Extraits d'un entretien de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec LCI le 25 juillet 2024, sur les Jeux olympiques à Paris, la délégation sportive israélienne et le conflit à Gaza, la guerre en Ukraine et les élection européennes et législatives.

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Média : LCI

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, bonjour.

R - Bonjour et bienvenue.

Q - Merci Stéphane Séjourné de cet entretien dans des circonstances aussi extraordinaires, aussi mouvantes. Gouvernement d'affaires courantes mais d'affaires importantes : Proche-Orient, Europe et OTAN face à la Russie, les Jeux olympiques. Un mot d'abord sur le lieu. C'est un des lieux les plus symboliques de la République, le bureau au ministère des affaires étrangères, le bureau de Vergennes, n'est-ce pas ? Qu'est-ce que ça incarne pour vous ?

R - Oui, affaires importantes, bureau qui aussi incarne la continuité de l'Etat. Vergennes a été un ministre des affaires étrangères pragmatique, empreint de sagesse. On dit d'ailleurs des ministres des affaires étrangères qu'ils deviennent ministre des affaires étrangères quand ils s'assoient dans le siège et le fauteuil de Vergennes. C'est la formule consacrée ici au ministère des affaires étrangères. Et donc c'est en tout cas un bureau qui symbolise cette continuité, et puis cette place un peu particulière de la France dans le monde et de la diplomatie française dans le monde.

Q - Alors parlons-en. On reviendra au lieu de pouvoir. C'est un des lieux de pouvoir les plus convoités de la République. Mais la place de la France dans le monde, ces Jeux olympiques, qu'est-ce qui vous permet de la mesurer ?

R - D'abord, ce sont les chiffres. Nous aurons des milliers et des milliers d'athlètes, à peu près 15 000 athlètes. Nous accueillons le monde entier. Il y aura également autour d'une centaine de chefs d'Etat et de gouvernement à Paris. Donc c'est un moment très important, y compris d'influence, de soft power comme on dit, pour la France. Et c'est un moment aussi où le Quai d'Orsay, ici, ce ministère-là, a décidé de suivre et d'accompagner l'ensemble des délégations diplomatiques. Donc j'ai 173 personnes qui sont mobilisées à temps plein pour pouvoir accompagner ces délégations, pour pouvoir les suivre, et puis pour pouvoir profiter également de l'événement. C'est un moment important également dans notre capacité à montrer notre patrimoine, à valoriser notre langue, à aussi montrer qu'on est capables d'organiser un événement aussi important.

Q - La venue des athlètes israéliens. "Ils ne sont pas bienvenus", disent des représentants de LFI. Réponse de votre part, du Président de la République : "Oui, ils sont bienvenus". Qu'est-ce qu'il reste de cette polémique ?

R - D'abord, je tiens à dire que c'est une position minoritaire. J'ai vu les condamnations partout, de droite comme de gauche, chez les socialistes, chez les communistes, à droite. Et donc je pense que cette position est minoritaire. Il faut faire attention parce qu'à partir du moment où vous annoncez quelque chose et vous mobilisez des gens "contre", dans une période qui est très compliquée, ça peut devenir dangereux pour les athlètes eux-mêmes, ça peut le devenir pour les délégations elles-mêmes...

Q - On leur a fait courir un danger concret, selon vous ?

R - Oui, je pense. Et donc il faut minoriser aussi cette parole, qui est très minoritaire en France, la condamner. Et donc, à part ça, je pense qu'il faut regarder les choses en face. La majorité des Français est très allante sur l'ensemble des délégations. On aura toutes les délégations de plein de pays qui seront représentées, certains avec qui d'ailleurs on a des grosses contradictions et puis des points de vue très différents sur la scène internationale, c'est le jeu. Mais il y a cette trêve olympique qui est importante, ce sont les Jeux. Et les Jeux, c'est une espèce de parenthèse aussi dans les affaires étrangères.

Q - On peut admettre que les athlètes ne sont en rien responsables de la politique de leur pays mais, dans le cas d'Israël, par exemple, porter un jugement sur cette politique. Il y a beaucoup d'actualités récentes. La Cour internationale de Justice qui confirme le caractère illégal des colonies de l'Etat hébreu. Quelle réponse, quel effet ça doit avoir ?

R - D'abord, l'Union européenne a été pionnière, puisque nous avons condamné et nous avons même sanctionné au niveau européen, avec l'ensemble des pays européens, le caractère illégal, et puis, y compris, sanctionné un certain nombre de colons violents. Donc nous avons déjà pris des dispositions. Je rappelle juste la position de la France sur ce conflit. D'abord, la libération des otages, qui est inconditionnelle. D'autre part, le cessez-le-feu. Et troisièmement, la solution politique à deux Etats. Tout ce qui ira dans ce sens et qui permettra d'avancer sur ces trois objectifs, nous le soutiendrons. Et donc nous soutiendrons également cette condamnation, puisque ces éléments de droit international qui doivent être pris en compte vont contraindre la solution politique et l'apaisement, et la paix.

Q - Alors on peut être très respectueux de l'Etat d'Israël, de son droit à l'existence et en même temps critiquer certains aspects. Benjamin Netanyahu sous le coup de la réquisition. S'il y a un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale, est-ce qu'il pourra encore venir en France ?

R - Je ne veux pas rentrer dans la politique-fiction. À ce stade, ce n'est pas le cas. Moi, je suis très respectueux du droit international, y compris des instances qui donnent le droit international...

Q - Sur le principe, pardon, est-ce qu'on peut être sous le coup d'un mandat d'arrêt international et venir en France ?

R - À partir du moment où il y aura un mandat international, il y aura des recommandations, y compris de la Cour, et nous les suivrons, comme nous les avons suivies systématiquement. Et donc nous nous conformons au droit international et c'est comme ça que doivent être rendues les choses.

Q - Dans ce cas, ça voudrait dire qu'il serait arrêté s'il était sur le sol français ?

R - En tout cas, s'il y avait une demande, nous suivrons la demande des instances internationales et notamment de la Cour internationale. Nous l'avons toujours fait. Nous reconnaissons la Cour international et nous le ferons.

Q - Il y a dans ce gouvernement des extrémistes, des extrémistes très violents, notamment les ministres Ben-Gvir, Smotrich, qui ont prôné, par exemple, des déplacements de population, qui sont des crimes de guerre. Est-ce que c'est tenable ?

R - Encore une fois, notre objectif depuis maintenant des mois et des mois dans cette région est de parvenir à faire admettre à tout le monde que la solution politique est la meilleure solution, à la fois pour les Palestiniens et pour les Israéliens. Je me suis encore entretenu, il y a quelques jours, avec l'ensemble de mes homologues des pays arabes pour pouvoir nous concerter sur les prochaines étapes. Nous préparons un moment important, qui est l'Assemblée générale des Nations unies, qui aura lieu en septembre et qui doit permettre également d'avoir un consensus international sur une proposition politique visant à la paix. Tout ce qui va...

Q - Est-ce que Paris peut être un lieu d'accueil d'une conférence où les Israéliens et les Palestiniens se reparleraient ?

R - Paris a déjà été un lieu d'accueil. Il y a énormément de réunions qui se passent ici à Paris, que ce soit d'ailleurs pour se coordonner au niveau international sur un certain nombre de points. Il y a des réunions qui sont officielles et d'autres qui le sont un peu moins...

Q - Mais à un plus haut niveau. Rappelez-vous quand Arafat venant ici, disant "La Charte qui prévoit la destruction d'Israël est caduque". Est-ce qu'on peut retrouver ce rayonnement où Paris a été vraiment le centre de cela ?

R - La France sera au rendez-vous de toute façon de toute initiative politique. On pourra les susciter. Mais pour avoir une solution et une vraie solution de paix, il faudra nous concerter, nous concerter notamment entre les Occidentaux, les pays arabes et puis aussi un certain nombre de pays qui ont pris des prises de position assez fortes sur la scène internationale pour ce qui est du conflit à Gaza. Il faut que tout le monde aille vers la paix. Et cette paix, elle se construit notamment dans les instances multilatérales et en concertant les pays de la région.

Q - Est-ce que ça passe par une certaine hypocrisie ? On voit, par exemple, que nos amis qataris ont protégé, protègent, accueillent Haniyeh, le chef du Hamas, qui a du sang français sur les mains. Vous êtes accusé d'hypocrisie dans les deux camps comme ça. Au moins, ça équilibre. Est-ce le moment de demander l'extradition du chef du Hamas ?

R - Je ne peux pas avoir deux positions différentes. Moi, je suis les recommandations, je suis le droit international et je suis également la Cour pénale internationale. Et donc c'est à la Cour pénale internationale de nous dire qui doit être inculpé, qui doit être extradé. Et nous...

Q - Non, mais pardon, là, ce sont des Français, ce sont des victimes françaises. Donc la France elle-même pourrait dire "Nous voulons juger Haniyeh".

R - Bien sûr ! Nous avons, y compris contribué à un certain nombre de réquisitoires au sein de la Cour pénale internationale. Une chose est claire, c'est que le Hamas est une organisation terroriste. Elle est considérée comme telle par la France. Et donc tout ce qui ira dans le sens du droit international qui pourra sanctionner, nous irons dans cette sanction.

Q - L'autre terrain de guerre, évidemment, c'est le conflit en Ukraine, l'agression russe. Certains Ukrainiens manifestent une grande inquiétude que Donald Trump soit Président. Pour eux, ce serait l'arrêt de l'aide à l'Ukraine. Est-ce que vous le pensez ?

R - Non, je pense qu'on peut toujours convaincre nos amis américains. Une chose est sûre, c'est qu'on peut avoir une position personnelle, un avis favorable ou défavorable sur tel et tel candidat... En tout cas, il y a une position de la diplomatie française qui est très claire : nous travaillerons avec toutes les administrations américaines et nous essayerons, dans ce cadre-là, de les convaincre. Et un des éléments importants qui aussi donne des garanties de sécurité pour tous les Européens, c'est le soutien à l'Ukraine. Donc je m'emploierai et je m'emploie déjà auprès de l'administration actuelle, mais on s'emploiera également auprès de l'administration républicaine si c'était le cas, à convaincre les Américains que cette aide est consubstantielle aussi à la sécurité des Européens dans la période.

Q - J'avais interviewé le Président République en 2018, il était assez indulgent sur Donald Trump en disant "Nous deux, nous avons eu des parcours un peu originaux". Il n'était pas dans une posture de critique extrême du Président Trump. Les années ont passé, est-ce que c'est encore votre vision ? Est-ce qu'on exagère l'inquiétude de Trump ?

R - Le Président de la République a travaillé déjà avec Donald Trump...

Q - Il pourrait de la même façon aujourd'hui, aussi facilement ?

R - On a travaillé avec des divergences très fortes, mais les Américains restent des alliés. Et je pense que sur un certain nombre de points, on arrive à les convaincre et que Donald Trump a fait preuve de beaucoup de bon sens sur certains points, et est très transactionnel sur d'autres.

Q - On peut dealer avec lui.

R - Donc j'ai un avis politique et personnel sur les sensibilités politiques qui peuvent être représentées aux Etats-Unis dans cette élection mais en tout cas, la France travaillera toujours avec les Américains et je pense qu'on peut réussir à les convaincre sur un certain nombre de points.

Q - Vous dites transactionnel. Ce côté "deal", on peut l'avoir avec lui ?

R - Oui ! Je crois que ça a été le cas déjà lors de son premier mandat. Après, moi, je ne veux pas m'ingérer dans les élections américaines, ce n'est pas mon rôle. Je crois qu'on a également une situation politique en France, on ne voudrait pas que les Américains puissent s'en saisir ou puissent la commenter. Donc je ne la commenterai pas.

Q - Le sort de l'Ukraine, M. Zelensky lui-même a évoqué la possibilité que la Russie puisse venir à Kiev. Quelle est la position de la France ? Il y a deux positions, au fond. Boris Johnson qui dit "On ne négocie pas avec le crocodile qui a une de vos jambes dans la bouche". Et ceux qui disent "Non, non, il faut commencer à parler à la Russie, même si tout le territoire n'est pas libéré".

R - D'abord, tout le monde veut la paix. Mais pour arriver à la paix, il y a plusieurs voies pour y arriver. Donc la paix ne peut pas être pour nous la capitulation de l'Ukraine. Certains le voudraient. C'est une forme d'organisation pour arriver à la paix également. Mais cette capitulation met en jeu également la sécurité des Européens dans la période. Et donc on souhaite, et d'ailleurs c'était toute notre stratégie depuis le début, aider l'Ukraine, la financer, l'armer également, pour permettre aux Ukrainiens, quand ils le souhaiteront, d'avoir entre leurs mains la possibilité d'avoir des discussions équitables...

Q - Ils en parlent déjà. Donc on y est. Ils en parlent...

R - ... Et qui permettent d'avoir des négociations équitables avec les Russes. Et ça, ce n'est pas la capitulation.

Q - Est-ce qu'on peut, pardon, sur le principe, traiter avec les Russes avant qu'ils aient quitté tout le territoire légal de l'Ukraine ?

R - Ça, les Ukrainiens doivent décider quand, comment et à quelles conditions ils veulent négocier. Nous, notre responsabilité, c'est de les mettre dans une position où ils sont dans une situation avantageuse, évidemment, pour discuter avec les Russes s'ils souhaitent le faire. Et derrière, il y a aussi les intérêts des Européens et des Français ! Et donc on fait ça également parce qu'on souhaite que des garanties de sécurité soient données aux pays baltes, aux Européens, pour la suite, et que la Russie ne soit pas le pays expansionniste qu'elle a, en tout cas dans le narratif politique, que Poutine a depuis maintenant quelques mois.

Q - Est-ce que vous avez des signes d'ingérence de la Russie, là dans ces JO, et en général, renforcés ?

R - Alors, oui, maintenant, depuis quelques mois ou quelques années, il y a de l'ingérence...

Q - Accélérée ?

R - Nous avons même décidé, d'un point de vue de notre organisation collective, de systématiquement, maintenant, sortir les éléments d'ingérence et les donner à voir au public, donc les publier. Avant, les notes des renseignements, cela restait au sein de l'Etat et cela n'était pas divulgué. Notre stratégie aujourd'hui, c'est de montrer l'ensemble des ingérences informationnelles, qu'elles soient d'ailleurs sur les réseaux sociaux, sur le territoire français également. C'est la meilleure manière de montrer aussi aux Français qu'il y a de l'ingérence, qu'il ne faut pas être naïf sur les informations divulguées par la Russie notamment ou par d'autres puissances. Et puis c'est aussi notre capacité à essayer d'éviter que ces ingérences se multiplient. Donc montrer à voir, c'est ça notre stratégie. Et donc s'il y avait dans les prochains jours, dans les prochaines heures des éléments d'ingérence importants qui sont faits sur notamment les JO, avec des risques, nous les divulguerons à l'ensemble de l'opinion publique.

Q - Essaient-ils encore d'influer ici ? Sébastien Lecornu avait dit "LFI et RN, certains LFI et certains RN - c'étaient ses propos - fonctionnent comme des proxies de la Russie". Est-ce que vous le pensez ?

R - Oui, il y a en tout cas un narratif qui est proche des narratifs russes dans certains éléments. Vous parliez de l'Ukraine, ça a été le cas, vous parlez de la relation transatlantique avec les Américains, c'est peut-être des fois le cas dans cette dénonciation. Et donc, oui, moi je pense que l'intérêt de la France, c'est de garder son indépendance, son autonomie, sa voix aussi qui doit porter. Et pour que sa voix porte, il faut qu'elle soit indépendante.

Q - Les élections européennes ne sont pas bonnes pour vous, vous avez perdu...

R - On peut dire ça.

Q - Le groupe Renaissance au niveau européen, mais la majorité, disons pro-européenne classique, avec l'aide des Allemands, avec l'aide notamment du centre droit allemand, est fort. Est-ce que pour vous, les nationalistes ont gagné moins que vous ne le pensiez ?

R - En tout cas, il y a toujours une forte majorité pro-européenne dans l'hémicycle européen, ce qui était une vraie question au début de ces élections européennes. Et donc la montée des nationalistes et des anti-européens, des europhobes, a été limitée dans beaucoup de pays. Peut-être parce que les enjeux sont énormes, et que, j'ai envie de dire, les éléments qui ont cristallisé l'antieuropéanisme ont été déconstruits également pendant toute la campagne. Vous avez des gens de droite qui sont pro-européens, des gens de gauche. Et aujourd'hui au Parlement européen, de la droite conservatrice, en passant par les socialistes, les écologistes et le centre, ils forment aujourd'hui une capacité à poursuivre l'agenda pro-européen. Ça, c'est une bonne chose ! Je pense qu'il faut s'en féliciter.

Q - Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que vous faites la même analyse dans le Parlement français, dans l'Assemblée nationale française ? Est-ce que c'est le ciment d'une possible coalition ?

R - Eh bien je le voudrais ! Et d'ailleurs, le projet pro-européen, la construction européenne est un des principes qui fonde notre engagement politique dans notre famille politique, mais aussi une de nos lignes rouges qu'il ne faudra pas dépasser. Et peut-être que si on regarde, à l'aune de ce prisme-là, de cet engagement pro-européen, il y a différentes formations politiques qui défendent également cela. Je pense aux socialistes, aux verts, aux républicains, à la droite républicaine qui défend également cette construction européenne.

Q - Est-ce qu'on peut imaginer une coalition aussi large ? Tous les partis que vous avez mentionnés là, on voit parfois cela, notamment en Allemagne, des coalitions, la "grosse Koalition" comme disent les Allemands. Est-ce que c'est imaginable en France ?

R - Non clairement, ce n'est pas notre culture politique.

Q - C'était ! Ce n'était pas, en tout cas...

R - Ce n'est clairement pas notre culture politique. On voit bien depuis maintenant quinze jours, les difficultés qu'on peut avoir à discuter. Le mode de scrutin joue aussi - scrutin majoritaire - qui aussi empêche de déconstruire des coalitions qui se sont construites avant les élections, et qui nécessiteront d'être revues aussi à l'aune des rapports de force de cet hémicycle. Mais je crois que notre responsabilité est importante. Et derrière un blocage institutionnel, il y a des gens. C'est peut-être le message important qu'il faut donner aussi aux Français. Il y a des gens, il y a des situations, il y a une situation économique, il y a des emplois, il peut y avoir une crise économique qui peut être suscitée elle-même par un blocage institutionnel. Et donc il faut qu'on arrive à dépasser un tout petit peu le cadre de nos partis respectifs pour penser au pays ; c'est le message qu'a adressé le Président de la République il y a encore un jour aux Français, mais surtout aux responsables politiques. Et dans "responsables politiques", il y a "responsables". Et donc il faut que tout le monde puisse se mettre autour d'une table à un moment donné. Personne n'a la majorité, personne n'a la majorité. Nous avons perdu cette élection, voilà. Par contre, ça ne nous empêchera pas d'être responsables et donc de tendre la main, et nous continuerons à tendre la main le plus longtemps qu'il est nécessaire ; et surtout d'éviter cette crise institutionnelle. Vous savez, il y a un certain nombre de partis politiques qui la veulent, je crois, qui vont tout faire, en jeu tactique, pour avoir cette crise institutionnelle. Cette crise de régime pour certains. Moi je ferai tout pour l'éviter.

Q - Ça dure mi-août, c'est très tard pour beaucoup de Français qui disent "on a voté, il y a des élections, et il y a toujours Gabriel Attal Premier ministre, toujours Stéphane Séjourné ministre des affaires étrangères, etc. Est-ce qu'il y a une urgence ?

R - Il y a à la fois une urgence, parce que ce n'est pas, comme je vous l'ai dit, notre culture politique, et donc il faut aller vite. Mais si vous regardez les exemples européens que vous avez cités, oui, ça dure et ça peut durer très longtemps dans un certain nombre de pays européens, si vous voulez faire les choses dans le bon ordre. Et donc, il nous faut à la fois donner du temps, mais aller vite pour ne pas donner l'impression que les choses peuvent rester ainsi. Et d'ailleurs, c'est aussi très inconfortable pour les ministres que nous sommes. Même si les affaires courantes durent, il n'y a jamais la possibilité ici de faire la chaise vide. Il faut qu'on continue à oeuvrer.

Q - Vous avez les points de comparaison européens. Il y a eu, dans beaucoup de pays, des gouvernements techniciens, ou des gouvernements de sages modérés, etc. Est-ce que c'est possible en France, cela ?

R - Il peut y avoir plusieurs formules, mais... il y aura une élection présidentielle d'ailleurs en 2027 qui permettra aussi de clarifier un certain nombre de choses.

Q - C'est un peu loin. Là maintenant...

R - Mais maintenant, notre responsabilité, c'est de trouver quelques points d'accord sur quelques sujets qui sont importants. Donc je ne pense pas qu'on puisse faire un programme de gouvernement complet qui aborde tous les sujets, puisque ce sera le rôle de l'élection présidentielle en 2027 de clarifier un certain nombre de points. Mais moi, je pense que sur ces points qui sont importants, l'économie, le budget, la construction européenne, les grandes réformes qu'il faudrait éventuellement porter ensemble, qui pourraient faire consensus dans un paysage républicain, je pense que sur ces points-là, on pourrait éventuellement discuter.

Q - Un accord de coalition avec un certain nombre, par exemple centre gauche ou centre droit, et au moins la non-agression par exemple des LR qui ne voteraient pas la motion de censure, c'est un bon scénario ?

R - Tout scénario qui permet de stabiliser les choses, de donner un Gouvernement à la France et de permettre aussi de répondre aux attentes des Français, puisqu'on ne fait pas de la politique pour notre parti politique. On fait ça parce que, à un moment donné, il y a des situations politiques qui nécessitent des réponses aux problèmes des Français. Et donc il ne faut pas que le fait d'avoir un gouvernement soit une fin en soi ! La fin en soi, c'est de répondre aux situations difficiles, aux problématiques de crises économiques potentiellement qu'il pourrait y avoir, de crises financières, questions internationales ici également. Il faudra avoir quelqu'un qui puisse faire face.

(...)

Q - Là, vous pourriez vous-même rester ministre dans un gouvernement de coalition. Ça fait partie des hypothèses ?

R - Ce sera au Premier ministre et au Président...

Q - Bien sûr !

R - ... De le décider....

Q - Enfin vous vous retrouvez dans le bureau le plus emblématique. Vous pourriez rester, vous, ministre dans un gouvernement de coalition ?

R - Ce serait... En plus, le portefeuille est très présidentiel ici...

Q - Il est très demandé.

R - Est très demandé. Non.

Q - Mais votre souhait à vous ?

R - Non, moi mon souhait, c'est d'être utile là où je dois l'être. J'ai déjà eu un parcours admirable ; s'il faut que je reste, je le ferai avec bonheur, parce que ce travail est très intéressant, au service des Français à l'international. Et puis on verra aussi dans quelles conditions tout cela se fait. Ça sera au Président d'en décider.

Q - Question personnelle encore. Il y a une photo qui circule beaucoup, qui est fascinante ; je crois que vous avez 18 ans ; vous avez le keffieh palestinien, vous manifestez, pas pour la Palestine en l'occurrence...

R - Non.

Q - Mais pour... Sur du social...

R - C'était un mouvement social sur le CPE, j'ai vu cette photo, oui.

Q - Voilà. Les années ont passé, Monsieur le Ministre, les ors de la République, vous venez de tenir un discours très modéré... Qu'est-ce que vous avez appris, entre-temps ?

R - Eh bien beaucoup ! J'avais 18 ans, je crois. Et je crois que le symbole, y compris même politique, que cela représentait, n'était pas forcément voulu dans cette photo, mais... Et la manifestation était, je crois, une manifestation sociale étudiante...

Q - Ah. Mais qu'est-ce que vous avez appris entre-temps ?

R - Entre-temps, on apprend la sagesse, et donc on apprend aussi la complexité du monde. Et ici, c'est une bonne école pour comprendre la complexité du monde.

Q - Monsieur le Ministre, merci beaucoup.

R – Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juillet 2024