Texte intégral
Merci cher Maurice,
Merci à toutes et à tous,
Je voudrais juste que Maurice reste une seconde parce qu'ici, c'est une salle magnifique, une salle qui est pleine de jeunes entrepreneurs, de responsables d'entreprise. Il y a beaucoup de monde à VivaTech, beaucoup de personnalités, beaucoup de jeunes start-ups. Mais à l'origine de ce grand succès, il y a un homme qui a cru dans cette idée de VivaTech, qui a lancé ce sommet il y a quelques années, évidemment comme toujours en France, dans une indifférence, dans un scepticisme généralisé, en se disant : ce n'est pas possible, on ne va pas y arriver et j'ai le souvenir de la première session de VivaTech, c'était sous une petite tente, dans un lieu un peu reculé. Il y avait 3 clampins qui étaient passés là, qui ont dit : tiens, il y a quelque chose qui se passe, on va venir. Et des années plus tard, VivaTech est le premier salon mondial de la tech. On le doit à un homme, on le doit à Maurice Lévy, vous pouvez l'applaudir.
Alors, je vais m'exprimer en français, mais si vous avez des questions en anglais, je serai très heureux d'y répondre. Je débarque juste de l'avion. J'étais à Abu Dhabi pendant deux jours, aux Émirats arabes unis, et j'ai eu de nombreuses discussions avec des responsables des Émirats Arabes Unis, des chefs d'entreprise, des ministres, des patrons de fonds d'investissement, ils ont tous un seul message. " France is the place to be ". Pour un investisseur, " France is the place to be ". Pour un jeune qui crée sa start-up, " France is the place to be ". Pour tous ceux qui veulent investir dans l'intelligence artificielle en Europe, " France is the place to be ". Et ça, c'est quelque chose de radicalement nouveau qui fait plaisir à nos compatriotes, qui doit tous nous remplir de fierté et nous inciter à nous demander pourquoi et comment est-ce qu'on peut faire mieux.
La première raison, quand j'écoute les investisseurs étrangers, les chefs d'entreprise, les jeunes qui veulent créer leur entreprise, c'est qu'il y a quelque chose qui a changé dans la politique économique française. C'est qu'elle ne change pas. C'est que nous avons la même politique économique depuis 7 ans. Accessoirement, le même ministre de l'Économie et des Finances depuis 7 ans dans un pays qui changeait tous les 4 matins de ministre de l'Économie et des Finances. Le président de la République a fait le choix de la stabilité.
La stabilité économique, c'est la confiance, c'est la visibilité, c'est la sécurité pour les entrepreneurs et je pense que c'est un des atouts maîtres aujourd'hui de la France en Europe. La stabilité est la constance de sa politique économique. Et je le confirme à tous ceux qui auraient des doutes, nous ne changerons pas une politique économique qui gagne, qui crée deux millions d'emplois, qui a fait de VivaTech le lieu le plus prestigieux pour la tech au monde, qui nous a permis de réindustrialiser le pays et de devenir la nation la plus en pointe sur l'intelligence artificielle.
La deuxième raison, c'est qu'il y a quelque chose qui ne change pas pour le coup, c'est la qualité de nos infrastructures. Une des raisons pour lesquelles on investit en France, c'est que nous avons les meilleures infrastructures européennes : routes, autoroutes, liaisons ferroviaires, centrales nucléaires, réseaux électriques et demain, les centres de données qui feront partie des infrastructures les plus critiques du XXIe siècle. Et c'est pour ça qu'avec le président de la République, nous sommes aussi décidés à avoir le plus grand nombre de centres de données qui s'installent en France, parce que ça vient compléter la qualité des infrastructures françaises. C'est très bien d'avoir du ferroviaire, c'est très bien d'avoir des routes, c'est très bien d'avoir des centrales nucléaires, mais c'est essentiel d'avoir demain le plus grand nombre de centres de données, ce sont les infrastructures critiques du XXIe siècle, les infrastructures critiques de la gestion de données et de la valorisation de ces données. Nous continuerons à installer des centres de données en France pour devenir le pays le mieux équipé en termes d'infrastructures de données.
La troisième raison, c'est qu'il y a quelque chose qui, pour le coup, change et change en bien, c'est la qualité, la détermination de nos entrepreneurs et je voudrais adresser un immense merci à toutes les entrepreneuses et tous les entrepreneurs qui sont présents ici. C'est vous qui faites la force de la France. C'est vous qui faites de la France, pour la 5? année consécutive, la nation la plus attractive pour les investissements étrangers, tout simplement parce que pour investir, il faut bien des entreprises dans lesquelles investir, des start-ups dans lesquelles investir. C'est votre création, c'est votre travail, c'est votre résultat. Je propose que vous vous applaudissiez vous-même, vous, les entrepreneuses et les entrepreneurs de France. C'est grâce à vous qu'on est attractif.
Alors un mot maintenant sur l'intelligence artificielle qui est le thème de VivaTech cette année. Juste pour dire très rapidement sur un sujet qui est une révolution technologique comme il en arrive une tous les deux ou trois siècles, quels sont à mes yeux les grands enjeux.
Le premier enjeu, il est économique. L'intelligence artificielle est une chance unique pour l'Europe de rattraper la productivité qu'elle a perdue depuis plusieurs décennies. Je refuse que l'Europe soit systématiquement derrière les États-Unis en matière de croissance. Je refuse que l'Europe soit systématiquement derrière les États-Unis depuis 3 décennies en termes de productivité. L'Europe est en état de léthargie économique. Il faut la réveiller. Et l'intelligence artificielle est la technologie qui va nous permettre de réveiller l'économie européenne, de réveiller sa productivité et de rattraper les pertes de productivité que nous avons enregistrées depuis plusieurs décennies. Je compte sur vous. L'Europe doit être devant, pas derrière, au même niveau que les États-Unis et pas plusieurs crans, en termes de croissance et de productivité, derrière les États-Unis. C'est le premier défi de l'intelligence artificielle. Croître n'est pas une menace. La croissance n'est pas un vilain mot. La croissance, c'est la prospérité. La croissance, c'est le niveau de vie. La croissance, c'est la qualité des soins. La croissance, c'est l'accès à la culture. Et la croissance, c'est la meilleure façon de trouver les technologies pour nous permettre de lutter contre le réchauffement climatique et de concilier croissance et climat.
Voilà pourquoi l'intelligence artificielle est décisive : l'enjeu est économique, l'enjeu est de retrouver un niveau de vie meilleur pour tous nos compatriotes.
Le deuxième enjeu est politique. Soyons très clairs. Il y aura au XXIe siècle un partage des eaux. D'un côté, il y aura les nations qui produisent de l'intelligence artificielle, qui ont les technologies, qui ont les algorithmes, qui ont les supercalculateurs, qui ont les processeurs, qui ont les semi-conducteurs jusqu'à 2 nanomètres. Et puis de l'autre, il y aura les consommateurs. Il y a ceux qui achèteront les technologies des autres, ceux qui consommeront l'intelligence artificielle des autres. Eh bien moi, je veux que la France soit du côté des nations de production, qu'elle produise son intelligence artificielle. Je veux que l'Europe soit un des grands continents de l'intelligence artificielle du 21ème siècle et qu'elle ne soit pas le consommateur d'une intelligence artificielle produite par des entreprises chinoises ou par des entreprises américaines, mais qu'elle ait ses propres entreprises d'une intelligence artificielle. Dans le partage des eaux du 21ème siècle, entre les consommateurs et les producteurs, entre ceux qui seront obligés de subir l'intelligence artificielle et ceux qui inventeront l'intelligence artificielle, je veux que la France et que l'Europe soient du côté des producteurs, de ceux qui inventent l'intelligence artificielle, de ceux qui la produisent. Et c'est pour ça que je reste fidèle à mon principe : l'innovation avant la régulation.
Pour une fois, l'Europe qui adore créer des normes, des contrôles, des règles, doit comprendre qu'il vaut mieux innover avant de réguler, sinon vous risquez fort de réguler des technologies que vous ne maîtriserez pas, et donc de mal les réguler parce que vous ne les maîtriserez pas. L'Europe doit apprendre à innover avant de réguler, elle doit retrouver le goût du risque. Et s'il y a bien une décision qui doit être prise lorsque nous aurons une nouvelle Commission européenne, c'est plutôt que d'inventer de nouvelles directives, de nouveaux textes, de nouvelles normes, qu'elle décide d'une loi de simplification générale des règles et des directives existantes pour simplifier la vie des entrepreneurs, vous permettre de prendre des risques et vous permettre de créer l'intelligence artificielle française et européenne dont nous avons besoin pour notre économie.
Enfin, le troisième enjeu, il est culturel. L'intelligence artificielle, c'est un outil de culture. C'est nourri par des données, c'est nourri par des textes, c'est nourri par du savoir, c'est nourri par de la science, c'est nourri par des valeurs. Eh bien je préfère avoir une intelligence artificielle européenne dans laquelle, quand on inscrit le mot « démocratie », il y a des remarques positives qui sortent et quand on inscrit le mot « régime autoritaire », il y a des critiques qui sortent. Mais si demain, l'intelligence artificielle, ce n'est pas les démocraties libérales qui le possèdent et qui le développent, eh bien, il y a fort à parier que le régime autoritaire apparaîtra comme positif et souhaitable, la démocratie comme peu efficace et critiquable.
Nous, nous voulons défendre l'inverse. Si nous voulons défendre nos valeurs, nous devons avoir notre propre intelligence artificielle. Sur cette base-là, quelle stratégie ? Et j'en termine avec ces remarques. D'abord, je le redis, au coeur de la stratégie, il y a le principe : innover avant de réguler. L'Europe doit retrouver le goût de l'innovation, de risque, de l'investissement.
La deuxième chose, c'est que nous devons maîtriser tous les compartiments du jeu. Moi, je vois certains qui vous disent : bah l'Europe dans le fond, elle doit stocker des données, mais pour le reste, la partie est perdue. Non. Nous devons maîtriser tous les compartiments du jeu de l'intelligence artificielle. D'abord, le premier, le plus important, le plus décisif : les compétences. Nous manquons de compétences en intelligence artificielle. Nous manquons d'ingénieurs et nous manquons surtout d'ingénieuses. Nous avons reculé sur la place des femmes dans la science en France. Nous avons reculé sur la place des femmes dans les écoles d'ingénieurs. Moi je vais vous dire, je pense que maintenant il est temps de mettre des quotas dans les classes préparatoires pour qu'il y ait autant de femmes que d'hommes dans les postes d'ingénieurs et que le mot ingénieur s'écrive avec un « e » à la fin. C'est indispensable pour réussir dans ce domaine de l'intelligence artificielle.
Le deuxième sujet, c'est le financement. Tout ça coûte cher, très cher. Et nous voulons, avec le président de la République, vous offrir les financements dont vous avez besoin.
Je ne veux plus continuer à financer des ingénieurs sur fonds publics, continuer à financer la naissance de startup sur fonds publics, et puis le jour où ça marche, quand vous avez besoin de lever beaucoup d'argent, comme il n'y en a pas assez en France ou en Europe, vous partez aux États-Unis et vous vendez votre entreprise. Ce temps-là est révolu. Et il faut faire une croix définitive sur la perte de souveraineté que représente la vente de nos startups et de nos pépites à l'étranger. Grandissez. Et nous, nous vous apporterons les financements. Des financements publics, France 2030 ; des financements privés, des initiatives comme l'initiative Tibi qui avait été prise ; des financements européens, je continuerai à me battre et dès demain, je le ferai avec mon homologue allemand pour qu'on mette en place une union des marchés de capitaux qui vous permette de lever de l'argent à Berlin, à Bruxelles, à Paris, à Rome ou à Madrid avec les mêmes règles et avec la même facilité que si vous alliez chez votre banquier au coin de la rue dans la ville où vous habitez en France. Vous avez besoin d'argent, nous vous l'apporterons en mettant en place l'union des marchés de capitaux.
Troisième élément, troisième compartiment du jeu, le stockage de données. Je le disais, c'est des infrastructures critiques. Nous devons avoir les centres de données les plus performants, les plus efficaces et les plus puissants de la planète ici en France. Quand Microsoft annonce qu'il va ouvrir un centre de données en France, tant mieux. Il faut juste qu'il y ait à côté d'autres entreprises, Scaleway par exemple, dont je salue l'initiative, qui ouvre aussi son centre de données. Il faut se battre pour que nous ayons des centres de données les plus performants possibles, qu'il y ait de l'open source, pour qu'à côté des GPU fournis par Nvidia, on puisse développer aussi nos propres puces nationales ou européennes. Je salue ce qui a été fait par Pasqal pour développer à côté des GPU des capacités quantiques qui vont révolutionner le stockage, l'utilisation et la valorisation des données. C'est ça l'intelligence française ! C'est prendre des risques et pas copier ce que font les autres, mais dépasser ce que font les autres. Vive Pasqal, vive les entrepreneurs français et vive les start-ups françaises qui innovent et qui prennent des risques !
Quatrième compartiment de jeu : les semi-conducteurs. Là aussi, ne restons pas les deux pieds dans le même sabot, à nous dire : " Oh là là, on est arrivés à faire du 11 nanomètres à Crolles chez STMicro, c'est formidable, on ne va pas faire plus. " Mais non ! Il est indispensable d'avoir accès aux 2 nanomètres.
Et moi, je vais me battre pour aller chercher des technologies à l'étranger, puisqu'elles n'existent pas, ni en France, ni en Europe, qui viendront investir sur notre territoire et donner accès à la technologie des 2 nanomètres à la France, aux industriels français et derrière à vos entreprises. Pas de limite, pas d'obstacle, se battre sans cesse pour être les meilleurs et pour être devant. Nous devons, en France, développer des capacités de semi-conducteurs de la taille de 2 nanomètres pour pouvoir être aux meilleurs standards mondiaux. Ne nous résignons pas à laisser d'autres pays maîtriser cette technologie-là. Enfin, un tout dernier point : la puissance du calcul. Vous avez besoin d'entraînement. Nous avons lancé avec le président de la République des initiatives avec Jean Zay, avec Jules Verne. Il y a d'autres initiatives privées qui sont en cours de route et qui vont dans la bonne direction. Nous voulons vous offrir les meilleures puissances de calcul possibles.
Troisième élément de la stratégie, une fois qu'on maîtrise tous les compartiments du jeu, qu'on a le principe d'innover avant de réguler, il faut diffuser l'IA. Et c'est là que vous avez un rôle majeur à jouer. L'IA, elle est efficace si elle est partout. Pas uniquement dans vos start-ups, dans toutes les entreprises, chez les commerçants, dans les PME, dans les TPE. Diffusez l'intelligence artificielle partout pour que partout on gagne en productivité ! Diffusez l'intelligence artificielle dans les territoires les plus reculés au service de nos compatriotes pour améliorer leur niveau de vie et leurs conditions de vie, c'est ce que fait remarquablement La Poste et je salue toutes les postières et tous les postiers qui utilisent l'intelligence artificielle au service des conditions de vie de nos compatriotes.
Moi, de mon côté, je m'engage à ce qu'en matière de commandes publiques, on fasse le maximum pour utiliser votre intelligence artificielle et vos projets d'intelligence artificielle au service de l'administration et de la commande publique.
Enfin, la diffusion de l'IA, c'est d'avoir des cas d'usage. L'IA, ce n'est pas un truc qui plane comme ça autour de la planète de manière complètement théorique. C'est des choses très concrètes. C'est l'imagerie médicale. Vous avez des images médicales, vous avez le médecin, et entre l'image et le médecin, l'IA va travailler sur cette image, recenser les millions et les millions de données qu'elle a pour donner un diagnostic, et ce diagnostic va aider le médecin à poser son propre diagnostic. L'IA ne remplace pas l'homme. L'IA apporte son aide à l'homme. L'IA ne pense pas à la place de nous. L'IA nous aide à penser plus loin, plus fort, plus juste. C'est à ça que doit servir l'intelligence artificielle. Chacun sait que toutes les nouvelles technologies, ça peut être le pire, comme ça peut être le meilleur. Il faut juste être capable d'en donner l'usage, les règles. Après tout, quand on a créé le marteau, c'est le meilleur quand on veut enfoncer un clou, c'est le pire si on tape sur la tête de son voisin. L'intelligence artificielle, c'est la même chose. Mettons-la au service des humains, de nos valeurs, de l'amélioration de la vie quotidienne de nos compatriotes, ça nous permettra d'être plus prospère et ça nous permettra d'avoir tous ensemble une société meilleure. Merci à toutes et à tous !
Journaliste
On a beaucoup parlé de pouvoir être sur le même marché que le marché américain, que le marché chinois. On a besoin d'un marché européen, du coup. On a besoin de tous travailler ensemble, parce que sinon, on n'est pas sur les mêmes tailles de marché. En même temps, on se retrouve dans un contexte où les pays sont de plus en plus fermés, peut-être un peu plus souverains, et aussi dans un contexte où la France veut gagner aussi de la souveraineté, que compte faire l'Etat pour pouvoir proposer aux entrepreneurs et aux start-ups d'avoir accès à plus de marchés, pour avoir plus de clients, un plus grand marché, tout en pouvant surpasser les politiques des pays qui se referment ?
Bruno Le Maire
Alors d'abord, il faut un marché unique européen, je le redis, c'est essentiel. Sinon, on n'y arrivera pas. Vous ne lutterez pas avec la Chine et avec les Etats-Unis si vous n'avez pas un marché unique européen sur les données, la gestion des données et le financement qui est le nerf de la guerre.
Ensuite, il y a la commande publique. Nous sommes, en Europe, des nations qui ont des commandes publiques très importantes. En France, la commande publique, ce sont des dizaines et des dizaines de milliards d'euros. Moi, je souhaite qu'on réserve une part de la commande publique à nos start-up, à nos entreprises. Et le principe que je porte, c'est de dire qu'une part de la commande publique européenne doit être réservée exclusivement et uniquement aux entreprises européennes. Ça s'appelle la préférence européenne. Elle doit s'appliquer aussi à nos start-up et à l'intelligence artificielle.
Ça veut dire un Buy European Act que je défends aussi bien dans le secteur industriel que dans le secteur des nouvelles technologies. Quand vous ouvrez un champ éolien offshore au large de Shanghai, est-ce que vous pensez que les composants français ont des chances de gagner ? Aucune. Ce seront des composants chinois qui gagneront. Est-ce que lorsque Monsieur BIDEN ouvre des champs éoliens offshore au large de New York, les composants français ou européens, les éoliennes françaises ou les éoliennes européennes n'ont une chance de gagner? Aucune. 95 % de l'équipement offshore américain, 96% de l'équipement offshore chinois sont américains ou sont chinois. Je propose la même chose pour les entreprises européennes. Quand vous ouvrez des champs éoliens en Europe, 60 % du marché doit être réservé à des composants européens, à des industries européennes.
Journaliste
Il y a quand même une pièce du poste qui manque en Europe. C'est d'avoir des champions mondiaux, les Google, Meta, Nvidia of the world, parce qu'un point important pour une start-up, c'est son exit. Et finalement, il y a très peu de grands champions mondiaux, en fait, en Europe. Il n'y a qu'à regarder les capitalisations boursières. Combien de temps ça va durer ? Combien de temps ça va prendre pour converger vers les États-Unis ou la Chine ?
Bruno Le Maire
Alors, excellente question. L'un des grands défis de l'intelligence artificielle aujourd'hui, et l'un des grands risques, c'est qu'on saute d'un monopole à un autre monopole à un autre monopole.
Dans les années 80-90, les États-Unis, et je salue le sens du risque et de l'audace des Américains, ils ont pris le monopole sur le numérique. Google, Amazon, Facebook, Microsoft, vous les connaissez tous, ils sont en situation de monopole, avec des capitalisations boursières de 1 000, 1 500, 2 000 milliards de dollars. Et donc ils sont mieux armés pour investir à leur tour dans l'intelligence artificielle.
Et donc l'énorme risque, celui que chacun doit voir, c'est qu'on passe d'un monopole du numérique à un monopole de l'IA. Et que ceux qui ont le monopole du digital aujourd'hui aient demain le monopole de l'intelligence artificielle. Et le moment où nous devons intervenir pour casser ce monopole, investir, grandir, rivaliser avec les champions du numérique américain, c'est maintenant. Ce n'est pas une affaire d'années. C'est une affaire de mois. Ça va vite, très vite, très très vite.
Et quand je dis qu'il faut que l'Europe arrête avec ses régulations, avec ses normes, avec ses directives, c'est que sinon la bataille est perdue. Déjà que nous n'avons pas, nous, de grands champions du numérique, si en plus, on met des bâtons dans les roues de nos futurs champions de l'IA, la bataille est perdue. Si en revanche, on vous donne la possibilité de vous développer, Union des marchés de capitaux, si on simplifie les règles, loi de simplification générale en Europe, et si on vous apporte les outils technologiques nécessaires, publics et privés, et qu'on réserve une part de la commande publique à des acteurs européens, là, la bataille n'est pas perdue, et on peut avoir des grands champions européens de l'intelligence artificielle.
Journaliste
Est-ce qu'il n'est pas déjà trop tard parce qu'on a des champions naissants, Mistral Ai, Dust, dans l'IA, dans le quantique aussi avec Pascal. Comment on leur donne les moyens tout de suite justement parce qu'ils sont en avance de conserver l'avance et d'avoir les moyens de se développer ?
Bruno Le Maire
Alors, ça se joue en mois, pas en année. Mistral a besoin de lever de l'argent d'ici 6 mois. Ça va être des fonds très importants.
Soit on a fait l'union des marchés de capitaux, soit ils iront ailleurs. Il faut que chacun réalise que, comme on dit en bon français, time is of the essence. Ça va très vite. Donc c'est à nous de simplifier maintenant, de mettre en place l'union des marchés de capitaux maintenant, de simplifier le droit de la concurrence maintenant pour permettre de créer des grands champions européens, sinon, effectivement, demain, il sera trop tard. Ce n'est pas trop tard maintenant, ce sera trop tard demain.
Journaliste
Vous nous avez présenté un réel programme électoral et en annonçant plein d'argent et en annonçant une stabilité. Comment pouvez-vous garantir à des étudiants aujourd'hui qui peut être rêvent d'être entrepreneurs, start-upers, que dans trois ans et au-delà, l'argent sera toujours là et que le cap sera toujours le même ? Parce qu'en fait, c'est vrai, on a besoin, au-delà des promesses, de garanties pour pouvoir y aller. Je vous remercie.
Bruno Le Maire
La seule garantie que je peux vous donner, c'est qu'il faut garder la même majorité, la même politique, le même ministre de l'Économie et des Finances qui est très heureux de jouer le remplaçant du président de la République ce soir. C'est un honneur. Et puis, je ne vous le cache pas, c'est un grand plaisir. Mais c'est vrai que la stabilité de la politique économique, elle est absolument fondamentale. Je ne vais pas faire de politique ce soir, ce n'est pas l'objectif. Je pense qu'il n'y a rien de plus précieux dans des moments où les choses changent très vite, bougent très vite, que de vous dire : " Voilà, ça ne bougera pas, ça ne changera pas, la fiscalité sera la même, le soutien sera le même et vous pouvez compter sur nous. " En tout cas, pour les mois qui viennent, vous pouvez continuer à compter sur moi.
Etudiante
Je suis étudiante à l'université Paris-Saclay. J'étudie l'informatique et les mathématiques. Et donc, nous, avec notre équipe, on veut aussi participer au développement d'intelligence artificielle. Et donc, on veut créer des projets, etc.
Est-ce que vous pouvez me dire… est-ce qu'il existe des programmes qui vont soutenir des étudiants qui font quelque chose comme ça, comme ce type de projet, ou est-ce que vous avez déjà considéré des créations de ce type de projet de soutenance ?
Bruno Le Maire
Bon, c'est l'un des lieux les plus prestigieux sur la science, l'intelligence artificielle, donc oui, il y a beaucoup de programmes qui soutiennent le développement de Paris-Saclay. On investit beaucoup d'argent dans Paris-Saclay et je pense que c'est de l'argent qui est bien dépensé.
Je le dis d'ailleurs dans des moments où chacun sait qu'il faut rétablir les comptes publics, ce n'est pas toujours le plus simple : rétablir les comptes publics, ce n'est pas couper dans les investissements d'avenir ; au contraire. Et je pense que l'argent qu'on met dans Paris-Saclay, dans les programmes de recherche, dans l'intelligence artificielle, c'est de l'investissement, c'est de l'argent bien employé, donc vous pouvez compter sur nous.
Journaliste
Hello. Thank you once again. Can I ask in English ? No problem. So I'm representing some science journal, I'm a correspondent. And what I'm really interested in is to know if there are some international cooperation programs which exist ? I mean, in general, like between France and Germany (phon), the same like in, you know, Europe and, for example, in Ukraine. Are there any international cooperation ?
Bruno Le Maire
There is international cooperation, of course. First of all, we must reinforce European cooperation on AI. And I think, for instance, that on supercalculation, we are on the right track, but we should definitely accelerate the process so that we can compete with the U.S on super calculation. On quantic calculation, where we have such skills and such successes in France, it's time now to pave the way for better cooperation with Spain, Italy, Germany on quantic calculation. On the question of chips and semiconductors, I think that there is a lack of cooperation. Each member state is trying to get access to the best number of chips and semiconductors without thinking of a kind of sharing between France, Germany and the big states of the EU. It would be more convenient and more efficient from a financial point of view if we would say : « Well, France will develop that kind of chips, Germany will develop that kind of chips, and we put that all together so that we can ensure the safety of the providing and the safety of the value chains in Europe. So we're on the right track but there remain some efforts to be done to be at the same level of cooperation than th U.S.
Journaliste
Pour nous, entrepreneurs dans l'IA, surtout l'IA française et éthique, génial. Mais j'ai besoin d'une précision, s'il vous plaît. Aujourd'hui que ce soit chez Méta, avant vous, il y avait Yann Le Cun, il est français, que ce soit chez Hugging Face, Clément Delangue, il est français que ce soit chez OpenAI, Romain Huet, il est français. Pourquoi tous ces Français ne sont pas en France aujourd'hui ? Et bon, la réponse, elle est très facile, il l'a dit Yann Le Cun juste avant, parce qu'ils sont payés 8, 9, 10, 15 fois plus chers aux USA qu'en France. Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas payer ces cerveaux et on laisse les cerveaux français, parce qu'on a quand même les meilleurs ingénieurs en IA en France ? Et aujourd'hui même, nous, dans notre boîte, on a du mal à donner des arguments à des Français de venir ou de rester en France, parce qu'ils sont alpagués un peu partout, et surtout aux États-Unis.
Bruno Le Maire
Alors, je vous fais une réponse politiquement incorrecte à une question très juste. D'abord, c'est vrai que les meilleurs scientifiques français, ils sont reconnus par les plus grands géants du numérique dont parlait Monsieur tout à l'heure. Et c'est très bien de se dire qu'à la tête du centre de recherche de Google, il y a un Français. On est très content, c'est très prestigieux, c'est formidable. Mais ce serait encore mieux s'il était en France, dans une entreprise française. Ce serait encore mieux si on n'avait pas démarché nos scientifiques dans les universités, dans les centres de recherche. Moi, ça ne me dérangerait pas du tout qu'on laisse la liberté totale aux présidents d'universités, aux présidents de centres de recherche, de payer les chercheurs ce qu'ils veulent les payer, en fonction de leur attractivité et de ce qu'ils représentent pour l'université.
Plus d'indépendance, plus d'autonomie pour les patrons d'établissements, les patrons de laboratoires, les patrons d'universités, pour qu'on garde les meilleurs chez nous. J'ai toujours considéré que servir son pays, être au service de son pays, c'est toujours préférable pour la France que d'aller servir ailleurs. Je peux comprendre les choix qui sont faits par les uns et par les autres, mais donnons-nous aussi les moyens de garder nos talents sur le territoire français.
Journaliste
Parfois, on n'a pas d'argent, on a des idées. Il y a une proposition de loi en ce moment qui est en discussion, notamment au Sénat, sur l'attractivité de la place financière, avec la possibilité de multiplier le nombre de droits de vote pour les entrepreneurs, justement, pour ceux qui créent des entreprises, pour creuser l'écart avec notamment les réglementations d'autres pays. C'est quelque chose que vous soutenez ?
Bruno Le Maire
Que je soutiens totalement. Je pense qu'il faut donner la parole aux entrepreneurs et le droit de vote aux entrepreneurs. La France doit être une fois encore devant, elle doit être innovante. Il y a beaucoup de pays européens qui aujourd'hui sont averses au risque et ne veulent pas modifier un certain nombre de règles.
Moi, je suis pour qu'on modifie ces règles. Je suis d'ailleurs pour qu'on modifie les règles prudentielles qui s'appliquent aux banques et aux assurances qui ont été définies au lendemain de la crise financière, qui n'ont jamais été modifiées depuis, et qui font que nos banques et nos assurances, pas parce qu'elles ne veulent pas mais parce qu'elles ne peuvent pas à cause de la régulation, investissent moins que les grands centres financiers américains dans les startups et dans les entreprises risquées. Il faut être capable de bouger, de prendre du risque, d'avoir de l'audace. C'est ce qui permettra à l'Europe de réussir.
Etudiant
École polytechnique. Vous avez mentionné le soutien de la France aux entrepreneurs, aux ingénieurs. Qu'en est-il du monde de la recherche ? Nous étions avec Yann Le Cun tout à l'heure, qui a souligné l'importance des chercheurs dans le mouvement de l'intelligence artificielle.
On sait que, en France, les doctorats, par exemple, sont bien moins financés qu'aux Etats-Unis, qu'en Suisse ; et que la recherche publique, de manière générale, est moins bien financée et a moins de ressources. Quelle est votre idée par rapport à cette problématique ?
Bruno Le Maire
Moi, je pense qu'il faut regarder les problèmes tels qu'ils sont. En France, on investit beaucoup sur la recherche publique, on a aussi un gros sujet de recherche privée. Alors je ne veux pas m'exonérer de mes responsabilités, j'ai toujours dit que j'étais ministre des Finances chargé de rétablir les comptes publics. Mais j'ai toujours dit aussi qu'une bonne façon de rétablir les comptes publics, c'est d'avoir plus de croissance, plus d'innovation, plus d'investissements dans la recherche. Et l'argent qui est mis sur les laboratoires de recherche, sur les universités, sur les centres de recherche, sur Saclay, sur Polytechnique, c'est de l'argent bien placé parce qu'il permet de former les meilleurs et d'avoir plus de croissance demain.
Mais je voudrais aussi que du côté de la recherche privée, où on est un peu à la traîne en France, on puisse faire davantage. Vous venez de Polytechnique, alors bon je peux vous dire qu'aux Emirats Arabes Unis, Polytechnique, la cote est au top du top. Donc si jamais vous voulez faire un stage à un moment donné dans un autre pays que la France, vous pouvez aller dans les pays du Golfe. On recherche désespérément des ingénieurs français.
Intervenant non identifié
Je viens du Maroc et je tiens à vous féliciter, déjà VivaTech, les organisateurs de VivaTech, et c'est une chance incroyable d'assister un peu à tout ça. Donc moi, je travaille dans le monde du digital, notamment dans une grande banque marocaine, Attijariwafa. Je sais que vous étiez au Maroc récemment, donc vous connaissez le pays, vous connaissez l'économie du pays. Et je voudrais savoir dans quelle mesure un pays comme le Maroc, justement, peut devenir un acteur de l'intelligence artificielle dans le monde ?
Et dans quelle mesure, je sais que vous parlez de la préférence européenne, il n'y a pas de souci, dans quelle mesure est-ce que la France peut soutenir un pays comme le Maroc pour qu'il devienne justement un acteur majeur en Afrique, et puis peut-être aider la France dans ce sens-là ?
Bruno Le Maire
Alors, je pense que le Maroc est probablement un des États africains qui est le mieux positionné aujourd'hui sur l'intelligence artificielle et dans le domaine scientifique, avec un succès incroyable. J'étais à l'Université Mohammed VI il y a quelques semaines. J'ai rencontré des étudiants d'un niveau spectaculaire.
Je reprends l'exemple de Polytechnique. Je crois que les étudiants étrangers qui trustent le plus les places d'étudiants étrangers à l'Ecole polytechnique, c'est les étudiants marocains. Donc il y a des possibilités de coopération incroyables entre nos grandes écoles scientifiques, nos écoles scientifiques et le Maroc. C'est ce qui permettra aussi de développer et de permettre au Maroc d'être la tête de pont du développement scientifique et de l'intelligence artificielle en Afrique. Donc moi, je suis totalement ouvert et même très enthousiaste à cette idée là et, je félicite le Royaume du Maroc pour ses succès scientifiques qui sont très impressionnants.
Merci à toutes et à tous, et on compte sur vous pour la suite. On est au milieu du gué, il faut accélérer. Merci à tous.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 24 mai 2024