Extraits d'un entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe, avec LCP le 19 septembre 2024, sur la départ de la Commission européenne de Thierry Breton et les nouveaux commissaires européens.

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Média : LCP Assemblée nationale

Texte intégral

(...)

Q - On va parler d'Europe, puisque vous êtes encore ministre délégué démissionnaire en charge de l'Europe.

Q - Est-ce que vous saviez que Thierry Breton allait perdre son poste de commissaire européen ? Quand est-ce que vous l'avez appris ? En lisant sa lettre de démission sur X, comme tout le monde, ou vous aviez été informé en amont ?

R - Oui, c'est une décision qui a été prise rapidement, à la fin des discussions qui ont été conduites par le Président de la République et la présidente de la Commission européenne. Une décision qui a été une surprise, qui correspond à l'intention clairement exprimée par le Président de la République, dès le printemps, celle d'obtenir pour la France le portefeuille le plus conséquent possible et le plus aligné avec l'agenda de la France au niveau européen, celui de la souveraineté économique et industrielle.

Q - Mais vous l'avez appris quand ? Vous l'avez appris sur Twitter, enfin, sur X ou vous le saviez avant ?

R - Je l'ai appris le matin où cette décision a été rendue.

Q - Mais c'est quand même Thierry Breton, enfin, Emmanuel Macron avait choisi de reconduire Thierry Breton dans le poste de commissaire européen au nom de la France. Pourquoi est-ce qu'il ne l'a pas soutenu, puisque le poste aurait pu être obtenu, mais avec Thierry Breton à ce poste ?

R - C'est une discussion entre les chefs d'Etat et la présidente de la Commission européenne. Le Président de la République s'était donné comme priorité d'obtenir les responsabilités les plus étendues, les plus importantes, de manière à ce que la France puisse peser...

Q - Ça ne pouvait pas être Thierry Breton ?

Q - Mais il n'a pas cédé à Ursula von der Leyen ?

R - De toute évidence, la présidente de la Commission européenne...

Q - Elle ne voulait plus de Thierry Breton ?

R - Elle a souhaité un profil qui, à la fois, convienne au Président de la République, et lui convienne à elle-même...

Q - Mais c'est juste un problème d'inimitié, de mésentente ou de détestation personnelle, ou il y a des motifs plus profonds ? Est-ce que Thierry Breton, par exemple, ne paye pas en partie son bras de fer avec les GAFAM ?

R - Bien au contraire...

Q - Ce n'est pas ça qui est en cause ?

R - Je crois que Thierry Breton a été un immense commissaire français. Il a montré...

Q - Mais on le remercie...

R - ... que l'Europe pouvait sortir de sa naïveté en étant pionnier dans la régulation des GAFAM, en étant pionnier dans le renouveau de l'Europe industrielle, avec la fabrication des vaccins, puis la fabrication des munitions. Je crois qu'il nous a rendu fiers de ce que l'Union européenne était capable de faire face aux crises. Et je crois que l'histoire s'en souviendra. Et je crois d'ailleurs que Thierry Breton n'a pas fini de contribuer à l'avenir de la France et de l'Europe dans les années qui viennent.

Q - Mais du coup, le remerciement, c'est qu'on ne le soutient pas ?

R - Si vous voulez des détails plus précis sur les décisions qui incombent au Président de la République et sur la manière dont elles ont été ressenties par Thierry Breton, je vous invite à l'interroger directement.

Q - Est-ce que d'une manière générale, avec le départ de Thierry Breton, et puis, surtout, la nouvelle configuration de la Commission européenne, il faut craindre un recul de l'Union européenne sur le numérique, notamment face aux géants américains ?

R - Je ne le souhaite pas. Nous avons réussi en quelques années seulement à imposer...

Q - C'est quand même une menace, non ?

R - ... à imposer aux grandes plateformes de réseaux sociaux des règles concernant la modération, concernant la protection de leurs publics. Certaines enquêtes sont déjà en cours. Et une entreprise comme TikTok a déjà renoncé à introduire en Europe une version très addictive de son application, de peur de se voir sanctionnée par l'Union européenne. Et en parallèle, nous avons également créé des instruments nouveaux pour sanctionner les abus de position dominante, c'est-à-dire les pratiques commerciales inéquitables, déployées par les géants du numérique pour empêcher les acteurs français, les acteurs européens, de pénétrer sur les marchés. Ces politiques doivent être mises en oeuvre. Nous en avons été, je dirais, constructeurs, et nous serons très attentifs à ce qu'elles le soient...

Q - Donc il n'y aura pas de recul sur ces points-là, en fait...

R - Eh bien, nous y veillerons...

Q - ..., malgré la nouvelle architecture de la Commission et sa nouvelle composition. Comment vous la lisez, cette nouvelle Commission européenne qu'on a découverte mardi ?

R - La nouvelle Commission européenne, elle correspond assez précisément aux idées que la France a réussi à installer dans les esprits européens depuis sept ans, sous l'impulsion du Président de la République. Il faut le reconnaître ! Vous avez le portefeuille français, celui que Stéphane Séjourné occupera, qui est chargé de la prospérité, de la souveraineté industrielle, technologique, économique. Vous avez à côté, et c'est là où le numérique a effectivement été placé, un portefeuille consacré à la sécurité. Là encore, un sujet que la France a porté très haut dans l'agenda européen. Dans ce portefeuille, vous aurez le numérique ; et je crois que c'est une bonne chose, parce que nous avons, nous, démocratie européenne, constaté être la cible d'attaques répétées d'ennemis de la démocratie de l'intérieur comme de l'extérieur. Et donc, il y a des liens entre notre stratégie de souveraineté numérique et notre stratégie de défense de la démocratie. Et puis, un commissaire chargé de l'industrie de défense, qui était encore une idée française...

Q - Un dernier mot là-dessus, Stéphane...

Q - C'est aussi une Commission qui est très largement dominée par la droite. Vous avez 15 commissaires sur 27 qui sont directement issus du PPE, parti de droite européen, sans parler des PPE compatibles ou de la présence d'un commissaire hongrois, par exemple à la santé, ou italien, chargé des politiques de cohésion régionale et des réformes. Est-ce que Stéphane Séjourné, il ne sera pas un peu seul dans cet ensemble, malgré le titre qui lui est donné ? Est-ce qu'il va vraiment pouvoir défendre les intérêts de la France ou est-ce qu'on va assister à une espèce de marginalisation de la France au coeur même de l'Europe ?

R - Stéphane Séjourné, comme vice-président exécutif de la Commission, il sera, disons, le coordinateur de la famille des centristes, ce qu'on appelle Renew à la Commission, et en lien avec le Parlement européen où le groupe des centristes, le groupe Renew, est présidé par Valérie Hayer, une Française. Il aura à ses côtés dans la Commission...

Q - Et qui pèse beaucoup moins lourd aujourd'hui...

R - Non ! À ses côtés dans la Commission, il aura quatre autres commissaires issus de cette famille politique, ce qui représente le poids de cette famille politique au Parlement européen. Que la droite ait progressé, c'est plutôt naturel. Elle a progressé au Parlement européen depuis la dernière constitution du collège des commissaires en 2019. Il était naturel que son poids se renforce.

(...)

Q - Merci Jean-Noël Barrot. Merci beaucoup d'avoir été notre invité.

R - Merci à vous.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2024