Texte intégral
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, après une crise agricole majeure, nous sommes heureux de vous recevoir à l'orée de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Nous attendions depuis maintenant près de deux longues années ce texte consacré à l'installation et à la transmission en agriculture, fruit de concertations territoriales et nationales avec de nombreuses parties prenantes.
Après avoir été maintes fois reporté, ce texte s'est enrichi à la suite de la crise agricole d'un titre affirmant l'objectif de souveraineté alimentaire, ainsi que d'un autre titre consacré à simplifier, sécuriser et libérer les activités agricoles. Le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale comptait dix-neuf articles. L'examen du texte, commencé à la mi-mai, s'est terminé hier et le projet de loi compte désormais quarante-cinq articles. Lors de ces débats, près de 3 600 amendements ont été examinés par les députés de la commission des affaires économiques, compétente sur ce texte, et plus de 5 400 amendements ont été examinés en séance la semaine dernière, avant un vote solennel hier.
C'est donc un travail titanesque qu'ont entrepris nos deux rapporteurs, Franck Menonville, du groupe Union Centriste, pour les parties du texte relatives à la formation, à l'orientation, à l'installation et à la transmission, et Laurent Duplomb, du groupe Les Républicains, pour les parties relatives à la souveraineté et à la simplification. Ils sont à la tâche depuis quelques semaines et achèveront leurs auditions demain, pour préparer le grand débat démocratique que doit être l'examen de ce projet de loi.
À propos de débat, monsieur le ministre, j'en viens à la question qui fâche. Le texte que vous avez proposé à la délibération parlementaire est bavard sur certains sujets et muet sur d'autres.
Toute sa partie programmatique est peut-être trop développée, au point qu'elle semble quelque peu nébuleuse à nos rapporteurs, si je ne trahis pas leur pensée. On peine à bien mesurer l'impact concret des grands principes généraux qui y sont affirmés.
Par ailleurs, le volet simplification du texte est réduit à son plus simple appareil. Il est limité à des mesures parfois anecdotiques ou périphériques.
Toutefois, monsieur le ministre, ce qui fâche n'est pas tant le contenu lui-même du texte que ce qui n'y figure pas. En effet, vous avez laissé de côté des pans entiers d'engagements pourtant pris par le Premier ministre lui-même. Vous avez ainsi abandonné certaines dispositions relatives aux surtranspositions en matière de produits phytosanitaires, qui figuraient pourtant dans des avant-projets de loi, et aux autorisations environnementales dans l'élevage-. Ce faisant, le Gouvernement s'interdit de résoudre certains problèmes identifiés de longue date, par exemple lors des débats de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, alors que la crise agricole les a fait ressortir avec netteté.
Nous l'avons noté, malgré les aides de crise actées au début de ce mois-ci, le Gouvernement réserve pour l'automne les mesures fiscales et sociales de portée structurelle, les travaux sur les relations commerciales et les lois EGAlim et la réforme du conseil stratégique phytosanitaire (CSP) et des conditions d'usage de produits phytosanitaires. Pourquoi avoir choisi des véhicules législatifs séparés ? La crise multifactorielle traversée par le monde agricole ne mérite-t-elle pas une réponse d'ensemble, cohérente ?
Au Sénat, nous avons fait le choix politique de laisser vivre le débat en interprétant l'article 45 de notre Constitution de manière plus souple qu'à l'Assemblée nationale, quitte à prendre certains risques vis-à-vis de l'examen du texte par le Conseil constitutionnel. Ce faisant, il me semble que nous jouons notre rôle de soupape de la société et du monde rural, car rien ne serait plus contreproductif que de s'interdire certains débats.
Depuis plusieurs années, la commission des affaires économiques développe une vision selon laquelle, pour gagner en souveraineté alimentaire, en attractivité pour les jeunes générations et pour s'adapter au changement climatique, la ferme France doit d'abord regagner en compétitivité. Dans une économie ouverte, la compétitivité est la condition sine qua non de ces trois objectifs.
N'est-il pas paradoxal de vouloir traiter de l'installation des agriculteurs, en particulier des jeunes qui de plus en plus souvent ne sont pas issus du milieu agricole, sans s'intéresser le moins du monde à l'équilibre économique que notre cadre fiscal et réglementaire est à même de garantir à leurs projets ?
En définitive, ce que nous craignons, c'est la " désagricolisation " de la France. Dans mon département des Alpes-Maritimes, où la tendance est plus vertigineuse qu'ailleurs, il y a dix fois moins d'exploitations qu'il y a cinquante ans.
Je conclurai mon propos liminaire en vous demandant, monsieur le ministre, de porter un rapide regard sur le loup, particulièrement présent dans mon département. L'article 16 relatif aux chiens de protection de troupeau ne réglera que quelques cas portés devant les tribunaux chaque année. La modification des protocoles de tirs intervenue par arrêté ne change rien aux plafonds de prélèvements annuels, d'autant que le nombre estimé de loups a diminué depuis votre dernière audition par notre commission. En outre, il semble plus compliqué que prévu de faire évoluer le statut du loup à l'échelon européen... La réponse des pouvoirs publics est-elle à la hauteur de la situation des territoires concernés ?
Monsieur le ministre, je vous cède sans plus tarder la parole pour répondre à ces premières questions. Nous ouvrirons ensuite le débat avec Franck Menonville et Laurent Duplomb, rapporteurs saisis au fond, ainsi qu'avec Jean-Claude Anglars, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et Christian Bruyen, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. - Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture se fixe une double ambition. La première, c'est de proposer une perspective claire aux agriculteurs en réponse aux mobilisations récentes, mais aussi au sentiment de perte de sens vis-à-vis de leur métier que l'on constate depuis des années. La seconde, c'est d'organiser nos politiques publiques agricoles afin de répondre à deux défis de plus en plus importants pour notre souveraineté alimentaire, le changement climatique et le renouvellement des générations, qu'il faudra surmonter pour préserver et développer notre capacité à produire.
Dans ce contexte, par ce projet de loi, nous affirmons avec clarté l'importance stratégique de notre agriculture en la déclarant d'intérêt général majeur, mais aussi en définissant un cadre global de politiques publiques permettant de fonder l'objectif de souveraineté alimentaire. C'est l'objet de l'article 1er, largement réécrit à l'Assemblée nationale sur l'initiative de la majorité et d'une partie de l'opposition. Cet article a vocation à affirmer ce que nous attendons de l'agriculture en matière de production, de souveraineté et de sécurité alimentaires, car ce domaine est stratégique pour assumer nos besoins essentiels et maîtriser nos dépendances.
Dans cet article, ce que les agriculteurs sont en droit d'attendre du cadre dans lequel ils exercent leurs missions est clairement énoncé. Lors de leurs mobilisations, ils ont clairement exprimé un besoin de sens, de clarté, de reconnaissance, de simplification et d'allègement de contraintes, pour en finir avec les injonctions contradictoires.
L'article 1er fixe le cap du projet de loi, qui consiste à tenir l'équilibre entre la souveraineté et la transition. Pas de souveraineté contre ou sans les transitions : celles-ci sont au service de la production et de la souveraineté et ne s'inscrivent pas dans une idéologie de la décroissance. Face aux défis que nous devons relever, nous commettrions une faute en pensant décréter les transitions par la magie de l'incantation, du déclamatoire ou de l'injonction, en imposant toujours plus de contraintes aux agriculteurs tout en perdant de vue l'impératif de souveraineté.
Cela vaut à l'échelon national, mais également à l'échelon européen. Depuis des décennies, à force de vouloir faire mieux que les autres, nous nous retrouvons à importer des pratiques dont nous ne voulons pas. L'enjeu est bien de penser les grandes transitions à l'échelle européenne et pas seulement à l'échelle nationale, de les accompagner, de les soutenir financièrement, pour penser des modèles qui fonctionnent sous contrainte climatique.
Le Gouvernement suivra ce cap à propos de sujets essentiels qui ne figurent pas dans ce projet de loi, ainsi que Mme la présidente l'a remarqué, mais qui ont vocation à compléter ce texte.
Premièrement, en ce qui concerne la protection du revenu agricole, une mission parlementaire menée par Anne-Laure Babault et Alexis Izard est en cours pour améliorer le cadre d'EGAlim. Leurs propositions seront mises sur la table avant l'été pour que vous puissiez vous en emparer à l'automne.
Deuxièmement, au sujet de la protection sociale, nous concrétiserons dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 les dispositions de la loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, dont Julien Dive a été rapporteur à l'Assemblée nationale, en en respectant l'esprit et la lettre.
Troisièmement, en ce qui concerne la compétitivité, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, nous pérenniserons l'exonération sociale pour l'embauche de travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE), nous améliorerons la dotation pour épargne de précaution, demande maintes fois exprimée par les agriculteurs, et nous baisserons la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB). De même, les annonces du Premier ministre relatives au soutien fiscal à l'installation et à la transmission seront intégrées dans les prochains textes budgétaires.
Enfin, un texte portant sur le conseil stratégique phytosanitaire sera présenté d'ici à l'été.
Ce projet de loi d'orientation constitue le cadre dans lequel nous inscrirons le prolongement de notre action en matière de revenus et de compétitivité, mais il porte également des avancées très concrètes.
Sans entrer dans le détail de ses mesures, je souhaite vous en présenter quelques-unes.
La première avancée vise à conforter la dynamique positive de l'enseignement agricole que nous constatons depuis 2019, qui s'accompagne encore cette année d'un budget en augmentation de 10%. Une série de mesures tendent à adapter ce système de formation aux enjeux de souveraineté et de transition et à l'organiser pour qu'il contribue à plus et mieux former. Le programme national d'orientation et de découverte des métiers agricoles a pour objectif de faire découvrir aux plus jeunes les réalités du monde agricole, peut-être à encourager des vocations. Toute une partie de la société a fondamentalement besoin de redécouvrir le vivant, la réalité du métier et de la vie d'un agriculteur. Nous devons pour cela partir de l'école et de la jeunesse. Nous avons également créé une nouvelle mission de l'enseignement agricole, structurante pour les personnels dont je tiens à saluer l'engagement. Au-delà des discussions relatives à son nom, la création d'une formation de niveau bac+ 3 était attendue par les jeunes, ainsi que la concertation organisée en 2023 l'a établie. Celle-ci doit permettre d'attirer de nouveaux publics vers les métiers agricoles : elle constitue un élément d'attractivité auquel je sais que vos rapporteurs ont été sensibles.
La deuxième avancée est d'accompagner différemment les installations d'actifs agricoles. Comme madame la présidente Mme l'a indiqué, une grande partie des installations sera le fait de personnes qui ne sont pas issues du milieu agricole. Il faut également penser à la trajectoire économique des installations dans le contexte du changement climatique, qui suppose de nouveaux outils comme le diagnostic modulaire.
Je l'ai indiqué à l'Assemblée nationale, et je le répète devant vous : je veux que ces outils ne provoquent pas de complexité supplémentaire, qu'ils soient pensés dans une logique d'accompagnement et non de contrainte, similaire à celle qui a prévalu lors de la deuxième révolution agricole au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il faut soutenir la capacité de transformation de l'agriculture et non la contraindre.
La logique de l'article 9, profondément réécrit à l'Assemblée nationale par Pascal Lecamp, rapporteur, et par Julien Dive, est donc que les agriculteurs, en tant qu'acteurs économiques et entrepreneurs, puissent au moment de l'installation disposer des outils d'aide à la décision les plus adaptés et les plus performants.
Mieux accompagner et installer différemment, c'est ce que propose le texte avec la création de France services agriculture, réseau de proximité pour faciliter l'installation et la transmission. Comme cela a déjà été le cas à l'Assemblée nationale, nous aurons des débats sur le périmètre de ce réseau, mais celui-ci me semble principalement au service de l'installation et de la transmission. Surtout, nous devons faire en sorte que ces deux sujets soient pensés au sein d'une même structure. Nous avons cherché à simplifier le parcours des porteurs de projet et des cédants, conformément aux attentes exprimées lors de la concertation de 2023.
Au sujet de l'accompagnement, je comprends que les groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI) suscitent des inquiétudes, des incompréhensions et des oppositions, même si une disposition analogue avait été adoptée au Sénat à la fin de l'année dernière. Il faut collectivement prendre le temps de penser les outils nécessaires pour favoriser le portage du foncier et le portage de capitaux. Passer à côté de ce sujet serait une erreur, au-delà des outils que nous avons mis sur la table. Je vous rappelle que, lors de l'examen du projet de loi de finances, 400 millions d'euros ont été alloués à un fonds " Entrepreneurs du vivant ", servant à soutenir le foncier agricole avec des moyens publics. Il me semble que nous aurons également besoin de capitaux privés. Certains députés ont parfois donné le sentiment de croire que le privé était complètement absent de l'activité agricole...
Le recours à des fonds privés, encadré, régulé et maîtrisé par la volonté d'installation, peut avoir un intérêt et sera sans doute nécessaire face au défi que l'accès à la terre représentera pour les jeunes générations qui ne seront pas issues du milieu agricole, et pour lesquelles la transmission ne sera pas de même nature que dans le cadre familial.
La quatrième avancée concrète permise par ce projet de loi, sans doute la plus urgente pour les agriculteurs, consiste en des réponses concrètes et directes aux besoins de simplification exprimés. Madame la présidente, il ne me semble pas que le texte soit réduit à la portion congrue sur ce point.
Le sujet ne relève pas uniquement de ce projet de loi : certaines dispositions de simplification relèvent du niveau européen. Nous avons simplifié les règlements européens définissant la politique agricole commune (PAC), en obtenant dans des délais extrêmement courts - moins de six semaines - une décision de la Commission, une décision du Conseil et une décision du Parlement sur ces sujets très sédimentés - cela me semble sans précédent dans l'histoire du Parlement européen. Une grande partie de la politique agricole est décidée à l'échelon européen, et c'était à ce niveau qu'il fallait faire évoluer les choses.
Nous poursuivons par ailleurs le travail de simplification dans les domaines réglementaires et législatifs, notamment en traduisant dans ce projet de loi les évolutions des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Nous proposons ainsi d'adapter le régime de répression des atteintes au droit de l'environnement, conformément aux engagements du Premier ministre et du Président de la République, en adaptant les procédures et les peines aux spécificités des situations, de manière à éviter que les agriculteurs ne subissent des procédures infamantes et afin que les sanctions soient proportionnées et progressives. Nous préciserons la notion de " droit à l'erreur ", que nous avons commencé à pousser dans le cadre de la PAC : c'est le sens de l'article 13.
De plus, nous proposons de réduire les délais de recours contentieux, corollaires d'un décret pris récemment, en particulier pour les projets d'élevage et les ouvrages hydrauliques agricoles, en adaptant diverses procédures telles que la condition d'urgence et en régularisant les vices de procédure. Le but, c'est d'indiquer clairement et vite aux agriculteurs si leurs projets sont ou non validés et d'en finir avec des procédures qui, pour un certain nombre, servent non à évaluer les impacts des projets et leur conformité avec la réglementation, mais à les décourager. Lorsqu'un agriculteur doit attendre cinq ou six ans la réponse à un projet d'installation, il est évidemment découragé. Ces procédures doivent servir le respect des règles et non décourager les agriculteurs.
Enfin, la simplification et l'unification du régime applicable aux haies visent à en finir avec le maquis des réglementations contradictoires, qui produit l'effet inverse de ce que nous recherchons, c'est-à-dire le maintien et le développement des haies. Certes, les haies sont un élément paysager, mais elles sont aussi des éléments utiles et précieux pour la biodiversité, l'eau et le stockage du carbone. Nous devons avancer sur ce sujet, dans une logique de confiance et non de contrainte envers les agriculteurs.
Former, installer, simplifier : tels sont les trois enjeux auxquels entend répondre ce projet de loi.
La question de la laine n'est pas anecdotique : c'est un cas typique de contraintes empêchant la valorisation d'un sous-produit qui peut aider les éleveurs ovins à trouver un équilibre. Une avancée était demandée depuis longtemps. Ce qui semble lunaire en revanche, c'est que l'on soit obligé de passer par la loi en cette matière, comme pour les chiens patous.
En outre, au sujet de la cohérence globale du texte, les concertations préalables avaient abouti à un pacte. L'ensemble des mesures de nature législative de ce pacte, qui avaient plutôt fait l'objet d'un consensus, figurent dans ce texte. Depuis, il y a eu la crise agricole. Une partie de la réponse à cette crise se situe dans les mesures d'urgence déjà prises, dans les mesures de simplification réglementaire et dans les mesures relatives à la PAC. Certaines dispositions de ce texte visent également à y répondre, notamment l'article 1er, quant au cap et au sens de l'activité agricole, et le titre IV relatif à la simplification.
Je n'ai jamais prétendu que ce projet de loi répondrait à l'ensemble des enjeux et à la crise du monde agricole. Pour cette raison, d'autres véhicules législatifs seront utilisés. Madame la présidente, vous rappeliez que 5 600 amendements avaient été déposés en séance à l'Assemblée nationale. Si nous avions abordé tous les sujets, l'inflation législative aurait sans doute été supérieure au simple doublement du nombre d'articles qui a eu lieu à l'Assemblée. Le corps du texte devait porter sur l'installation et la transmission, il fallait répondre à la crise en proposant des mesures de simplification et en défendant la souveraineté alimentaire.
M. Franck Menonville, rapporteur. - Je me cantonnerai aux articles relatifs à l'installation, à la formation, à l'enseignement agricole et à l'innovation qui me sont délégués.
La politique d'installation et de transmission en agriculture fait face à deux défis.
Bien évidemment, le premier défi est celui de la pyramide des âges : dans les dix prochaines années, la moitié des agriculteurs auront l'âge de partir à la retraite. Le renouvellement des générations pose donc un défi immense, notamment par rapport à la souveraineté alimentaire.
Le second défi est l'attractivité des métiers du vivant compte tenu des fortes astreintes et des réalités du métier. Il est important de mieux faire connaître les métiers agricoles et de véhiculer des valeurs de modernité et d'innovation.
Répondre à ces deux défis implique notamment de développer une politique ambitieuse en matière d'enseignement et de formation. Sur ce point, nous partageons les principales orientations du projet de loi modifié par les députés, en particulier la sixième mission confiée à l'enseignement agricole. Nous sommes favorables au programme de découverte à l'école primaire, à la condition de nous appuyer sur les réalités agricoles locales. La création d'un statut d'" experts associés " de l'enseignement agricole est également bienvenue, à la condition que ceux-ci puissent apporter non seulement des éléments scientifiques, mais aussi des conseils pratiques, et que l'on puise dans le vivier des agriculteurs locaux qui apporteront aux apprenants un complément indispensable au processus éducatif.
Monsieur le ministre, pourquoi les députés ont-ils délibérément exclu l'enseignement agricole privé du " Bachelor Agro ", alors que celui-ci était initialement prévu ? Nous nous satisfaisions de l'ouverture de ce dispositif à l'enseignement privé. Comme beaucoup de mes collègues, je pense qu'en matière d'enseignement agricole, il faut une complémentarité entre le privé et le public plutôt qu'une forme d'opposition.
Par ailleurs, j'ai constaté avec satisfaction que ce texte prévoyait la nomination dans chaque département d'un correspondant de l'enseignement agricole, sorte de " Dasen (directeur académique des services de l'éducation nationale) agricole ". Cette idée, directement inspirée du rapport d'information sur l'enseignement agricole de nos collègues Nathalie Delattre et Jean-Marc Boyer, a été reprise par les députés. Pouvez-vous indiquer quelles seraient ses missions et comment il s'articulerait avec l'éducation nationale et avec la profession ? Nous souhaitons consolider l'attractivité des filières agricoles, ce qui est d'autant plus important compte tenu de la réforme du lycée professionnel. Il faut donc travailler à la complémentarité des options entre l'enseignement agricole et les lycées professionnels pour augmenter le champ des options ouvertes dans l'enseignement agricole, afin que cette filière bénéficie de ces options.
Enfin, en ce qui concerne le " Bachelor Agro ", Laurent Duplomb et moi-même considérons qu'il faut vivre avec son temps. En effet, l'Assemblée nationale l'a rebaptisé " diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie ", mais nous pensons que cette appellation n'est ni simple ni vendeuse. L'idée de créer une " licence professionnelle " est également avancée. Je le rappelle, ce bachelor correspond non à un diplôme universitaire, mais à un BTS+ 1. Nous approuvons la dénomination que vous proposiez initialement et nous compléterons ce dispositif. Je rappelle que l'enseignement dans les BTS est souvent technique et spécialisé. L'objectif de cette formation, c'est de donner au futur agriculteur des armes au sujet de l'adaptation au changement climatique, de la dimension entrepreneuriale du métier, ainsi qu'une connaissance de l'environnement législatif, réglementaire et économique.
J'en viens au sujet de l'installation et à l'article 10, qui met en oeuvre France services agriculture. Monsieur le ministre, notre ambition est de restreindre ce réseau à la transmission et à l'installation, dans un esprit de visibilité, d'efficacité et de simplicité. Nous vous proposerons donc en ce sens de le rebaptiser France Installation-Transmission.
Par ailleurs, ce qui manque à votre réforme, c'est un volet prospectif et un volet incitatif.
Le volet prospectif consisterait à mieux articuler les informations du diagnostic de l'exploitation et l'action de France Installation-Transmission, pour mieux mesurer les perspectives et les risques de marché à l'échelle territoriale et nationale, afin de refaire de l'économie et de l'adaptation au défi climatique les principes directeurs de notre politique d'installation.
En ce qui concerne le volet incitatif, vous avez abondé le fonds Entrepreneurs du vivant de 400 millions d'euros. Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer, en toute transparence, ce qui bloque le déploiement de ce fonds ? Quelles pourraient être les ambitions de ce fonds, véritable boîte à outils permettant d'alimenter les politiques d'installation et de transmission ? Si nous voulons atteindre l'objectif de 400 000 exploitations et de 500 000 exploitants, il faut attirer des personnes qui ne sont pas issues du monde agricole. Il faut donc des outils et des incitations plus fortes que celles qui figurent dans ce projet de loi et qui ne sont pas suffisamment explicitées, notamment du point de vue programmatique.
Pourrait-on imaginer de s'appuyer sur ce fonds pour mettre en place des " garanties fermage " pour sécuriser les propriétaires et les inciter à mettre en location le foncier, notamment à destination des jeunes agriculteurs non issus de familles agricoles ? Daniel Gremillet avait déposé un amendement pour mettre en place des prêts agricoles bonifiés, ce qui pourrait être utile notamment, comme dans la période actuelle, lorsque les taux d'intérêt sont élevés.
Parmi les autres outils incitatifs, nous voudrions capitaliser sur des modifications introduites à l'Assemblée nationale, notamment le " droit à l'essai " d'association introduit à l'article 10 bis pour expérimenter les installations groupées et l'" aide au passage de relais " pour inscrire dans le temps long la relation entre cédants et repreneurs et anticiper ce moment charnière qu'est la transmission. Monsieur le ministre, nous sommes prêts à travailler en bonne intelligence avec vos services sur ces dispositifs.
Enfin, il est important de recentrer l'article 2 sur la dimension entrepreneuriale de l'activité agricole.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Monsieur le ministre, dans un bon duo, il y a toujours un méchant et un gentil. Vous avez déjà compris quel sera mon rôle...
Mon sentiment général, s'il fallait qualifier ce projet de loi, c'est " trente-six chantiers, trente-six misères ". Le message des agriculteurs lors des récentes manifestations était très clair. Toutefois, au lieu de leur apporter une réponse complète, un message clair ou de fixer un cap, vous avez plutôt choisi de saucissonner les décisions pour donner l'impression que tous les chantiers étaient ouverts, sans que rien ait été réglé depuis trois mois.
On assiste à une forme de poker menteur : dans toutes les prises de parole du Gouvernement, le diagnostic est parfait, pour ne pas dire excellent - j'ai même parfois l'impression de m'écouter parler -, les problèmes sont très bien identifiés, mais rien ou si peu n'est réglé. Après avoir dit que vous mettriez l'agriculture au-dessus de tout et qu'il fallait " lâcher la grappe " aux paysans, j'ai l'impression à la lecture de ce projet de loi que vous n'avez pas compris.
En fait, par dogme général, vous refusez de reconnaître et de corriger les erreurs qui ont été commises. Vous continuez de tergiverser sur la compétitivité, les transpositions ou les projets d'avenir que nous devrions embarquer.
Monsieur le ministre, pour que le message soit clair, voici quelques exemples de mesures que nous aurions aimé voir figurer dans ce projet de loi, qui n'est pas seulement, comme vous l'avez dit, un projet de loi d'orientation, mais qui vise aussi à répondre à la crise du secteur.
Par exemple, j'aurais aimé que le texte traite la problématique de la réintroduction de l'acétamipride. La France est le seul pays du monde à l'interdire, ce qui depuis trois ans met beaucoup de filières dans l'impasse. C'est le cas de la filière betterave aujourd'hui et ce sera le cas de la filière pomme et poire demain en raison de la suppression du spirotétramate à l'échelon européen. Le comble, c'est lorsque votre ministre délégué annonce que les betteraviers pourront traiter cinq fois et non deux fois leurs cultures au Movento, c'est-à-dire au spirotétramate, tout en sachant pertinemment que ce produit ne sera plus commercialisé à partir du mois d'avril 2025. On ne peut pas prétendre régler les problèmes et passer celui-là, qui est tellement crucial, sous silence : la suppression de l'acétamipride et du spirotétramate mettra la production de pommes et de poires dans l'impasse. Nous produisions 2 millions de tonnes de pommes dans les années 1990 et nous n'en produisons désormais que 1,5 million. Et entre 2011 et 2021, nos volumes exportés ont quasi été divisés par deux. Continuera-t-on comme cela ?
Deuxième élément qui manque : rien n'est proposé sur les surtranspositions purement françaises en ce qui concerne les zones de non-traitement et les zones humides. Monsieur le ministre, vous affirmez que vous transposez les décisions des députés européens, mais le vote de votre famille politique n'a pas été unanime, le promoteur de la décroissance M. Canfin s'étant abstenu sur les textes répondant aux manifestations des agriculteurs. Alors que la Commission européenne avait compris qu'il fallait lâcher un peu de lest, lui a trouvé ces modifications inadmissibles, car elles constitueraient une régression importante. Que ferons-nous alors ? Vous avancez que le plan stratégique national (PSN) pour la PAC a été modifié en très peu de temps. Pour autant, va-t-on déroger à la BCAE 7 ? Que ferons-nous à propos de la BCAE 9 ? On parle de monter une usine à gaz pour calculer les taux de prairies à l'échelon régional : encore un calcul alambiqué que seuls les technocrates pourront comprendre !
Troisième exemple : on refuse le progrès qui pourrait enfin permettre de réduire l'impact ou le volume des produits phytosanitaires utilisés. Pourquoi, monsieur le ministre, laisser fuiter un amendement défendant la possibilité d'utiliser des drones en agriculture, mais ensuite ne pas inscrire cette mesure dans la loi ? L'exemple de la banane est éloquent : nous importons des bananes du Costa Rica alors qu'elles subissent 46 traitements aériens, mais nous nous interdisons d'utiliser des drones qui permettraient, en France, de baisser le nombre de traitements et de retrouver un rendement de 60 tonnes, actuellement descendu à moins de 40 tonnes en raison des surtranspositions. Par volonté de ne pas corriger nos erreurs, continuerons-nous de manger des bananes du Costa Rica et refuserons-nous d'ouvrir la case progrès, au prétexte que le traitement aérien par drone serait l'équivalent d'un traitement par A380 ? J'ai l'impression que l'on agite de grandes peurs comme au Moyen-Âge. ?
Le projet de loi comptait dans sa version initiale dix-neuf articles. Beaucoup sont programmatiques, sans qu'aucune solution soit assurée : en clair, beaucoup de littérature !
Monsieur le ministre, je ne nie pas la portée ou l'intérêt de ces articles. Mais que comprend le commun des mortels qui lit, dans un projet de loi d'orientation agricole, un article relatif à une modification des activités des chiens de protection de troupeau, un autre qui allège les contraintes sur la transformation de la laine ou un autre sur l'exercice de la compétence des collectivités territoriales dans le domaine de l'eau ? Est-ce véritablement le sens d'une loi d'orientation ?
Quand on creuse un peu le sujet, l'article sur le statut des chiens de protection de troupeau, que la profession accepte parce qu'elle est acculée, correspond en fait à un renoncement technocratique. Vous refusez de voir que le principal problème des éleveurs d'ovins est qu'ils sont obligés d'avoir plus de dix chiens pour protéger leur troupeau. Par définition, un éleveur d'ovins veut avoir des ovins, pas des chiens ! La technocratie abrutissante a trouvé une solution : au lieu de trouver une manière de leur permettre d'avoir moins de chiens, on les autorise à déroger à la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ! C'est cauchemardesque ! J'ai l'impression de lire Kafka dans mon tracteur ! C'est ça, la réalité que nous vivons tous les jours !
Monsieur le ministre, les agriculteurs vous ont demandé plus de liberté, plus de confiance, moins de règles, moins d'injonctions. Ce que je retiens de votre texte, même si je suis prêt à trouver des solutions pour l'améliorer, c'est que vous leur répondez par plus de contraintes.
Premièrement, vous allez obliger tous les cédants à s'identifier cinq ans avant la cession de leur exploitation. Jusqu'à présent, le délai était de trois ans. Le Conseil d'État lui-même le fait remarquer : aucune profession n'est autant sous le joug administratif que la profession agricole !
Deuxièmement, le diagnostic qui vise à mesurer la résilience des exploitations place à mon sens une fois de plus les agriculteurs devant une injonction totalement paradoxale. Nous sommes tous d'accord pour dire, comme dans Martine à la ferme, que nous voulons conserver une agriculture familiale. Mais je le vois bien : mon fils travaille 90 heures par semaine, ma femme en fait autant et, lorsque je rentre chez moi, je pense plus à m'occuper de mes vaches qu'à répondre à des injonctions administratives ! Imposer aux agriculteurs ce diagnostic, que cela soit à l'installation ou tout au long de la carrière, c'est leur demander un travail supplémentaire dans le but d'évaluer leur résilience. Il suffit d'écouter le message ambiant pour comprendre ce qui sera écrit dans ces diagnostics : il n'y aura plus d'eau, il y aura trop de soleil, la terre sera ruinée, il sera impossible de faire pousser telle ou telle culture parce qu'on devra suivre des injonctions et ne rester que sur des cultures qui ne produisent pas, car la décroissance impose que l'on soit extensif et non productif... Et vous pensez que vous convaincrez un grand nombre d'agriculteurs de s'installer ? C'est comme si vous expliquiez que la meilleure manière de faire ce métier était de renoncer, parce que toutes les injonctions transformeront ce métier en métier sans aucune ouverture sur l'avenir ! Au contraire, ne pourrait-on pas embarquer les agriculteurs dans un vrai projet, en leur faisant confiance et sans leur attribuer une note comme à l'école ? D'ailleurs, on se refuse désormais à noter les élèves !
Le summum, c'est l'article 14 : je croyais qu'il devait être l'alpha et l'oméga de la simplification de la réglementation relative à la haie. Ce que je constate pourtant, c'est que la haie est sanctuarisée comme si elle était un monument historique et qu'il devient obligatoire de passer par une déclaration préalable pour faire quoi que ce soit. Ce que vous refusez de regarder, à moins que nous réussissions à trouver ensemble une solution, c'est que notre problème est votre problème. Vous avez trop vite repris les calculs du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui a dit non pas que 22 000 kilomètres de haie disparaissent chaque année, mais que leurs calculs permettent d'estimer que c'est cette surface globale qui disparaît.
Cependant, lorsque je compare une photo satellite de mon exploitation à une image aérienne de 1950, contrairement au rapport du CGAAER et à ce que pensent tous les écologistes, c'est l'inverse qui s'est passé en Haute-Loire. Dans ce département, en 1950, il n'y avait pas une haie. Les moutons pâturaient les fossés et les chemins communaux, les agriculteurs se chauffaient au bois, les arbres et les buissons n'avaient pas le temps de pousser. Depuis 1950, avec l'exode rural, les agriculteurs se sont concentrés sur le centre des parcelles et non sur leurs bords, et des milliers de kilomètres de haies ont poussé.
Pourtant, par l'article 14, vous allez accorder une prime à la médiocrité. Tous les départements qui auront enlevé les haies bénéficieront d'un statu quo ; tous ceux qui en auront créé se verront imposer une sanctuarisation et des contrôles.
J'en termine, madame la présidente, par un point qui me désole et qui me pousse à dire que je ne serai plus rapporteur d'un texte agricole, car cela m'empêche de dormir. En réalité, nous vivons dans un pays où nous n'avons plus aucune possibilité de faire quoi que ce soit. À chaque fois que nous essayons de modifier ou de détricoter un dispositif, nous nous heurtons à une règle européenne qui promeut l'inverse de ce que nous voulons faire et qui nous empêche de faire quoi que ce soit. Si l'on arrive à trouver une solution sur la haie à l'aide d'un vrai dialogue départemental et à comprendre les spécificités et les us et coutumes des territoires, la règle européenne dit que, lorsqu'on coupe une haie, on a peut-être détruit l'habitat potentiel d'une espèce protégée.
Monsieur le ministre, je vous le dis : nous sommes loin d'être sortis de l'auberge. Trente-six métiers, trente-six chantiers, trente-six misères nous attendent.
M. Marc Fesneau, ministre. - Je commencerai par répondre aux questions posées par M. Menonville. En ce qui concerne l'attractivité des métiers du vivant, reconnaissons que l'enseignement agricole est plutôt attractif. Alors que la démographie n'est pas globalement florissante, ses effectifs ont légèrement augmenté ces dernières années, à hauteur de 1% environ par an, ce qui est plutôt bon signe. Cela signifie sans doute que les représentations ont un peu changé et que le concept de métiers du vivant est intéressant.
L'enseignement agricole forme quasiment autant de jeunes femmes que de jeunes hommes, ce qui rompt avec certains préjugés. Il prépare à environ 200 métiers différents, et près de 60% des jeunes qui veulent se former pour s'installer en tant qu'agriculteurs ne sont pas issus du milieu agricole.
Il faut évidemment trouver des bras : la question des actifs est importante. On manque d'exploitants agricoles, mais on manque également de salariés agricoles et de salariés dans l'agroalimentaire. Beaucoup d'agriculteurs, notamment les producteurs de fruits et de légumes, expliquent qu'ils ne peuvent pas récolter toute leur production en raison du manque de bras. Cette question est également importante dans l'élevage, afin d'améliorer les conditions de travail. Tel est l'objet du programme de découverte dans les écoles : il est destiné à combler le fossé qui s'est creusé avec l'agriculture, à trouver des gens qui se destineront à ce métier et à faire en sorte que percole dans l'opinion publique une compréhension des réalités et des grands cycles de l'agriculture.
Le monde agricole fera partie des " experts associés ", qui apporteront un enseignement scientifique, mais aussi pratique. Il y a une assez longue tradition de la participation du monde agricole dans l'enseignement, et des passerelles existent déjà. Nous suivrons la philosophie que vous avez indiquée.
Monsieur Menonville, nous n'avons pas précisé que l'enseignement privé participerait à ce qui pourrait être à nouveau nommé le " Bachelor Agro ", parce que, pour nous, cela coulait de source. La difficulté de l'examen de ce texte, c'est que l'on demande de clarifier ce qui peut sembler suspicieux et que l'on insère des articles supplémentaires. Lors de l'examen en séance à l'Assemblée nationale, j'ai signalé que la grande richesse de l'enseignement agricole venait en partie du fait que les structures privées et publiques s'y côtoyaient sans querelle, sans qu'il soit nécessaire de sortir la hache de guerre. Ce point ne figurait pas dans le projet de loi initial, car il était logique, compte tenu de la structure de la formation agricole, que les structures privées soient concernées par le texte.
En ce qui concerne le correspondant de l'enseignement agricole et sa mission en miroir de celle des Dasen, nous proposons de décliner à l'échelon départemental la relation entre les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et les recteurs. Des représentants du ministère de l'agriculture doivent être autour de la table lors des réunions relatives à la formation dans les départements, et pas seulement à l'échelon régional. Nous savons très bien qu'en ce qui concerne la découverte des métiers et l'orientation, la maille sera plutôt départementale que régionale.
Je partage assez largement vos points de vue sur France services agriculture : j'ai affirmé à plusieurs reprises à l'Assemblée nationale que l'on ne pouvait pas en faire un guichet unique pour toute l'agriculture, pour les aides, l'installation, la transmission, etc. Nous aurons l'occasion d'en débattre en séance, mais il me semble qu'identifier ce lieu comme un lieu dédié à l'installation et à la transmission correspond à notre projet ainsi qu'à la demande des agriculteurs.
Ce qui bloque le déploiement du fonds Entrepreneurs du vivant, c'est que ce dispositif est pensé au travers de France 2030, dont les procédures sont complexes. Nous avons désormais signé la convention avec la Banque des territoires pour mettre en oeuvre le fonds. Au début du mois de juillet prochain sera publié un premier appel à candidatures, pour qu'un certain nombre de structures, les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ou les établissements publics fonciers puissent émarger. Il y a entre six et huit mois de retard, mais ce n'est pas la première fois que cela arrive dans les politiques publiques. Les choses sont en route et elles permettront de répondre aux attentes ; l'idée est maintenant de sélectionner rapidement les fonds de portage.
Je ne reviens pas sur le droit à l'essai, qui est un sujet complexe qui touche au droit des sociétés, et ne concerne pas uniquement le secteur agricole. Nous continuons de travailler avec le Conseil d'État, car le sujet est sensible. L'idée est de ne pas obliger un agriculteur à s'enfermer dans une structure comme un groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec) pendant douze ou dix-huit mois quand il ne le souhaite pas.
J'ai bien entendu vos remarques sur la dénomination du " Bachelor Agro ". Tout le monde a pensé que ces mots ont été choisis pour " faire moderne ". Il y a un besoin de reconnaissance, et ces mots parlent aux générations qui sont en cours de formation. S'il s'agit d'un élément d'attractivité, il serait dommage de s'en priver.
M. Franck Menonville, rapporteur. - Cette formation ne peut s'appeler licence car elle n'a pas de lien avec un cursus universitaire.
M. Marc Fesneau, ministre. - Oui, je le confirme.
Monsieur Duplomb, vous ne pouvez pas dire, d'un côté, que notre texte est un fourre-tout, de l'autre, qu'un tas de dispositions en sont absentes, notamment dans le titre III, qui est relatif à l'installation et à la transmission. Faute de disposer de dizaines de véhicules législatifs, nous avons choisi de simplifier différents dispositifs en lien avec l'objet du texte.
Je ne refuse pas de reconnaître mes erreurs : nous avons ouvert des chantiers de simplification de la PAC. Démocrate-chrétien d'obédience, l'autoflagellation n'est tout de même pas dans ma culture !
Le ratio régional des prairies et pâturages permanents relève de la BCAE 1 et non de la BCAE 9. Le ratio régional est maintenu, mais les modalités de calcul vont changer. Vous craignez que les agriculteurs de votre département soient ceux qui doivent le plus maintenir de prairies permanentes, je l'entends. Cela étant dit, il nous faut défendre l'élevage, parce qu'il permet de satisfaire nos besoins alimentaires et parce que les haies et les prairies ont des effets vertueux sur l'environnement. C'est une affaire d'équilibres politiques et non de technocrates : souhaitons-nous maintenir des prairies, qui sont utiles à la biodiversité et au stockage du carbone, et qui façonnent nos paysages ? Si l'on répond oui, alors il faut instituer un mécanisme les empêchant de devenir ou bien des friches ou bien des grandes cultures.
J'ai demandé à la ministre déléguée de distinguer les interdictions qui relevaient d'une surtransposition et celles qui relevaient de l'application de fait d'une règle. D'ailleurs, de nouvelles interdictions européennes de pesticides vont entrer en vigueur pour les endiviers.
Gardons-nous de laisser penser qu'il ne faut rien changer. À l'origine, je le rappelle, le chlordécone a bénéficié d'une demande de dérogation dite 120 jours ; elle a mal tourné ! Aussi, quand l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) alerte sur un produit, il est préférable non pas de se hâter de surtransposer, mais de chercher des solutions de remplacement.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Ce n'est pas ce qu'a dit votre ministre déléguée !
M. Marc Fesneau, ministre. - On connaît désormais les résultats de l'étude de l'EFSA : il faut abaisser les limites maximales de résidus (LMR) à un point tel que le produit n'a plus beaucoup d'effets.
Oui, il y a un sujet sur l'acétamipride, dont l'interdiction résulte d'une surtransposition, mais je ne réintroduirai pas des molécules telles que le diméthoate et le phosmet, interdites voilà cinq ans ou dix ans, car elles présentent un risque sanitaire avéré.
Bien sûr, on peut toujours faire comme si le risque n'existait pas, mais il vaut mieux trouver des solutions de remplacement.
Nous sommes favorables à l'épandage par drones. Il faut trouver le bon véhicule législatif. D'ailleurs, sur ce sujet, les gens sont atteints d'un syndrome hitchcockien...
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Les Oiseaux ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Non, La Mort aux trousses !
Les gens le confondent avec l'avion d'épandage du film, alors qu'il s'agit d'un outil au service de la réduction d'usage et du nombre de passages, qui permet de pulvériser efficacement les produits sur une parcelle, y compris en pente.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ce projet de loi ne serait-il pas un bon véhicule législatif ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Dans ce texte, nous n'abordons pas les sujets phytosanitaires. D'ailleurs, l'Assemblée nationale travaille sur ce sujet via la proposition de loi visant à lutter plus efficacement contre les maladies affectant les cultures végétales.
Je ne partage pas votre avis sur la simplification : soit on veut 400 000 agriculteurs et 500 000 exploitants et l'on s'en donne les moyens, notamment en accompagnant les futurs installés et les cédants, soit on laisse faire le marché et on ne travaille pas sur un projet de loi d'orientation. Or nombre d'entre vous sont attachés à la régulation. À mon sens, il faut maintenir des zones de production et une présence agricole dans les communes - dans un conseil municipal sans agriculteur, les débats ne sont pas les mêmes ! Dans certaines communes de mon département, il n'y a plus d'agriculteurs... La démographie, c'est la politique, vous le savez.
Il faut nous doter d'outils, notamment pour identifier les cédants, faute de quoi leurs terrains iront à l'agrandissement ou à la déprise.
Le diagnostic modulaire n'est pas un joug supplémentaire. Dans certains territoires, les agriculteurs sont dans une impasse climatique, faute de réflexion sur l'accès à l'eau ou l'assolement. Après trois années de sécheresse, une telle réflexion s'impose ; c'est le sens du plan d'accompagnement de l'agriculture méditerranéenne. Il faut également réfléchir à l'accès à l'eau dans les territoires d'élevage où les agriculteurs cherchent à atteindre l'autonomie fourragère. Il faut anticiper, de sorte que le ministre de l'agriculture ne passe pas son temps à créer des fonds d'urgence pour faire face au dérèglement climatique !
Le monde agricole doit être accompagné. D'ailleurs, les agriculteurs sont déjà très accompagnés au moment de leur installation, ce qui a comme conséquence un très faible nombre d'échecs.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Jusqu'à présent...
M. Marc Fesneau, ministre. - Évidemment, je ne vois pas l'avenir.
Ce diagnostic modulaire permettre de réfléchir aux effets du réchauffement climatique, qui est un fait nouveau ; ne pas le faire serait une erreur. Il s'agit non pas d'une contrainte, mais d'une demande : votre installation résisterait-elle à une hausse de deux ou trois degrés supplémentaires ?
J'en viens au sujet des haies. Philosophiquement, je suis contre la sanctuarisation. Pour autant, le linéaire doit cesser de diminuer ; peut-être même qu'il doit augmenter. Les 20 000 kilomètres de linéaires que la France perd chaque année ne sont pas uniquement agricoles.
Monsieur Duplomb, peut-être y a-t-il beaucoup de haies dans votre département, mais ce n'est pas le cas ailleurs. La disparition des haies est une conséquence de la fin de l'élevage, comme je l'ai constaté dans le Faux Perche, au nord de mon département.
Nous essayons de reconnaître la dimension dynamique de la haie : il ne s'agit pas d'un musée.
Nous créons un guichet où l'on ne se préoccupera pas des quatorze réglementations à respecter. C'est une forme de rescrit.
La date de la taille des haies ne doit pas être la même dans les Alpes et dans les Pyrénées-Orientales, car la nidification n'a pas lieu au même moment. Fixer une date à l'échelle nationale ne permet pas de tenir compte de la réalité des territoires.
Mon objectif est simple : inciter ceux qui ont des haies à mieux les entretenir et à les valoriser, inciter ceux qui n'en ont pas à en créer, sans qu'elles soient figées pour les siècles des siècles, si je puis dire.
Les haies et les prairies sont des éléments centraux de la stratégie nationale bas-carbone. Donnons-nous les moyens d'atteindre la neutralité carbone !
Nous devons trouver un terrain d'entente sur la question de la dynamique des haies, car ceux qui en ont estiment être punis. Je le rappelle, l'objectif est de maintenir le linéaire et de faire en sorte qu'il y en ait davantage là où il n'y en a plus. D'ailleurs, pour maintenir les haies, il faut maintenir l'élevage.
Le statu quo, c'est la disparition des haies ; on le voit dans nombre de territoires...
M. Jean-Claude Anglars, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - La commission du développement durable partage nombre de constats mis en évidence par nos collègues de la commission des affaires économiques. Je remercie d'ailleurs madame la présidente Mme de m'avoir invité aux auditions qu'elle a menées.
J'ai été effaré par le texte qui nous a été proposé, car je viens d'un département d'élevage.
De nombreuses dispositions de l'article 1er, même si elles soulèvent beaucoup de questions, permettent de comprendre les orientations qu'il faut donner à l'agriculture française dans le contexte européen et mondial actuel - je le souligne, même si un certain nombre de dispositions sont absentes.
J'illustrerai la complexité de ce texte de simplification par un exemple : le nouveau régime juridique créé par l'article 14, sur lequel s'interrogent nombre de juristes. La déclaration unique préalable est un facteur de meilleure compréhension du droit par les agriculteurs, mais l'objet " haies " n'est pas défini ! Or les députés ont exclu certains linéaires sans qu'il soit possible de les définir précisément.
Comment peut-on prétendre simplifier sans définir préalablement les critères permettant de dire si, oui ou non, tel alignement d'arbustes ou telle végétation ligneuse constitue une haie ? Il faut donc au préalable définir la haie.
L'encadrement des délais de recours et de l'office du juge administratif, ainsi que la suppression d'un degré de juridiction ne garantissent pas nécessairement le raccourcissement des procédures contentieuses en matière de décisions agricoles. Les dispositions de cet article sont-elles en adéquation avec les moyens juridiques institués pour y parvenir ?
Nous partageons votre volonté de renforcer la sécurité juridique des porteurs de projet Iota (installations, ouvrages, travaux et activités ayant un impact sur l'eau) ou ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) et de restreindre les importants reports temporels engendrés par les contentieux qui suspendent les procédures d'autorisation. Pour autant, cet article permet-il réellement de remplir de tels objectifs ?
Autre sujet, sur lequel le Sénat s'est déjà prononcé et qui n'est pas dans le texte : le décompte des bâtiments agricoles des enveloppes d'artificialisation dans le cadre de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN). À compter de 2031, sous l'effet du changement de comptabilisation et de l'abandon de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) et en l'absence d'intervention du législateur, l'artificialisation induite par les bâtiments agricoles sera déduite des enveloppes foncières des territoires concernés. Nous avons adopté, durant l'examen de la proposition de loi de 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux, une disposition visant à considérer comme non artificialisée une surface occupée par les constructions des installations et des aménagements nécessaires à l'exploitation agricole. Que pensez-vous de cette évolution législative ?
Autre sujet encore, bien connu dans les départements d'élevage : les chiens de protection des troupeaux, les patous. Il faut 30 patous pour 600 brebis, si l'on veut les protéger du loup ! Le statut des patous soulève plusieurs interrogations.
Par ailleurs, la commission du développement durable s'intéresse beaucoup au sujet de la valorisation de la laine.
M. Christian Bruyen, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. - Le rôle des établissements privés dans les formations agricoles a déjà été pris en compte par les députés lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.
L'objectif d'accroissement du nombre de personnes formées, fixé à l'article 4, conduit à prévoir une analyse des besoins de consolidation ou d'ouverture de sections de formation professionnelle initiale. Cela implique de mettre en place un contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles. Cette ambition est justifiée, mais elle intervient dans un contexte budgétaire contraint. Pouvez-vous nous garantir qu'il n'y aura pas de phénomène de vases communicants ?
Je crains que cela n'entraîne la fermeture d'autres sections - services à la personne, animation et développement de territoires -, car elles ne sont pas incluses dans ce contrat, alors qu'il s'agit de missions historiques de l'enseignement agricole.
L'article 5 crée un " diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie ". L'expression " Bachelor Agro " ne nous choque pas, mais nous estimons qu'il manque un maillon dans le système.
Au même article, il est précisé qu'une accréditation sera délivrée par " arrêté du ministre chargé de l'agriculture après avis conforme du ministre chargé de l'enseignement supérieur ". Or pour les autres diplômes de l'enseignement supérieur agricole - le brevet de technicien supérieur agricole (BTSA), la licence professionnelle, le master ou le doctorat -, c'est l'inverse ! Pourquoi ? Le diable se cachant dans les détails, une telle inversion n'est peut-être pas anodine.
Je m'interroge aussi sur l'inscription dans le texte d'une liste de compétences à acquérir dans le cadre de ce diplôme. Ce n'est pas le cas pour les autres diplômes de l'enseignement agricole ni pour ceux d'autres secteurs, à l'exception de la formation des enseignants, laquelle doit être réformée, selon une annonce récente du Président de la République.
M. Marc Fesneau, ministre. - Dans la proposition de loi tendant à répondre à la crise agricole, la haie a ainsi été définie à l'article 39 : " Une haie est une formation linéaire comportant des arbres, arbustes ou arbrisseaux d'une hauteur potentielle et d'une longueur qui sont supérieures à des seuils définis par l'autorité administrative dans le département en fonction des usages constants et reconnus sur le territoire de ce département. "
Vous en conviendrez, il n'est pas simple de définir les haies ! Sans doute suis-je trop technocrate, mais j'ai du mal à comprendre.
Il faut éviter que les alignements d'arbres dans les communes deviennent des haies. Il vaut mieux la définir, mais il ne faut pas que la définition soit trop restrictive, comme c'est le cas dans cette proposition de loi.
D'ailleurs, cette proposition de loi comprend des dispositions tendant à instituer un guichet unique et à appliquer le principe " j'arrache, je plante " : quelles différences avec le texte que je vous présente ?
L'objectif est de maintenir le linéaire, car la haie, non seulement est utile pour l'élevage, mais permet également de stocker du carbone, d'éviter le ruissellement et l'érosion. Aussi, il ne faut pas trop restreindre sa définition.
Nous travaillerons sur la question des bâtiments agricoles dans ce projet de loi, surtout s'il faut clarifier le sujet.
La valorisation de la laine est une demande des producteurs ovins vieille d'une vingtaine d'années. Personne ne s'y était jamais intéressé jusqu'à présent. Sans doute faut-il que nous allions plus loin, notamment sur les capacités de lavage de la laine.
L'objectif du Gouvernement est non pas d'éradiquer les loups, mais de gérer les problèmes de cohabitation qu'ils engendrent. Si certains veulent éradiquer le loup, qu'ils le disent !
J'aurais pu dire : " Ce n'est pas moi, c'est Christophe Béchu ! ". Au contraire, j'ai pris mes responsabilités, car le loup est évidemment un sujet de biodiversité, mais aussi d'élevage. D'où la mise en place du plan national d'actions Loup et activités d'élevage et la simplification de protocoles.
Nous avons besoin de mieux identifier la population de loups. Aussi, nous modifions nos calculs pour les rapprocher des standards européens. Notre marge d'erreur s'élève à plus ou moins 300 loups ; cela me fait pester, car cela veut dire que l'on trouve sur notre territoire entre 700 et 1 300 loups, ce qui n'est pas tout à fait la même chose...
Le statut du chien patou est de nature législative. C'est un véritable sujet pour les éleveurs ; c'est pour cela que nous nous en sommes emparés.
Je vais vous exposer l'intérêt de l'article 15 à l'aide d'un exemple récent, le contentieux des ouvrages de stockage d'eau en Charente-Maritime. Le 26 septembre 2018, un arrêté préfectoral autorise le syndicat mixte des réserves de substitution de la Charente-Maritime à réaliser 21 réserves. Le 4 février 2021, le tribunal administratif de Poitiers annule l'arrêté. Aujourd'hui, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé la décision du tribunal administratif, validant ainsi le projet. Imaginé dès 2015, le projet de réserves n'en est peut-être même pas à son autorisation finale en 2024... Voilà à quel genre de situations nous entendons répondre au travers de l'article 15. Certaines personnes ont décidé d'embourber les projets en multipliant les recours contentieux ; leur stratégie est de gagner du temps.
Notre objectif n'est pas de susciter plus de contentieux. Certains défendent qu'il ne faut plus construire de retenues d'eau ; telle n'est pas la position du Gouvernement. Au contraire, nous voulons cristalliser les moyens et raccourcir les délais de jugement.
On retrouve les mêmes contentieux contre les bâtiments d'élevage. Pour respecter les règles en matière de bien-être animal, certains éleveurs doivent augmenter les espaces pour leurs animaux. Pour autant, à peine déposé, leur permis de construire est contesté. Je rappelle que près de 50% de la volaille française est importée. Si l'on veut reconquérir ce marché, il faudra multiplier notre production par deux, ce qui implique de construire des bâtiments - pour certains, c'est un gros mot. Il faudrait 400 poulaillers supplémentaires en France, sauf à proposer de manger deux fois moins de volaille...
À cause des contentieux, il faut dix ans pour construire des poulaillers et il n'y a pas un million de volailles dedans ! Pendant ce temps, nous achetons du poulet ukrainien ou brésilien... Dans mon département, certains contentieux concernent des poulaillers à 10 000 volailles. Et je n'évoque pas les contentieux liés aux panneaux photovoltaïques, aux nuisances olfactives ou sonores, etc. Voilà ce que nous souhaitons éviter grâce à l'article 15.
Nous avons ajusté les moyens en faveur de l'enseignement agricole. Nous n'avons pas besoin de grappiller ailleurs. Si les effectifs augmentent, les moyens seront rehaussés en conséquence : nous l'avons fait pour former 75 % de vétérinaires supplémentaires à l'horizon de 2030. Je vous l'assure, il n'y aura pas d'effet de vases communicants.
L'enseignement agricole doit être attractif. Nous ne souhaitons pas qu'il y ait un effet de vases communicants entre les filières.
L'article 5 crée une telle accréditation, car les instituts universitaires de technologie (IUT) relèvent du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; je ne peux être le seul à les accréditer. En revanche, les BTSA relèvent uniquement du ministre de l'agriculture.
La liste des compétences à acquérir ne m'a pas choqué, mais nous en débattrons en séance. Quand il s'agit d'écrire des lois moins bavardes, vous pouvez compter sur moi.
M. Frédéric Buval. - Je vous remercie de vos propos rassurants, qui permettent de répondre à l'inquiétude des agriculteurs. Je me félicite des avancées réalisées en matière de simplification lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.
Les agriculteurs ont largement remonté, lors de la crise, des difficultés administratives pour l'obtention des aides PAC. Quelles avancées ont pu être faites sur ce sujet ?
Je souhaite vous alerter sur la situation préoccupante de la filière canne-sucre-rhum en Martinique. Deuxième production agricole après la banane, cette filière est un pilier de l'agriculture en outre-mer. Elle emploie directement et indirectement des milliers de personnes.
Or les prix de la canne livrée à l'usine sont trop bas, ce qui ne permet pas aux opérateurs de dégager des marges suffisantes. Les charges des petits planteurs sont élevées, à cause du coût des intrants et de la main-d'oeuvre. Les petits planteurs sont victimes de retards de paiement de la part de la sucrerie. Ils ont du mal à obtenir des frais bancaires, ce qui limite leurs investissements. Enfin, les jeunes ne sont pas attirés par les métiers de l'agriculture. Il manque 60 000 à 80 000 tonnes de cannes. Quelles mesures sont envisagées pour soutenir les planteurs et assurer la pérennité de la filière ?
M. Daniel Laurent. - Président du groupe d'études Vigne et vin, je souhaite aborder la question de la pression foncière dans les vignobles d'appellation, qui génère une déconnexion entre le prix du foncier et la rentabilité. Cela ampute la capacité d'investissement des viticulteurs pour moderniser leurs outils de production ou innover dans la transition agroécologique.
La fiscalité est un levier indispensable pour pérenniser les exploitations viticoles familiales, pour assurer le renouvellement des générations et pour maintenir les PME dans les territoires.
Monsieur le ministre, intégrerez-vous dans le projet de loi de finances pour 2025 un article répondant aux attentes des acteurs de la viticulture ? C'est indispensable pour assurer la pérennité de nos viticulteurs.
Le groupe d'études Vigne et vin a mené une réflexion sur l'avenir de la viticulture, car certaines régions viticoles - la Gironde et l'Occitanie, par exemple - sont confrontées à de grandes difficultés. Quel avenir souhaite-t-on pour la viticulture ? La consommation baisse, la concurrence mondiale est exacerbée... Penchez-vous sur cette question économique majeure !
En Gironde, c'est la catastrophe : les parcelles de vignes abandonnées sont un foyer de contamination pour la flavescence dorée ou les maladies fongiques. La filière propose de mettre en oeuvre un dispositif de sanctions contraventionnel et non délictuel. En effet, les sanctions pénales applicables aux propriétaires des parcelles abandonnées, qui reposent sur une procédure d'arrachage par voie administrative et judiciaire, durent souvent deux à trois ans. La réécriture de l'article 13 ne convient pas à la filière. Prendrez-vous des mesures adéquates pour répondre à ses attentes ?
Dans le cadre de l'examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience, le Sénat a adopté la création de zones de transition entre espaces artificialisés et espaces agricoles, afin de limiter les conflits d'usage liés à la poursuite de l'activité agricole. Ce dispositif n'a pas été retenu ; la filière souhaite y revenir.
Monsieur le ministre, nous comptons sur votre vigilance pour que la filière viticole ne subisse pas les dommages collatéraux d'un contentieux avec la Chine qui ne la concerne pas. Vous le savez bien, aujourd'hui rien n'est vraiment réglé pour les spiritueux ou pour le vin. Nous demeurons tous inquiets, même si le Président de la République a essayé de nous rassurer.
M. Jean-Claude Tissot. - Nous examinons enfin ce projet de loi tant attendu, mais il est très décevant, et nous avons été surpris du peu de sujets abordés et du nombre de thématiques soigneusement évitées : impasse sur le revenu agricole, impasse sur l'adaptation des lois EGAlim, impasse sur la mise en place du fameux prix plancher ; le foncier agricole est abordé de façon superficielle et il en va de même pour les règles relatives aux produits phytosanitaires.
Pourtant, notre agriculture française et européenne est à un tournant. Vous aviez là l'occasion de faire une grande loi, monsieur le ministre. Alors que la loi de 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a introduit le concept d'agroécologie, ce texte en limite au maximum l'emploi, ce qui semble aller contre tous nos engagements environnementaux et climatiques.
Pouvez-vous nous dire ce que va concrètement changer pour les agriculteurs le concept d'" intérêt général majeur " fixé à l'article 1er ? Quel est le poids juridique d'un concept qui peut être interprété de bien des manières ? Avez-vous des exemples concrets où il pourrait être invoqué ?
N'allons-nous pas un peu loin en ajoutant l'agriculture à la liste des intérêts fondamentaux de la Nation prévue dans le code pénal ? Ancien agriculteur, je pense qu'il ne faut pas tout confondre ! Ne plaçons pas ce mot dans tous les codes en vigueur pour répondre à un besoin idéologique.
La création du réseau France services agriculture, prévue au titre III, soulève interrogations et inquiétudes quant au respect du pluralisme et des modèles alternatifs au sein de ces futurs guichets uniques, vu le poids exercé par le syndicat majoritaire dans nos nombreuses chambres d'agriculture. Comptez-vous garantir une totale indépendance pour des structures concomitantes et un juste traitement pour les projets alternatifs portés par certains agriculteurs ? On peut craindre qu'un seul modèle agricole soit mis en avant.
Monsieur le ministre, porterez-vous enfin une politique publique du foncier agricole à la hauteur de l'importance des enjeux ?
L'enseignement agricole est-il affranchi, comme les collèges et lycées, des mesures d'économies réalisées par le Gouvernement ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous soldons progressivement les aides de la PAC à l'agriculture biologique. En vue de la PAC 2027, nous devrons moderniser l'outil informatique - il est vieux de plus de trente ans - avec lequel nous essayons de faire tenir un système très complexe. J'ai demandé à mes équipes et à l'Agence de services et de paiement (ASP) de me faire des propositions en ce sens. Les services d'économie agricole, qui instruisent ces dossiers, sont en tension - je tiens à saluer leur travail. Les moyens ont beaucoup été régionalisés et peu départementalisés. L'amélioration de la délivrance des aides de la PAC passe par une meilleure organisation de nos services départementaux.
Par ailleurs, je rappelle qu'il existe près de cent mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) différentes ; joie de la différenciation territoriale ! Or le développement informatique pour 15 bénéficiaires coûte autant que pour 15 000 ! Si l'on veut simplifier, il faut s'astreindre à harmoniser les règles, sinon il ne faut pas se plaindre de la complexité de l'instruction des dossiers. C'est plus simple dans les autres pays européens, car ils n'ont pas autant de mesures agroenvironnementales et climatiques. Nous avons fait, avec la profession, un choix différent.
Nous avons débloqué 2 millions d'euros d'aides d'urgence pour la filière de la canne. Chaque année, près de 10 millions d'euros d'aides européennes soutiennent les filières canne-sucre-rhum.
Il faut répondre à la situation conjoncturelle ; les députés ont adapté le texte aux spécificités ultramarines, mais il faut également déspécialiser, pour reprendre le terme consacré, car il faut améliorer l'autonomie alimentaire en outre-mer. Le coût de l'alimentation est très élevé dans des territoires où le niveau de vie ne l'est pas. C'est un véritable sujet : à chaque crise, les prix grimpent. Par ailleurs, ces territoires sont confrontés à des impasses techniques profondes en matière phytosanitaire, alors que, dans les pays voisins, c'est open bar, si je puis dire.
Monsieur Laurent, je réitère notre engagement : nous mettrons en place une mesure fiscale pour les transmissions ; une mission du CGAAER et de l'inspection générale des finances (IGF) fera des propositions en ce sens. Le Premier ministre l'a également réitéré cet après-midi à l'Assemblée nationale, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement. Le dispositif ne doit pas entraîner la montée des prix. L'enjeu est de pérenniser le modèle familial, car, à cause de la spéculation, les transmissions échappent aux familles.
Je me suis saisi du dossier des difficultés viticoles. En un an, les filières viticoles se sont fortement mobilisées. Elles font désormais un certain nombre de propositions non plus seulement conjoncturelles, mais structurelles ; on ne peut pas répondre aux crises en distillant 100 millions d'euros ou 200 millions d'euros chaque année. Il faut réfléchir sur le volume produit, sur la nécessaire reconquête du marché intérieur, marqué par la déconsommation, par les changements d'habitudes de consommation des nouvelles générations - on consomme plus de vin blanc et de rosé, un peu moins de vin rouge - et par les évolutions des modalités de consommation, ce qui soulève la question du contenant. Certains parlent également de désalcoolisation.
Il faut également réfléchir à la restructuration du vignoble et à la bataille à l'export. À mon sens, il faut vendre le vin France. Les Italiens vendent le vin Italie et non le vin de Toscane. Dans les salons internationaux, l'Italie a un stand national et non des multiples stands régionaux et c'est elle qui est offensive sur le marché mondial.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Ils sont fiers de ce qu'ils font !
M. Marc Fesneau, ministre. - Vous ne me trouvez pas fier ?
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Ce n'est pas ce que laissent penser les messages que l'on entend !
M. Marc Fesneau, ministre. - Vous ne pouvez pas me dire cela...
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Je ne parle pas de vous en particulier !
M. Marc Fesneau, ministre. - Je pense que les régions peuvent être valorisées derrière une bannière France.
Dans certaines régions, les viticulteurs réclament désormais des aides à l'arrachage, alors qu'ils plantaient énormément voilà trois ou quatre ans. L'État n'a pas à rattraper certaines erreurs stratégiques.
Dans sa rudesse, l'article 45 de la Constitution a balayé les dispositions relatives à la flavescence dorée. Pourtant, je suis favorable au passage d'un régime pénal à un régime contraventionnel. Je fais confiance à la sagesse du Sénat et à la souplesse avec laquelle il appliquera l'article 45. Les viticulteurs le réclament, car certains laissent les parcelles à l'abandon et répandent la maladie !
J'en viens aux zones de transition. Ce sont les habitations qui sont allées vers les exploitations agricoles et non l'inverse. On ne peut pas obliger les agriculteurs à mettre en place les zones de non-traitement (ZNT) à chaque nouvelle opération immobilière ; c'est au promoteur de le faire. Si nous avons, en France, nos modalités propres de mise en oeuvre réglementaire des ZNT, partout en Europe, la réglementaire prévoit, selon les produits d'usage, des distances minimales à respecter.
Pour les contentieux avec la Chine, le mieux, c'est de se taire et de faire.
M. Daniel Laurent. - Il faut tout de même être vigilant.
M. Marc Fesneau, ministre. - Ce n'est pas un débat public !
Nous aurons le plaisir d'intégrer la Chine à l'Organisation internationale de la vigne et du vin, ce qui nous permettra de travailler avec ce pays, malgré nos contentieux. D'ailleurs, les sanctions américaines dans le cadre du contentieux opposant Boeing à Airbus restent pendantes.
Monsieur Tissot, j'ai déjà défendu le point d'accueil collectif et les députés ont garanti son pluralisme. Les chambres d'agriculture sont des établissements publics et remplissent des missions de service public. C'est bien de cela qu'il s'agit.
Le Gouvernement souhaite que tout le monde puisse s'y retrouver, notamment ceux qui estimaient être à la marge, sans quoi le dispositif ne fonctionnera pas. Gardons-nous de faire des procès d'intention. Je défends le pluralisme, car cela permet d'accompagner tout le monde. Je veux que les gens vivent de leur métier, qu'ils soient épanouis, qu'ils transforment une envie en projet de vie. Si l'on veut 400 000 exploitants, il faut construire à partir de modèles divers.
Par l'expression " intérêt fondamental de la Nation ", il s'agit de préciser que l'agriculture a un important intérêt économique pour la France. Les pays qui ne pourront pas nourrir leur population se heurteront à de grandes difficultés dans les années à venir. L'agriculture est devenue une arme de déstabilisation, comme en témoignent les manoeuvres de Monsieur Poutine dans le sud de la Méditerranée. Si nos voisins ne peuvent pas se nourrir, nous risquerons d'être déstabilisés dans les domaines économique, agricole social, politique et géopolitique. Je rappelle que les crises du printemps arabe sont d'origine agricole.
L'expression " intérêt général majeur ", qui sera précisée par la jurisprudence, signifie que l'agriculture doit être l'une des notions à l'aune desquelles la souveraineté sera appréciée, aux côtés de l'économie, de l'environnement, etc. L'agriculture ne doit pas être la cinquième roue du carrosse !
Simplifier n'est pas sacrifier le respect des principes environnementaux.
Je mets au défi ceux qui ont critiqué le texte jusqu'à présent de dire en quoi il y a régression. Je ne suis pas d'accord avec cette vision naïve. Pour ma part, je ne serai pas naïf, surtout si cela a pour conséquence que l'on n'ait plus d'agriculture chez nous. En revanche, on a besoin de simplification et de procédures plus simples. On ne peut pas menacer un agriculteur de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende parce qu'il a commis tel ou tel acte de façon non intentionnelle.
Nous aurons sans doute ces discussions en séance, mais il s'agit là d'un vrai point de désaccord politique qu'il faut assumer. Personne n'est dans la caricature, ni vous ni moi.
S'agissant des haies, on dit qu'il faut simplifier. Le rapporteur considère que nous cherchons à les sanctuariser, alors que d'autres estiment que cela revient à ouvrir un régime d'ouverture de l'arrachage des haies. On n'a peut-être pas lu les mêmes articles ! Pour ma part, j'essaie justement de trouver un point d'équilibre, qui n'est ni ce que décrit le rapporteur ni ce que décrivent les autres. Le débat parlementaire au Sénat permettra peut-être d'éclairer un certain nombre de points.
Chaque fois que l'on cherche à simplifier, certains trouvent que c'est encore plus compliqué, d'autres que c'est trop radical.
M. Jean-Claude Tissot. - Cette simplification peut s'apparenter à une forme de reniement.
M. Marc Fesneau, ministre. - J'ai pris l'exemple des réserves de substitution de la Charente-Maritime. Qui, dans un monde normal, peut accepter que des projets prennent cinq, huit ou neuf ans ? C'est impossible ! C'est oui ou c'est non, mais il faut une réponse rapide, car il faut être en phase avec la réalité. Certains utilisent des recours pour faire échec aux projets : une première fois, il manque une pièce, une autre fois, la délibération n'est pas conforme, etc. Ils font tout pour étouffer le porteur de projet. Et ce sont les mêmes qui vous expliquent savamment qu'on a un problème de souveraineté et qu'il y a du poulet brésilien partout !
Pour notre part, nous faisons des choix, car il faut plus de bâtiments d'élevage. Disant cela, je ne me considère pas comme un affreux je ne sais quoi. Sur la question de la simplification, nous essayons de trouver de la cohérence et de parvenir à un point d'équilibre. Sur les bâtiments d'élevage, je ne dis pas que chacun peut faire comme il veut, mais il faut des réponses rapides, pour éviter que les dossiers ne s'embourbent.
Mme Sylviane Noël. - Sur les questions de prédation, ce projet de loi nous laisse un peu sur notre faim. Pour les tirs de défense simple et la possibilité d'avoir deux tireurs, il a été rajouté la nécessité d'un contrôle technique de l'Office français de la biodiversité (OFB) ou des louvetiers, ce qui rend de fait cette mesure inopérante.
Sur le financement des mesures de protection à date, moins de la moitié sont versées pour 2023, alors que les agriculteurs ont déjà embauché des bergers en 2024. La trésorerie des exploitations agricoles s'en trouve fragilisée.
A-t-on des raisons d'espérer une amélioration du texte sur ces deux points ? La pression exercée par le loup dans certains territoires de montagne devient extrêmement problématique et les attentes sont très fortes en la matière. Il y va de la survie de notre agriculture pastorale et de l'entretien de nos paysages.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le pastoralisme est inscrit au patrimoine immatériel de l'Unesco.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Beaucoup de viticulteurs de la Côte-d'Or m'ont interrogée sur l'usage du drone à la suite de l'expérimentation qui a été menée. Ils comptent beaucoup sur cette disposition pour développer leur activité et traiter dans de meilleures conditions.
Je souhaite évoquer les milieux forestiers, même si j'ai bien compris que nous examinions un projet de loi d'orientation agricole. Néanmoins, monsieur le ministre, pouvez-vous me confirmer que l'article 13 étend son champ aux travaux réalisés par les forestiers ? Par ailleurs, seriez-vous opposé à ce que des dispositions de valorisation de la ressource forestière bois figurent dans ce texte, notamment pour simplifier des mesures comme la REP (responsabilité élargie du producteur) sur les matériaux de bois, qui est un dispositif particulièrement injuste pour cette filière globalement déjà recyclée à 90% ?
M. Yves Bleunven. - Merci de cet échange franc et direct.
Je fais partie de ceux qui pensent que ce texte, sur la souveraineté agricole et alimentaire est une évolution positive par rapport à une simple loi d'orientation agricole. Reste que le contexte sera stratégique.
Je suis élu du premier département avicole français, le Morbihan. Pas un bâtiment d'élevage ne s'y est construit depuis deux ans ! Les abattoirs ferment ; vendredi, une usine d'alimentation animale sera fermée. C'est la preuve de la décapitalisation de la filière.
Face à ce discours ambitieux et stratégique de souveraineté alimentaire, on trouve des associations environnementalistes, welfarismes, voire anarchistes, qui font à peu près tout et n'importe quoi : vider des trains de blé, suivre des camions avec des traqueurs GPS pour savoir où se trouvent les élevages et faire de l'intrusion. C'est insupportable !
Monsieur le ministre, comment envisagez-vous à la fois de faire la promotion de la souveraineté alimentaire et d'arrêter ces activistes qui sont systématiquement dans l'illégalité ? J'ai bien compris que ce texte permettra de raccourcir les procédures administratives. Pour autant, que faire face à ces militants qui ternissent l'image de nos filières ? Quand va-t-on dire haut et fort que nous sommes le pays le plus avancé en matière de bien-être animal aujourd'hui ?
M. Marc Fesneau, ministre. - La question du statut du loup est très importante. Comme le loup est très protégé, les marges de manoeuvre sont faibles. C'est dans ce cadre que nous avons fait évoluer les protocoles de tir du loup - tireurs, déclarations ex ante - en allant le plus loin possible à date et en faisant de la simplification administrative. En outre, nous allons essayer de mieux accompagner les agriculteurs. Il faut désormais assumer la question de la régulation.
J'en profite pour rappeler ce qui s'est passé à l'échelle européenne. La France a porté par ma voix la question du changement du statut de l'espèce, pour le passer de " très protégé " à " protégé ", ce qui aurait simplifié bon nombre de choses, y compris sur les mesures de gestion des populations de loups. Pour y parvenir, il faut l'unanimité ; à ma grande surprise, ce n'était pas le cas il y a un mois et demi, mais j'ai l'impression que cela change. Je reconnais que mon homologue luxembourgeoise est moins sensible à la question de la prédation que mon homologue autrichien ; c'est un des noeuds du sujet. Il faut continuer à se battre, même si cela prendra du temps.
On peut voir si on ne peut pas simplifier davantage les protocoles afin de faciliter le travail des lieutenants de louveterie.
Il y a quelques semaines, j'ai organisé une réunion sur la question de la prise en charge de la protection des troupeaux. J'ai demandé à mes services la simplification du logiciel de saisie des données Safran, car c'est cauchemardesque, je l'ai constaté moi-même ! Si l'on commet une erreur, on est renvoyé à la première page et il faut tout recommencer. C'est à rendre fou ! On ne peut pas faire subir cela à des éleveurs déjà confrontés à la prédation. Je vérifierai que ce travail a été fait, car il faut un dispositif plus opérant et faire en sorte que les éleveurs n'y passent pas des jours et des nuits.
Je reviens à la question des avances. Comme ce sont des aides qui relèvent de la PAC, on ne peut pas toucher à certains mécanismes. Pour autant, j'ai demandé à mes équipes de trouver des réponses d'ici au mois de juin, qui ne prendront pas nécessairement la forme d'une avance, pour faire en sorte que certains ne se retrouvent pas avec douze à quatorze mois de salaire qui ne leur seront payés qu'à la fin de l'année, alors qu'ils gagnent souvent moins que le Smic. Cela fait quinze ans que cela dure et ce sujet désespère les éleveurs ! Je ne comprends pas pourquoi on n'a toujours pas trouvé de solution. Nous devrions aboutir courant juin. Je suis têtu, je ne lâcherai pas, car la situation est injuste.
Des amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale sur la question de la non-protégeabilité qui figure dans le plan Loup, mais des solutions ont été envisagées, notamment sur les dommages indirects, mais l'article 45 a fait son oeuvre... En disant cela, je n'invite à rien...
Madame la sénatrice Loisier, sur les drones, pour moi, la situation est claire.
À l'Assemblée nationale, votre collègue Genevard a fait des propositions sur la question de la friche, du défrichement et du déboisement. Là aussi, et cela fait écho à ce qu'a dit le sénateur Duplomb, la réglementation est telle que certaines terres qui sont mises en friche - ce que l'on appelle la déprise agricole - deviennent, quinze ou vingt ans plus tard, une forêt, ce qui fait que l'on ne peut plus y toucher et que l'on empêche un jeune de s'installer. Pourquoi ?
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - C'est sanctuarisé.
M. Marc Fesneau, ministre. - Voilà. Il faut pouvoir changer les choses, car ce ne sont pas des forêts, ce sont des friches.
M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Et cela concerne 40 000 hectares par an !
M. Marc Fesneau, ministre. - Plutôt 60 000 hectares. Qui plus est, ce seront des nids à incendie de forêt.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Et on a des hectares de forêt dont on ne fait rien !
M. Marc Fesneau, ministre. - Dans certains cas, on peut enrichir le peuplement, dans d'autres, c'est impossible, car c'est considéré comme une coupe rase ou je ne sais quoi.
Là encore, monsieur Tissot, il faut faire preuve de pragmatisme. Vaut-il mieux avoir une prairie ou une forêt ? À mon sens, une prairie a autant d'intérêt. Si l'on peut faire un peu de débroussaillement en forêt pour y faire du pâturage, je n'ai pas l'impression que l'on porte une atteinte grave à l'environnement, je crois plutôt que l'on rend service, car ces parcelles finiront par redevenir forestières. Dans mon département de la Sologne, où certaines terres sont très pauvres, la forêt est repartie du fait de la disparition de l'élevage. Certes, cela fait plaisir à ceux qui ont des activités cynégétiques, mais il y a des sangliers partout, cela fait des dégâts et pose des problèmes de repeuplement forestier. Y a-t-on gagné ?...
Pour autant, je ne suis pas sûr qu'une telle mesure ne soit pas totalement extérieure au texte, mais il ne m'appartient pas de juger de l'article 45. Je laisse cela à votre sagacité.
Sur la question de la REP, on travaille avec le ministère de la transition écologique. Christophe Béchu et moi sommes sur la même ligne quant à la nécessité d'avoir un traitement particulier de la filière forêt. Au train où vont les choses, on va finir par nous démontrer que c'est mieux de faire du béton que de faire de la forêt en construction...
Monsieur le sénateur Bleunven, c'est dans votre département que j'ai rencontré un jeune agriculteur qui attendait depuis six ans une autorisation d'installation et qui allait renoncer à son projet. C'est à cela qu'entend répondre ce texte.
Par ailleurs, comment parvenir à faire redescendre la pression ? Inutile de vous dire que nous sommes dans une société quelque peu fracturée et polarisée sur cette question comme sur d'autres. À mon sens, il faut montrer une détermination sans faille sur la trajectoire à définir, à savoir retrouver notre souveraineté dans tel ou tel domaine. Pour cela, il faut qu'on ait des politiques claires et lisibles. Par ailleurs, il faut créer du dialogue, notamment en impliquant les collectivités territoriales. Cela ne peut pas concerner que les professionnels, l'État et la population. L'échelon territorial doit prendre sa part.
Sur les réserves de substitution, plus généralement sur les ouvrages hydrauliques, très souvent, les collectivités sont nos alliées. C'est d'ailleurs ainsi que l'on y arrivera. Tout ne peut pas se faire à l'échelon central. Le dialogue doit avoir lieu à l'échelle locale. Quand on explique Sainte-Soline, les gens découvrent la réalité de la situation. Je me suis exprimé à au moins cinq reprises tout à fait publiquement sur ce sujet et personne n'a jamais démenti mes propos.
Il faut s'appuyer sur la science, faire de la pédagogie et expliquer ce que l'on fait, sans pour autant basculer dans l'excès en affirmant que la solution à tous nos problèmes et au dérèglement climatique, c'est installer des réserves de substitution partout. Il est difficile de mettre de la raison dans ce débat. Cela contribue au mal-être des agriculteurs et nourrit leur sentiment d'être une forteresse assiégée.
M. Yves Bleunven. - Face à l'agribashing, la souveraineté est une arme.
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous avons deux armes. La première est la reconnexion locale. Sans faire dans le localisme, car ce n'est pas la solution à tout, surtout pas à la production de masse, j'ai toujours pensé que les projets alimentaires territoriaux, les circuits courts ou la vente directe étaient un moyen de recréer du dialogue entre les gens. La seconde, c'est de rappeler que l'alimentation est un sujet géopolitique, géostratégique, mondial. À faire preuve de naïveté et à s'empêcher d'agir, certes, nous, nous continuerons probablement à nous nourrir, mais ce ne sera probablement pas le cas à nos frontières, y compris européennes, et nous serons dans la main de gens qui sont des fous dangereux.
La France et l'Europe ont une responsabilité particulière, celle de sécuriser les approvisionnements mondiaux. L'an dernier, l'Europe a importé 40 millions de tonnes de céréales. Qu'on le fasse, y compris chez M. Poutine, pose problème philosophiquement, politiquement, géopolitiquement. Les Italiens vont chercher du blé dur au Canada et -en Russie.
C'est comme pour le nucléaire ou l'énergie, si l'on veut retrouver de l'autonomie stratégique, il faut faire des choix stratégiques, donc des choix de production, sans forcément en rabattre sur la question environnementale. La question de la transition est devant nous. Si l'on n'accompagne pas les agriculteurs - cela rejoint le débat que nous avons eu sur le diagnostic modulaire -, on commettra une erreur très profonde.
M. Daniel Salmon. - Le mouvement agricole a été très fort et vous l'avez subi. Ce texte ne répond que très partiellement aux attentes nombreuses : revenu, foncier, installation-transmission, transition agroécologique... Tout cela est très peu traité. L'Assemblée nationale a toutefois apporté quelques améliorations.
Allez-vous maintenir les avancées que je considère positives ? Je pense à l'objectif de 400 000 exploitations, à la mise en place d'objectifs de productions biologiques de 21% en 2030, à l'objectif de 10% de la surface agricole utile en légumineuse, à la suppression des GFAI, très contestés, en particulier par les Safer.
Je fais partie de ceux qui, comme vous, monsieur le ministre, s'appuient sur la science. La science, pour moi, n'est pas une opinion. Ce n'est pas parce que je vois un papillon devant moi que je pense qu'il n'y a pas de soucis de biodiversité. Je ne mets pas au même niveau les discussions de PMU et le rapport d'un expert universitaire. Il va falloir remettre de la science dans nos débats, car les gens ne peuvent plus se comprendre s'ils ne partent pas des mêmes bases.
Je relève également dans ce projet de loi un certain nombre de reculs par rapport au droit de l'environnement, alors que, depuis 2005, celui-ci est constitutionnalisé par la Charte de l'environnement. On constate une dépénalisation des atteintes à l'environnement et aux espèces protégées. C'est d'autant plus grave que nous assistons à un effondrement de la biodiversité, étayé là encore par des rapports scientifiques.
La non-intentionnalité me pose problème, car, ce faisant, on ouvre la boîte de Pandore ! Quand j'étais enseignant, beaucoup d'élèves me disaient : " Je n'ai pas fait exprès. " Mais enfin, quand on est adulte... D'ailleurs, en ouvrant la notion de non-intentionnalité à l'agriculture, vous devrez élargir cette notion à tous les domaines de la société, ce qui représente un risque colossal : demain, chacun pourra dire qu'il n'a pas fait exprès, qu'il ne connaissait pas bien son droit...
Vous vous dites très attaché aux haies. Je le suis également. Vous avez parlé de mobilité, comme si les haies se déplaçaient. Non, on ne déplace pas des chênes centenaires. Il s'agit pour moi non de sanctuariser les haies, mais de les protéger. Et il faut une protection forte, parce que ce que l'on détruit aujourd'hui ne repoussera pas en cinq minutes. Les arbres qui sont dans nos forêts, ce sont nos bâtiments historiques. Même si l'on constate dans certains endroits de l'enfrichement, de nombreuses haies disparaissent. Je ne regarde pas que mon département, je regarde un peu plus loin.
Ce projet de loi s'inscrit toujours dans le dogme de la compétitivité dans un marché libre et mondialisé. On en est toujours là. C'est ce qui nous a conduits à ces impasses. Les problématiques climatiques sont la conséquence de cette consommation assise sur une guerre commerciale. Les agriculteurs ne veulent pas plus de compétitivité, ils veulent plus de protection et plus de revenus. Le revenu peut se construire tout à fait différemment et nous avons de nombreuses propositions à formuler en ce sens.
Dernier point, nous consommons beaucoup de volailles, alors que nous en produisons à peine la moitié. C'est une vraie question. Pour ma part, je conçois la souveraineté comme une espèce d'autosuffisance, même si on ne peut pas l'avoir dans tous les domaines. Que faut-il faire ? Soit on fait évoluer les régimes alimentaires, ce qui prend du temps, soit on produit à la hauteur de notre consommation. Il faut alors en passer par la déspécialisation, ce qui ne figure pas dans ce texte. En Bretagne, on abat à peu près 220 millions de volailles ; je ne vois pas d'un bon oeil que l'on incite à agrandir encore les élevages là-bas. Il y a d'autres régions qui en ont besoin. Je défends vraiment une polyculture-élevage.
M. Henri Cabanel. - Depuis que je suis au Sénat, j'ai vu passer des gouvernements et des ministres et on m'a toujours expliqué que la simplification était très compliquée ! Vous voulez vous attaquer à la montagne, je vous en félicite, mais j'espère que la montagne n'accouchera pas d'une souris.
Vous avez parlé de la simplification des règles européennes, mais la simplification doit en premier lieu venir de votre ministère et de vos services ! En voici des exemples.
Premier exemple : un jeune viticulteur qui s'est installé en 2022 et qui a touché sa dotation jeunes agriculteurs (DJA) demande, comme il en a le droit, un bonus sur les droits à paiement de base (DPB). La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) lui répond qu'il n'y est pas éligible, car, s'étant installé en 2022, il aurait fallu qu'il ne cotise pas à l'Atexa, qui est une assurance obligatoire, avant 2018 ; or il est cotisant solidaire depuis dix ans. Je ne sais pas quel fonctionnaire a pondu un tel critère, qui est complètement en inéquation avec l'installation, puisque l'on doit obligatoirement cotiser à l'Atexa quand on est cotisant solidaire. Le directeur de la DDTM m'a indiqué que cela dépendait du ministère de l'agriculture.
Deuxième exemple : lorsqu'un viticulteur remplit son dossier PAC, son exploitation est divisée en îlots, chaque îlot contenant quelques parcelles, voire beaucoup. Chaque année, au moment de remplir le dossier PAC, il faut ouvrir tous les îlots, aller dans toutes les parcelles et cocher des cases pour indiquer que rien n'a changé. Cela prend un temps infini. Il serait beaucoup plus simple de demander au viticulteur ce qui a changé par rapport à l'année précédente !
Troisième et dernier exemple : j'ai rencontré la semaine dernière un viticulteur des Pyrénées-Orientales qui monte un dossier d'autorisation de plantation. Il lui est demandé s'il veut l'irrigation. Comme son exploitation est irriguée, il coche la case " non " et fait les investissements. On lui répond qu'il y a une nouvelle charte et qu'il n'y a pas droit.
Je pourrais vous citer des exemples jusqu'à demain ! Cette simplification dépend directement de votre ministère. Monsieur le ministre, vous devez prendre conscience qu'il y a un effort à faire et sensibiliser votre administration !
M. Daniel Gremillet. - Je parlerai de la laine, même si ce dossier paraît accessoire. Cela pourrait résoudre la problématique de la production ovine par rapport à la Nouvelle-Zélande. Il existe en France des start-up cherchant à utiliser la laine à des fins d'isolation. C'est un marché nouveau qui pourrait redonner une embellie à cette filière.
Sur la question des haies, je partage complètement ce qu'a dit notre rapporteur. Je vais même aller plus loin. Avec la PAC, les haies ont dû être décomptées des surfaces, ce qui a en quelque sorte incité les agriculteurs à faire disparaître les haies. C'est du vécu.
Les haies d'aujourd'hui sont le fruit de l'abandon et de l'incapacité du monde agricole à faire ce que les anciens ont toujours fait. Avant, les animaux se promenaient dans la nature, pâturaient et faisaient en sorte que plus rien ne pousse. C'était débroussaillé naturellement. Aujourd'hui, c'est terminé, sur les chemins de remembrement, il n'y a parfois plus qu'un sentier, la végétation a poussé et ce sera considéré comme une haie.
En voulant bien faire, vous allez inciter les agriculteurs à faire en sorte que plus rien ne pousse ! Je sais que vous gardez un oeil attentif sur l'élevage, monsieur le ministre, mais, ce faisant, vous êtes en train de lui donner un coût supplémentaire.
Je termine en évoquant les prairies. Il y a le problème des prairies temporaires de cinq ans (PT5). Laissons les agriculteurs tranquilles, ils sont capables de savoir si une prairie peut rester temporaire sept ans au lieu de cinq. C'est autant d'économies et de gaz à effet de serre. Faisons confiance à ceux qui travaillent dans le secteur agricole.
Aujourd'hui, il n'y a plus de terrain nu. Les agriculteurs sèment de l'herbe, une fois qu'ils ont récolté le maïs. Or la pousse de l'herbe est quasiment aussi longue que la culture du maïs - pratiquement six à sept mois. À aucun moment, cette herbe n'est comptabilisée comme une production herbagère et l'agriculteur se retrouve pénalisé en raison du seuil de chargement de 1,4 UGB. En clair, mieux vous travaillez, plus vous êtes vertueux, plus vous êtes pénalisé. C'est comme pour les haies...
Sur l'installation, il faut aller plus loin. Nous sommes tous d'accord pour dire que le nombre d'enfants d'agriculteurs n'est plus suffisant par rapport aux besoins dans nos campagnes. C'est pourquoi il est notamment nécessaire de permettre à des exploitants en fin de carrière, qui n'ont pas de successeur connu, de mettre en place un tuilage avec un jeune. À une certaine époque, nous avons créé le statut de stagiaire de la formation professionnelle avec un engagement de l'exploitant à lui céder l'exploitation à la fin. Le tuilage permettra à des agriculteurs un peu vieillissants de ne pas perdre la dynamique agricole et à bien plus de jeunes d'accéder au métier d'agriculteur. Sur ces questions, il faut être plus offensif. Qui plus est, le tuilage réglera le problème de la capacité professionnelle en termes d'expérience.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis contrainte de partir. Je laisse Daniel Gremillet prendre le relais. Monsieur le ministre, je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et de vos réponses.
- Présidence de M. Daniel Gremillet, vice-président -
M. Bernard Buis. - Les avancées issues des travaux de l'Assemblée nationale permettent de reconnaître l'agriculture et la pêche comme des domaines d'intérêt général majeur. La création d'un nouveau diplôme bac + 3, l'inscription d'objectifs chiffrés en matière de maintien du nombre d'exploitations, le développement de l'agriculture biologique ou encore la limitation des poursuites en cas d'atteinte non intentionnelle à l'environnement vont dans le bon sens.
Afin de favoriser l'installation des agriculteurs et la transmission des exploitations, vous envisagez la création d'un réseau France services agriculture, qui servira de point d'entrée pour nos agriculteurs. Selon quel calendrier en envisagez-vous la création ? Combien y en aura-t-il par département ? Il faut éviter aux agriculteurs de faire des heures de voiture pour y avoir accès.
M. Rémi Cardon. - J'ai le sentiment que les sujets cruciaux comme le revenu agricole, le foncier, le partage de la valeur ou les problématiques liées au libre-échange ont été écartés de ce projet de loi, qui passe à côté de l'essentiel : faire du renouvellement des générations l'occasion de contribuer à la transformation de l'agriculture. Les ambitions environnementales du texte se limitent à des formules incantatoires guère rassurantes. Pis, au nom de la compétitivité, vous proposez d'assouplir les sanctions contre les atteintes à la biodiversité en introduisant une notion de non-intentionnalité. Pourquoi n'avez-vous pas su répondre conjointement aux problématiques du revenu agricole et à celles du dérèglement climatique - fin du mois, fin du monde, même combat ?
Par ailleurs, selon des prélèvements récents, trois départements de la région picarde, l'Aisne, l'Oise et la Somme, figurent dans les dix zones les plus polluées d'Europe à l'acide trifluoroacétique (TFA). Les seuils proposés par les directives européennes sont largement dépassés. Allez-vous vous pencher sur le sujet, en mettant en place un programme de surveillance des niveaux de TFA dans les eaux de surface et souterraines ? Est-ce à l'ordre du jour du plan Ecophyto 2030 ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Monsieur Salmon, toutes les choses que nous avons entendues sur les ronds-points ne figurent pas dans le texte, mais aucun agriculteur ne m'a expliqué que son problème était la transmission de son exploitation ou le foncier. Les agriculteurs ont parlé de revenu, de normes, de compétitivité, de conditions de travail, mais n'inventons pas des sujets qui n'étaient pas ceux de la barricade ! Néanmoins, ces sujets sont importants. Les sujets de l'installation et de la transmission concernent moins d'agriculteurs que tous ceux qui ont exprimé leur ras-le-bol. En revanche, ils ont tous parlé de la PAC, je vous le garantis ! Et pas pour dire que c'était simple !
En ce qui concerne l'objectif de 400 000 exploitations et de 500 000 exploitants, j'avais dit que je laisserais faire le débat parlementaire. La plupart des amendements adoptés en séance à l'Assemblée nationale ont reçu un avis favorable du Gouvernement. En deçà de ces seuils, nous aurons des problèmes de présence territoriale. C'est un sujet de souveraineté, de préservation des filières. En Italie, il y a 800 000 déclarations auprès de la PAC, 1,2 million d'exploitants, pour une population équivalente à celle de la France. En Irlande, pour 7 millions d'habitants, il y a 150 000 exploitations. Il y a donc un sujet démographique.
Dans les années 1960, la loi Pisani était une loi de restructuration et de modernisation, qui avait fait l'objet d'un accord global afin d'assumer dans de bonnes conditions l'exode rural pour alimenter les industries.
M. Daniel Salmon. - Edgard Pisani l'a en partie regrettée...
M. Marc Fesneau, ministre. - À la fin de sa vie, il a regretté certaines pratiques agricoles, mais il a permis de suivre le grand mouvement agricole qui a eu lieu dans tous les pays industrialisés. On peut toujours penser que nous sommes une île déserte, pensant pourvoir garder huit millions d'agriculteurs dans un monde urbanisé...
Si j'étais taquin, je vous demanderais de fixer des objectifs non seulement pour l'agriculture biologique, mais aussi pour l'aviculture, la production bovine, le lait... Pourquoi ne pas fixer des objectifs pour tous les secteurs ? Vous faites une hiérarchie entre eux ?
À l'Assemblée nationale, on a longuement débattu d'un objectif forclos depuis le 31 décembre 2022, qui était d'atteindre 15% de surfaces agricoles cultivées en bio. Le taux en 2024 est de 10%, et personne n'est allé en prison parce que l'objectif n'a pas été respecté ! S'il s'agit simplement de donner une trajectoire, cela ne me pose pas de problème, mais essayons de ne pas multiplier les objectifs. Ce sont des questions de planification. Ces objectifs figurent dans le PSN, dans la PAC et dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Nous pouvons également l'inscrire dans ce projet de loi, mais il me semble plus efficace de mettre 100 millions d'euros par an sur le plan protéique que de fixer un objectif de surfaces cultivées en bio.
M. Daniel Salmon. - Nous n'avons pas le droit de créer de nouvelles dépenses !
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous avons déjà prévu ces dépenses dans le plan protéique ! La PAC a également prévu des financements. On cherche des solutions alternatives aux produits phytosanitaires, car il est vrai que la production de certaines cultures, comme les pois ou le blé dur, baisse en raison d'impasses techniques. Cela vaut aussi pour le riz : 90% du riz mangé en France est importé, après avoir été produit dans des conditions discutables... On pourrait décider de reconquérir notre souveraineté en riz, aliment de base !
Sur les GFAI, je ne partage pas le diagnostic des Safer, qui parlent d'un risque de financiarisation. Je découvre les joies de la question foncière : tout le monde dit qu'il faut changer les régulations, qu'il n'y a pas de capitaux et qu'il faut des outils de portage, mais, dès que l'on propose un changement, c'est la levée de boucliers ! Il y a une grande hypocrisie. Le nouveau dispositif que nous proposions a été rejeté en commission à l'Assemblée nationale. D'accord, mais nous allons manquer d'argent et, dans cinq ans, on se souviendra que certains se sont opposés non pas à l'idée de la privatisation et de la financiarisation, mais simplement à l'idée que les moyens budgétaires dont nous avons besoin ne peuvent pas exclusivement être publics. La France n'est pas un kolkhoze ! En Occitanie, Mme Delga a mis en place un fonds de portage foncier dans lequel il y a des actionnaires, des banques, sans que cela gêne personne. Mais dès que l'on parle de GFAI, qui plus est encadré, on parle de privatisation et de financiarisation ! Même les Safer qui disent que la politique publique ne doit pas privilégier les portages privés de mesures publiques sont financées par le fonds Élan qui réunit des assureurs et des banques. Cette obsession envers et contre les fonds privés est folle. Il y aura pourtant besoin d'un peu d'argent pour acheter les terres de la moitié des agriculteurs qui cesseront leur activité ! Ce ne sera pas à l'État de le faire, à moins que l'on change de registre...
Monsieur Salmon, je n'aime pas trop votre expression : " discussions de PMU ". Il est toujours intéressant d'écouter ce qui s'y dit.
M. Daniel Salmon. - Je n'ai pas dit que c'était inintéressant. J'ai dit que ce n'était pas du même niveau.
M. Marc Fesneau, ministre. - À chaque fois que l'AESA publie des études sur le glyphosate, les scientifiques sont accusés d'être vendus aux lobbyistes. En revanche, ce n'est pas le cas lorsque les résultats des études vous conviennent... Il n'y a pas les bons scientifiques d'un côté, les mauvais d'un autre ; il y a la science et des protocoles. Faisons confiance à la science !
Vous prétendez qu'il s'agit de reculs des droits de l'environnement. Vous pouvez ne pas être d'accord avec le texte, mais tout de même ! Reconnaître la non-intentionnalité ne signifie pas ignorer la loi. Vous connaissez l'adage : nul n'est censé ignorer la loi. Mais on ne doit pas non plus en venir à des présomptions de culpabilité.
Parfois les règles sont contradictoires. Par exemple, dans le massif des Maures, il faut respecter les obligations légales de débroussaillement (OLD), sauf que, en débroussaillant, on attente à l'habitat de la tortue d'Hermann. Quelle règle doit s'appliquer ? Dois-je prendre le risque d'encourir trois ans de prison pour destruction d'habitat ? Et le jour où cela prendra feu ? D'autant que ceux qui n'ont pas débroussaillé ne sont pas les victimes des incendies. On ne les entend pas se plaindre des incendies dus au non-respect des OLD.. Nous voulons lutter contre de telles injonctions contradictoires.
M. Daniel Salmon. - Oui, mais que répondez-vous alors ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Nous en débattrons. Il y a des contrôles sur le terrain. En tant qu'enseignant, vous avez sûrement déjà été amené à juger qu'une action n'était pas intentionnelle...
M. Jean-Claude Tissot. - C'est très subjectif.
M. Marc Fesneau, ministre. - Oui, mais la conviction d'un juge et de jurés est également subjective.
M. Jean-Claude Tissot. - Les OLD n'entrent pas dans votre clause.
M. Marc Fesneau, ministre. - Il y a un problème de cohérence ; nous essayons de le résoudre.
Monsieur Salmon, j'entends votre question sur les haies. La proposition de loi défendue par vos collègues a défini la haie, mais ce n'est pas simple à faire, on l'a vu. D'ailleurs, le texte a avancé que dans certains cas il fallait en planter plus ou au moins autant.
Monsieur Duplomb, il est bien écrit à l'article 39 : " Pour permettre un arrachage de haie au sein d'un espace agricole dans le cadre d'une opération globale conduisant à augmenter le linéaire de haie sur ce même espace ou, à des conditions plus strictes, à maintenir ce linéaire. " Si nous disons tous la même chose, nous finirons bien par trouver un terrain d'entente !
Je ne souhaite pas créer de contraintes supplémentaires. La réglementation de notre pays sur les haies est l'une des plus strictes du monde ; or elle ne fonctionne pas.
Les grands opérateurs de réseau ont beaucoup de linéaires également. Il ne faut pas pointer seulement la responsabilité des agriculteurs. Le merle ne distingue pas une haie PAC d'une haie de voisin ; il niche là où il peut. Or les règles sur la taille sont davantage appliquées aux agriculteurs qu'aux autres.
M. Laurent Duplomb. - Je dis également qu'il faut territorialiser les haies.
M. Marc Fesneau, ministre. - Oui, je ne suis pas contre.
Monsieur Salmon, vous me rétorquez : « dogme de la compétitivité », mais nous ne sommes pas sur une île ! Savez-vous que ce sont les pays européens qui nous taillent des croupières ? Il nous faut être aussi compétitifs que l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne, sinon nous ne produirons plus en France. Notre problème principal, ce ne sont pas les Brésiliens ! La compétitivité est une nécessité, pas un dogme.
Sans implantation de nouveaux bâtiments, l'élevage disparaîtra en Bretagne. Certes, les Bretons sont jeunes et dynamiques, mais la pyramide des âges est la même pour eux.
En toute logique, France services agriculture entrera en vigueur en 2026 plutôt qu'en 2025 ; autrement, les délais seraient trop courts.
Monsieur Cardon, nous ne débattions pas des PFAS il y a cinq ans. D'ailleurs, ce n'est pas au premier chef un sujet agricole. Il faut s'en préoccuper, car les agriculteurs seront embêtés, alors qu'ils n'en sont pas responsables.
Monsieur Cabanel, la simplification est un sujet non pas technique, mais politique. Si je n'organise pas maintes et maintes réunions à propos de la simplification, ce sujet s'embourbera. C'est chronophage et ce n'est pas le rôle du ministre, qui, à mon sens, doit seulement donner une impulsion. Mais on m'objecte : " Cela fait trente ans que l'on fonctionne ainsi ; on n'a jamais fait comme cela, etc. ". Bien sûr il y a des règles, notamment européennes, et je ne mettrai jamais en défaut mes fonctionnaires : ils veillent à leur bonne application. Cela étant dit, il me faut lutter contre l'inertie. Ce n'est pas de la mauvaise foi : les ministres passent, parfois rapidement...
Sur la politique agricole commune et sans faire de démagogie, je ne comprends pas que l'on ne parvienne pas à faire des simplifications. La notion d'agriculteur actif a été créée à la demande de la profession et on en a vu les limites et les effets de bord, notamment sur les paiements. On l'a intégrée dans le plan national stratégique de la France pour la politique agricole commune 2023-2027, je n'ai aucun problème à la retirer, mais il va falloir que chacun assume ses erreurs.
Le chantier de la simplification ne concerne pas que la PAC : cela concerne les guichets de FranceAgriMer, les douanes... La simplification va du premier au dernier mètre. En la matière, j'ai quelques marottes.
M. Daniel Gremillet, président. - Monsieur le ministre, nous n'avons peut-être pas battu de record, mais une audition de trois heures, c'est assez rare à la commission des affaires économiques. Je vous remercie de votre disponibilité. Je remercie également les rapporteurs et l'ensemble des commissaires.
Rendez-vous en séance publique pour aborder les sujets sur lesquels vous n'avez pas répondu.
Source https://www.senat.fr, le 18 juin 2024