Texte intégral
SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Astrid PANOSYAN-BOUVET.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Bonjour.
JEROME CHAPUIS
Bonjour.
SALHIA BRAKHLIA
Revalorisation du Smic de 2 % au 1er novembre prochain, en anticipation du mois de janvier, c'est ce qu'a annoncé hier Michel BARNIER. Pourquoi maintenant ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Eh bien, pourquoi maintenant, parce qu'on s'approche très près en fait des 2 % dans lesquels il y a une revalorisation, il est probable d'ailleurs qu'on soit à 2 % de hausse des prix à la fin de l'année, et donc, on s'est dit qu'on allait revaloriser, ça fait 28 € nets par mois pour chaque titulaire du Smic, donc c'est déjà quelque chose.
SALHIA BRAKHLIA
Il y a même effectivement le Smic à 1 426 € nets, on est bien d'accord, c'est une anticipation, ça veut dire qu'il n'y aura rien au mois de janvier ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est une anticipation, tout à fait, mais, par contre, ça ne nous interdit pas, et c'est aussi ce qu'a dit le Premier ministre, hier, de commencer à regarder maintenant très sérieusement la question des bas salaires. On voit bien, et ça a été documenté, qu'on a, au fil des années, constitué des trappes à bas salaires, parce qu'on voulait aussi favoriser le coût du travail. Et très concrètement, aujourd'hui, quand on est au Smic pour un employeur, ça lui coûte 500 euros quand il veut augmenter quelqu'un au Smic de 100 euros.
SALHIA BRAKHLIA
En charges…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Donc ça, c'est en charges…
JEROME CHAPUIS
On va en parler, mais pour terminer sur le Smic, on est très loin des 200 euros promis par le Nouveau Front Populaire, on ne pouvait pas aller plus loin ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, parce qu'il faut… non, d'abord, parce qu'il faut… le vrai sujet, c'est la question des trappes à bas salaires. Le sujet aujourd'hui, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui sont scotchés au Smic à vie…
SALHIA BRAKHLIA
La Smicardisation…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
La Smicardisation. Le Smic, ça doit être un salaire d'entrée, mais certainement pas un Smic à vie. Le sujet, c'est le temps partiel subi également, qui concerne 80 % des femmes qui sont… voilà, c'est ça, ces sujets-là. Et donc, moi, je pense que c'est ces sujets-là qu'il faut remettre, là, pour redynamiser les négociations salariales au niveau des branches et au niveau des entreprises.
JEROME CHAPUIS
Vous dites que ça coûte trop cher, en fait, pour l'employeur d'augmenter les salariés à partir d'un certain niveau. Ça veut dire quoi ? ça veut dire que vous préparez un big-bang des allègements de charges ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Il y a un rapport qui va être rendu jeudi, qui, à la demande de la Première ministre Elisabeth BORNE, qui, à l'époque, avait demandé justement de regarder les implications de ces allègements de charges qui avaient été construits au fur et à mesure, pour voir comment on construit aujourd'hui des bas salaires, et puis, surtout des effets de seuil majeurs, notamment celui-ci, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune incitation et pour le travailleur de se former ou d'accepter une promotion, et pour l'employeur, de vouloir progresser dans la grille salariale.
SALHIA BRAKHLIA
Mais vous entendez aussi ce que disent déjà les syndicats, ils disent que les employeurs sont biberonnés aux aides publiques, et donc, dans ces cas-là, est ce que l'objectif dans les futurs mois, les futures semaines, ce sera de diminuer l'aide de l'État ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est ce qu'on va regarder justement. Après, il faut faire attention à des mesures trop brusques, parce qu'il ne faut pas non plus pénaliser l'emploi. Mais c'est ce qu'on va précisément regarder sans aucun tabou, c'est-à-dire à la fois, les trappes à bas salaires sur les très bas salaires, et puis, un lissage pour éviter ces effets de seuil qui fait que, voilà, à 1,6 Smic, eh bien, vous n'avez tout simplement pas intérêt, et en tant que salarié, sur votre salaire net, et en tant qu'employeur à augmenter. Il y a un autre sujet aussi, c'est-à-dire que comme on indexe le Smic, et c'est une bonne chose, sur l'inflation, il y a un vrai tassement de la grille des salaires vers le bas, et donc vous arrivez à des à des classifications, je veux dire, moi, je me rappelle encore de cette discussion que j'avais eue il y a un an sur la question des aides à domicile, en Loire-Atlantique, où, quand vous êtes aide-ménagère et que vous devenez auxiliaire de vie, donc après une formation, le gain, il n'est que de 7,55 euros bruts par mois. Donc c'est aussi ces sujets-là qu'il faut regarder. Et quand on voit que 65 % de nos branches n'ont pas retoiletté leur classification depuis cinq ans, ce sont des choses qu'il faut regarder, parce que ça participe de la progressivité en plus de cette dynamisation…
SALHIA BRAKHLIA
Mais alors comment on fait ça, comment on met la pression justement aux employeurs pour qu'ils mettent un coup de pouce sur les revalorisations salariales ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Eh bien, il y a des pressions qui sont aujourd'hui dans les mains, aujourd'hui, notamment sur le sujet des minimas conventionnels, où on a une quinzaine de branches aujourd'hui qui ont un certain nombre de minima conventionnels en dessous du Smic, moi, je vais…
JEROME CHAPUIS
Ça fait des mois qu'on en parle de ça…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Eh bien, moi, je suis nommée depuis une semaine, et je vous annonce que je vais regarder la chose très sérieusement et les convoquer avec la Direction générale du travail pour regarder ça, et les inciter à maintenant avancer très, très sérieusement sur cette question. Parce que les choses ont tardé.
JEROME CHAPUIS
Pour revenir sur les trappes à bas salaires, beaucoup de nos auditeurs, qui nous écoutent, là, qui sont autour de 2.000 €, se disent : très bien, mais quand, quand, et dans quel cadre est-ce que vous allez prendre cette décision ? Est-ce que c'est par exemple dans le cadre du prochain budget de la Sécu où on va regarder…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, mais moi, j'aimerais qu'on avance avec… enfin, le Premier ministre aussi, et puis, c'est aussi un sujet de comptes publics et de finances publiques, mais j'aimerais qu'on avance assez rapidement pour pouvoir prendre en compte les recommandations de ce rapport Bozio-Wasmer dans les comptes, pour qu'il y ait des impacts…
JEROME CHAPUIS
… C'est cet automne en fait que les décisions seront prises ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est cet automne, et c'est d'ailleurs pour cela, pour préparer la déclaration de politique générale, le Premier ministre et moi-même avons rencontré chacun des syndicats et des organisations patronales. Et moi, dès demain, je vais revoir les organisations patronales et syndicales pour faire le suivi, notamment sur la question des bas salaires, mais pas simplement.
SALHIA BRAKHLIA
Justement, dialogue, écoute, respect a dit à de multiples reprises le Premier ministre hier. Les liens se sont parfois distendus avec les partenaires sociaux. C'est ce que vous avez déploré, vous, pendant la passation. C'est un reproche en creux à la méthode jupitérienne d'Emmanuel MACRON où le dialogue social, en fait, n'a pas fonctionné ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, je crois que le dialogue social, que l'écoute, la cohésion sociale, c'est à la fois un facteur de compétitivité des entreprises et c'est un facteur d'engagement, de fierté et de reconnaissance des salariés. Je le dis aussi en tant que femme d'entreprise que j'ai été jusqu'il y a encore quelques années. Donc moi, je crois au dialogue social, et c'est vrai, objectivement, que sur les différentes questions, que ce soit la réforme de l'assurance-chômage, que ce soit le débat des retraites ou autres…
JEROME CHAPUIS
Mais les salaires dont on parlait à l'instant, il y aura une conférence sur les salaires par exemple ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, j'aimerais qu'on mette ce sujet sur la table, effectivement, conférence sur les salaires, pour pouvoir… mais, mais il y a déjà des choses sur lesquelles on peut avancer rapidement. C'est-à-dire qu'avant d'attendre la conférence sur les salaires, il y a peut-être des choses qu'on peut déjà ajuster lors des discussions budgétaires.
SALHIA BRAKHLIA
Alors reprendre le dialogue aussi sur la réforme des retraites, c'est ce qu'a promis Michel BARNIER. Reprendre le dialogue avec les partenaires sociaux. Mais pour parler de quoi ? De l'âge de départ à 64 ans ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, ça…
SALHIA BRAKHLIA
Parce que vous savez ce qu'ils veulent, les syndicats…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Qu'est-ce que nous a dit le débat sur les retraites, d'abord, c'est qu'il y a des sujets d'anxiété, du travail ici et maintenant. C'est la question de la place des seniors. C'est vrai que de dire qu'on allonge de deux années, pour des questions d'équilibre des régimes par répartition absolument indispensable que le Premier ministre a rappelé hier, c'est anxiogène, quand on a le sentiment, et c'est vrai, depuis 40 ans, 50 ans dans notre pays, que passé 50 ans, passé 55 ans, on n'a plus tout à fait sa place dans le monde du travail. Qu'est-ce que nous ont dit aussi les débats sur les retraites ? C'est la question de la pénibilité. Moi, il y a un rapport de France Stratégie qui est sorti au printemps dernier, qui a dit quand même quelque chose de très révélateur, c'est qu'un tiers des personnes qui sont aujourd'hui entre 51 et 59 ans exercent des métiers qu'on dit pénibles, et qu'il y a aujourd'hui presque un tiers des ouvriers dans la manutention et dans le BTP qui partent pour des raisons de santé et d'inaptitude professionnelle entre 51 à 59 ans, 25 % des auxiliaires de vie contre 5 %…
SALHIA BRAKHLIA
Donc il est question de parler de la pénibilité, du travail des seniors…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Contre 5 % dans les banques et les assurances, voilà, ça, ce sont des sujets. Et puis, il y a la question des femmes, effectivement, qui, pour des raisons de carrières hachées, j'ai parlé du temps partiel, ont aussi des sujets d'anxiété. Et donc, c'est ces sujets que le Premier ministre a souhaités, suite aux différentes consultations que nous avons eues, revoir, mais dans le contexte très contraint…
SALHIA BRAKHLIA
Mais ils vous ont dit quoi, du coup, les syndicats, ils vous ont dit : oui, on reviendra autour de la table, même si on ne parle pas des 64 ans ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Dans le contexte très contraint des finances publiques que nous connaissons. Voyons, voyons si on peut, sur ces sujets-là, améliorer les choses. Moi, je pense que c'est extrêmement important. D'où la volonté, et c'est ce qui a été annoncé par le Premier ministre hier, de remettre aussi sur la table la question de la négociation des seniors au travail.
JEROME CHAPUIS
Mais, ce que vont vous dire, les partenaires sociaux, c'est que tout ce que vous nous dites, là, la pénibilité, les carrières des femmes, les carrières longues, tout ça, c'est important, mais c'est à la marge par rapport à la question des 64 ans.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, je ne sais pas, moi, j'ai envie de les… moi, je les revois à partir de demain suite à la déclaration de la politique générale. Donc je verrai ce qu'ils me disent. Mais moi, j'ai envie de remettre sur la table, comme ça a été dit hier, dans la déclaration politique générale, la question de l'assurance-chômage, la question des seniors, la question des retraites progressives. Il y a moins de 1 % des gens dans notre pays qui bénéficient de retraites progressives quand c'est quelque chose de beaucoup plus important dans les pays du Nord, qui, justement, ont réussi le défi du travail des seniors. Voilà les sujets dont on doit regarder…
SALHIA BRAKHLIA
Donc pas question de toucher aux 64 ans, la durée de cotisations, c'est ce que vous nous dites aujourd'hui. Pourtant, vous le savez, le RN, comme la gauche, ont prévu de déposer des textes pour abroger la réforme des retraites. Vu l'état des forces à l'Assemblée, ça va arriver tôt ou tard ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, j'ai envie de travailler sur le dialogue social, voyez. Donc, moi, j'ai envie de regarder d'abord les organisations syndicales, les organisations patronales, pour voir comment avancer. Parce que les propositions de loi, il faut aussi regarder le cheminement, le passage au Sénat. Moi…
SALHIA BRAKHLIA
Vous n'y croyez pas, vous, à l'abrogation ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, je veux d'abord regarder les changements ici et maintenant. Si on peut améliorer l'insertion professionnelle des seniors, qu'ils puissent rester et se maintenir en emploi en bonne santé, regarder le sujet des carrières pénibles, eh bien, moi, je suis preneuse et je ferai tout pour pouvoir aider à avoir un accord et un compromis.
JEROME CHAPUIS
Pardon d'insister, mais vous l'avez forcément en tête ce scénario où, au bout du compte, puisque c'est l'Assemblée nationale qui a le dernier mot et qui a actuellement probablement une majorité de députés qui pourrait voter cette abrogation de la retraite à 64 ans. Qu'est-ce que vous faites dans ce cas ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est une proposition de loi, donc elle doit aussi suivre le cheminement…
JEROME CHAPUIS
Oui, mais précisément, l'aboutissement du cheminement, c'est l'Assemblée qui a le dernier mot.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, mais enfin, elle doit quand même…
SALHIA BRAKHLIA
Et le Sénat est de droite…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Voilà, et puis, il ne faut pas oublier non plus que dans la réforme qui a été votée, il y a aussi des améliorations sur les petites retraites, parce qu'on parle beaucoup de… mais parlons-en aussi, des plus de 50 euros pour les petites retraites, qui se sont vus dès septembre dernier.
SALHIA BRAKHLIA
Autre sujet d'importance pour ceux qui nous écoutent, la réforme de l'assurance-chômage, qui était prévue avant la dissolution, et qui visait à resserrer les critères d'accès à l'indemnisation. Elle est morte et enterrée, ou alors, elle est encore sur la table ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ce que le Premier ministre a dit, c'est qu'il souhaite rouvrir la négociation. Et ce serait plutôt sur la base de l'accord de novembre 2023…
SALHIA BRAKHLIA
Entre les partenaires sociaux…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Qui avait été voté, accepté, signé par trois des organisations syndicales et par le patronat. Et de voir comment est-ce qu'on peut avancer là-dessus, sachant qu'il faut qu'en parallèle et en complément, on travaille sur la question du travail des seniors, et également, de l'aménagement des retraites.
SALHIA BRAKHLIA
Donc on l'oublie, le…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
A moins que…
SALHIA BRAKHLIA
On oublie ce qui était prévu avant la dissolution…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
… ait envie d'y revenir. Mais en tout cas, la base de travail, ce sera celle qui avait eu l'agrément le plus large de la part des partenaires sociaux.
SALHIA BRAKHLIA
Vous nous dites l'importance, c'est le travail des seniors, puisqu'effectivement, on rame à ce sujet. Comment vous, vous voulez inciter les employeurs à garder les seniors en emploi et même à les recruter ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, eh bien, alors, d'abord, ce n'est pas une fatalité…
SALHIA BRAKHLIA
… Vous avez parlé d'un CDI senior par exemple.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, ce n'est pas une fatalité. La Finlande, la Suède, la Norvège ont réussi le pari il y a 20 ans et ont maintenant des taux d'activité deux fois supérieurs aux nôtres sur les seniors, en particulier de 60 à 64 ans. Il faut mettre tout sur la table. Il y a la question des retraites progressives, il y a la question des CDI seniors, il y a la question en fait de la capacité à anticiper en milieu de carrière pour que tous se disent : comment je me projette dans ma deuxième partie de carrière. Il y a la question des reconversions professionnelle, il y a la question de la formation professionnelle. Quand on a plus de 55 ans, on a deux fois moins de chance d'avoir une formation que quand on est plus jeune. Il y a la question, mais il faudra en parler, des discriminations, quand vous avez plus de 55 ans dans notre pays, vous avez trois fois moins de chances d'être convoqué à un entretien d'embauche…
SALHIA BRAKHLIA
Donc il y a un travail à faire auprès des employeurs aussi…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Donc il y a un travail des employeurs, et des employés, un travail majeur, renforcer peut-être aussi la négociation pour que ce sujet arrive sur la table chaque année dans les entreprises, pour que ce soit suivi, parce que ça doit être un sujet majeur, comme ça l'a été dans les pays du Nord qui ont réussi à faire face à ce défi.
JEROME CHAPUIS
Astrid PANOSYAN-BOUVET, la nouvelle ministre du Travail et de l'Emploi est avec nous jusqu'à 9h sur France Info.
/// Fil Info ///
JEROME CHAPUIS
Et Astrid PANOSYAN-BOUVET, ministre du Travail et de l'Emploi dans ce Gouvernement de Michel BARNIER, le Premier ministre, qui a donc fait cette déclaration de politique générale, hier, à l'Assemblée. Vous étiez présente. « Faire beaucoup avec peu », c'est son message. Il a cité le général De GAULLE. Il y a les impôts, mais les deux tiers de l'effort budgétaire en 2025 se passeront par des baisses de dépenses. Est-ce que ça veut dire que le budget de vos services, ministère du Travail, mission sur l'emploi, va baisser ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui. Je pense que tous les tous les ministères doivent contribuer à l'effort, à l'exception de ceux qui sont sanctuarisés par des lois de programmation notamment les ministères régaliens qui avaient besoin d'un vrai effort de rattrapage. Donc l'emploi-formation sera aussi touchée par cette… enfin, devra participer. Mais il faut mettre les choses en perspective. Quand je suis arrivé au ministère et du coup, j'ai regardé un petit peu l'historique des budgets. En 2019, on était à 12 milliards d'euros de budget ; emploi-formation ; on est, aujourd'hui, à 20 milliards de budget. Donc ça veut dire que c'est une augmentation de 65% qui s'est vu…
JEROME CHAPUIS
Pour donner d'ailleurs un ordre de grandeur. On parle beaucoup du budget de la Justice en ce moment, c'est 10 milliards.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Voilà. Et donc, en 2019, le budget emploi-formation représentait presque 2,5 % du budget total. Aujourd'hui, on parle de 5 % du budget total. Donc il y a quand même eu un effort considérable. Et je pense que, vu l'état, aujourd'hui, des finances publiques et de l'urgence de retrouver une trajectoire saine, eh bien, chacun doit participer. Et je crois qu'il y a vraiment les moyens de participer sans toucher à la dynamique positive que l'on a vue depuis ces dernières années.
JEROME CHAPUIS
…ces personnes qui travaillent pour ces missions dans vos services ; quand ces personnes vous écoutent, elles doivent se dire « la ministre ne nous défend pas là. »
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, moi, je veux qu'on arrête de se dire qu'un bon ministre, c'est un ministre qui se définit par la hausse de ses crédits ou par une loi qui porte son nom. Je pense qu'un bon ministre, c'est les résultats. Non, mais je vous le dis en plus, avec beaucoup d'unité…
SALHIA BRAKHLIA
Mais l'argent ça compte, surtout en ce moment.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais donc les résultats, c'est-à-dire de pouvoir continuer. Et moi, j'ai vraiment deux batailles qui est de continuer l'insertion professionnelle des jeunes parce qu'on a un taux d'activité des jeunes qui est des plus élevés depuis les années 80…
SALHIA BRAKHLIA
Mais alors, justement…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais qui reste quand même en deçà de la moyenne européenne…
SALHIA BRAKHLIA
Justement, Astrid PANOSYAN-BOUVET…
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
… et la question des seniors. Je pense qu'on peut faire, comme le disait le Premier ministre, plus avec un petit peu moins.
JEROME CHAPUIS
En l'occurrence, c'est mieux avec moins. C'est ça.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense que c'est possible.
SALHIA BRAKHLIA
Justement, Astrid PANOSYAN-BOUVET, il y a des craintes visiblement dans votre secteur sur les coupes budgétaires à venir. Parmi les pistes envisagées dans la lettre plafonds qui avaient été envoyées il y a quelques semaines, la réduction de la prime à l'embauche des apprentis, notamment pour les niveaux licence et masters dans les entreprises de plus de 250 salariés. Pour le MEDEF, c'est une très, très mauvaise idée. Ecoutez Patrick MARTIN.
PATRICK MARTIN, PRESIDENT DU MEDEF
C'est formidable, dans ce pays, qu'on remette en cause les dispositifs qui marchent. On avait 350 000 apprentis il y a cinq ans, on en a 1 million maintenant. Je cite un chiffre ; là aussi. Il y a 30% des apprentis dans les grandes entreprises et à ce niveau de formation, licence et plus, qui disent qu'ils n'auraient pas poursuivi leurs études s'il n'y avait pas eu les aides à l'apprentissage. Et j'ajoute que les entreprises paient les apprentis, forment les apprentis.
SALHIA BRAKHLIA
Vous le rassurez, ce matin, Patrick MARTIN ? Il n'y aura pas de coupe chez les apprentis ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, il n'y aura pas de… Il y aura des ajustements de la prime à l'apprentissage. Ça, il faut quand même…
SALHIA BRAKHLIA
C'est une coupe ? Une baisse ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Parce que ça représente 14 milliards du budget sur les 20… enfin 4 milliards, les primes à l'apprentissage. Par contre, moi, je suis très sensible à ce que dit Patrick MARTIN, qui est que d'abord, la révolution culturelle à l'apprentissage, on disait que ça marche en Suisse, ça marche en Allemagne, pourquoi pas chez nous ? Et je suis sensible aussi au fait qu'il faut éviter les fausses bonnes réponses, notamment sur couper les apprentis de Master 2. Parce que précisément, ça a, à la fois, permis à certaines personnes et à un tiers des étudiants d'accéder à ce niveau d'études grâce à l'apprentissage. Et ça a permis à beaucoup d'entreprises, notamment les TPE et les PME, de pouvoir recruter ce type de profils et donc d'augmenter le niveau de qualité de l'emploi pour tous. Donc moi, je serai extrêmement rigoureuse et précise sur les ajustements à faire pour éviter les effets de bord.
JEROME CHAPUIS
Il y a un sujet très grand public qui n'a pas été abordé par Michel BARNIER hier, qui avait été évoqué par le Gouvernement précédent la semaine différenciée, la semaine en quatre jours, qui doit pouvoir… qui doit permettre, par exemple, aux parents divorcés de travailler moins la semaine où ils ont la charge de leurs enfants. C'est encore sur la table ou pas ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, je sais qu'il y a une mission d'évaluation par mon ancien collègue de la commission des affaires sociales, Stéphane VIRY, là-dessus parce qu'il y a la semaine de quatre jours, en quatre jours, sur quatre jours, il y a plein de variantes. Donc, mettons les choses sur la table. Après, moi, je souhaite que ça ne cache pas… que ce ne soit pas l'arbre qui cache la forêt sur la question de l'organisation du travail. Et moi, je souhaiterais… Ça, c'est… pourquoi pas à l'image de ce qu'avait proposé Jean-Dominique SENARD, le patron de RENAULT, et Sophie THIERY, qui préside la commission Travail et Emploi du CESE, de proposer, pourquoi pas une COP Travail pour pouvoir précisément réfléchir sur ces sujets. Mais si on devait avancer, moi, il y a une chose sur laquelle je suis certaine, c'est qu'il ne faut pas une loi uniforme. Ce sont vraiment des choses qui doivent se décider et avancer au niveau des entreprises et par branche, au plus près de la réalité des entreprises.
SALHIA BRAKHLIA
Donc, permettre aux entreprises de basculer dans la semaine différenciée ou la semaine de quatre jours pour qu'elle soit beaucoup plus libre d'organiser le travail. Un autre sujet qui n'a pas été abordé effectivement par le Premier ministre ; vu le contexte des finances publiques, du côté de la Sécurité sociale, on cherche aussi des économies du côté des arrêts de travail notamment, car leur coût a explosé : 7 milliards d'euros…
JEROME CHAPUIS
16.
SALHIA BRAKHLIA
16 milliards, pardon, d'euros par an. Comment vous l'expliquez d'abord ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Plusieurs choses. Il y a, à la fois, le vieillissement de la population ; il y a un sujet autour de la santé au travail et il y a peut-être un sujet d'abus et d'aléa moral donc il faut regarder…
JEROME CHAPUIS
D'aléa moral ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
D'aléa moral, c'est-à-dire que ça devient plus facile parce que ça a vraiment augmenté post-Covid.
SALHIA BRAKHLIA
C'est quoi ? C'est des abus ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Voilà. Donc, je pense que ça, c'est des sujets qu'il faut regarder parce que ces milliards que vous évoquez, c'est en moins par rapport, à la fois, à la trajectoire des finances publiques et par rapport à ce qu'on pourrait faire sur d'autres sujets de prise en charge, notamment en assurance maladie. Donc, il faut aussi se rendre compte des arbitrages qu'on doit faire.
SALHIA BRAKHLIA
Et donc est-ce qu'il faut réfléchir, mettre sur la table débat sur la réflexion d'ajouter un ou deux jours de carence ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, je suis… Il faut regarder. Il faut regarder. Ça, c'est précisément des choses qu'il faut regarder, parce que là on est sur des dérives qui sont quand même très fortes et qui sont in fine portées, et par les finances publiques, mais aussi par les entreprises. Parce que ces accords, il y a aussi des accords conventionnels. Donc, c'est aussi, derrière, la masse salariale des entreprises qui coûte au détriment - on en a parlé en début - de la capacité à faire progresser les salaires.
JEROME CHAPUIS
Astrid PANOSYAN-BOUVET, c'est une ligne rouge de Michel BARNIER : le racisme, l'antisémitisme. Hier, on l'a entendu, c'est l'un des rares moments d'ailleurs où quasiment tout l'hémicycle a applaudi ; les syndicats et le patronat expliquent assister, aujourd'hui, à une montée dans les entreprises, des actes et des paroles racistes. Comment, à votre niveau, vous comptez vous y prendre, lutter contre ce phénomène ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors moi, je veux d'abord saluer effectivement l'initiative des partenaires sociaux, de remettre la question dans le monde de l'entreprise, du racisme et de l'antisémitisme, parce que, on l'a vu avec les différentes consultations, les partenaires sociaux nous ont dit que la parole s'était vraiment libérée dans le monde de l'entreprise. Parallèlement, on voit qu'il y a encore, et c'est les études qui le montrent, la Défenseure des droits, la DILCRAH, qu'il y a encore des discriminations majeures dans l'accès au travail et dans les formations. 25 % aujourd'hui des demandes qui sont faites à la Défenseure des droits, ça concerne l'emploi, concerne effectivement l'emploi. Comment on agit ? Eh bien il y a un arsenal juridique comme on fait souvent en France, qui est très complet mais qui n'est pas véritablement effectif. Donc moi j'aimerais vraiment regarder ce qui se fait à l'étranger. Je vois qu'aux Pays-Bas, je vois qu'en Grande-Bretagne il y a des choses. On avait parlé, on avait une proposition de loi qui était en cours, qui était sur le testing, mais qui n'était pas…
SALHIA BRAKHLIA
Un testing généralisé.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Généralisé. Mais il y a la capacité à faire et le testing ce n'est pas une fin en soi. La question du testing, c'est après ce qu'on en fait sur le suivi, sur les sanctions, sur la capacité d'amélioration.
JEROME CHAPUIS
Le testing, pour être très clair, c'est on regarde si une entreprise répond de la même manière à une personne selon son origine.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Voilà, exactement, sachant qu'il y a différentes formes de discrimination, là il y a la discrimination sur le sexe, il y a la discrimination sur les origines, il y a la discrimination sur l'âge et donc il y a différentes manières de faire du testing. Il y a aussi, et donc ça c'est des choses qu'il faut faire. Mais encore une fois, le testing ce n'est pas une fin en soi, c'est qu'est-ce qu'on en fait ? Et moi je suis vraiment prête à ouvrir cette discussion, parce que ça fait partie, on ne peut pas parler de promesse républicaine, quand chaque jour on fait appel, on fait face à des discriminations très concrètes dans la vie quotidienne, que ce soit sur le travail, mais que ce soit sur le logement ou en boite de nuit.
SALHIA BRAKHLIA
Astrid PANOSYAN-BOUVET, pour ceux qui ne vous connaissent pas, vous êtes une Marcheuse de la première heure. Vous étiez aux côtés d'Emmanuel MACRON bien avant 2017. Vous avez cofondé En Marche et aujourd'hui, vous faites partie d'un gouvernement dans lequel un ministre macroniste, lui aussi, se fait recadrer par le Premier ministre quand il considère que le RN ne fait pas partie de l'arc républicain. Est-ce que parfois vous êtes mal à l'aise ?
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi je serai toujours très ferme sur la lutte contre les idées du Rassemblement National. Par contre, je veux parler aux électeurs du Rassemblement national. Je veux leur parler parce qu'il y a du ressentiment, il y a un sentiment de déclassement. Et moi, dans le portefeuille ministériel qui est le mien, je pense qu'il y a des choses à faire pour les rassurer et pour leur montrer que les solutions et les réponses proposées par le Rassemblement national ne sont pas les bonnes et sont même contreproductives. Et c'est pour ça que je suis très heureuse que les partenaires sociaux se saisissent par exemple de la question du racisme et de l'antisémitisme dans les entreprises. C'est pour ça que je suis très heureuse qu'on se saisisse enfin de ces sujets d'anxiété qui nourrissent aussi l'électorat du Rassemblement national, quant à la question des salaires, quant à la question des perspectives professionnelles.
JEROME CHAPUIS
Astrid PANOSYAN-BOUVET, ministre du Travail et de l'Emploi, merci d'avoir été avec nous pour cette première interview à la radio depuis votre prise de fonction au ministère du Travail.
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 octobre 2024