Interview de M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur, à France 2 le 15 octobre 2024, sur une nouvelle loi immigration, l'aide médicale d'État, la circulaire Valls et le traitement de la demande d'asile.

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Média : France 2

Texte intégral

JULIEN ARNAUD
Bruno RETAILLEAU, dont la parole est très attendue sur un sujet sur lequel on s'écharpe évidemment beaucoup traditionnellement, et on le constate d'ores et déjà. Bruno RETAILLEAU, bonjour.

BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Julien.

JULIEN ARNAUD
Alors, ministre de l'Intérieur, et c'est vrai que votre parole est attendue puisqu'on a appris, ce week-end, qu'une nouvelle loi immigration allait donc arriver en début d'année prochaine mais on ne connaît pas encore son contenu, à part l'allongement de la durée de rétention - commençons par cela peut-être - de 90 à 210 jours. C'est ce que vous souhaitez. Mais ça ne concernera pas tout le monde, ça concernera qui exactement ?

BRUNO RETAILLEAU
Ça concernerait les individus les plus dangereux. Qu'est-ce qui s'est passé avec Philippine ? C'était même avant les 90 jours, où elle a été malheureusement violée, assassinée par un individu qui était frappé d'une obligation de quitter le territoire français. Et moi, ce que je veux, c'est que pour sauver des vies, on change des lois. A chaque fois qu'on voit qu'il y a un trou dans la raquette, notre travail, à nous, Gouvernement, de proposer un législateur pour pouvoir voter, c'est précisément de changer les règles pour qu'elles protègent vraiment les Français.

JULIEN ARNAUD
Il y a suffisamment de places dans les centres de rétention pour faire ça ou pas ?

BRUNO RETAILLEAU
Non. C'est pour ça qu'on va en construire. On veut atteindre 3 000 places dans deux ans. J'ai fait un certain nombre de déplacements et je mets en place une "task force" pour accélérer justement la construction de nouvelles places.

JULIEN ARNAUD
Mais si les pays d'origine ne veulent pas récupérer leurs ressortissants, ça sert à quoi d'allonger cette durée de rétention ?

BRUNO RETAILLEAU
Eh bien, justement, avec mes collègues européens, on a vu un certain nombre de leviers. Par exemple, le levier réadmission visa. Vous ne voulez pas me donner des visas de retour, eh bien, je ne vous en donne pas. Deuxième élément : je vous subventionne pour l'aide au développement. Très bien, vous ne coopérez pas ; alors, on baisse les subventions. Troisième élément : on est en train de voir, au niveau de l'Europe, des tarifs douaniers. Vous ne voulez pas coopérer. Vous ne voulez pas nous donner des laissez-passer qui sont indispensables pour éloigner vos ressortissants, notamment dangereux. A ce moment-là, on va regarder les droits de douane. Il faut des leviers et il faut une réciprocité ; c'est tout. Je pense que le droit international, c'est la réciprocité. C'est simplement ce que je demande.

JULIEN ARNAUD
Quelles seront les autres mesures prévues dans cette loi ? Est-ce que vous allez reprendre l'ensemble des mesures - et on va en détailler certaines - qui ont été retoquées par le Conseil constitutionnel la dernière fois ?

BRUNO RETAILLEAU
Moi, c'est mon souhait. Moi, je ne veux pas aller au-delà de ce qui a déjà été voté ; mis à part la disposition que vous vous indiquiez sur la durée de rétention. Il y a une loi qui a été votée à une écrasante majorité, il y a quelques mois, il y a à peu près un an, par l'Assemblée nationale. Donc, cette loi a été censurée pour des motifs de pure forme par le Conseil constitutionnel. J'espère qu'on va pouvoir être capables de remettre ce travail justement sur les assemblées pour qu'on puisse enfin voter ce texte qui a, encore une fois, été voté à la majorité.

JULIEN ARNAUD
Ce qui veut dire, concrètement, durcir. Par exemple, sur les aides sociales ; il faudrait une durée de séjour plus longue avant de les toucher ?

BRUNO RETAILLEAU
Oui, par exemple aussi rétablir le droit de séjour... enfin plutôt le délai séjour irrégulier. C'est un instrument qui est indispensable pour nous. Simplement, moi, mon souhait, c'est que la France ne soit pas plus attractive en matière d'immigration que le reste des pays de l'Europe. Et je constate, sur beaucoup de dispositifs, que malheureusement, on est souvent dans la moyenne haute. Si on est dans la moyenne haute, cela veut dire qu'on crée des appels d'air ; et cela veut dire que les passeurs, les filières qui sont très, très informées, détournent les flux. Donc notre travail à nous, précisément, c'est de situer la France, de revisiter tous les dispositifs pour situer vraiment la France dans la moyenne des pays de l'Union Européenne.

JULIEN ARNAUD
Ça veut dire durcir aussi les conditions du regroupement familial ?

BRUNO RETAILLEAU
Cela veut dire, sur chaque dispositif, les examiner en matière de soin, en matière de regroupement familial, le délit de séjour irrégulier, les prestations sociales. Quand ces prestations sociales ne sont pas contributives, ça me semble juste qu'un étranger - il y a un délai de carence - qui passe deux ans ou trois ans avant de percevoir, par exemple, des allocations familiales.

JULIEN ARNAUD
Sur un autre sujet qui fait évidemment polémique. Qu'allez-vous faire ? C'est le sujet de l'aide médicale d'Etat. Est-ce que vous allez le transformer ? Ça aussi, c'était prévu, dans un premier temps, en aide médicale d'urgence. Et si oui, concrètement, ça changera quoi ?

BRUNO RETAILLEAU
Il ne s'agit pas de… Comment dirais-je… de jeter l'ensemble du dispositif aux orties. Là encore, il faut s'adapter à la moyenne des pays européens. Ce que je constate, quand je compare par exemple à l'Espagne, quand je compare à l'Allemagne, à la Suède, etc. c'est qu'on est un des pays les plus avantageux parce qu'en plus, on a un autre dispositif qui consiste à donner des titres de séjour pour des étrangers malades. Moi, ce que je souhaite, c'est tenir compte d'un rapport qui a été fait par monsieur STEFANINI et monsieur EVIN qui constatent quoi ? Qui constatent que l'AME est un encouragement à la clandestinité ; première chose.

JULIEN ARNAUD
Les conclusions générales du rapport étaient plutôt en faveur de l'AME, en faveur de son maintien et en faveur de son efficacité.

BRUNO RETAILLEAU
C'était très clairement dit dans le rapport : l'AME est un dispositif qui est un encouragement à la clandestinité. Deuxième chose, on va… Notamment, il va y avoir le projet de loi de financement de la sécurité sociale. On va demander aux Français ou aux nationaux français des efforts, par exemple en matière de baisse de remboursement d'un certain nombre de prestations en matière de santé. Donc, les Français seraient appelés à faire des efforts et les étrangers clandestins, aucun ? Donc, encore une fois, il ne s'agit pas de tout annuler ; il s'agit simplement de faire en sorte qu'un dispositif qui est parmi les plus généraux d'Europe puisse progressivement devenir une aide médicale d'urgence. On ne laisse pas mourir les gens. Une femme qui est enceinte, on s'en occupe.

JULIEN ARNAUD
C'est 1,3 milliard aujourd'hui. Il faut baisser la facture à combien, dans votre idée ?

BRUNO RETAILLEAU
Je pense qu'il y a beaucoup d'économies à faire. Je le pense.

JULIEN ARNAUD
Combien ?

BRUNO RETAILLEAU
Je ne peux pas le dire parce que tout dépend du panier qu'on pourrait retenir en matière de soins.

JULIEN ARNAUD
Justement, c'est tout l'objet du débat.

BRUNO RETAILLEAU
Oui, mais justement, il y a un débat. Mais en tout cas, ce que je souhaite, moi, c'est qu'on puisse être, là encore, au niveau des autres pays européens, parce que sinon la France sera toujours plus attractive. Et c'est le contribuable français au final…

JULIEN ARNAUD
A peu près la moitié ? 500 millions ? 600 millions ?

BRUNO RETAILLEAU
Non. Il y a en tout cas une belle marge d'économies, croyez-moi. Alors que dans le budget, si on ne change rien, il y aura une augmentation de plus de 8% des crédits consacrés à l'aide médicale d'Etat.

JULIEN ARNAUD
Vous allez aussi réécrire ce qu'on appelle la circulaire VALLS. Alors pour l'expliquer simplement, en gros, c'est le texte qui définit les conditions d'une régularisation pour quelqu'un qui est de façon irrégulière en France. On va le dire comme ça. Vous allez changer quoi dans cette circulaire exactement ?

BRUNO RETAILLEAU
La loi a changé, notamment pour la régularisation en matière de travail clandestin, de travail pour des gens qui sont en situation irrégulière. Si la loi change… Elle est plus restrictive, la loi. Il faut donc l'adapter par la circulaire. Parce que le champ de la loi a été restreint. Par exemple, la circulaire VALLS, vous pouviez régulariser les préfets, toutes sortes de métiers. Aujourd'hui, on va s'en tenir à une liste des métiers qui sont dits en tension.

JULIEN ARNAUD
On ne la connaît toujours pas, cette liste. Elle sera publiée quand ?

BRUNO RETAILLEAU
Elle est en train d'être travaillée rapidement maintenant.

JULIEN ARNAUD
D'accord.

BRUNO RETAILLEAU
C'est un travail qu'on fait avec ma collègue du ministère du Travail. Et ensuite, les conditions d'octroi de la régularisation ont été durcies. Par exemple, on veut vraiment regarder la nature du travail. On veut aussi regarder l'insertion sociale, la compatibilité avec le respect des principes de la République, pour voir la bonne insertion, la bonne intégration. Donc, si la loi change, il faut évidemment que la circulaire qui en sera issue puisse s'adapter.

JULIEN ARNAUD
On a vu tout à l'heure dans le journal, ce qui se passe du côté de l'Italie sur les demandeurs d'asile. L'Italie donne de l'argent à l'Albanie pour qu'elle mette des centres en Albanie. Et donc, les dossiers sont étudiés alors que les migrants sont en Albanie. Est-ce que c'est une solution dont vous dites que la France pourrait s'inspirer ? Est-ce qu'on pourrait faire la même chose ?

BRUNO RETAILLEAU
Il y a un problème en France parce que le préambule de la Constitution de 46, de la Quatrième République, ne permet pas les demandeurs d'asile. Les demandes d'asile doivent être étudiées sur le territoire français. En revanche, il y a un certain nombre de bonnes choses qui ont été faites dans le cadre de l'Union européenne, puisque l'Union européenne, avec l'Italie, ont conclu avec l'Egypte, avec la Tunisie, des accords bilatéraux. Et c'est à la suite de ces accords que l'Italie est parvenue à réduire de 64% les flux de la migration irrégulière vers l'Italie. Et je pense qu'il faut qu'on s'en inspire. Vous savez, j'ai eu une expérience qui a été, pour moi, très éclairante. Il y a quelques jours, j'étais en conseil des ministres de l'intérieur de l'Europe, c'est-à-dire qu'il y avait 27 collègues. On s'est tous exprimés. Je vous mets au défi à écouter les ministres de l'Intérieur de savoir s'il provenait d'un Gouvernement de droite ou d'un Gouvernement de gauche. En d'autres termes, l'Europe partage cette conviction que j'ai, qu'il faut absolument reprendre le contrôle sur les flux migratoires et notamment sur l'immigration irrégulière.

JULIEN ARNAUD
Mais ça veut dire qu'en France, on ne peut pas " sous-traiter " le traitement de la demande d'asile par des pays tiers ?

BRUNO RETAILLEAU
Non. Mais on pourrait parfaitement, sur des pays tiers sûrs, sur des pays de transit - les lois européennes nous le permettent - on pourrait pratiquer un certain nombre d'éloignements, quand bien même, par exemple, le pays d'origine refuserait d'accueillir son ressortissant. Ce sont des points qu'on est en train d'étudier.

JULIEN ARNAUD
Quel pays serait prêt à accepter ça ? Vous avez déjà commencé à discuter avec eux ou pas ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, mais je pense qu'il y a un certain nombre de pays sur la plaque asiatique, sur la plaque africaine, sur lesquels il faut qu'on arrive aussi à discuter. Mais ma première discussion, c'est avec les pays d'origine.

JULIEN ARNAUD
Alors, vous avez vu les premières réactions politiques à l'arrivée de cette loi. Il y a de nombreuses réactions critiques, notamment celle de Gabriel ATTAL, qui est censé être votre partenaire dans la coalition qui est actuellement au Gouvernement. Il dit : " On n'a pas besoin d'une nouvelle loi. Commençons par appliquer celle qu'on a votée l'année dernière. " Vous lui répondez quoi ?

BRUNO RETAILLEAU
Tous les peuples d'Europe demandent à leurs gouvernants de reprendre le contrôle. Ensuite, je ne propose rien de plus que ce qui a déjà été voté par la majorité, d'ailleurs de Gabriel ATTAL, il y a, encore une fois, quelques mois. Si cette majorité - à l'époque, la majorité présidentielle - a voté toutes ces dispositions qui, ensuite, ont été censurées par le Conseil constitutionnel ; c'est bien qu'elle considérait qu'elles étaient utiles puisqu'ils les ont votées.

JULIEN ARNAUD
Mais à ce moment-là, c'était une manoeuvre. Vous vous souvenez très bien ; ils avaient dit " Oui, on va les voter en gros pour faire plaisir à Bruno RETAILLEAU, mais on sait très bien que le Conseil constitutionnel va les retoquer. »"C'était un peu ça l'idée.

BRUNO RETAILLEAU
Je doute… Très franchement, quand la loi a été votée, encore une fois, deux tiers, très, très large majorité ; je doute franchement qu'elle ait été votée pour me faire plaisir. Ce que je veux dire, c'est que vous savez que les Français sont très divisés sur beaucoup de sujets. Il y a un sujet sur lequel ils sont très rassemblés - autour des trois quarts, c'est énorme - c'est le sujet de la reprise du contrôle des flux migratoires, notamment pour l'immigration irrégulière. Et ça, c'est une demande des Français ; ce n'est pas une demande de Bruno RETAILLEAU. Moi, je ne suis rien. Simplement, j'essaie de mener une politique qui est une politique qui, en France, est très majoritaire.

JULIEN ARNAUD
Est-ce que c'est une politique qui… Et vous savez, c'est une politique qui est partagée par le Rassemblement national. D'ailleurs, Laure LAVALETTE, députée Rassemblement national, dit " Bruno RETAILLEAU, ça pourrait être un porte-parole du RN. " Vous lui répondez quoi ?

BRUNO RETAILLEAU
Mais écoutez ; ça fait des années et des années que j'ai ces convictions-là et que je les mets en oeuvre. Je n'ai pas attendu le Rassemblement national. Je ne me suis jamais situé vis-à-vis du Rassemblement national. Ma boussole, ce sont les Français ; les Français, de droite comme de gauche. Aujourd'hui, une majorité, y compris des Français de gauche, souhaite que le Gouvernement applique une politique de fermeté vis-à-vis de l'immigration. Et vous savez, c'est d'abord des Français les plus modestes, ceux qui n'ont pas les moyens de mettre leurs enfants dans les bonnes écoles, ceux qui n'ont pas les moyens d'habiter les beaux quartiers et qui justement subissent les conséquences d'une immigration qui est totalement immaîtrisée.

JULIEN ARNAUD
Les précisions de Bruno RETAILLEAU sur la future loi immigration. Merci beaucoup, monsieur le ministre d'être venu, ce matin, les donner dans "les 4V."


source : Service d'information du Gouvernement, le 16 octobre 2024