Texte intégral
JEFF WITTENBERG
Bonjour monsieur le ministre, Antoine ARMAND. Merci d'être avec nous ce matin.
ANTOINE ARMAND
Bonjour.
JEFF WITTENBERG
Et la première question s'impose, on vient de l'entendre ; est-ce que vous craignez cette dégradation de la note de la France ?
ANTOINE ARMAND
Quand on est ministre de l'Economie et des Finances de la France, on ne fait pas une politique pour des agences de notation, mais on regarde évidemment quel est le climat international et quel regard les instituts portent sur la France. Et ce regard, il est attentif. Pourquoi ? Parce que face à la dette colossale que nous avons, face aux déficits qui continuent de filer, nous devons prendre des mesures. Et c'est exactement pour cela que nous avons présenté hier un budget de redressement.
JEFF WITTENBERG
Donc aussi pour plaire aux marchés, pour faire en sorte que la France, comme on l'a expliqué, emprunte moins cher qu'elle ne le fait aujourd'hui ?
ANTOINE ARMAND
Ce que vous avez expliqué ce matin est absolument central. Aujourd'hui, sur 8 euros de budget, 1 euros va directement et uniquement au remboursement de notre dette. Et en 2027, cette charge de la dette, ça pourrait être le premier poste budget de l'Etat. Autrement dit, on pourrait se retrouver à dépenser plus d'argent pour rembourser les intérêts plutôt que pour la sécurité, la justice, l'éducation. C'est pour cela, Jeff WITTENBERG, qu'il faut absolument reprendre le contrôle de notre dette et de nos déficits, pour mieux financer nos services publics, pour rester libres de nos choix.
JEFF WITTENBERG
Mais vous savez, Antoine ARMAND, la question que beaucoup de Français se posent, y compris parmi vos électeurs, c'est comment on en est arrivé là ? Et pourquoi n'a-t-on pas tiré la sonnette d'alarme plus tôt ? Pourquoi c'est dans ce budget qu'on réalise à quel point la situation est grave ?
ANTOINE ARMAND
C'est une question cruciale et ce n'est pas une question simple. D'abord, il faut rappeler à nos téléspectateurs que cela fait 50 ans qu'en France, on n'équilibre pas un budget ; 50 ans. Ça fait presque 40 ans que la dépense publique augmente chaque année par rapport au produit intérieur brut.
JEFF WITTENBERG
Y compris donc pendant les 7 ans du gouvernement MACRON.
ANTOINE ARMAND
Des gouvernements ont fait des efforts, y compris notamment entre 2017 et 2019. Et puis, que s'est-il passé ? Nous avons vécu des crises financières, une pandémie mondiale, une crise énergétique, une guerre aux portes de l'Europe. Et face à ces crises, on a protégé les Français. Ça aussi, ça a un coût. C'est une bonne raison de dépenser, certes, mais cela a un coût. Et aujourd'hui, nous avons une dette de plus de 3 000 milliards d'euros qui nous place parmi les pays les plus endettés de l'Europe. Donc il faut agir et d'abord… d'abord par la dépense publique.
JEFF WITTENBERG
Et quelle est la différence entre un budget d'austérité - puisque vous refusez de prononcer ce nom, même de rigueur - et celui que vous avez présenté hier donc, qui comporte 60 milliards d'économies, c'est-à-dire plus de coupes budgétaires qu'il n'y a eu depuis dix ans notamment ?
ANTOINE ARMAND
J'étais, lundi et mardi, avec mes homologues européens à l'Eurogroupe et à l'ECOFIN. J'ai rencontré des représentants de pays qui ont fait des budgets d'austérité. Vous savez ce que c'est un budget d'austérité ? C'est un budget dans lequel on coupe les salaires des fonctionnaires de 25%. C'est un budget…
JEFF WITTENBERG
Là, vous voulez supprimer des postes notamment dans l'éducation nationale.
ANTOINE ARMAND
Mais ce n'est pas comparable. Ce n'est pas comparable de baisser les salaires de l'ensemble des fonctionnaires comme cela a été fait dans certains pays et de dire " oui, nous n'allons pas embaucher plus de fonctionnaires " alors qu'on essaye de faire des économies. Mais c'est un budget de redressement. Pourquoi ? Parce que nous allons stabiliser, baisser la dépense de 40 milliards d'euros. Pourquoi ? Pour se redonner de l'air. Chacun, aujourd'hui… Vous savez, moi, je suis frappé… Je suis élu en Haute-Savoie. Chacun a conscience que nous dépensons trop et qu'il faut dépenser mieux. C'est ce bon sens-là qui doit nous guider.
JEFF WITTENBERG
Vous allez baisser les dépenses. Vous allez aussi augmenter les recettes, notamment à travers une contribution exceptionnelle des 65 000 foyers les plus riches, ce dont… le couple, par exemple, gagne plus de 500 000 euros par an. Certains disent que c'est un impôt sur la fortune, un ISF qui revient de façon déguisée. Qu'est-ce que vous répondez ?
ANTOINE ARMAND
Merci pour cette question, parce que c'est un sujet de préoccupation. D'abord dire que ce sera une contribution qui sera bornée dans le temps.
JEFF WITTENBERG
On en est sûr ? Quelle est la garantie que ce ne sera pas pérenne ?
ANTOINE ARMAND
Ensuite, on l'inscrira aussi dans la loi et elle pourra, cette loi, être changée chaque année. C'est le principe d'un budget. Mais cela concernera, en effet, 65 000 environ contribuables. L'idée est la suivante : quand vous êtes un couple sans enfants qui gagne plus de 500 000 euros par an, eh bien, si vous payez beaucoup moins d'impôts en pourcentage, que quelqu'un qui gagne 3 ou 4 000 euros par mois, on considère que pour l'équité de notre système, il faut - parce que vous êtes fortunés - payer un peu plus. Mais cela n'a rien à voir avec l'ISF qui est fondé sur le patrimoine.
JEFF WITTENBERG
Vous êtes un ministre et un ancien député macroniste. Si vous acceptez encore cette acception… Parce que certains, aujourd'hui, disent " on n'est pas macroniste, on est autre chose " ; mais enfin, je pense que vous, vous l'êtes encore. Comment vous recevez les critiques qui, notamment sur la partie qui concerne les entreprises et qui va demander plus d'efforts à ces entreprises ? Alors, il y a les 400 plus grosses, mais il y a aussi la baisse des allégements de charges. Tout le monde dit, dans ces milieux-là, que ça va freiner la croissance, que ça va freiner l'emploi. Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
ANTOINE ARMAND
Je suis élu député en 2022, réélu en 2024, sous la bannière du groupe Ensemble pour la République, sous la présidence de Gabriel ATTAL. Donc, j'ai dans mon ADN politique, le soutien à l'emploi, le soutien à la croissance et cette idée que la politique de l'offre crée des emplois. Donc j'y suis résolu. Ce que je constate, c'est que nous avons, au jour d'aujourd'hui, besoin d'une forme de contribution exceptionnelle des très grandes entreprises pour boucler le budget. Et je constate que ces grandes entreprises s'y sont montrées prêtes. Donc, on n'a pas besoin de créer d'oppositions factices. La situation…
JEFF WITTENBERG
Il n'y a pas que les grandes, il y a des petites aussi, il y a toutes les moyennes qui vont avoir moins de, par exemple d'abattement, plus de cotisations salariales à payer. Cela va avoir un effet sur l'emploi, dit le patronat notamment.
ANTOINE ARMAND
Je comprends ces inquiétudes. On mesure l'effort qui est demandé. Et je le dis très humblement, ce texte, il est perfectible. On a un débat parlementaire pour le faire évoluer. Et je l'ai dit aussi, je m'y engage personnellement. Chaque proposition qui permettra de retirer 1 euro de fiscalité et d'ajouter 1 euro d'économie de dépenses, non seulement examinera, mais on la retiendra à chaque fois que c'est possible. Parce qu'on partage le même objectif : réduire les comptes, baisser la dépense avant tout.
JEFF WITTENBERG
Comment vous vivez politiquement alors ce grand écart entre votre identité Ensemble pour la République, vous le rappeliez, et votre loyauté à Michel BARNIER, votre patron, votre Premier ministre, alors que les critiques viennent de votre propre camp, notamment sur cette hausse des impôts qui, pour certains, font estimer que la politique pro-business est révolue et que le chômage pourrait augmenter à cause de cette hausse d'impôts ?
ANTOINE ARMAND
A nouveau, la situation est trop grave pour chercher des oppositions là où il n'y en a pas vraiment. Gabriel ATTAL et Michel BARNIER partagent les mêmes objectifs : redresser les comptes et soutenir la croissance. Ensuite, vous le dites, il y a des discussions. On a des discussions sur les modalités. Quelles contributions exceptionnelles ? Jusqu'à quand ? Est-ce qu'on peut les réduire ? C'est ça, en démocratie, le débat parlementaire Le président du groupe Ensemble pour la République, Gabriel ATTAL, y contribue. Et je vais vous le dire, tant mieux. Parce que si on arrive à trouver des solutions pour augmenter moins les contributions exceptionnelles et baisser plus la dépense, le ministre de l'Economie, de l'Economie du quotidien que je suis, sera le premier ravi et je suis le premier à soutenir cette réflexion.
JEFF WITTENBERG
Vous parliez donc d'un budget perfectible. Cela veut dire que ces hausses d'impôts, par exemple, qui sont aujourd'hui dans le texte initial, elles pourraient être revues à la baisse, si j'ose dire ?
ANTOINE ARMAND
Notre ambition, notre objectif cardinal pour rester crédible, c'est d'atteindre 5% de déficit en 2025. Si on l'atteint par plus d'économies et par moins d'impôts, si on arrive à mettre sur la table des économies supplémentaires mais qui seront difficiles… Je le dis parce que, vous savez, on parle parfois d'économies, comme ça, en l'air. Mais derrière les économies, il y a du service public, il y a des agents publics. Donc chaque économie est difficile. Et je ne suis pas venu, ce matin, devant vous, pour vous dire qu'on va, à la fois, réduire nos comptes et le faire de manière simple et par plaisir ; ce sera difficile. Et je crois que dire la vérité, c'est le mantra, c'est la méthode de Michel BARNIER. C'est évidemment la mienne aussi.
JEFF WITTENBERG
Antoine ARMAND, est-ce que, dans les améliorations possibles, vous êtes prêts à revenir sur le report de la revalorisation des retraites ? Vous savez que ça passe très mal auprès des retraités. Elle devait intervenir, cette revalorisation, le 1er janvier ; ce serait le 1?? juillet dans votre budget. Est-ce que c'est gravé dans le marbre ?
ANTOINE ARMAND
Je suis extrêmement sensible à la situation des retraités, du niveau de vie. C'est pour cela que nous avons revalorisé, l'année dernière, de plus de 5% les pensions de retraite, que nous avons augmenté de 100 euros le minimum contributif, et que nous explorerons à nouveau les pensions de retraite.
JEFF WITTENBERG
Avec six mois de décalage ?
ANTOINE ARMAND
Maintenant, il faut voir le contexte. Le contexte, c'est un effort qui est demandé à l'ensemble de la population, l'ensemble des sphères, des actifs, des plus jeunes, des plus seniors. Donc, il est important qu'on puisse envisager la contribution de chacun. Est-ce que ce texte est perfectible ? Oui. Est-ce qu'on trouvera des compromis nouveaux qui pourront faire évoluer ce point-là pour protéger encore nos retraités dans le débat parlementaire ? Peut-être, sûrement. Mais, à nouveau, gardons l'esprit de responsabilité. Ce qu'il nous faut, c'est réduire nos déficits.
JEFF WITTENBERG
C'est donc le débat budgétaire qui le dira, qui va commencer dans quelques jours. Merci beaucoup Antoine ARMAND…
ANTOINE ARMAND
Merci à vous.
JEFF WITTENBERG
…Ministre de l'Economie et des Finances, d'avoir été invité ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 octobre 2024