Déclaration de M. Laurent Saint-Martin, ministre, chargé du budget et des comptes publics, sur la croissance de la dette publique de la France, au Sénat le 8 octobre 2024.

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Circonstance : Débat organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste, sur la croissance de la dette publique de la France, au Sénat

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste, sur la croissance de la dette publique de la France.

Dans le débat, la parole est tout d'abord à M. Albéric de Montgolfier, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Daniel Fargeot et Franck Menonville applaudissent également.)

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre chargé du budget et des comptes publics, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat pour cette première prise de parole. (M. François Patriat applaudit.)

M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier d'avoir organisé ce débat sur la croissance de la dette. Par la même occasion, je salue l'ensemble des auteurs du rapport d'information relatif à la question, à commencer par vous-même, monsieur de Montgolfier.

Il s'agit là d'un débat important, auquel le Sénat est davantage habitué que l'Assemblée nationale – vous le soulignez avec raison. C'est précisément pourquoi, quand j'étais député, j'ai souhaité qu'un débat relatif à la dette publique se tienne chaque année, sans exception, à la Chambre basse. C'est la proposition de loi organique relative à la gestion des finances publiques, texte coécrit avec Claude Raynal et Jean-François Husson, qui nous a permis de le faire. Ce débat aura lieu la semaine prochaine à l'Assemblée nationale.

De même, vous avez raison de relever que le sujet est au cœur de l'actualité ; il vaut néanmoins en tout temps, qu'il s'agisse de la dette de l'État ou de la dette publique dans son ensemble, toutes administrations confondues. C'est là un sujet crucial pour l'ensemble de nos concitoyens. L'enjeu, c'est non seulement la soutenabilité, mais aussi, et surtout, la souveraineté de la France.

Le moment retenu est particulièrement opportun pour en parler. Dans deux jours, le Gouvernement présentera au Parlement le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025.

La situation de nos finances publiques est désormais connue. Elle nous impose une véritable gravité, que l'on ne saurait confondre avec de l'anxiété. Je l'ai toutefois précisé : en l'état actuel des choses, notre déficit public risque de dépasser 6 % du produit intérieur brut en 2024. Si nous ne faisons rien, la dynamique spontanée de la dépense publique pourrait porter ce même déficit au-delà de 7 % en 2025.

Nous devons tout faire pour l'éviter. À ce titre, je ne vais pas répéter les chiffres que vous venez de citer ; je centrerai mon propos sur l'origine de notre endettement actuel, peut-être avec une lecture quelque peu différente de la vôtre,…

M. François Patriat. Heureusement !

M. Laurent Saint-Martin, ministre. … le rétablissement des finances publiques étant évidemment une priorité.

Vous connaissez l'objectif retenu par le Gouvernement. Le Premier ministre l'a présenté et j'ai pris soin de le répéter : contenir le déficit à hauteur de 5 % en 2025, c'est-à-dire deux points en deçà des 7 % auxquels conduirait la tendance actuelle. Cet effort représente 60 milliards d'euros. Nous aurons l'occasion d'y revenir : ce quantum d'effort sur les finances publiques est absolument historique.

Vous connaissez également notre méthode. Comme annoncé, l'effort doit être réparti entre 40 milliards d'euros de baisse de la dépense publique et 20 milliards d'euros de contributions temporaires, ciblées et exceptionnelles.

C'est un effort exigeant, dont l'ampleur est à la mesure de la situation. Vous l'avez dit : notre pays a accumulé une dette qui s'élève désormais à 3 200 milliards d'euros, représentant 112 % de notre PIB au deuxième trimestre de 2024.

En l'état, la charge de la dette atteindrait 54 milliards d'euros l'année prochaine. Vous relevez que cette somme équivaut au budget de l'éducation nationale ; on peut également souligner qu'elle dépasse le budget des armées – ce sont là des ordres de grandeur qui parlent à beaucoup de nos concitoyens. On mesure, grâce à de telles comparaisons, à quel point le service de la dette est un poste budgétaire prioritaire. C'est là autant d'argent que nous ne plaçons pas dans les services publics, que nous n'employons pas au service de nos concitoyens.

M. Michel Savin. Eh oui !

M. Laurent Saint-Martin, ministre. J'y insiste : derrière ces chiffres, il y a à la fois un enjeu de soutenabilité et un enjeu de souveraineté.

Il y a un enjeu de soutenabilité, d'abord, parce que la donne a changé. L'alourdissement de la charge de la dette s'explique moins par l'augmentation de l'endettement que par la forte hausse des taux d'intérêt.

En 2020, nous pouvions emprunter à des taux négatifs. J'étais alors rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, et vous-même, monsieur de Montgolfier, étiez mon homologue au Sénat. On payait la France pour qu'elle emprunte sur les marchés… C'était une autre époque ; ce temps est à la fois bien proche et bien loin.

M. Michel Savin. Ah !

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Aujourd'hui, les taux d'intérêt ayant remonté, la donne a complètement changé. À l'époque, le taux d'intérêt des bons du Trésor était d'environ - 0,45 % ; il avoisine désormais les 3 %.

Cette évolution résulte, d'une part, des mesures décidées par la Banque centrale européenne pour lutter contre l'inflation et, d'autre part, des différentes crises que nous avons connues, notamment la crise inflationniste.

Ne nous y trompons pas : cette évolution résulte également d'une dégradation de la signature France. En témoigne le nouveau creusement de l'écart de taux d'emprunt entre l'Allemagne et la France : cet écart est passé de 0,5 % au début de l'année 2024 à environ 0,8 % aujourd'hui.

En d'autres termes, si nous ne redressons pas rapidement la barre, nous nous exposons à un risque réel : que nous financions notre dette de plus en plus chèrement. Or imaginons que se produise, demain, un choc des taux de l'ordre de 1 % : combien coûterait-il à nos finances publiques ? La réponse est assez simple : la charge de la dette augmenterait d'environ 3,2 milliards d'euros la première année, de 20 milliards d'euros à l'horizon de cinq ans et de 33 milliards d'euros à l'horizon de neuf ans. Ces ordres de grandeur doivent nous en convaincre collectivement : nous ne pouvons pas courir un tel risque.

En effet, il y va également de notre souveraineté, donc de notre capacité à agir.

Lors de ma prise de fonctions comme ministre du budget et des comptes publics, je me suis engagé à tenir un discours de vérité. Or, à présent, mon propos va différer du vôtre.

Pour ma part, je considère que la dette actuelle est la conséquence de choix politiques forts faits hier…

M. Pascal Savoldelli. Ça, c'est vrai…

M. Laurent Saint-Martin, ministre. … et, à mon sens, ces choix étaient nécessaires, utiles et bons. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. François Patriat. Eh oui !

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Le Gouvernement devra, à son tour, assumer de proposer des choix tout aussi forts de redressement des comptes.

Bien sûr, je ne vous présenterai pas aujourd'hui le contenu du PLF et du PLFSS pour 2025 : ce n'est pas l'objet de ce débat. En revanche, je vous exposerai la philosophie guidant les mesures que nous nous apprêtons à vous soumettre, car il faut savoir d'où l'on vient pour comprendre où l'on va.

D'où venons-nous ? Il faut reconnaître que, malgré de réels efforts de maîtrise, les dépenses des administrations publiques ont connu une hausse structurelle au cours des dernières années.

À l'époque, lors de l'examen des projets de loi de finances initiale et des différents collectifs budgétaires, j'avais plutôt l'impression, comme rapporteur général du budget, de contenir la volonté collective de hausse des dépenses publiques… Quoi qu'il en soit – et nous pouvons en être fiers –, nous avons collectivement réussi à protéger le pays, ses entreprises, son économie, ses salariés et ses collectivités territoriales (M. André Reichardt proteste.) face à deux grandes crises absolument majeures : la crise sanitaire et la crise inflationniste, qui a tout particulièrement frappé le secteur de l'énergie.

Face à ces crises, nous avons choisi, de manière résolument transpartisane, de déployer un filet de sécurité parmi les plus efficaces et les plus généreux d'Europe. Nous avons fait collectivement le choix de dépenser plus en assumant, à titre temporaire et exceptionnel, le creusement du déficit et la hausse de l'endettement. À l'époque, rares étaient ceux qui contestaient ce choix ; mais, aujourd'hui, nous devons en affronter les conséquences.

Si nous avons agi ainsi, c'était pour préserver la croissance, dont chacun sait l'importance. Cette année, la croissance française s'établit ainsi à 1,1 %, au-dessus de la moyenne de la zone euro.

J'ajoute que nous avons agi avec sérieux. La dette publique française a certes progressé de 1 000 milliards d'euros entre 2017 et 2023 : c'est tout à fait exact. Mais, en parallèle, notre pays a bénéficié d'une croissance supérieure à celle de ses voisins européens et il est tout aussi vrai d'affirmer que le PIB a progressé de 569 milliards d'euros sur la même période. À titre de comparaison, le taux d'endettement de notre pays a progressé de trente-quatre points de PIB entre 2007 et 2017, contre seulement douze points de PIB entre 2017 et 2022.

Bien sûr, ce constat factuel ne change rien à la gravité de la situation actuelle.

En résumé, la hausse de la dette s'explique avant tout par une hausse de la dépense : c'est donc prioritairement par la réduction de la dépense que devra passer le redressement. J'insiste sur ce point, qui sera au cœur du budget pour 2025.

Nous devrons procéder sans casser le moteur de la croissance : c'est elle qui nous a permis, entre 2017 et 2022, de maîtriser le rythme de notre endettement.

Il ne doit pas non plus y avoir de cure d'austérité : un tel choix conduirait à la récession et l'on ne redressera pas les comptes sans activité.

Nous le ferons collectivement, parce qu'il le faut. Sinon, nous perdrons notre capacité à investir, à préparer l'avenir et à construire la croissance de demain. En outre, si nous ne reconstituons pas aujourd'hui nos marges de manœuvre budgétaires, comment pourrons-nous, demain, protéger notre pays face à de nouvelles crises, par exemple face à une autre pandémie ? Nous devrons être prêts à faire face : voilà pourquoi nous devrons avoir les reins solides.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le chemin du redressement sera ardu, mais il existe. Je vous rappelle qu'avant la pandémie de covid le déficit public avait été ramené sous la barre des 3 % et que la procédure de déficit excessif était derrière nous. Je vous le dis donc avec confiance : si nous avons su redresser les comptes à la veille de cette crise, nous saurons le faire à la suite des crises que nous venons de connaître. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Saint-Martin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous venons de bien résumer en une heure la nature éminemment politique du débat sur la dette publique. Nous avons abordé un certain nombre de sujets techniques – il était bien normal de le faire –, mais nous avons surtout démontré à quel point ce débat relevait de la politique d'hier, et parfois des toutes dernières années, comme l'ont clairement montré nos discussions sur l'origine de l'endettement public actuel.

Notre débat a également porté sur la situation actuelle : que faire de la dette et quelle est sa soutenabilité ?

Surtout, nous avons anticipé à juste titre sur des questions liées au projet de loi de finances, qui sera examiné dans quelques jours : que faire aujourd'hui des déficits publics de notre pays et que faire demain de notre dette ?

Dans ce triptyque hier-aujourd'hui-demain, les positions de chacun se résument assez bien, telles qu'elles se dégagent de vos différentes interventions.

Vous avez posé la question de savoir si nous allions changer de politique, pour reprendre la manière dont vous avez présenté les choses. J'ai cru comprendre que Vincent Delahaye n'était pas pour le "quoi qu'il en coûte". Toutefois, sans faire d'idéologie – car je peux changer d'avis et n'en fais pas un principe –, je considère que la baisse de la fiscalité depuis 2017 est directement à l'origine de l'attractivité de notre pays, de sa capacité de réindustrialisation, ainsi que du développement des investissements internationaux et de l'emploi industriel. Vous pouvez estimer que le coût est trop élevé pour le résultat, mais vous ne pouvez pas nier que les investissements se font parce que nous avons rendu notre pays plus compétitif et que l'investissement est devenu plus rentable en France grâce à la baisse de la fiscalité. Et ce n'est là qu'un exemple parmi d'autres.

Faut-il pour autant être totalement inflexible quant à la politique fiscale de notre pays ? Non. J'en veux pour preuve que, dans le cadre du prochain projet de loi de finances, nous proposerons la mise en place de contributions exceptionnelles sans pour autant vouloir casser ou freiner cette politique d'offre et d'attractivité qui a porté ses fruits, comme je le crois profondément.

Cela dit, il serait erroné de croire que la baisse de la fiscalité a été à elle toute seule à l'origine de l'endettement que nous connaissons aujourd'hui. En effet, les 1 000 milliards d'euros de dette supplémentaires sont d'abord et principalement liés à la hausse de la dépense publique (M. Jean-François Husson approuve.). Certes, il s'agissait de faire face à la crise, mais cette hausse de la dépense publique comprend également une part structurelle, comme je l'ai dit lors de la discussion générale.

Il ne faut pas s'en cacher non plus, certaines mesures qui faisaient consensus ont été prises pendant la crise et surtout pendant la période de relance. On peut citer le Ségur de la santé ainsi qu'un certain nombre d'autres mesures de financement massif. Mais avec quoi a-t-on financé ces programmes ? Pour dire les choses clairement, c'est là qu'est la difficulté, car on les a financés grâce à des taux d'intérêt négatifs de sorte que, en réalité, on ne les a pas financés.

Nous nous retrouvons donc aujourd'hui avec une part de dépense publique nécessaire pour financer les services publics, et je crois que personne ne remettra en question l'argent supplémentaire dépensé pour les salaires des enseignants ou pour le Ségur de la santé. En revanche, il nous faut trouver des financements si nous voulons maîtriser le déficit public chronique et en augmentation de notre pays, puisque c'est bien par de la dette et du déficit que ces dépenses ont été financées jusqu'à présent.

Quant à la dette d'aujourd'hui, il faudra en effet nous poser la question de la composition des déficits, et c'est même essentiel. Nous ne pouvons pas ignorer l'éléphant au milieu de la pièce qu'est la dette sociale, absolument colossale, dès lors qu'il est question du déficit public français.

La dette est-elle soutenable ? Nous avons sans doute oublié de rappeler dans ce débat le rôle massif de la Banque centrale européenne pendant les dernières années, c'est-à-dire depuis la crise des subprimes jusqu'à 2022, avec la politique de quantitative easing, qui a bien évidemment été la raison numéro un non seulement du resserrement des spreads, mais aussi du refinancement à taux quasi nul, voire négatif, de notre dette.

En effet, le fait que le quantitative easing ne soit plus d'actualité, parallèlement à la remontée des taux d'intérêt, change absolument tout dans le regard que l'on porte sur la dette actuelle.

En ce qui concerne le cantonnement de la dette, rappelez-vous les débats que nous avions eus sur le sujet. La question de savoir s'il faut cantonner la dette peut être intéressante, car c'est précisément ce que nous faisons pour la dette sociale que nous remboursons à travers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Il y a aussi eu des initiatives pour la dette d'État, à hauteur d'à peu près 250 milliards d'euros, que nous remboursons par les fruits de la croissance chaque année. Cela fait l'objet d'un programme budgétaire spécifique. Faut-il donc cantonner la dette quand on sait la refinancer ? Je livre cette interrogation à votre sagacité, mais personnellement je ne suis pas convaincu qu'il faille toujours le faire.

Quelle trajectoire devons-nous suivre pour la dette de demain ? Vous avez eu raison d'évoquer ce sujet et vous l'avez bien fait.

Quel avenir pour la dette écologique, qui est la deuxième urgence après la dette financière ? Je crois que nous pouvons tous, ici, reconnaître qu'au cours des dernières années, jamais la dette écologique n'a été sacrifiée sur l'autel de la dette financière. Preuve en est, les crédits ont chaque année augmenté. Ce sera encore le cas dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, vous le verrez. Jamais l'investissement public dans la transition écologique, avec le concours d'ailleurs des collectivités territoriales, n'a été aussi élevé.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devrons faire des choix forts pour le redressement de nos comptes publics. Je suis sûr que, ici, au Sénat, vous ferez beaucoup de propositions complémentaires pour baisser la dépense publique, ce qui sera probablement la clé du problème.

N'oublions jamais que, si le niveau de notre déficit public est aussi important, c'est d'abord parce que nous avons dépensé plus et non pas parce que nous avons reçu moins. Il faudra donc que la baisse de la dépense publique soit une priorité absolue et que nous nous accordions au moins sur ce constat.

Tout comme M. Bilhac, je finirai mon propos en citant Pierre Mendès France : "Un pays qui n'est pas capable d'équilibrer ses finances publiques est un pays qui s'abandonne." Je crois que nous aurons largement l'occasion d'en débattre ensemble dans les prochaines semaines et les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)


Source https://www.senat.fr, le 16 octobre 2024