Déclaration de M. Thomas Cazenave, ministre délégué, chargé des comptes publics, sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, au Sénat le 28 mai 2024.

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Circonstance : Audition devant la Mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la Franc

Texte intégral

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous arrivons presque au terme des travaux de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, en entendant, cet après-midi, le ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, avant d'entendre Bruno Le Maire après-demain.

Je rappelle que cette mission d'information a été déclenchée à la suite du constat d'un écart massif entre la prévision de déficit public pour 2023 de 4,9% du PIB, incluse dans l'ensemble des textes adoptés par le Parlement à la fin de l'année dernière - loi de finances de fin de gestion pour 2023, loi de finances initiale pour 2024, loi de programmation des finances publiques - et son exécution, à 5,5%, chiffre dévoilé par l'Insee le 26 mars dernier, mais dont la presse s'est fait l'écho dès le 20 mars.

Hors période de crise, cet écart négatif entre prévision et exécution est sans précédent. Si l'on corrige cet écart de l'erreur de prévision de croissance, il est tout simplement inédit.

Nous vous avons entendu, monsieur le ministre, minorer cet écart en vous concentrant sur les effets du changement de base de l'Insee. Celui-ci n'est toutefois à l'origine que de 0,14 point de l'écart, qui sans cela serait donc de 0,5 point.

L'écart est en réalité principalement lié à des recettes bien inférieures à la prévision, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés, de la TVA, des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), des cotisations sociales ou encore de l'erreur massive d'appréciation de recettes sur la nouvelle contribution sur la rente inframarginale de l'électricité (Crim).

Que s'est-il passé pour que cet écart de recettes, donc de déficit, soit si important ? Comment l'exécution a-t-elle pu s'écarter autant des prévisions des textes financiers adoptés en novembre et décembre 2023 ? Je souligne à cet égard que toute déviation observée sur 2023 se traduit nécessairement, par un effet base, sur le déficit 2024.

Le Gouvernement a-t-il sous-estimé l'ampleur de la déviation ? A-t-il manqué de prudence dans ses estimations de recettes ? Est-il resté sourd aux alertes de son administration ? Ou bien encore a-t-il retenu des informations essentielles qui auraient permis aux parlementaires de se prononcer sur un " vrai " budget - notez que je ne dis pas " sincère " ? Il n'est pas envisageable non plus qu'une telle situation se reproduise. Comment s'en assurer ? Quelles améliorations prévoyez-vous pour améliorer les prévisions ?

Vous le savez, monsieur le ministre, cette mission d'information a été déclenchée à la suite de la publication, par voie de presse, d'informations concernant le déficit public 2023, et ici, au Sénat, nous avons assez peu goûté ce contournement du Parlement, qui s'est d'ailleurs prolongé depuis que vous refusez de présenter un projet de loi de finances rectificative. Le rapporteur général Jean-François Husson a donc utilisé ses prérogatives et effectué un contrôle sur pièces et sur place le 21 mars dernier. Il a ainsi assuré la mission de contrôle de l'action du Gouvernement dévolue au Parlement par l'article 24 de la Constitution, en utilisant les prérogatives que lui confère l'article 57 de la  loi organique relative aux lois de finances (Lolf).

L'enjeu de l'information du Parlement est donc également crucial dans notre mission, en particulier à un moment où le déficit public, déjà très élevé, dérape à ce point et où celui-ci ne peut qu'affecter notre position à l'échelon européen à l'approche de l'entrée en vigueur des nouvelles règles budgétaires.

Cette audition est l'occasion pour vous, monsieur le ministre, de nous donner les éclairages nécessaires. Je vous donne donc la parole pour une intervention liminaire, à la suite de quoi le rapporteur général et moi-même, ainsi que les autres membres de la commission aurons, je n'en doute pas, des précisions à vous demander.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner de nouveau l'occasion de m'exprimer devant vous et de pouvoir donner toutes les explications sur la situation dans laquelle nous sommes.

Pour rentrer directement dans le vif du sujet et répondre à vos interpellations, je reviens sur l'écart constaté en 2023 concernant nos prévisions de solde public. Celui-ci a atteint - 5,5% du PIB, contre - 4,9 % prévu en loi de finances de fin de gestion. Comment s'explique cet écart ?

D'abord, je veux redire qu'en 2023 nos dépenses ont été tenues. L'État et ses opérateurs ont moins dépensé que prévu, et ce à hauteur de 7 milliards d'euros par rapport au budget initial. Ce résultat a été permis par des mesures de pilotage prises en cours de gestion. Je pense notamment à la mise en réserve additionnelle de crédits faite à hauteur de 1,6 milliard d'euros au mois de mai 2023, ainsi qu'à un décret d'annulation de 5 milliards d'euros pris en septembre 2023.

La trajectoire de l'objectif national de dépenses d`assurance maladie (Ondam) a également été respectée. Les mesures de régulation ont permis de compenser notamment le coût des aides en trésorerie qui ont été accordées aux hôpitaux au titre de l'inflation et le dépassement des soins de ville. Les dépenses de santé liées à la crise sanitaire ont été significativement réduites, passant de près de 12 milliards d'euros en 2022 à 1 milliard d'euros en 2023.

Les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales ont été dynamiques en 2023. La loi de programmation des finances publiques fixait pour 2023 une hausse des dépenses égale à l'inflation. Nous constatons aujourd'hui qu'elles ont augmenté plus fortement, de 5,9%, là où l'inflation s'est élevée à 4,9 %.

En somme, la situation à laquelle nous faisons face, c'est bien celle de dépenses globalement tenues, mais de recettes affectées par un ralentissement économique mondial. Au total, ce sont 21 milliards d'euros de moindres recettes que nous avons constatées en 2023 par rapport à ce que nous anticipions lors des débats au Parlement en octobre et en novembre.

Voici le détail des raisons de ces moindres recettes.

D'abord, les recettes de l'impôt sur les sociétés (IS) se sont élevées à 4,4 milliards d'euros de moins que ce que nous anticipions dans le cadre de la loi de finances de fin de gestion pour 2023. La dégradation - c'est un point très important - n'a été constatée qu'en décembre, au moment du dernier acompte, avec une baisse de 4,2 milliards d'euros par rapport à la prévision actualisée, et ce alors même que les encaissements de novembre étaient encore légèrement supérieurs à la prévision - de 0,5 milliard d'euros. C'est donc bien une dégradation subite et non prévisible à la date des textes budgétaires qui explique l'écart relatif à l'impôt sur les sociétés. La mécanique de l'impôt sur les sociétés en fait l'une des recettes les plus complexes à anticiper, avec une forte incertitude de prévision, y compris en fin d'année budgétaire. S'il est significatif en niveau, cet écart n'est pas inédit en proportion. Ainsi ont été observées une baisse de 5%, en 2013, une hausse de 7%, en 2018, et une hausse de 5 %, en 2022, par rapport aux prévisions.

J'en viens à la TVA, pour laquelle l'écart s'élève à - 4,3 milliards d'euros, dont 1,4 milliard d'euros affectant directement les recettes de l'État.

Cela tient à deux facteurs : premier facteur, un dynamisme moindre qu'anticipé en lien avec la conjoncture ; second facteur, des modifications des pratiques des entreprises en matière de remboursement de crédit de TVA. Il s'agit d'une réaction au contexte économique incertain avec des taux d'intérêt élevés qui pousse les entreprises à mobiliser davantage les leviers de trésorerie dont elles disposent, notamment s'agissant des remboursements de TVA.

Les recettes de l'impôt sur le revenu (IR) sont également moindres : - 1,4 milliard d'euros. Les recettes de prélèvement à la source ont ralenti à partir de septembre et ce ralentissement s'est confirmé en octobre. Il est important de souligner que ce calendrier est lié aux caractéristiques de cet impôt. Les taux de prélèvement sont principalement mis à jour à partir de septembre et d'octobre sur la base des déclarations. Le Gouvernement en a tenu compte en révisant à la baisse la prévision en PLFG (projet de loi de finances de fin de gestion) par rapport à celle qui avait été déjà révisée en septembre pour le projet de loi de finances. L'écart constaté entre la prévision actualisée et l'exécution est de - 2%. Cette proportion-là non plus n'a rien d'inédit : - 3% en 2013, + 3% en 2022, par exemple.

Le rendement de la Crim n'a été que de 600 millions d'euros. La prévision initiale reposait sur des estimations d'évolution des prix de l'électricité élaborées en lien avec les services de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). La forte baisse des prix de gros de l'électricité tout au long de l'année a affecté les estimations initiales de rendement. Les prix spot moyens ont ainsi été quasiment divisés par trois entre 2022 et 2023. Autre élément d'explication, la prévision était particulièrement complexe, compte tenu de la difficulté à prévoir la stratégie de vente des producteurs d'électricité. En synthèse, ce décalage s'explique essentiellement, d'abord, par le fait qu'il s'agit d'un impôt nouveau, donc difficile à calibrer, dont les modalités de recouvrement et de prévision sont plus complexes à estimer, ensuite, par une très forte baisse des prix d'électricité par rapport au contexte du PLF 2023, enfin, par la capacité à mobiliser et imputer les pertes pour ceux qui étaient redevables de la Crim.

En raison du ralentissement de l'économie, les cotisations sociales ont également été inférieures de 4,8 milliards d'euros aux prévisions et les prélèvements sociaux de 1,4 milliard d'euros. Ces moindres recettes sociales - cotisations sociales, CSG, taxes sur les salaires, forfait social - résultent du ralentissement économique observé à la fin de l'année 2023. Ainsi, l'augmentation de la masse salariale du secteur privé a finalement atteint 5,7% contre une prévision du Gouvernement de 6,3%, engendrant mécaniquement des moindres recettes de cotisations.

Comme vous le voyez, cette baisse de recettes est due à des aléas qu'il était très difficile de prévoir. Les experts que vous avez d'ailleurs sollicités lors de vos auditions ont pu le confirmer. Le directeur des études de l'institut Rexecode a souligné qu'avec l'information disponible à la fin du mois de novembre 2023, qui n'était pas connue au moment de l'examen du PLFG, il était particulièrement difficile de prévoir une telle baisse de nos recettes. Le directeur adjoint de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) a mis en avant des " aléas forts " dans une situation " hors norme ", avec des chocs inédits rendant difficile de faire des prévisions économiques.

Sur l'impôt sur les sociétés, lors de son audition devant votre commission, François Écalle a souligné qu'avoir des prévisions fiables était très difficile, notamment parce que les grandes entreprises, qui sont les principales contributrices à l'impôt sur les sociétés, sont amenées à calculer leur dernier acompte, versé au 15 décembre, en fonction de prévisions de bénéfices de l'année en cours.

Par ailleurs, de tels écarts aux prévisions de recettes ont déjà été connus dans le passé. Ainsi, en 2013, les recettes ont chuté, ce qui a entraîné un écart de 25 milliards d'euros entre l'objectif en PLF et le déficit constaté. Il en a été de même en 2011 : l'État a vu ses recettes baisser de 700 millions d'euros pour l'IR et de près de 6 milliards d'euros pour l'IS.

Vos travaux portent également sur les modalités d'information du Parlement, sur la situation économique, budgétaire et financière. Je reviens donc sur les informations qui ont été transmises au Parlement pour vous redire que le Gouvernement n'a rien caché. Dans l'ensemble des notes et documents qui vous ont été transmis, vous avez pu constater que les informations sur les recouvrements de recettes étaient trop tardives - j'y insiste - pour être intégrées dans les textes financiers de fin 2023.

Le 7 décembre 2023, une note des services évoque " un risque de dégradation du déficit 2023 de 4,9% à 5,2% du PIB ". Les directions insistent sur l'ampleur des aléas entourant cette prévision et recommandent explicitement de ne pas communiquer sur ce fait. Cette note a d'ailleurs été partagée avec les parlementaires. Il est trompeur de ne citer qu'une partie de cette note, sans dire qu'elle souligne la nécessité de ne pas diffuser les chiffres dans l'attente de données fiabilisées. Par ailleurs, à cette date, la loi de fin de gestion 2023 a été promulguée depuis une semaine et ne pouvait pas être modifiée. Il n'y avait pas lieu non plus d'actualiser la prévision du PLF 2024, dont l'examen au Parlement était encore en cours jusqu'à mi-décembre, dans la mesure où - c'est un point important - les conséquences sur 2024 de ces informations nouvelles sur 2023 n'étaient pas connues. La note des directions indiquait noir sur blanc que la prochaine prévision de déficit 2024 serait faite en février de cette même année. Les administrations de Bercy en charge de la prévision écrivaient dans cette note que nous avons transmise le 29 mars à l'ensemble des membres des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat : « La prévision de solde public de la loi de finances de fin de gestion pour 2023 s'établit à - 4,9% du déficit. Les dernières informations laissent toutefois anticiper un déficit plus prononcé. Il pourrait en effet s'établir à - 5,2% du PIB. Cette révision du déficit public s'expliquerait principalement par une révision à la baisse des prélèvements obligatoires au regard des remontées comptables observées à date et par un moindre dynamisme que prévu de la masse salariale privée. Par ailleurs, le dynamisme des dépenses et des administrations publiques locales et la charge de la dette dégraderaient également le solde public. Il n'est pas recommandé de communiquer sur cette mise à jour encore entourée de nombreux aléas. » La conclusion de cette note précise le calendrier des travaux des services : " La prévision de solde public pour 2023 sera réactualisée par la direction du budget et la direction du Trésor, une fois l'exécution budgétaire de l'État connue en janvier, levant une partie des aléas identifiés. Le déficit 2023 sera ensuite notifié par l'Insee lors de la publication du compte provisoire le mardi 26 mars. " Les directeurs des administrations concernées concluent : " Dans la mesure où la prévision 2023 est encore sujette à de nombreux aléas, il n'est pas recommandé de communiquer sur cette mise à jour. "

Dans une note du 24 janvier 2024, ces mêmes services écrivent : " La dernière prévision publique de solde public pour 2023 est celle de la loi de finances de fin de gestion pour 2023, qui s'établit à - 4,9% du PIB. Selon les dernières prévisions disponibles, notamment l'exécution budgétaire de l'État, le déficit 2023 serait plus dégradé et s'établirait à - 5,3% du PIB, un niveau proche de celui prévu dans la note d'actualisation de décembre. Cette révision s'explique notamment par une moins-value importante des prélèvements obligatoires et le dynamisme des dépenses locales, partiellement compensés par une sous-exécution des dépenses de l'État. " Toujours dans la même note, " cette actualisation reste soumise à de nombreux aléas jusqu'à la publication des chiffres de déficit prévue par l'Insee le 26 mars ". Comme la note du 7 décembre 2023, la note du 24 janvier 2024 conclut : " Dans la mesure où la prévision 2023 est encore sujette à de nombreux aléas, il n'est pas recommandé de communiquer sur un chiffre précis de déficit public. " Lorsque, le 16 février 2024, une prévision davantage fiabilisée est remontée à 5,6% dans le cadre de la préparation technique du programme de stabilité, nous révisons notre croissance pour l'année 2024 de 1,4% à 1%, ce qui a été annoncé par Bruno Le Maire. Dès le 18 février, deux jours après, nous prenons immédiatement les mesures nécessaires pour ajuster nos dépenses ; un décret d'annulation est publié le 21 février, c'est-à-dire quelques jours après l'envoi de la note des services fiabilisant le déficit. Dès le 6 mars, nous avons eu l'occasion de dire, dans le cadre de nos auditions au Parlement, que le déficit serait nettement supérieur à la prévision.

Je tiens à revenir sur l'évolution de la dette publique. J'entends souvent que cette majorité serait à l'origine d'une hausse de la dette de 1 000 milliards d'euros depuis 2017. Cet argument est trompeur. En effet, s'intéresser à l'évolution de la dette en euros n'a pas de sens si, dans le même temps, on ne regarde pas l'évolution du PIB, car ce dernier détermine la capacité d'un État à rembourser sa dette.

Depuis 2017, le PIB a augmenté de 570 milliards d'euros, et ce malgré la crise du covid, puis celle des prix de l'énergie. Le ratio de dette sur PIB a progressé de 12 points depuis 2017, ce qui, étant donnée la valeur du PIB en 2023, représente une hausse non pas de 1 000 milliards d'euros, mais de 350 milliards d'euros.

Toujours sur la progression de la dette, je rappelle que certaines dépenses ont permis de protéger l'emploi et l'outil productif pendant la période de crise. Par ailleurs, nous avons maintenu le taux de chômage à 7,5%. C'est d'ailleurs ce que souligne le FMI, qui salue la qualité de la réponse apportée à la crise du covid et à la crise inflationniste. Cette protection a eu un coût pour les finances publiques, mais son absence aurait été encore plus coûteuse en termes de faillites et d'explosion du chômage. Le Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications) a ainsi estimé que l'endettement français aurait été plus élevé de 10 points de PIB en l'absence de mesures de soutien face à la crise sanitaire en raison de la chute du PIB et de la destruction du tissu productif.

La politique que nous avons menée a fait ses preuves. Elle a permis de continuer à créer de l'emploi, de la croissance et d'ouvrir de nouvelles usines. Cette situation est à mettre en perspective avec l'évolution observée entre 2007 et 2012, période également frappée par la crise. Dans cette période, l'endettement public a augmenté de 26%, principalement sous l'effet d'une hausse des dépenses sociales. L'emploi n'a pas été pour autant protégé et le chômage a augmenté durablement de deux points.

Je rappelle qu'il aura fallu attendre 2018 et le quinquennat d'Emmanuel Macron pour voir le déficit public revenir sous la barre des 3% et notre pays sortir de la procédure pour déficit excessif. Aujourd'hui, l'enjeu est le retour progressif sous les 3% d'ici à 2027. C'est l'objectif qui a été confirmé dans le cadre du programme de stabilité que nous vous avons présenté, qui nécessitera un effort partagé dont nous discuterons dans le cadre de la préparation et de l'examen des prochains textes financiers.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, merci de cette intervention qui a embrassé un certain nombre de sujets, même si certains avaient peu à voir avec l'objet de cette mission d'information.

Nous allons bien évidemment revenir sur chacun des points que vous avez évoqués. Néanmoins, il manque une conclusion à votre propos liminaire. Vous avez fait une conclusion factuelle, vous satisfaisant de votre action ; en revanche, rien concernant l'avenir. En effet, si toutes les valeurs de recettes sont sujettes à caution, comment bâtir un budget et, surtout, comment ne pas se retrouver à la fin de l'année prochaine avec un déficit non pas de 5,1% du PIB comme vous le prévoyez aujourd'hui, mais de 5,6% ? Après vous avoir entendu, j'ai l'impression que vous pourriez nous dire exactement la même chose l'année prochaine, en constatant une aggravation du déficit : on ne contrôle rien, certains éléments en tout cas sont peu faciles à cerner, etc. En d'autres termes, vous ne nous dites rien. Je vous rassure, cette audition sera l'occasion pour vous de nous dire des choses...

Ce qui compte, ce n'est pas uniquement de savoir ce qui s'est passé, même si c'est important, mais surtout de savoir comment faire pour avoir des chiffres crédibles à l'avenir.

Première question : certains interlocuteurs auditionnés par la commission des finances ont utilisé le terme de « pari » s'agissant des prévisions de recettes d'impôt sur le revenu et de TVA. Certes, des calculs sont faits, mais il reste une dimension aléatoire. C'est d'ailleurs ce que vous avez dit sur l'ensemble des recettes, notamment lorsque vous avez évoqué les entreprises qui avaient utilisé autrement le crédit de TVA. Reprendriez-vous à votre compte le terme de " pari " ? Le Gouvernement fait-il un pari quand il présente un projet de loi de finances, 2023 étant en quelque sorte un pari raté, notamment en ce qui concerne les prévisions de recettes ?

Généralement, les prévisions de recettes sont plutôt justes, avec quelques bonnes surprises, car ce sont des prévisions protectrices. En 2023, n'a-t-on pas un peu poussé les curseurs ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'aurais donc mieux fait de terminer mon propos liminaire pour répondre aux questions que vous abordez !

M. Claude Raynal, président. - C'est-à-dire, monsieur le ministre, qu'une partie de vos propos liminaires était en dehors du périmètre de la mission, je vous invite à y revenir pour faire une conclusion.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je ne reprends naturellement pas à mon compte le terme de " pari ". Ce serait faire offense au travail de toutes les directions de Bercy qui ont à coeur, notamment dans le cadre de la préparation du PLF, de proposer et de travailler sur les hypothèses les plus robustes. D'ailleurs je veux rendre hommage à la fois aux personnels de la direction du Trésor, de la direction du budget et de la direction générale des finances publiques, qui sont des grands professionnels guidés par l'intérêt général.

L'année 2023 est particulière. Nous avons subi des aléas très forts dans les années précédentes et, en 2023, nous sommes dans une forme de sortie de crise, qui peut parfois percuter nos propres modèles de prévision, par exemple nos élasticités. Il est difficile de remettre un modèle de prévision après de tels à-coups, des chocs économiques, exogènes ou plus endogènes. Par conséquent, 2023 est une année post-crise qui a probablement eu des impacts sur nos modèles de prévision.

Par ailleurs, il y a un élément tout à fait conjoncturel. Qui aurait pu anticiper qu'en toute fin d'année, notamment sur le rendement de l'IS, nous aurions un tel effet du ralentissement économique ?

Là où je vous rejoins, monsieur le président, c'est que l'on doit sans arrêt faire mieux, notamment dans la préparation de nos textes financiers. Nous avons donc lancé une mission confiée à l'inspection générale des finances (IGF) courant avril pour pouvoir tout remettre à plat, examiner précisément les écarts en exécution, faire un retour d'expérience sur le circuit de prévision, la prise en compte des remontées financières, l'identification des risques, faire des recommandations à l'avenir avec l'ensemble des administrations sur les modalités de construction des prévisions.

En effet, aussi bien le Parlement que le Gouvernement a besoin de disposer des prévisions les plus robustes possible. Nous sommes les premiers à déplorer qu'une vingtaine de milliards d'euros manquent dans les recettes ! L'IGF travaillera sur les modes de fabrication des estimations, la manière qu'ont les directions concernées de se nourrir les unes les autres. L'objectif est de parfaire nos modèles pour les rendre encore plus robustes. L'IGF travaille avec l'ensemble de nos directions et rendra son rapport en juillet.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -J'ai collecté plusieurs documents, notamment lors de mon déplacement à Bercy. Cette année, le Gouvernement s'était targué de présenter un budget à l'euro près. Entre les annonces et la réalisation, il y a eu comme un dérapage, voire une vraie dégradation... Les prévisions de recettes figurant dans la loi de finances initiale (LFI) pour 2023 et le PLFG correspondaient-elles aux estimations faites et proposées par vos services ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Oui, nous avons intégré dans les textes financiers les éléments qui étaient en notre possession.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Comment expliquez-vous, alors, un tel décalage entre la prévision et l'exécution ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vous renvoie à mon propos introductif : j'y ai expliqué, impôt par impôt, les écarts constatés. Voulez-vous que je reprenne cette explication ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous y reviendrons si besoin.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Impôt par impôt, j'ai essayé d'expliquer les écarts. Pour l'IS, jusqu'en novembre il n'y avait pas d'écart. C'est le dernier acompte, en décembre, qui nous a surpris. Pour les cotisations et l'IR, le fait est que la masse salariale a été légèrement inférieure à ce que nous attendions, en raison du ralentissement de l'activité économique en fin d'année.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est donc la situation mondiale qui serait responsable de l'écart... Cela ne me convainc pas, mais ce n'est pas à ce stade le plus important.

En 2023, le produit de l'IR a dépassé de 1,2 milliard d'euros les prévisions de la LFI - mais il a été inférieur de 1,4 milliard d'euros aux prévisions de la LFG. Comment expliquez-vous cet écart entre la prévision et l'exécution ? Comment expliquez-vous que celui-ci soit plus élevé en LFG qu'en LFI ? En fin de gestion, en principe, on est au plus près de la réalité et l'on connaît beaucoup mieux la situation.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - En ce qui concerne l'IR, voici les chiffres et les écarts entre la prévision et l'exécution - et nous prenons toujours les prévisions qui sont formulées par les administrations. La LFI 2023 prévoyait un produit de 87,3 milliards d'euros. Nous avons révisé ce chiffre - pour 2023 - à 90,7 milliards d'euros dans le PLF pour 2024 et nous l'avons abaissé à 90 milliards d'euros dans le PLFG pour 2023. Nous avons donc revu nos hypothèses au fil de l'année 2023. L'exécution établit ce produit à 88,6 milliards d'euros. Le décalage s'explique par un ralentissement des recettes. Je souligne ici qu'il existe un décalage entre les remontées comptables et la capacité à les prendre en compte. De plus, le taux de prélèvement à la source de l'IR est défini en septembre - alors que le dernier acompte de l'IS est prélevé le 15 décembre. Vous voyez que, quand nous avons pris connaissance d'éléments nouveaux d'information, nous en avons tenu compte dans le PLFG.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous n'avons pas la même explication de ces chiffres. Vous me dites que vous avez tenu compte et, pourtant, il y a eu un dérapage... En principe, quand on en tient compte, on corrige la trajectoire ; vous avez fait l'inverse.

De même, les recettes de TVA ont été inférieures de 2,4 milliards d'euros à la prévision figurant dans la LFG. Comment expliquez-vous ce décalage ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'insiste : nous avons revu à la baisse les prévisions de recette de l'IR, puisque le chiffre est passé de 90,7 milliards d'euros à 90 milliards d'euros. Nous avons tenu compte des moindres encaissements constatés.

Pour la TVA, nous étions à 96,6 milliards d'euros dans le PLFG et l'exécution a été de 95,2 milliards d'euros. L'écart est de 1,4 milliard d'euros par rapport à la révision en LFG. Il s'explique par une moindre activité en fin d'année, qui s'est aussi reflétée dans le produit de l'IS et par une modification des pratiques des entreprises, qui gèrent leur trésorerie de manière différente en période de taux d'intérêt élevés. Il est très difficile, vous en conviendrez, d'anticiper à l'euro près les comportements des entreprises !

En ce qui concerne la dépense, nous avons bel et bien géré le budget à l'euro près, puisque l'État a dépensé 7 milliards d'euros de moins que prévu.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ces propos sont audacieux, monsieur le ministre.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Permettez-moi de répondre à la question.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous êtes en audition, vous répondez à la question mais je suis dans mon rôle en instaurant avec vous un dialogue exigeant. Je vous demande de répondre aux questions. Nous n'avons pas les mêmes chiffres, alors que nous utilisons les vôtres !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je tire les miens du rapport du Sénat sur le PLFG. Pour la TVA, l'écart de 1,4 milliard d'euros résulte d'une moindre activité en fin d'année et de comportements différents des entreprises.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il n'est pas de 1,4 milliard, mais de 2,4 milliards d'euros si l'on prend le chiffre total - mais nous n'allons pas faire une bataille de chiffres...

M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'IS. Vous avez dit l'essentiel. Vous considérez qu'une grande partie de l'écart est liée à cet impôt, notamment à cause de la faiblesse des recettes liées au cinquième acompte, qui est versé en décembre. Connaissez-vous déjà le produit exact de ce cinquième acompte ? C'est en fin d'exécution, dans la LFG 2023, que la prévision de décembre s'est envolée, créant un écart de 4,2 milliards d'euros avec l'exécution. N'était-ce pas une prévision quelque peu gonflée de cette recette ? Elle reflétait sans doute l'idée que les choses allaient se poursuivre comme les années précédentes - de fait, les années précédentes, l'IS a progressé de manière significative. N'y a-t-il pas eu la tentation de penser que cela allait se poursuivre ? Ces 4,2 milliards d'euros représentent une grosse partie de l'écart.

Depuis le début, la réponse qui nous est faite consiste à parler du cinquième acompte, sans nous donner jusqu'à récemment de montant de celui-ci, ni pour l'année dernière ni pour cette année. D'une manière générale, on peut s'en étonner. Depuis des années, vos prédécesseurs nous disent qu'en baissant le taux de l'IS on augmente son produit. Chaque année, je souligne que cela ne fonctionne pas toujours ainsi. J'ai dirigé de petites entreprises, je connais bien l'IS ; qui plus est, je m'y suis beaucoup intéressé : c'est un impôt très variable, dont il faut se méfier. Le cinquième acompte est à la main des entreprises. On ne sait pas exactement ce qu'il s'est passé, mais nous avons l'impression que ce cinquième acompte a été vu de manière trop optimiste. N'est-ce pas dangereux de le comptabiliser, au fond ? L'État ne sait rien de ce cinquième acompte. Les entreprises décident, selon des intérêts qui leur sont propres, de le payer ou non.

N'aurait-il pas fallu faire preuve de plus de prudence ? Vous avez cité certaines phrases des consultants ou des économistes que nous avons invités, mais, évidemment, vous avez pris celles qui vous arrangeaient. Il y a des phrases qui ne vous arrangeaient pas, notamment sur la question de la prudence, que vous auriez pu citer. Lorsque l'on fait des prévisions, il ne faut peut-être pas compter le cinquième acompte pour zéro, mais il faut se montrer extrêmement prudent sur son estimation. Là, il vous coûte 4,2 milliards d'euros, ce n'est pas rien et nous ne pouvons pas nous le permettre. Qu'avez-vous à dire sur ce point ? Le mot « prudence » vous parle-t-il ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Nous ne connaissons pas encore le montant exact du cinquième acompte. Dès que nous le connaîtrons, nous vous le communiquerons.

M. Claude Raynal, président. - Mais vous avez le sentiment que c'est là que ça se joue...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - C'est plus qu'un sentiment : nous le constatons. Vous nous reprochez de ne pas avoir prévu à l'euro près le produit de l'IS. Mais personne n'y est jamais parvenu ! Depuis 2011, il y a eu des écarts négatifs à quatre reprises, de 4,5% en moyenne, et à sept reprises des écarts positifs, de 13% en moyenne. Il n'y a donc pas de spécificité en 2023 ; ce n'est pas la seule année où un écart a été observé sur le rendement de l'IS.

Vous proposez, monsieur le président, de ne pas comptabiliser le cinquième acompte. Les entreprises sont pourtant obligées de le payer, en fonction de leur taille, sous peine de pénalités. En outre, il se rattache bien à un exercice. Nous avons demandé à l'IGF de regarder comment les estimations de recettes sont faites. Je souhaite que cette question soit posée. Nous avons vu que c'était là que pouvait se jouer une partie de rendement de l'IS. Dans le passé, il y a toujours eu des écarts.

M. Claude Raynal, président. - La remarque sur le budget à l'euro près ne portait pas sur ce sujet. C'était une phrase générale dont vous connaissez l'auteur. Rien à voir avec l'IS qui, en effet, fluctue par nature.

Comme il fluctue par nature, d'ailleurs, il faut être particulièrement prudent sur son évolution. Or vos services ont émis des alertes sur la faiblesse de son produit...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'ai reçu une note le 7 décembre, qui portait sur les recettes et indiquait que les estimations étaient trop fragiles. Vous disposez de la même information que moi.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je reprends vos chiffres, monsieur le ministre. Pour l'IS, la prévision en LFI était de 55,3 milliards d'euros. En LFG, ce chiffre passait à 61,3 milliards d'euros. Ce n'est pas le Parlement qui est intervenu : ce sont les prévisions du Gouvernement. La réalisation a été de 56,8 milliards d'euros, très proche de ce qui avait été initialement prévu. C'est une manière de vous poser de nouveau la question, avec vos chiffres : pourquoi de tels écarts en LFG ? Si près du but, selon quelle logique le Gouvernement a-t-il retenu des chiffres aussi déviants par rapport aux prévisions initiales de votre administration ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vous répète que les informations dont nous disposions en novembre étaient bonnes et en ligne avec nos prévisions. C'est le dernier acompte qui a fait apparaître un écart. La prévision en LFI pour 2023 était de 55,3 milliards d'euros, vous avez raison.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Cela m'arrive !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - L'exécution est de 56,8 milliards d'euros, vous avez raison également. Le chiffre révisé pour 2023 dans le PLF pour 2024 est de 61,3 milliards d'euros, et nous l'avons repris dans le PLFG. Au moment où nous avons fait les hypothèses pour le PLFG, nous avions plutôt de bonnes nouvelles sur les recettes. Ce qui s'est passé s'est produit non pas au printemps, en octobre ou en novembre, mais en décembre.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Puisque vous avez sorti vos notes, je vous citerai celle-ci, qui provient de la DGFiP et date du 12 juin : " Cette nouvelle estimation induirait une révision du niveau des recettes d'IS attendues en 2023 d'environ - 6 milliards d'euros " par rapport à la prévision en programme de stabilité. Une annotation manuscrite complète ainsi : « La probabilité d'un ajustement négatif significatif sur l'IS encaissé en 2023 par rapport à la prévision est désormais élevée. » C'est une note du 12 juin.

Je n'arrive pas à comprendre. Qu'il y ait des erreurs et des corrections, cela me paraît tout à fait naturel et légitime. Pour autant, vos explications ne correspondent ni à la réalité des chiffres ni à la matérialité des notes.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je répète que nous essayons d'ajuster en fonction des informations qui sont les nôtres. Au moment du débat budgétaire, en octobre, en novembre, nous n'avions pas d'informations négatives à intégrer dans les textes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il s'agit de votre administration !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Les notes et les remontées comptables n'indiquaient pas un écart à la cible. Tout s'est joué sur le dernier acompte, comme je vous l'ai dit.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Très bien, nous publierons les éléments de la DGFiP datant de juin 2023, pour la clarté et la transparence du débat.

M. Claude Raynal, président. - En tout cas, monsieur le ministre, nous retenons que cette question du cinquième acompte est au coeur de la mission que vous avez confiée à l'IGF. Sachant que cet acompte est à la main des entreprises, il est évident que, selon ce que celles-ci décident, vous avez tel ou tel chiffre. Ce ne serait pas idiot, dans une période où vous cherchez à faire baisser le déficit public, de faire en sorte que l'on ait plutôt de bonnes surprises en fin de gestion, quitte à élaborer des estimations trop prudentes en début d'exercice.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La Crim est un impôt nouveau. Comment expliquez-vous l'écart entre la prévision en LFG sur les acomptes des périodes P2 et P3, c'est-à-dire allant du 1er décembre 2022 au 31 décembre 2023, qui s'élevait à 2,4 milliards d'euros, et le montant de 400 millions d'euros constaté en exécution ? Le prix spot, dans la même période, était passé de 97 à 115 euros le mégawattheure.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - La difficulté, avec la Crim, était d'estimer correctement le produit d'un impôt nouveau. Il n'y a pas d'historique, et il faut pouvoir imputer des déficits précédents, pour EDF par exemple. Nous avons donc dû tenir compte de la complexité intrinsèque à cet impôt.

Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur général, la baisse très forte des prix de l'électricité a fait effondrer le rendement attendu. Cette forte baisse des prix de gros était attendue, pas nécessairement à ce rythme-là, mais c'était plutôt une bonne nouvelle. Le prix spot entre 2022 et 2023 a été divisé par trois. Nous avions travaillé avec la CRE pour essayer d'avoir l'estimation la plus précise. Quand nous avons des nouvelles, nous les intégrons systématiquement. C'est la raison pour laquelle nous sommes passés de 12,3 milliards d'euros à 3,7 milliards d'euros pour 2023 dans le PLF 2024. Dans le PLFG, nous avons encore revu ce chiffre à la baisse. Vous voyez bien que nous essayons de nous adapter aux informations dont nous disposons. Manifestement, nous n'avons pas réussi à formuler l'estimation la plus précise possible. C'est la raison pour laquelle nous avons indiqué que nous souhaitions y revenir pour 2024, afin de nous assurer que les rendements que nous avions prévus seront bien les rendements effectifs pour l'État.

Un travail a été lancé par un certain nombre de députés sur la taxation des énergéticiens et vise à revenir vers un dispositif plus simple, plus efficace, pour atteindre le rendement attendu. C'est une forme d'adaptation aux réalités que nous avons constatées. Peut-être faut-il revoir le dispositif pour qu'il ait un mode opératoire plus simple, y compris dans les prévisions de recettes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est plutôt qu'après être parti très haut, à 12 milliards d'euros - ce que vous avez l'honnêteté de reconnaître -, votre point de mire aujourd'hui, ce que vous appelez le rendement attendu, est à 3 milliards d'euros. Vous prenez cette décision, et c'est votre droit, en tenant compte du niveau des prix de l'énergie et de la situation des énergéticiens. Il faut se replacer dans le débat que nous avons eu à l'époque. La ministre qui était alors au banc sur le sujet de l'énergie nous avait amenés à voter en confiance et à l'aveugle, et nous l'avons fait. Aujourd'hui, vous dites que l'État pense qu'il faut obtenir 3 milliards d'euros des énergéticiens. Vous avez reconnu que l'estimation avait visiblement été mal calibrée. De fait, entre 12 milliards d'euros et 400 à 600 millions d'euros, il y a de la marge ! Honnêtement, je ne sais pas s'il faut maintenir votre objectif de 3 milliards d'euros. Il serait intéressant, dans les débats budgétaires, que vous nous expliquiez la raison pour laquelle les énergéticiens devraient fournir une recette supplémentaire de ce montant.

L'élasticité des prélèvements obligatoires au PIB est passée de 1,5 en 2022 à 0,4 en 2023. Puissant retournement ! Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu être - encore - plus prudent dans vos prévisions de recettes pour 2023 ? Nous avons le sentiment d'une grande dégringolade...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - L'une des principales difficultés dans l'estimation des recettes réside en effet dans celle des élasticités, qui ont elles-mêmes été bousculées par les retournements de l'activité économique. C'est la raison pour laquelle, sous la supervision de l'inspection générale des finances et avec l'ensemble de mes services, j'ai entrepris d'étudier les hypothèses d'élasticité qui ont un effet sur les rendements des impôts.

D'autres gouvernements, y compris au sein d'autres majorités, ont régulièrement été confrontés à cette difficulté d'estimation des élasticités, à laquelle se heurtent également les modèles de prévision utilisés par le Trésor, la direction du budget ou encore la direction générale des finances publiques.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - On peut dire que vous n'avez pas eu de chance. Je parlais de grande dégringolade, parce que toutes les erreurs d'estimation ont été convergentes - par défaut de prudence ou en raison d'un mauvais pari, je l'ignore...

Vous avez rapidement évoqué la masse salariale. Là encore, les prévisions gouvernementales de la loi de finances de fin de gestion pour 2023 semblaient très, voire trop optimistes. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) l'avait d'ailleurs signalé. Comment expliquez-vous cette estimation visiblement mal calibrée en fin d'année ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - La raison, encore une fois, est la baisse d'activité en toute fin d'année 2023. Nous avons constaté un écart entre l'hypothèse sur la masse salariale et son exécution. C'est aussi ce qui explique les moindres recettes issues de la TVA et de l'impôt sur les sociétés.

M. Claude Raynal, président. - Pourtant, les prévisions sur la masse salariale étaient les seules que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) jugeait optimistes. Toutes les autres prévisions étaient considérées comme " plausibles ". Sur ce point, le HCFP avait totalement raison.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Aucun prévisionniste ne s'attendait à cette évolution de la masse salariale, ce qui montre à quel point l'exercice est délicat. En tout cas, nous avons bien constaté cet écart.

Je vous renvoie de nouveau au ralentissement de l'activité observé en fin d'année, qui est d'ailleurs cohérent avec l'évolution de tous les prélèvements obligatoires. Il était difficile de le prévoir.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Et pourtant, lors de l'élaboration de la loi de finances de fin de gestion pour 2023, nous touchions à la fin de l'année.

Par ailleurs, le taux de croissance de l'année 2023 était relativement conforme aux prévisions du Gouvernement. D'un côté, vous n'auriez pas anticipé le ralentissement de l'activité ; mais de l'autre, vous aviez correctement estimé le niveau de croissance ! Vos propos me paraissent incohérents, du moins contradictoires.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je ne sais pas si ces remarques appellent une réponse de ma part.

M. Claude Raynal, président. - Avant d'en venir à la seconde partie de l'audition, qui sera consacrée au manque d'information du Parlement et à ses prérogatives en matière de contrôle, je donne la parole aux sénateurs pour une première série de questions.

M. Thierry Cozic. - Dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, vous avez indiqué que les recettes de l'État étaient finalement moindres que ce qui était attendu - à hauteur d'environ 7 milliards - et que, dans le même temps, les dépenses de fonctionnement des collectivités étaient dynamiques.

Dans les colonnes du magazine L'Express, le Président de la République a récemment affirmé : " Hormis une dérive des dépenses initialement prévues qui est du fait des collectivités territoriales, il n'y a pas de dérapage de la dépense de l'État. "

Monsieur le ministre, l'augmentation des dépenses des collectivités est liée à deux facteurs indépendants de leur gestion - le transfert des charges de l'État vers les collectivités et l'inflation. Les propos du Président de la République sont non seulement infondés, ils sont aussi malhonnêtes.

Les collectivités contribuent depuis des années à l'amélioration des comptes publics, contrairement à l'État, qui connaît un dérapage structurel de ses dépenses. La dette des collectivités est stable et connaît même une légère diminution depuis trente ans. Elle est passée de 9% du PIB en 1995 à 8,9% en 2023, tandis que la dette de l'État, qui était de 40,1% du PIB, s'établit désormais à 89,7%.

À la différence de l'État, les collectivités sont tenues au respect de la règle d'or qui les empêche d'emprunter pour financer leurs dépenses de fonctionnement. Avec 1 000 milliards d'euros - une hausse que vous ramenez à 350 milliards - de dette supplémentaire en six ans, le Président de la République et le Gouvernement seraient bien avisés de ne pas donner de leçons à ceux qui tiennent un budget à l'équilibre chaque année !

Dans ce contexte, notamment dans le cadre de cette mission d'information, est-il honnête de tenir les collectivités territoriales responsables du dérapage des dépenses de l'État ? Par ailleurs, pouvez-vous chiffrer l'effet des décisions du Gouvernement qui ont eu une incidence directe sur le budget des collectivités ? Je pense notamment à la revalorisation du point d'indice.

M. Stéphane Sautarel. - En évoquant l'évolution des dépenses de l'État, vous avez omis de mentionner qu'à la sortie d'une période de dépenses exceptionnelles, aucune décision n'avait réellement été prise sur la dépense structurelle - dont acte. C'est pourtant un enjeu d'importance dans la dégradation des finances publiques.

La fin de gestion pour 2023 ne révèle-t-elle pas un manque d'anticipation ? Il serait lié, selon vous, à la sortie de crise qui a marqué cette même année. Néanmoins, la période post-crise avait précisément été dopée à l'argent public - ce dont nous nous étions en partie réjouis à l'époque. Ainsi, si 2023 a été une année de vache maigre, du point de vue des recettes, c'est que seul l'argent public injecté dans l'économie et la consommation, les années précédentes, avait permis de maintenir les rentrées fiscales à un certain niveau !

Vous avez donc manqué d'anticipation. En revanche, je me demande si vous n'en faites pas désormais preuve en pointant du doigt le rôle des collectivités locales dans la dérive des finances publiques, pour préparer une coupe sombre dans le budget de celles-ci. En effet, les causes des malheurs de nos finances publiques sont toujours externes au Gouvernement - qu'il s'agisse de la conjoncture mondiale ou des mauvais contribuables français ! Je me demande donc si les collectivités territoriales ne seront pas le prochain bouc émissaire...

Mme Isabelle Briquet. - J'ai pleinement conscience que couper brusquement les aides aux entreprises reviendrait à dégrader leur compétitivité et à augmenter notre déficit commercial. Néanmoins, la Cour des comptes pointe très régulièrement de grosses lacunes dans l'évaluation de nos politiques publiques, notamment concernant les aides aux entreprises, qui sont chiffrées entre 120 milliards et 170 milliards d'euros.

Je m'interroge notamment sur les exonérations de charges sociales, d'autant plus que pour les salaires supérieurs à 1,6 fois le Smic, elles ne produisent plus d'effet, ni sur l'emploi ni sur la compétitivité. Malgré la communication gouvernementale sur l'évaluation de nos politiques publiques, en sept ans, le suivi de certaines dépenses se révèle souvent bien trop partiel, voire superficiel.

À l'heure où les comptes publics se dégradent, ne faudrait-il pas conditionner davantage certaines aides aux entreprises ?

M. Grégory Blanc. - Les écarts entre les prévisions et l'exécution ont conduit nombre de commentateurs à s'interroger sur la sincérité budgétaire. Nous y reviendrons dans la seconde partie de l'audition. Dans la lignée des questions de MM. Cozic et Sautarel, se pose la question de savoir s'il y a trop, ou pas assez d'anticipation.

J'ai été très surpris d'entendre Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, interrogé lors de son audition sur le mur d'investissement de la transition écologique, répondre que les calculettes aboutissaient à la conclusion suivante : les collectivités peuvent financer le choc de la transition écologique grâce à l'emprunt. Ces propos avaient déjà été tenus, notamment par le Gouvernement.

Quels sont les modèles de calcul de la Caisse des dépôts et consignations ? Je suppose que vous les connaissez.

Grâce à un report de crédits de 2023, 7 milliards d'euros avaient été accordés aux aides à la rénovation énergétique en 2024. En février 2024, des coupes ont été annoncées dans le budget de MaPrimeRénov' ou encore du fonds vert. Comment comptez-vous demander aux collectivités de financer la transition écologique à budget constant ?

Mme Ghislaine Senée. - Les propos du Président de la République ont en effet fortement agacé les collectivités territoriales.

Certes, il y a toujours eu des écarts entre les prévisions et l'exécution dans le passé. Cela étant, cette fois, la surprise a été particulièrement déplaisante. Nous sommes l'un des plus mauvais élèves au regard du pacte de stabilité et de croissance et des engagements en matière de réduction du déficit public.

Quand aurons-nous une explication précise sur le dernier acompte sur l'impôt des sociétés, qui aurait généré 4,2 milliards d'euros de recettes de moins que prévu ? On a bien compris qu'il s'agissait en fait d'une prévision de prévision, mais on aimerait une explication. Ce sont surtout les grandes entreprises qui contribuent à cet impôt : en dehors du ralentissement de l'économie mondiale, cet écart serait-il lié au rôle joué par les sociétés financières ou les cabinets de conseil, ou encore à l'impact des outils de défiscalisation ?

Les recettes sont difficiles à prévoir. Cependant, vous faites le pari de maintenir un niveau de recettes aussi bas que possible et de réduire les dépenses de l'État au maximum. Pensez-vous réellement que nous parviendrons à ramener le déficit public à 4,1% du PIB en 2025 ? Quelles sont vos garanties ?

M. Marc Laménie. - D'un côté, nous avons dépensé 7 milliards d'euros de moins que prévu. De l'autre, l'État a touché 21 milliards de recettes de moins qu'attendu. Or la première source de ces recettes, la TVA, est désormais aussi affectée au budget des collectivités territoriales. La suppression de la taxe d'habitation a posé de réels problèmes, puisque l'État reste le premier financeur des collectivités. La fin de la redevance audiovisuelle a également provoqué une baisse de recettes pour ces dernières, à hauteur de 3 milliards d'euros. Sa suppression était-elle un bon choix ?

Par ailleurs, tous vos services, sur nos territoires respectifs, font de leur mieux pour aider l'ensemble des contribuables. Néanmoins, qu'en est-il de la lutte contre la fraude ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Monsieur le ministre, lorsque le rapporteur général vous a demandé si vous aviez retenu les prévisions faites par vos services dans l'élaboration du projet de loi de finances pour 2024, vous avez répondu qu'elles avaient été intégrées à votre travail. Ont-elles bel et bien été retenues ou seulement prises en compte ? La différence est notable.

La situation mensuelle du budget de l'État en 2023 m'a étonnée. En effet, à partir du mois de juin, on constate que les recettes fiscales mensuelles en cumulé sont toujours significativement inférieures à celles de 2022. L'écart est de - 6 milliards d'euros en juin, - 8,7 milliards en juillet, - 7,5 milliards en août, 6,8 milliards en septembre, - 6,2 milliards en octobre, - 2,3 milliards en novembre et - 7,4 milliards en décembre.

Le constat est particulièrement frappant pour deux impôts en particulier. En 2023, les recettes de l'impôt sur les sociétés sont inférieures à celles de 2022 de 4,6 milliards d'euros en juin, de 4,5 milliards en juillet, de 4,6 milliards en août, de 5 milliards en septembre. La tendance est la même pour la TVA, avec 4,9 milliards de moins en juillet, 4,8 milliards en août, 5,8 milliards en septembre et 8,2 milliards en octobre, pour finir avec une différence de 5,6 milliards d'euros. Ces écarts importants, pendant plusieurs mois d'affilée, vous ont-ils alerté ?

M. Jean-Marie Mizzon. - Ma question concerne un décalage préoccupant entre recettes annoncées et encaissées, concernant une taxe que je contribue personnellement à alimenter - la fiscalité appliquée au tabac.

L'étude d'impact jointe au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 prévoyait une hausse de 375 millions d'euros, qui a été ramenée à 214 millions d'euros dans le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale. Dans ce rapport pour 2023, la douane montre à l'inverse non pas une hausse, mais une baisse de 200 millions d'euros, soit une différence de plus de 500 millions d'euros avec les engagements pris devant le législateur. Cet écart pose non seulement un problème de lisibilité budgétaire, mais aussi de santé publique, le produit de cette fiscalité étant intégralement versé à l'assurance maladie.

Comment expliquer une telle différence ? Dans quelle mesure faut-il y voir l'impact du commerce parallèle de tabac ? Comment abordez-vous, à l'aune de ces éléments, une éventuelle hausse du prix du tabac ?

Par ailleurs, comment l'État peut-il avoir confiance dans ses politiques de santé publique en matière de réduction du nombre de fumeurs tout en misant sur une augmentation des recettes liées au tabac ?

M. Michel Canévet. - Vincent Delahaye, qui a dû s'absenter, s'interrogeait sur la pertinence d'une modification législative visant à inciter les chefs d'entreprise à prévoir le versement de l'impôt sur les sociétés de façon un peu plus étalée sur l'année, afin d'éviter cette incidence sur le cinquième acompte.

M. Christian Bilhac. - Les prévisions ne sont jamais exactes : tout le monde le sait autour de cette table ! C'est un peu comme la météo : la réalité est rarement conforme aux estimations.

Néanmoins, quand les prévisions des élus locaux se révèlent un peu moins optimistes qu'au moment de l'élaboration du budget, ceux-ci s'adaptent. Ils font des économies de manière à présenter des comptes à l'équilibre comme l'impose la loi à la fin de l'exercice.

Je ne comprends donc pas pourquoi l'État n'est pas capable de faire de même. Comment ne pas réagir plus tôt, dès lors que l'on constate que les comptes se dégradent ?

Par ailleurs, j'avais retenu que la dette s'élevait à 1 000 milliards d'euros. Mais vous nous avez expliqué la recette : prenez 1 000 milliards d'euros de dette, mettez-les dans une cocotte, ajoutez un peu de PIB, faites cuire à feu doux, laissez réduire... et il ne reste que 350 milliards ! Les établissements bancaires qui nous ont prêté ces 1 000 milliards d'euros apprécient-ils votre plat cuisiné ou préfèrent-ils revenir à l'ingrédient d'origine ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Monsieur Cozic, je ne pense pas qu'il y ait de malentendu sur l'évolution des dépenses des collectivités territoriales. Dans la loi de programmation sur les finances publiques, le Gouvernement prévoyait pour 2023 une évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités égale à l'inflation, soit à hauteur de 4,9%. Or ces dépenses ont crû plus vite que l'inflation, puisque leur progression s'est élevée à 5,9%. Alors que l'État a dépensé 7 milliards d'euros de moins que prévu, les collectivités ont dépensé plus.

Pour l'année 2024, nous attendons des collectivités, non pas qu'elles réduisent leurs dépenses de fonctionnement, mais qu'elles veillent à ce que celles-ci évoluent un peu moins vite que l'inflation - pour s'établir à un taux inférieur de 0,5% à celui de l'inflation. C'est l'hypothèse que nous avons retenue.

Nous avons mis en place de nombreux dispositifs pour accompagner les collectivités dans les crises successives que nous avons traversées. Je pense à la création du fonds vert, du fonds de secours des départements, de l'amortisseur électricité, ou encore à l'augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF), à deux reprises, à l'élargissement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), de la dotation relative aux titres sécurisés et de la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux (DPEL).

Monsieur Sautarel, votre question me permettra de répondre à celle de Mme Carrère-Gée, nous nous appuyons toujours sur les travaux de nos services, qui nous soumettent des propositions d'évolution, par exemple des recettes ou des dotations. Que les choses soient claires : ce n'est pas dans un bureau, au détour d'un échange avec Bruno Le Maire, un soir, que nous estimons les recettes de TVA et de l'impôt sur le revenu ! Des modèles sophistiqués, issus des travaux des directions, construisent les prévisions dont nous discutons ensuite. Si l'évolution des dépenses de l'État - le choix d'investir une politique publique ou un programme - est bien sûr un acte politique discrétionnaire, les évolutions sous-jacentes à la croissance, à la TVA ou aux cotisations sont des données fournies par nos services.

Concernant les coupes sombres dans le budget des collectivités, je pense vous avoir répondu. Nous n'avons pas repris les contrats de Cahors. Nous attendons des collectivités qu'elles modèrent la croissance de leurs dépenses de fonctionnement. Je trouve que c'est un bon accord, qui doit néanmoins se matérialiser pour que nous en constations les résultats à la fin de l'année.

Madame la sénatrice Briquet, vous dites que la Cour des comptes pointe des lacunes dans l'évaluation des aides aux entreprises. Une revue de dépenses sur les aides aux entreprises a été lancée il y a quelques mois. C'est un sujet auquel nous prêtons attention. Par ailleurs, à l'occasion de la conférence sociale d'octobre 2023, les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer ont été chargés par Élisabeth Borne, alors Première ministre, d'étudier l'impact des allègements des cotisations sociales et leur éventuelle révision afin de faciliter la mobilité salariale professionnelle et d'encourager les hausses de salaire actuellement freinées par le calcul des cotisations sociales. En effet, augmenter un salarié de 100 euros représente un coût de 400 euros pour son employeur.

Monsieur le sénateur Blanc, je ne sais pas quelles sont les modalités de calcul de la Caisse des dépôts et consignations qui ont été partagées avec vous par son directeur général, n'ayant pas assisté à son audition. Je suppose qu'il entendait par là que la situation financière des collectivités territoriales, dans leur immense majorité, est plutôt bonne. Plusieurs d'entre vous l'ont signalé : leur niveau d'endettement a baissé et elles ont des capacités d'investissement.

Les collectivités territoriales jouent un rôle majeur dans la transition écologique au regard de leurs compétences en matière de gestion des déchets, de l'eau, des transports ou encore des bâtiments publics. Aussi, nombre d'investissements relèvent de leur responsabilité. Nous encourageons les communes à s'y engager, au travers notamment du fonds vert, doté à sa création d'un budget de 2 milliards d'euros qui a été pérennisé en 2024, même si nous avions pour ambition de le faire passer à 2,5 milliards.

Malgré le décret d'annulation, le budget de MaPrimeRénov' est toujours en hausse. Les crédits disponibles à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) augmentent de 800 millions d'euros.

Madame Senée, nous recevrons les liasses fiscales des grandes entreprises, qui sont soumises au cinquième acompte, au début du mois de juillet. Leur analyse nous permettra de comprendre l'évolution de ce cinquième acompte.

Nous avons bien pour objectif d'atteindre un déficit de 5,1% du PIB en 2024 et de 4,1% en 2025. Cela représente en effet un effort important.

Monsieur le sénateur Laménie, la suppression de la taxe d'habitation a été compensée à l'euro près. Concernant la redevance audiovisuelle, les collectivités n'en étaient pas destinataires.

Concernant la lutte contre la fraude, mon prédécesseur, Gabriel Attal, a établi en mai 2023 un plan extrêmement ambitieux en matière fiscale, sociale et douanière. D'ailleurs, une vingtaine de dispositions législatives figurent dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2024. Nous avons augmenté les contrôles fiscaux, avec un doublement, depuis 2019, du nombre de redressements des personnes les plus fortunées. Après un an de mise en oeuvre, ce plan produit des résultats, dont nous pourrons vous présenter le bilan.

Madame la sénatrice Carrère-Gée, nous intégrons 100% des données que les services nous fournissent. Par exemple, l'hypothèse de TVA qu'il faut retenir est un travail des administrations. Je le redis : nous ne retravaillons pas, à l'improviste, les hypothèses utilisées dans le cadre du projet de loi de finances.

Les moindres recettes fiscales, que vous évoquez entre 2022 et 2023, et les 7 milliards d'euros que vous évoquez en 2023 sont principalement liées au transfert supplémentaire de TVA aux collectivités territoriales et à la sécurité sociale. Ce n'est que le 7 décembre que nous avons commencé à identifier de premiers éléments ayant un impact sur le déficit de l'Etat et donc le déficit public : nous les avons alors abordés avec prudence.

Monsieur Mizzon, le prix du tabac en France est l'un des plus élevés de l'Union européenne. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a arrêté une trajectoire sur la fiscalité sur le tabac. Par ailleurs, les fabricants eux-mêmes peuvent augmenter le prix. C'est précisément ce qui s'est passé. Vous avez raison d'évoquer le trafic de tabac et de souligner que la douane agit sans relâche pour lutter contre la contrebande. Lors de l'opération Colbert II, menée en mars 2024, nous avons collecté 27 tonnes de tabac contrefait, contre 9 tonnes l'an dernier : c'est trois fois plus.

Bruno Le Maire et moi avons écrit aux deux commissaires en charge pour leur rappeler notre souhait d'avancer sur l'harmonisation des prix du tabac en Europe. Ce fléau alimente en effet la grande criminalité.

Monsieur le sénateur Canévet, attendons l'exploitation des liasses que nous recevrons en juillet pour savoir s'il faut faire évoluer soit nos modèles de prévision et d'estimation des recettes, soit le dispositif de collecte. Il est encore tôt pour se prononcer, mais nous vous partagerons volontiers nos analyses.

Monsieur Bilhac, les élus s'adaptent en cas de coup dur, vous avez raison. Néanmoins, il y a toujours un écart entre les comptes administratifs et le budget : il est très rare que la différence soit à l'euro près. Elle est parfois même significative. Et en cas de difficultés, l'État accompagne les collectivités. Je pense notamment au bouclier face à l'inflation ou à l'amortisseur électricité.

Concernant la recette de réduction de la dette, je salue d'abord votre humour, M. Bilhac ! Je vous invite à lire l'analyse très détaillée qu'a publiée l'OFCE il y a quelques jours. On y lit qu'analyser la dette en euros courants n'a pas de sens. Aussi, les 1 000 milliards d'euros de dette publique supplémentaire avancés correspondent plutôt à une augmentation de 350 milliards d'euros depuis 2017.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Sur l'écologie, je vous propose d'attendre de voir les crédits qui seront réellement mobilisés en 2024. Des coupes budgétaires ont été annoncées en février. Il y a eu aussi de nouvelles annonces. Je pense qu'il y aura sûrement un projet de loi de finances rectificative, car tenir vos prévisions relève quasiment d'une mission impossible.

Concernant les différences de lecture, la note du 7 décembre 2023 du Trésor et de la direction du budget envisageait un déficit public à 5,2% du PIB pour 2023 au lieu du taux de 4,9% prévu dans les textes financiers en cours d'examen. Cet écart aurait dû vous alerter pour les résultats de 2023 et, du fait d'un effet base, pour le déficit public pour 2024, alors estimé à 4,4% du PIB.

Pour que l'examen du projet de loi de finances au Parlement ait un sens, autant intégrer et prendre en compte les informations disponibles.

Dans ces conditions, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas déposé un amendement crédible sur l'article d'équilibre et l'article liminaire au lieu de persister dans l'erreur ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Précisément pour les raisons que j'ai évoquées en répondant à Mme Carrère-Gée. On ne s'amuse pas à bidouiller les prévisions comme cela. C'est le fruit d'un travail sérieux réalisé par des équipes de la direction du budget et de la direction du Trésor.

C'est ce qui figure explicitement dans cette note à laquelle vous faites référence. Il y est indiqué qu'il faut attendre une nouvelle prévision pour 2024 qui sera réalisée par la direction générale du Trésor, dans le cadre du budget économique d'hiver, en février. Il est également précisé que " les aléas entourant cette prévision pour 2023 sont extrêmement importants ", sans même parler de 2024.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur le ministre, on fait de la politique...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Moi, je ne fais pas de politique, je vous réponds précisément et techniquement.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Bien sûr que si, vous faites de la politique ! Vous êtes ministre, vous êtes au gouvernement, vous êtes aux affaires.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Que cela vous plaise ou non, les services ont été très clairs : le 7 décembre, pas d'informations, trop d'aléas et pas de conséquences pour 2024. Je ne sais pas comment vous le dire. Nous n'avions pas d'autres informations à ce moment-là,...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Bien sûr que si !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - ... hormis le fait qu'il y a un risque, mais qu'il est trop tôt pour le confirmer. Ce sera le cas en début d'année. À ce moment-là, Bruno Le Maire et moi-même changeons la prévision de croissance et prenons un décret d'annulation.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vais vous donner un autre élément de réponse.

Vous nous avez expliqué tout à l'heure que vous aviez inventé en matière budgétaire et de décision le « quarante-huit heures chrono ». En effet, vous avez une nouvelle alerte par une note le 16 février et, le 18 février, le ministre prend les nouvelles décisions. Je doute qu'une décision d'annulation de 10 milliards d'euros puisse être prise en 48 heures. Heureusement que l'on ne prend pas une décision dans ces délais! Ce serait faire peu de cas de tout ce que vous venez de nous dire, et qui est justement l'inverse, à savoir prendre des décisions en tenant compte des éléments des services et des notes.

Ce qui est assez surprenant dans ces notes, c'est tout ce qui a trait à la communication. Pour ma part, je ne vous ai jamais parlé de communication. La communication n'interdit d'ailleurs pas l'action. Vous avez des alertes sur les données brutes - Marie-Claire Carrère-Gée notamment en a fait état - ou sur des moindres recettes.

Certes, nous n'avons pas la même lecture de ces notes, mais ce n'est pas un sujet d'opposition ou de majorité : c'est un sujet budgétaire. C'est la première fois, hors période de crise, sous la Ve République, que le solde budgétaire est aussi dégradé, avec des prévisions qui dévissent de cette manière. Quand on claironne souvent des annonces très favorables, il faut affronter ce qui est moins favorable pour corriger le tir suffisamment tôt.

C'est exactement ce qu'a fait la majorité sénatoriale lorsqu'elle a proposé au Gouvernement une trajectoire pour les cinq ans de la loi de programmation des finances publiques. Je vous invite à la relire ou à en prendre reconnaissance. À l'époque, Bruno Le Maire nous avait expliqué que c'était une folie, que c'était beaucoup trop brutal et qu'on allait lever les Français contre le Gouvernement. Vous estimiez que c'était impossible, je ne partage pas votre point de vue.

Certes, cette note recommandait de ne pas communiquer, mais proposait de prendre des mesures de redressement, en particulier sur les dépenses de fin de gestion. Confirmez-vous cela ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vous le redis, monsieur le rapporteur général, même si je pense que l'on n'arrivera pas à se mettre d'accord : sur la base d'une telle note, on ne s'amuse pas à modifier le PLF 2024.

La note du 7 décembre arrive après l'adoption du PLFG. On ne discute donc plus de l'année 2023. Les seules conséquences que vous voulez en tirer, c'est pour le débat sur 2024 ; or cela n'a aucune conséquence sur 2024 ! Au contraire, les services indiquent qu'ils travailleront des hypothèses pour 2024 dans les semaines ou les mois à venir.

On ne fait pas un travail à la petite semaine : il ne s'agit pas de modifier deux ou trois trucs du PLF, alors qu'il n'y a aucun élément sur 2024 et que le PLFG a été adopté.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous dites n'en avoir pas tenu compte, mais, dans les auditions comme dans la note, on vous demande de mieux piloter certaines dépenses. D'ailleurs, vous agissez tout de suite, notamment sur le budget de la mission " Défense ". J'ai lu les notes. Pour ma part, je m'en tiens aux faits, même si, sur leur traduction et leur mise en oeuvre, nos orientations diffèrent.

M. Claude Raynal, président. - Je fais une analyse de même nature.

Les notes donnent des informations techniques et précisent qu'il faut regarder leur évolution dans le temps et ne pas communiquer. Je trouve d'ailleurs curieux que les services proposent au ministre de ne pas communiquer sur des notes ou sur des chiffres - c'est le ministre qui décide.

La question, c'est bien l'action. Nous vivons un moment très particulier. Le PLF est un exercice de plus en plus compliqué, puisque l'Assemblée nationale ne l'examine pas vraiment et que le Sénat, qui, lui, l'examine, est peu écouté. Au final, cet exercice est totalement sous contrôle de l'exécutif. Cela ne me choque pas, c'est ainsi. En revanche, entretemps, des alertes sont lancées, mais ne sont pas prises en compte et il n'y a aucune information du Parlement.

Il n'est pas satisfaisant que l'on étudie un budget reposant sur un certain nombre de prévisions, alors qu'il y a des alertes négatives à peu près à tous les étages. Évidemment, à la fin, c'est au ministre d'en tirer les conséquences qu'il souhaite, et non aux services de lui dire ce qu'il doit faire.

Quand on reprend les événements, aurait-il été pire de modifier l'article d'équilibre en considérant qu'il fallait prendre en compte cette situation, peut-être sur une valeur moyenne à définir, et d'introduire cette notion dès le PLF 2024 de sorte que cette situation soit connue, au lieu de le faire faire un mois et demi après le vote - ou l'absence de vote d'ailleurs, dans le cadre de la procédure définie par l'article 49 alinéa 3 de la Constitution ? Voilà la question qui se pose à vous : fallait-il en parler avant ou après ? C'est un peu comme le capitaine Haddock qui se demande si sa barbe doit être sur la couverture ou en dessous. Pour notre part, nous considérons qu'il aurait fallu modifier l'article d'équilibre, puisque c'est le socle de toute l'année 2024. Vous nous dites que, non, vous n'aviez pas à le faire ; nous pensons au contraire que oui, au moins pour partie.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le 17 décembre 2018, un amendement à l'article liminaire tendait à actualiser les prévisions de déficit nominal et structurel pour l'année 2018 au vu des nouvelles données disponibles. En particulier, les prévisions de recettes fiscales y étaient ajustées à la baisse pour la TVA et les remboursements et dégrèvements de l'IS. L'exécutif avait alors recouru à cette solution pour modifier sa position et la rendre plus conforme à la réalité, par une meilleure réactivité.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - L'exemple que vous prenez n'a rien à voir avec la situation actuelle, puisqu'il reflète la crise des gilets jaunes.

Je suis en désaccord avec vous, monsieur le président, car la note que vous évoquez porte actualisation de la prévision du déficit public pour 2023. Elle est datée du 7 décembre 2023. D'un point de vue budgétaire, l'année est terminée, puisque le PLFG a déjà été adopté - ce qui est un vrai changement puisqu'il est examiné plus tôt que les anciens projets de loi de finance rectificative de fin d'année des années précédentes. Or cette note porte sur 2023. Elle indique que les estimations sont fragiles et que des incertitudes fortes persistent, car des remontées comptables manquent encore. Les services nous disent alors qu'ils pourront actualiser les prévisions pour 2024 en février. Nous n'allions pas modifier un article d'équilibre sans avoir levé les aléas. D'ailleurs, monsieur le président, cette note indique que le déficit pourrait atteindre 5,2%. Mais le chiffre réel sera encore différent ! C'est bien la preuve que les informations qui figurent dans cette note ne sont pas suffisamment solides pour être définitivement intégrées.

Pour l'année 2023, elle arrive trop tard, le débat est terminé. Pour l'année 2024, il n'y a rien dans cette note qui nous permet d'actualiser nos prévisions. On ne peut pas improviser des actualisations alors que les modèles de prévision nécessitent un travail qui mobilise l'ensemble des directions. Nous avons souhaité disposer d'abord d'une remise à plat précise de l'ensemble des estimations et d'une meilleure évaluation de l'élasticité par l'IGF.

Modifier l'article d'équilibre du PLF 2024 sur cette base-là me semble donc impossible. Il n'y a rien sur l'année 2024 dans cette note !

Pour vous répondre, monsieur le rapporteur général, chaque année, nous procédons à des gels, à des reports... La directrice du budget nous recommande de piloter les crédits 2023, et c'est ce qu'on a fait. Ce sont des actes réglementaires classiques, qui n'ont rien à voir, monsieur le président, encore une fois, avec l'année 2024. D'ailleurs, cette note sera vite caduque, parce que ses estimations sont fausses.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Elles sont partiellement exactes. Tout y est négatif : cela donne une tendance...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Elles sont loin de la réalité, puisque nous finirons à 5,5%.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Elles en sont un peu éloignées. En 2018, ce n'était pas le même contexte, mais la facture fut moins douloureuse : la crise des gilets jaunes a coûté autour de 12 milliards d'euros, je crois. Nous étions intervenus après l'adoption de la loi de finances rectificative. Vous n'êtes peut-être pas d'accord, mais c'est un fait.

Le 20 février 2024 - ce n'est pas entre le 16 et le 18 février, les 48 heures magiques lors desquelles le Gouvernement a réagi -, sur France Inter, vous avez dit, s'agissant du déficit public pour 2024 : " Nous maintenons notre objectif de 4,4% ". Pourtant, à cette date, vous avez entre les mains une note du Trésor, que vous avez citée tout à l'heure, datée du 16 février et annonçant, pour 2024, un déficit de 5,7% du PIB. Entre 4,4% et 5,7%, il y a plus que l'épaisseur du trait ! Cela représente quelque 35 milliards d'euros... Pourquoi avoir choisi à ce moment-là, monsieur le ministre, de ne pas faire état du chiffre de 5,7% ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - D'abord, je préfère donner la primeur des informations à la représentation nationale.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quelle pirouette ! Vous avez fait l'inverse !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Il faudrait savoir, monsieur le rapporteur général ! Vous m'auriez probablement reproché de faire l'inverse. J'en suis certain, car nous commençons à nous connaître.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Non, non, on a une honnêteté intellectuelle !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'ajoute que, comme vous le savez, ce n'est pas le Gouvernement qui communique sur le déficit public, c'est l'Insee. Le 6 mars, j'étais devant vous avec Bruno Le Maire et nous avons clairement dit que le déficit public serait nettement plus élevé que prévu.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous me parlez de 2023, quand je parle de 2024.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Ce n'est pas Bercy qui calcule et publie le montant du déficit public, j'y insiste : c'est l'Insee.

M. Claude Raynal, président. - Il n'y a pas de doute ! C'est l'Insee qui fournit le chiffre du déficit, nous ne le contestons pas. Mais vous savez où vous allez vous situer.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Non.

M. Claude Raynal, président. - Vous ne savez pas si l'Insee vous dira 5,5% ou un autre chiffre, certes. Le Trésor vous annonce 5,7% pour 2024. Nous ne vous demandons pas de reprendre ce chiffre de 5,7%, mais abandonnez au moins celui de 4,4%, voilà tout.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - C'est ce que nous avons fait le 6 mars, devant vous.

M. Claude Raynal, président. - Au moment où vous avez été interrogé, vous auriez pu dire que le chiffre serait un peu supérieur...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Au moment où vous nous interrogiez ici...

M. Claude Raynal, président. - Et sur France Inter ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - France Inter n'est pas la commission des finances de l'Assemblée nationale ni celle du Sénat ! Mais devant vous, nous disons que le déficit public sera plus élevé.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous vous êtes trompé depuis le début, je vais reformuler ma question. Vous nous avez affirmé maintenir votre objectif à 4,4% de déficit pour 2024. Ne vous énervez pas sur 2023, prenez les bonnes fiches !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - C'est toujours un plaisir de débattre avec le rapporteur général.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous nous répondez comme si nous étions incompétents...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vais prendre le temps nécessaire pour vous expliquer.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je m'en tiens aux chiffres...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Le changement de méthode de l'Insee a eu un impact sur 4 milliards d'euros... C'est l'Insee qui définit sa méthode et qui nous donne ensuite son chiffre du déficit public. Dans ce cas, l'institut a changé de méthode.

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes tous d'accord sur ce point.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'ai l'impression de devoir le redire. J'explique pourquoi l'Insee, qui publie le déficit public, a changé sa méthode, notamment dans son traitement de l'Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (Erafp), ce qui a aggravé le chiffre du déficit public que l'institut a ensuite annoncé.

M. Claude Raynal, président. - Actuellement, votre cible est de 5,1%, mais le Parlement n'a aucune capacité à juger de la faisabilité de ce chiffre. Je ne redirai pas, pour la énième fois, ce que vous savez en tant qu'ancien parlementaire : un PLFR aurait permis, au-delà des difficultés à présenter un tel texte, de voir quels étaient les critères pour arriver à cette cible de 5,1%. Nous n'avons pas d'informations sur la manière dont ce chiffre est atteint, avec quelles perspectives, dans quel contexte, etc.

Vous partagez avec nous, je le crois, une difficulté : comment pouvons-nous, nous, le Parlement, avoir le sentiment de voter sur des chiffres de solde crédibles ? Vous dites que de tels écarts se produisent régulièrement, mais c'est extrêmement rare à un tel niveau de différence ! Comment faire mieux à l'avenir ? Au-delà de la mission de l'IGF, dont vous nous communiquerez les résultats, quelles sont les voies pour y parvenir ?

Nous rencontrons une difficulté permanente à analyser vos chiffres. Certes, ce souci existait déjà il y a plusieurs années, mais il est bien plus important dans la période actuelle. Votre mission, tout comme celle du ministre des finances, est bien d'avoir des finances publiques mieux gérées.

Quelles sont vos recommandations pour que nous puissions mieux croire à ce chiffre de 5,1% et comment pourrions-nous être mieux informés sur la manière dont il est obtenu lorsqu'il n'y a pas de PLFR ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Il n'y a pas eu d'audition au Sénat lors de la présentation du programme de stabilité. Nous avons échangé avec l'Assemblée nationale sur ce programme, sur la cible de 5,1%, et sur la manière dont nous allons atteindre cette cible. Nous aurions dû avoir un échange à ce moment-là, peut-être à votre initiative, pour vous expliquer ce chiffre et la manière de l'atteindre.

Nous vous avons transmis des informations sur les conséquences du décret d'annulation de 10 milliards d'euros. Celui-ci reste totalement conforme aux dispositions de la Lolf, initiative parlementaire, donc à l'intention du Parlement au moment du vote de la Lolf et même de sa révision : nous aurions pu aller jusqu'à 12 milliards d'euros, mais nous nous sommes arrêtés à 10 milliards.

Atteindre 5,1% de déficit public nécessite un effort supplémentaire de 10 milliards d'euros, au-delà du décret d'annulation. L'État devra faire des efforts complémentaires d'environ 5 milliards d'euros. C'est compatible avec la réserve de précaution - qui s'élevait, au moment de l'audition sur le programme de stabilité, à 7,4 milliards d'euros. La réserve de précaution fait partie des outils classiques de bonne gestion et de pilotage de la dépense. Elle sert à faire face à des aléas. Nous mobilisons cette réserve avec l'ensemble des outils de pilotage pour bien piloter l'exécution de la dépense.

Nous n'avons jamais caché que nous demandons aux collectivités territoriales, conformément à la loi de programmation des finances publiques, entre 2 et 2,5 milliards d'euros d'efforts, pour que leurs dépenses évoluent un peu moins vite que l'inflation. Il n'y a pas besoin de PLFR sur ce sujet, non plus que pour les 5 milliards d'euros d'économies de l'État quand la réserve de précaution atteint 7,4 milliards d'euros.

Ensuite, nous prévoyons des mesures sur les recettes. Les parlementaires de la majorité à l'Assemblée ont lancé un travail sur les rentes. J'ai évoqué la taxation des énergéticiens. La Crim n'a pas rapporté les sommes attendues. Nous étions prêts à rouvrir ce sujet, entre autres. Nous attendons le résultat des travaux des parlementaires qui permettront d'enrichir, dans le débat budgétaire, des mesures pour 2024 afin d'avoir le rendement attendu et atteindre l'objectif de 5,1% de déficit.

Les dernières publications sur la croissance indiquent que l'acquis de croissance s'élevait, en avril, encore à 0,5%, là où nous avons une hypothèse de croissance de 1%. Nous sommes donc en ligne avec les hypothèses sous-jacentes à la cible de 5,1%.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La note du Trésor du 16 février 2024 sur le budget économique d'hiver mentionne des « hypothèses favorables retenues dans la loi de programmation des finances publiques », chiffrées à 0,8% du PIB en 2025, soit plus de 20 milliards d'euros. Elle précise que « l'administration ne retient pas ces hypothèses favorables dans ses propres prévisions ». Elle indique qu'il s'agit « d'économies non documentées, d'une évolution favorable du solde des collectivités territoriales et des recettes non fiscales ». Pouvez-vous préciser quelles sont ces hypothèses favorables ? Est-ce de bonne gestion qu'il existe un tel différentiel entre les prévisions techniques de votre administration et ce que vous retenez dans vos projets de loi de programmation et dans votre communication ? Cette note dit l'inverse de vos propos. Vous vous détachez ainsi de votre position qui était de suivre quasi religieusement les orientations proposées par votre administration.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Il n'y a rien de nouveau dans cette fabrication de notre trajectoire budgétaire. Lorsque les services indiquent ne pas intégrer des hypothèses favorables, c'est qu'il reste à documenter un certain nombre de mesures avant de les intégrer dans le tendanciel, c'est-à-dire à politiques publiques constantes. Nous avons toujours rendu publiques ces mesures. Rappelez-vous, pour 2025, nous avions évoqué les chiffres de 12 milliards d'euros d'économies - 6 milliards pour l'État, 6 milliards pour la sécurité sociale... Ces 12 milliards d'euros restent à documenter par les revues de dépenses. Nous avons toujours été transparents, devant vous comme à l'Assemblée nationale. Compte tenu de la révision de la croissance à la baisse et des mauvaises nouvelles de 2023, j'ai annoncé que le montant des économies à documenter serait probablement plus proche de 20 milliards d'euros que de 12 milliards. C'était le 6 mars.

C'est comme lorsque nous réalisons des hypothèses d'évolution des dépenses des collectivités territoriales : nous n'avons pas beaucoup de leviers puisqu'il n'y a plus les contrats de Cahors. Voilà des hypothèses favorables... C'est un procédé classique.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il n'y avait rien sur les revues de dépenses.

M. Thomas Cazenave, ministre - C'est marqué dans la note !

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous avons une connaissance imparfaite des revues de dépenses, nous vous en avons demandées les résultats. Il faudra bien informer le Parlement.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - C'est bien ce qui est mentionné dans la note : « 12 milliards d'euros d'économies restant à documenter, notamment par les revues de dépenses. » C'est bien le mécanisme que nous avons annoncé, en toute transparence. Nous avons toujours été clairs sur ce sujet.

M. Michel Canévet. - Les parlementaires ont besoin d'informations ; or nous disposons des informations sur la situation financière de 2024 qui datent du 31 mars. Nous sommes fin mai... Serait-il possible d'obtenir des chiffres plus récents ? Fin mars, nous avions une baisse de 1,3 milliard d'euros de TVA par rapport au premier trimestre 2023, une réduction de 0,4 milliard d'euros de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), et en revanche, les dépenses de personnel augmentaient de 3 milliards d'euros et celles de fonctionnement de 1,5 milliard d'euros. Il y a déjà un décalage extrêmement significatif des recettes, mais aussi un accroissement des dépenses par rapport au premier trimestre 2023. Que dites-vous de cette situation ? Est-ce un problème ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - À la fin du premier trimestre, nous considérons que nos recettes sont en ligne avec les hypothèses retenues dans le nouveau programme de stabilité.

M. Claude Raynal, président. - Vous comprenez nos préoccupations, notamment sur la manière dont la prévision sera effectuée l'année prochaine. Nous suivrons attentivement les évolutions que vous déciderez à la suite de la mission d'inspection et les décisions prises pour améliorer la compréhension des choses.

Auparavant, les recettes s'écartaient très peu des prévisions affichées. Désormais, nous serons très attentifs au moment du PLF pour savoir sur quelles bases ces recettes sont calculées et comment elles évoluent dans le temps. Nous partageons avec vous ce souci supplémentaire, car l'objectif, in fine, est bien d'améliorer les finances publiques de notre pays.


Source https://www.senat.fr, le 13 juin 2024