est vrai en France, mais c'est vrai dans toute l'Europe parce que les démocraties sont la cible des régimes autoritaires qui veulent, au travers de ces opérations de fausses nouvelles et de propagandes, en saper les fondations.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que ça marche ? Est-ce que vous voyez des pays où les gens votent moins ou votent mal parce qu'ils écoutent, ils croient ces ingérences ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce que nous avons vu, dans le cas de la Slovaquie par exemple, au mois de septembre dernier, c'est qu'un faux enregistrement audio impliquant l'un des candidats dans le détournement du vote a été diffusé pendant la période de silence ; vous savez, les 48 heures qui précèdent le scrutin. Il est difficile de dire si cette propagation de fausses nouvelles a eu un impact sur l'élection, mais le fait est que le candidat progressiste, celui qui était ciblé par ce faux enregistrement audio, a perdu les élections.

CHRISTOPHE BARBIER
On n'est donc pas à l'abri, dans les semaines qui restent jusqu'au vote du 9 juin, d'initiatives de puissances étrangères en France. Il faut alerter les citoyens, qu'ils fassent attention à ce qu'ils écoutent ?

JEAN-NOËL BARROT
Nous avons construit autour de cette campagne électorale et autour des élections, un véritable bouclier pour prévenir toute ingérence étrangère et toute déstabilisation, toute déstabilisation de nos processus démocratiques. Nous l'avons fait au niveau national dès 2021, en août d'OTAN, sous l'impulsion du Président de la République, d'un service qui s'appelle VIGINUM, qui est inédit en Europe et dont la spécialité est de détecter et de révéler les opérations d'ingérence étrangère. Et puis, nous le faisons au niveau européen puisque nous avons pris, l'année dernière, une loi européenne qui impose aux grandes plateformes de réseaux sociaux, de traquer et de supprimer, si je puis dire, les comptes qui servent à la propagation d'opérations d'ingérence étrangère.

CHRISTOPHE BARBIER
Elles jouent le jeu, ces plateformes ?

JEAN-NOËL BARROT
Je les ai convoquées il y a dix jours, avec Marina FERRARI, ma collègue en charge du Numérique au gouvernement. Et nous leur avons demandé de nous faire un état des lieux précis de tous les dispositifs qu'elles ont mis en place pour éviter que la campagne électorale soit parasitée. Et je dois dire qu'elles ont, par rapport à ce qu'on a pu connaître par le passé, clairement relevé leur niveau de jeu.

CHRISTOPHE BARBIER
Aujourd'hui, le Sénat va débattre d'une proposition de loi contre ces ingérences étrangères, quelle que soit la forme qu'elles prennent. Qu'est-ce que cette loi va nous apporter de sûr ?

JEAN-NOËL BARROT
Cette loi, elle vise l'influence étrangère et elle apporte un principe de transparence en imposant aux entreprises notamment qui agissent en France pour le compte d'un État étranger, ou d'un parti politique étranger, de s'enregistrer dans un répertoire qui sera conservé par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ; de manière à ce que chacun puisse être bien conscient lorsqu'il échange avec l'un de ses représentants, qu'il a bien face à lui, quelqu'un qui agit pour le compte d'une puissance étrangère.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'il faudra aller plus loin ? Est-ce qu'il faudra entrer dans l'intimité des citoyens pour venir voir comment ils se comportent vis-à-vis du numérique ? Limiter l'accès à certaines plateformes ?

JEAN-NOËL BARROT
La lutte contre la désinformation, c'est un peu comme la lutte contre un virus. Elle repose sur la détection, sur le traitement et sur l'immunité. La détection, ça passe par une presse libre et indépendante, capable de dévoiler les opérations d'ingérence, et par l'expertise telle que celle que j'évoquais à l'instant, de VIGINUM, comme nous l'avons développée en France. Le traitement, eh bien, ce sont les réseaux sociaux qui jouent le jeu et qui luttent activement contre la désinformation en supprimant les comptes lorsqu'ils ont été identifiés comme appartenant à un réseau agissant pour le compte d'une puissance étrangère. C'est aussi - la France l'a proposé - des régimes de sanctions à l'encontre d'acteurs ou de protagonistes de ces opérations d'ingérence étrangère, comme nous sommes en train d'en débattre au niveau européen. Et l'immunité, puisque c'est le troisième élément, c'est évidemment le développement d'un esprit critique à l'ère du numérique. Et cela suppose, depuis l'école jusqu'à l'âge adulte, de développer notre faculté individuelle à détecter, à faire le tri entre les fausses nouvelles, les ingérences étrangères d'un côté, et l'information de qualité de l'autre ; de manière à ne pas se faire contaminer par ces fausses nouvelles et à ne pas contaminer les autres.

CHRISTOPHE BARBIER
La France a suspendu TikTok en Nouvelle-Calédonie. C'est critiqué. Il y a des associations comme la Ligue des droits de l'homme qui ont intenté une action en justice. Que leur dire à ces associations ?

JEAN-NOËL BARROT
D'abord, c'est une mesure d'ordre public qui s'inscrit dans un contexte local d'état d'urgence. Le Gouvernement répondra à la démarche entreprise par la Ligue des droits de l'homme pour faire état de toutes les raisons juridiques pour lesquelles il a pris cette décision, à nouveau, pour des raisons d'ordre public.

CHRISTOPHE BARBIER
Un dernier mot sur cette Nouvelle-Calédonie ; le Président de la République est dans l'avion. Qu'est-ce qu'on doit attendre de ce voyage ? Ça va calmer les émeutiers là-bas ?

JEAN-NOËL BARROT
Le déplacement du Président de la République témoigne de l'importance que le Président attache à ce territoire dans la République. Il témoigne de l'importance que le Président de la République attache au dialogue. Et son objectif, c'est évidemment d'aller apporter son soutien aux forces de l'ordre, à la population qui a subi ou qui a assisté à des violences extrêmement vives, extrêmement fortes ces derniers jours. C'est aussi de réamorcer un dialogue pour que cette situation d'ordre, cette pacification du territoire puisse être pérenne.

CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que cette affaire de Nouvelle-Calédonie, après d'autres événements d'actualité, n'empêche pas la campagne européenne de se développer sur les sujets européens ?

JEAN-NOËL BARROT
Je crois que jamais, élection européenne n'a été aussi importante parce que jamais les menaces qui pèsent sur l'Union européenne n'ont été aussi graves. Et je crois que dans cette élection, c'est bien Valérie HAYER et la liste Besoin d'Europe qui est la seule à pouvoir proposer pour l'Europe, un projet qui soit suffisamment audacieux, suffisamment ambitieux pour permettre à l'Europe à survivre à ses menaces et surtout, pour rallier nos partenaires européens à ces grandes idées françaises que nous avons sur l'Europe de la défense, sur la politique industrielle ou encore sur la réciprocité indispensable dans les échanges commerciaux face à la Chine ou aux Etats-Unis.

CHRISTOPHE BARBIER
Mais Valérie HAYER a du mal dans les sondages. Elle est à la moitié du score du Rassemblement national. On a l'impression que les Français disent " non, on n'a pas besoin d'Europe, on a besoin d'une France plus sûre. "

JEAN-NOËL BARROT
Je crois que les Français savent bien que l'Europe est leur assurance vie. Ils l'ont perçu lorsque c'est l'Europe qui leur a procuré les vaccins, lorsque c'est l'Europe qui a bâti ce plan de relance qui a permis de sauver des millions d'emplois et d'entreprises, même si certains candidats, et en particulier Raphaël GLUCKSMANN, ne l'ont pas voté. Ils savent bien que face aux dérèglements climatiques, c'est bien l'Europe qui est notre planche de survie, à la fois pour nous amener collectivement à réduire nos émissions, mais surtout pour nous adapter aux conséquences de ce dérèglement. Dans le Pas-de-Calais, vous avez une situation très grave avec des agriculteurs qui sont encore inondés. Et ce sont bien des pompiers européens qui viennent en renfort des pompiers français pour pomper l'eau et ramener la situation à la normale. Et quant à la situation dans les Pyrénées où il n'a pas plu depuis deux ans ; là aussi, c'est la solidarité européenne qui est seule susceptible d'apporter à ce territoire les solutions pérennes.

CHRISTOPHE BARBIER
Le Rassemblement national a rompu avec l'AFD, son allié de l'extrême droite allemande. Vous leur accordez un bon point ?

JEAN-NOËL BARROT
Je crois que ça témoigne de la très grande fébrilité d'un parti qui est prêt à tout pour se dédiaboliser, mais que tout ramène - ses alliés, son passé, ses prises de position - à son dégoût de l'Europe et à son orientation systématique pour le repli national.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous dites... Vous avez dit récemment « le programme du RN mènerait vers un Frexit en pièces détachées. » Qu'entendez-vous par là ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce que je veux dire, c'est que si je regarde ce que c'est que l'extrême droite aujourd'hui - et je le dis aux patriotes de ce pays - l'extrême droite, ce sont des patriotes de pacotille. Ce sont des tire-au-flanc. Ce sont les premiers à capituler devant les dictateurs et à manger dans la main de la Chine et de la Russie. Si nous les avions écoutés, bien sûr que nous aurions eu un Frexit détaché. Mais c'est encore plus grave que cela ; nous aurions toute l'épargne des Européens qui se serait évaporée avec la sortie de l'euro. Nous aurions encore tous le Covid en essayant de nous soigner avec le vaccin russe ou l'Hydroxychloroquine et la France ne serait plus la France ; elle serait désormais un satellite de la Russie.

CHRISTOPHE BARBIER
Ils ont déshonoré le mandat confié par leurs électeurs, dites-vous des députés RN au Parlement européen, uniquement parce qu'ils ont joué souvent la politique de la chaise vide ?

JEAN-NOËL BARROT
Ça me semble assez grave étant donné les circonstances que nous avons vécues. Mais oui, Jordan BARDELLA, c'est un fusil à blanc. Il a passé cinq ans au Parlement européen, il a déposé 21 amendements. Pendant ce temps-là, Valérie HAYER et l'ensemble des candidats d'ailleurs qui s'opposent à lui, en ont déposé plus de 1 000. C'est 1 300 pour Stéphane SEJOURNE par exemple. Vous avez là, des députés qui ne sont désintéressés du mandat que les Français leur avaient confié, qui n'ont eu absolument aucun impact au Parlement européen et qui n'en ont pas eu pour l'avenir. Ce n'est pas une raison pour voter pour eux, bien au contraire, c'est une raison pour leur faire échec.

CHRISTOPHE BARBIER
C'est un vote inutile, le vote RN, le 9 juin ?

JEAN-NOËL BARROT
C'est un vote inutile, mais c'est aussi un vote dangereux parce que, je le disais, l'état d'esprit dans lequel se placent Marine LE PEN et Jordan BARDELLA, c'est celui d'un dégoût de l'Europe et d'un repli national, qui conduit tout droit à l'assujettissement à la Russie, à la Chine.

CHRISTOPHE BARBIER
Ces extrêmes droites en Europe, elles sont divisées, elles sont en deux groupes au Parlement européen. Ces groupes eux-mêmes sont mouvants. Est-ce qu'il y a le risque d'une immense coalition souverainiste au lendemain du 9 juin ?

JEAN-NOËL BARROT
Non, il n'y en a pas. Parce que de la même manière que Jordan BARDELLA déteste Marion MARECHAL-LE PEN, Éric ZEMMOUR ; eh bien, l'extrême droite au Parlement européen déteste la droite extrême et réciproquement.

CHRISTOPHE BARBIER
L'autre sujet qui s'est invité dans cette campagne européenne à l'initiative de La France insoumise, c'est le conflit israélo-palestinien. Est-ce que ça prend dans les autres pays d'Europe ? Est-ce que ce conflit bouge les lignes ?

JEAN-NOËL BARROT
Je crois qu'évidemment personne n'est insensible en Europe à la situation au Proche-Orient. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Président de la République a beaucoup oeuvré pour que les 27 chefs d'Etat et de Gouvernement puissent s'exprimer d'une seule voix sur la situation en appelant à une trêve humanitaire conduisant à un cessez-le-feu durable, à la libération inconditionnelle des otages, à l'acheminement de l'aide humanitaire, aux sanctions à l'encontre des dirigeants du Hamas ou des colons extrémistes violents. Bref, parler d'une seule voix, mais c'est une situation effectivement qui provoque beaucoup d'émotions et c'est bien normal parce que c'est une région qui est aux portes de l'Europe et à laquelle nous sommes très attachés historiquement.

CHRISTOPHE BARBIER
Hier, la position de la France par rapport à la Cour pénale internationale avec un communiqué de soutien, la CPI ; puis après, une distinction. La simultanéité ne veut pas dire l'équivalence entre Israël et le Hamas, poursuivi par le procureur de la CPI. Ça donne l'impression d'un pas de deux de la France. C'est le cas ?

JEAN-NOËL BARROT
Je crois que c'est très clair. La France reconnaît l'indépendance de la Cour pénale internationale. C'est une question de droit. Les crimes ne doivent pas rester impunis. Ceci étant dit, ce sont des demandes qui ont été faites par le procureur de la Cour pénale internationale. Et ces demandes n'impliquent aucune forme d'équivalence entre, d'une part, le Hamas, qui est un groupe terroriste qui s'est rendu coupable du plus grand massacre antisémite que nous ayons connu depuis la Shoah et d'autre part, un état démocratique qui, certes, doit respecter le droit international dans sa conduite d'une guerre qui n'a pas déclenché.

CHRISTOPHE BARBIER
L'Europe n'est-elle pas malade du " un couple franco-allemand qui ne marche plus " ? Il y aura un conseil Franco-Allemand en cette fin de semaine ?

JEAN-NOËL BARROT
Il y aura la première visite d'Etat, d'un Président de la République depuis Jacques CHIRAC en 2000, ce week-end, à partir de ce week-end à Berlin, qui sera suivi effectivement par un conseil des ministres franco-allemand. C'est ça marquera l'histoire de la relation franco-allemande ; mais ça sera l'occasion aussi d'ouvrir un nouveau chapitre de ce partenariat entre nos deux pays autour des questions de la souveraineté, de la compétitivité, de la défense de la démocratie. Et c'est essentiel parce que le sursaut européen que le Président de la République a appelé de ses voeux à la Sorbonne, appelle un sursaut dans la relation franco-allemande.

CHRISTOPHE BARBIER
Jean-Noël BARROT. Merci, bonne journée.

JEAN-NOËL BARROT
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 mai 2024