Déclaration de MM. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics, sur l'orientation et la programmation des finances publiques, à l'Assemblée nationale le 21 octobre 2024.

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Circonstance : Débat d'orientation et de programmation des finances publiques

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat d'orientation et de programmation des finances publiques.
Cette année, ce débat marque véritablement l'ouverture de la discussion budgétaire. Prévu par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), il a été demandé par le président de la commission des finances et a été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 8 octobre, à l'unanimité des membres de la conférence des présidents. Cette unanimité ne doit rien au hasard : en matière budgétaire, le Parlement est au cœur de ses missions. De plus, nous avons tous conscience qu'en ce début de législature, débattre de la trajectoire des finances publiques n'a jamais été aussi important. Les questions qui se posent sont nombreuses et les Français, par l'intermédiaire de leurs élus, ont besoin de réponses.

Néanmoins, je vous rappelle que ce débat n'est pas censé être hors-sol – il ne s'agit pas uniquement d'échanger de bonnes paroles, mais d'examiner le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT) que le Gouvernement doit transmettre aux institutions de l'Union européenne avant la fin du mois. La date de ce débat est connue depuis deux semaines et le plan devait nous être communiqué le 15 octobre au plus tard. Il ne l'a pas été.

M. Philippe Brun
C'est fâcheux !

Mme la présidente
Il a fallu que je m'implique personnellement vendredi pour que ce débat soit maintenu et que les documents nécessaires à sa bonne tenue soient transmis. Nous avons finalement reçu hier un projet de plan.

M. Jean-Paul Lecoq
Une honte ! Comment voulez-vous qu'on bosse !

M. Thibault Bazin
C'est vrai que c'était un peu tard !

Mme la présidente
Je vous remercie, messieurs les ministres, pour cette transmission, qui va permettre à l'Assemblée de débattre des enjeux essentiels que sont les perspectives de rétablissement des finances publiques et la programmation des investissements prioritaires.

Il n'en demeure pas moins que la communication aussi tardive, un dimanche, à la veille du débat, d'un document provisoire, n'est pas satisfaisante. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS, GDR et sur quelques bancs du groupe RN.) Et cela commence à faire beaucoup ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Philippe Brun applaudit également.) Nous avons déjà rencontré ce problème au sujet d'un rapport sur la dette, qui ne nous a été transmis que le 12 octobre pour un débat prévu le 15. Là encore, il avait fallu insister.

M. Alexis Corbière
Quel mépris !

Mme Clémence Guetté
Inadmissible !

Mme la présidente
Je demande donc au Gouvernement de veiller à ce que les droits du Parlement soient davantage respectés. La démocratie est un bien précieux et j'invite chacun à ne pas la fragiliser. (Applaudissements sur tous les bancs.)

Mme Christine Arrighi
Yaël pas contente !

M. Erwan Balanant
Fâchée mais toujours souriante !

Mme la présidente
Je dis les choses, le Gouvernement le sait. J'ai eu un échange avec M. le ministre hier soir à ce sujet. Il est important de pouvoir, chacun dans son rôle, défendre notre démocratie.
La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Nicolas Sansu
Applaudissements nourris ! (Sourires.)

M. Thibault Bazin
On applaudira peut-être après !

M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
J'ai l'honneur d'ouvrir, au nom du Gouvernement, le débat sur les orientations économiques et financières de notre pays. C'est la suite du dialogue que nous avons engagé avec vous, mesdames et messieurs les députés : trois jours après notre nomination, nous étions, avec Laurent Saint-Martin, devant vous en commission des finances. (M. Philippe Brun s'exclame.) Quelques jours plus tard, je vous ai présenté, dans des conditions contraintes – dont nous avons tous conscience et dont nous partageons les difficultés –, l'évolution de notre endettement.

M. Alexis Corbière
Non, nous ne partageons rien, c'est de votre faute !

M. Antoine Armand, ministre
Quelques éléments de contexte pour entamer ce débat. Dans un contexte mondial encore instable, marqué par la sortie de crises, la France résiste. Après une succession de chocs – de l'apparition du covid à l'invasion de l'Ukraine –, l'activité mondiale voit l'effet des crises se dissiper, quoique très progressivement. La croissance mondiale devrait s'élever à 3,2% en 2024 et à 3,4% en 2025, notamment sous l'effet de l'assouplissement monétaire engagé par les banques centrales américaine et européenne ces derniers mois, ainsi que du ralentissement de l'inflation. Cependant, malgré ce début de retour à la normale, les disparités demeurent. Ainsi, la croissance de la zone euro restera modérée – à 0,8% en 2024 –, même si elle devrait se montrer plus franche en 2025, notamment grâce à la baisse de l'inflation et au dynamisme du commerce extérieur, en particulier des exportations françaises. En revanche, la croissance américaine restera dynamique et celle des économies émergentes, même si elle devrait ralentir, se maintiendra à un rythme soutenu : la compétition que se livrent ces puissances fait peser un risque majeur sur notre continent, notamment en matière industrielle, ce qui exige un effort à la fois d'investissement et de compétitivité dans une Europe dont la simplification réglementaire doit être menée avec beaucoup plus d'énergie qu'auparavant.

Dans ce contexte contrarié, les perspectives économiques de la France demeurent bien orientées. Au deuxième trimestre 2024, l'acquis de croissance était de 0,9 % et nous prévoyons qu'il s'élève, à la fin de l'année, à 1,1%. Pour 2025, nous prévoyons un niveau de croissance identique, même si sa composition devrait évoluer : la baisse de l'inflation et des taux d'intérêt entraînera une augmentation de la consommation des ménages et de l'investissement des entreprises, ainsi qu'une amélioration des marges des entreprises non financières et de l'investissement global. Le pouvoir d'achat des ménages devrait augmenter de 2% en 2024, ce qui nous conduit à anticiper, dans le plan structurel de moyen terme, une hausse de la consommation de 1,3% en 2025. Elle devrait s'accompagner, la même année, de la création nette de 100 000 emplois (Mme Clémence Guetté s'exclame), notamment du fait de l'augmentation des exportations, de 3,4 % en 2025, même si le déséquilibre persistant de notre balance commerciale demeure préoccupant.

À moyen terme, l'assouplissement du crédit, le retour à la normale de l'inflation – dont le taux pour la France est estimé à 1,8% en 2025 – et le soutien public à l'économie devraient conduire à une augmentation de la croissance française de 1,4% en 2026, puis de 1,5% en 2027 et en 2028. Cette trajectoire reflète l'amélioration à la fois du taux d'activité et du taux d'emploi, soutenue – selon les différents instituts – par la réforme de l'assurance chômage, le soutien à l'apprentissage et la réforme des retraites, qui ont permis de créer 1,3 million d'emplois depuis 2019. Soulignons la progression du taux d'emploi – qui n'a jamais été aussi élevé depuis qu'il a été mesuré pour la première fois par l'Insee, en 1975 – sous l'effet de différents leviers, du logement à la garde d'enfants, favorisant une plus grande participation au marché du travail. Ces résultats montrent que nous progressons : nous sommes plus attractifs, plus compétitifs, et l'inflation – qui a tant affecté nos compatriotes ces dernières années – continue de baisser. Bref, notre économie tient bon, bien qu'elle se trouve fragilisée par la situation de nos finances publiques.

Le budget pour 2025, que vous commencerez à examiner ce soir, est la première pierre d'une stratégie visant à soutenir le dynamisme économique tout en réduisant les déficits, afin de dégager un horizon de désendettement. Certaines des mesures que comprend cette stratégie ont déjà été annoncées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale et d'autres viendront la compléter. Tel est le sens du présent plan budgétaire et structurel de moyen terme : redresser les comptes publics tout en soutenant la croissance.

Il faudra, avant toute chose, améliorer l'efficacité de la dépense publique. Dans un pays où elle représente 57% de la richesse nationale, c'est là que doit d'abord se concentrer l'effort de redressement. La dépense publique sera réduite dès l'année prochaine, en fusionnant des opérateurs publics, en modernisant notre système de santé, en renforçant la lutte contre la fraude – et je ne doute pas que vous ferez, mesdames et messieurs les députés, de nombreuses propositions, précises et étayées, pour engager la réduction des dépenses. Car il faut le reconnaître : la baisse de la dépense publique prend du temps.

Outre sa réduction, la dépense publique doit devenir plus efficace – et je sais l'importance que l'Assemblée, et en particulier la commission des finances, accorde à l'évaluation des dépenses publiques. Nous l'avons annoncé avec Laurent Saint-Martin : nous lancerons une revue complète des dépenses pour supprimer, entre 2025 et 2027, au moins 5 milliards d'euros de dépenses non prioritaires. Cette revue portera également sur les niches fiscales et sociales : nous savons que certaines d'entre elles sont soit injustifiées, soit incompatibles avec nos objectifs de soutien à l'emploi ou de décarbonation. Pour ce faire, les administrations publiques dans leur ensemble seront mobilisées : chaque année, elles devront présenter un rapport détaillant les résultats et l'impact budgétaire de leurs actions. Avec le ministre chargé du budget et des comptes publics, nous associerons les parlementaires à cet effort de transparence et d'efficacité de la dépense publique. Chacun sait combien il est difficile de la réduire ; mais chacun mesure la nécessité d'agir sans attendre pour le bien de notre économie et pour la crédibilité internationale de la France.

Le deuxième pilier du plan consiste à réduire notre dette écologique et à faire de la France l'un des chefs de file de l'économie bas-carbone en Europe. L'atténuation et l'adaptation au changement climatique doivent demeurer des priorités politiques, budgétaires et financières, en tenant compte des caractéristiques de notre territoire. Je ne rappelle pas les progrès réalisés : les émissions françaises de CO2 ont été réduites de 25% entre 1990 et 2022 ; en 2023, elles ont de nouveau baissé de 5,8%. Nous devrons poursuivre la planification écologique, grâce au plan France 2030 et à l'entrée en vigueur de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, au verdissement de la commande publique, au renforcement du conditionnement des aides publiques et à l'amélioration du financement des projets industriels qui le réclament – en France comme en Europe.

Mme Clémence Guetté
Vous dites des choses, mais vous faites l'inverse !

M. Antoine Armand, ministre
Nous poursuivrons également le développement du nucléaire et notamment de nouveaux réacteurs, pour disposer d'une énergie abondante, décarbonée et compétitive. Dans le même temps, nous développerons les énergies renouvelables – électriques comme thermiques –, qui sont indispensables à la création d'un mix énergétique français souverain et décarboné. Nous devrons aussi maîtriser nos besoins en énergie, en accentuant les efforts à la fois de sobriété et de rénovation énergétique dans tous les secteurs – y compris au sein des bâtiments appartenant à l'État. Outre un objectif de décarbonation, ce programme de réformes vise à renforcer notre économie, en fournissant aux entreprises une énergie décarbonée propice à la poursuite de la réindustrialisation.
La réindustrialisation, c'est le troisième pilier de cette stratégie de moyen terme : réindustrialiser l'ensemble du territoire, simplifier la vie des entreprises, investir dans l'innovation. Pour continuer à ouvrir des usines et pour créer des emplois industriels, nous voulons donner à tous les Français les moyens de contribuer à ce projet national.

C'est en ce sens que le Premier ministre a annoncé sa volonté de mobiliser l'épargne de nos compatriotes en la fléchant mieux, vers des projets industriels, afin que tous les Français puissent directement soutenir notre industrie. Je donnerai prochainement des précisions sur le livret d'épargne dédié à l'industrie qui a été souhaité par le Premier ministre et qui pourra être déployé dans les tout prochains mois.

L'État devra, de son côté, continuer à soutenir la recherche, l'innovation et le développement industriel. J'ai déjà parlé du plan France 2030 et je voudrais également souligner la nécessité d'accélérer nos progrès en matière d'intelligence artificielle. C'est un projet au long cours qui a été soutenu depuis plusieurs années, aussi bien sur ces bancs que par le Gouvernement, en particulier pour mettre l'intelligence artificielle au service des professionnels de santé.

Il faudra, enfin et surtout, simplifier la vie des entreprises pour leur permettre de devenir plus compétitives et de créer plus d'emplois. Nous relancerons le projet de loi de simplification présenté par le précédent gouvernement. Nous lancerons également un plan de simplification réglementaire drastique tendant à supprimer des normes et à réduire la charge administrative. Les droits des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE?et PME) en matière d'assurance et de gestion bancaire quotidienne, qui freinent régulièrement l'activité et la création d'emplois, pourront ainsi être rapprochés de ceux des particuliers.

Ce soutien au dynamisme de l'économie doit nous permettre de soutenir l'emploi et le niveau de vie des Français. Nous continuerons à investir dans les compétences et à soutenir massivement l'apprentissage, pour toutes les entreprises sans discrimination de taille, même si les contraintes budgétaires nous ont conduits à recentrer un dispositif qui faisait l'objet d'un certain nombre d'effets d'aubaine.

Nous devons aussi faire en sorte que le travail paye mieux. Il est anormal que certains Français qui travaillent soient encore rémunérés en dessous du Smic. Il n'est pas acceptable que certains de nos compatriotes n'aient pas connu d'augmentation de salaire depuis plusieurs années, en dépit de leur évolution au sein de leur entreprise.

M. Emmanuel Maurel
Et qu'allez-vous faire ?

M. Antoine Armand, ministre
Je poursuivrai le combat, commencé sur ces bancs, pour une juste rémunération de travail, en collaboration avec les partenaires sociaux. Nous nous pencherons sur les ajustements d'allégements généraux de cotisations sociales, nous accompagnerons les négociations de branche et nous développerons encore davantage l'actionnariat salarié, les dispositifs d'intéressement et de participation.

Nous devons consentir ces efforts afin de libérer l'investissement, d'encourager l'emploi et les entreprises, mais aussi de retrouver – c'est une priorité non seulement budgétaire, mais aussi politique – un niveau de déficit satisfaisant, qui ne rende pas vulnérable notre économie, qui nous permette de passer sous le seuil des 3 % en 2029 et d'engager le désendettement du pays à partir de 2028. C'est ainsi que nous renforcerons notre crédibilité en Europe et partout dans le monde mais nous devons, pour cela, nous faire confiance et avoir confiance en notre économie.

Nous défendrons cette stratégie avec le ministre du budget et des comptes publics et sous l'autorité du Premier ministre, afin de faire de la France une nation qui travaille et qui produit davantage.

M. Nicolas Sansu
Doucement, les applaudissements ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du budget et des comptes publics. (M. le président de la commission des finances s'avance vers la tribune avant de rebrousser chemin, s'étant aperçu de son erreur.)
Tu n'es pas encore ministre du budget et des comptes publics, Éric ! (Sourires.)

M. Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics
J'ai cru que nous l'avions, ce gouvernement de coalition !

Mme Clémence Guetté
Non, nous avons juste un gouvernement de droite !

M. Gérald Darmanin
On est d'accord : ce n'est pas grave !

Mme Olivia Grégoire
Ça arrive à des gens très bien !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouverons ce soir en séance publique afin de commencer l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

M. Jean-Paul Lecoq
Je pensais que vous alliez commencer en disant : « Toutes nos excuses pour le retard »…

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Cela donne tout son sens au débat sur les perspectives pluriannuelles des finances publiques qui nous occupe à présent. J'ai toujours été profondément attaché à ce débat d'orientation. Je crois sincèrement que c'est un moment utile et même nécessaire pour garantir l'information du Parlement sur les enjeux relatifs à nos finances publiques. J'avais d'ailleurs proposé de renforcer ce débat dans le cadre des travaux de modernisation de la Lolf que nous avions notamment engagés avec Éric Woerth…

Mme Olivia Grégoire
L'excellent Éric Woerth !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
…et je suis fier que le Parlement se soit emparé de notre réflexion en adoptant notre proposition de nouvelle Lolf.

Premier constat : il était nécessaire que le Parlement soit pleinement informé et pleinement saisi des programmes de réforme et des trajectoires budgétaires que le Gouvernement transmet à la Commission européenne. De ce point de vue, le fait que le débat d'orientation porte désormais sur le programme de stabilité et sur le PSMT représente un renforcement réel des prérogatives du Parlement.

M. Alexis Corbière
C'est une blague !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
C'est la première fois que le Gouvernement remet ce document et que celui-ci fait l'objet d'un débat dans cet hémicycle. Ce premier PSMT est, il est vrai, un peu particulier : comme nous vous l'avons indiqué, il est encore incomplet dans sa partie relative aux réformes, et son calendrier est encore imparfait – je vous l'accorde volontiers, madame la présidente.

Deuxième constat, qui vient justifier pleinement ce débat : on ne gère bien les finances publiques que si l'on se projette sur le temps long. Décider d'investir pour l'avenir, transformer nos services publics pour changer le quotidien de nos concitoyens, tout cela prend du temps,…

M. Jean-Paul Lecoq
Et de l'argent !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
…tout cela exige de la prévisibilité, de l'anticipation et une certaine forme de continuité. En ce sens, disposer d'une trajectoire pluriannuelle ne remet en rien en cause le principe du vote annuel du budget et permet, bien au contraire, d'éclairer et d'enrichir les débats budgétaires de l'automne.

M. Jean-Paul Lecoq
On a vu ce que ça donnait !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
C'est vrai en temps normal, mais ce l'est encore plus quand l'heure est au redressement des comptes publics.

Vous connaissez la situation de nos finances publiques. Vous connaissez aussi notre objectif, qui est de ramener le déficit public à 5% du PIB dès 2025, en réalisant un effort inédit de 60 milliards d'euros : 40 milliards d'économies, soit les deux tiers de l'effort, et 20 milliards de contributions fiscales ciblées et temporaires, soit le tiers restant. Cet objectif n'est pas arbitraire et tire son sens ainsi que sa nécessité de la trajectoire pluriannuelle qu'a fixée le Premier ministre et qui vise à ramener le déficit public sous la barre des 3% à l'horizon 2029.

Pourquoi 3 % ? Tout simplement parce que c'est le niveau de déficit à partir duquel nous sommes en mesure, d'abord de stabiliser – comme l'a dit le ministre de l'économie et des finances –, puis de réduire notre endettement, qui dépasse cette année les 3 220 milliards.

Pourquoi 2029 ? C'est le délai dont nous disposons pour retrouver des finances publiques solides, conformément à nos engagements européens.

Mme Clémence Guetté
Plus personne ne vous croit !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Ces engagements ne sont pas des contraintes hors-sol. Ce sont, au fond, des principes de bonne gestion auxquels nous avons collectivement souscrit, aux côtés des autres États membres.

M. Jean-Paul Lecoq
Contraints et forcés !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
À la lumière de cette trajectoire, vous aurez compris que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 constituent – et doivent constituer – une première étape sur le chemin de la responsabilité et du redressement. Disons-le clairement, la première marche sera difficile et exigeante. Si nous voulons tenir nos objectifs, nous devons impérativement faire des efforts dès maintenant. C'est en faisant des choix courageux dès aujourd'hui que nous nous épargnerons des choix douloureux demain. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)

Des choix courageux, mais qui sont aussi des choix raisonnables. Adopter une trajectoire pluriannuelle nous permet de lisser l'effort sur plusieurs exercices plutôt que d'avoir à procéder, en une seule fois, à un ajustement trop brutal. En étalant ainsi l'effort, nous ne renonçons pas à investir, nous ne renonçons pas à financer nos services publics, nous ne renonçons pas à préserver notre modèle de protection sociale. En aucun cas il ne s'agit là de laxisme budgétaire.?C'est au contraire le principe même d'une gestion vertueuse des deniers publics : en produisant un effort réel, mais étalé dans le temps, nous refusons l'austérité et la casse sociale que nous subirions immanquablement demain à défaut d'agir aujourd'hui.

Le chemin du redressement, vous le voyez, est étroit…

M. Stéphane Peu
Et la pente est raide !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
…mais, pourvu que nous nous y engagions collectivement, il y a bien un chemin. C'est ce que les Français attendent de nous. Ils ne nous demandent pas autre chose que de bien gérer l'argent public – leur argent – et de leur épargner des lendemains qui déchantent. Ce chemin, je souhaite que nous le tracions ensemble, en en posant les premiers jalons dès l'examen des deux textes financiers pour l'année prochaine.

Je serai bref, puisque nous allons en débattre dans quelques heures, mais je tiens tout de même à vous livrer l'orientation principale qui guidera les travaux à venir du Gouvernement.

Ma conviction est que nous pouvons proposer aux Français un meilleur service public, pour moins cher (M. Alexis Corbière s'exclame), en nous posant toujours la question de l'efficience de la dépense publique.

Nous devrons pour cela actionner deux leviers.

Le premier levier est la revue des dépenses et des niches fiscales et sociales. Les gouvernements précédents ont déjà mené un tel exercice, qui a permis de cibler les propositions d'économies – en particulier dans l'apprentissage – et de baisses d'effectifs que nous vous soumettrons dans le cadre du PLF. Je souhaite que nous puissions pérenniser cet exercice. C'est un instrument de transformation très efficace, qui nous permettra d'améliorer la qualité et l'efficacité de nos services publics, tout en en maîtrisant les dépenses.

Le deuxième levier, ce sont les réformes structurelles que le ministre de l'économie et des finances a précisées. Elles s'appuieront justement sur les recommandations des revues de dépenses. Nous ne pourrons faire de véritables progrès, en matière d'efficience, qu'à la condition d'oser repenser un certain nombre de politiques publiques. Le Gouvernement propose déjà des avancées dans le cadre des textes financiers pour l'an prochain – je pense notamment à la réforme des allégements généraux.

Il nous faudra également améliorer l'équilibre général des systèmes de retraites : c'est le sens de la proposition que nous faisons, dans le cadre du PLFSS, sur la CNRACL (Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales), proposition qui vise à rééquilibrer le système de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.

Comme l'a dit le Premier ministre, nous pouvons aller plus loin en procédant, par exemple, à des fusions d'opérateurs publics intervenant dans des domaines proches, mais aussi en responsabilisant davantage les gestionnaires publics – c'est là aussi l'esprit de la Lolf – et en les associant davantage aux efforts de maîtrise de la dépense.

Il sera demandé à chaque administration de participer à cet exercice. Comme vous le savez, il y a dans le texte que nous commencerons à examiner ce soir des contributions temporaires.

M. Gérald Darmanin et Mme Olivia Grégoire
Ah !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Il est important de garder à l'esprit que ces mesures seront temporaires et que des réformes structurelles devront prendre leur relais,…

M. Thibault Bazin
Nous avons hâte !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
…toujours dans ce double objectif d'améliorer la qualité du service public et de diminuer les moyens que nous y consacrons.

Enfin, nous devrons continuer à renforcer notre dispositif de lutte contre la fraude sociale et fiscale. Mon ministère est en première ligne sur cet enjeu, qui est une priorité forte de l'action du Gouvernement.

M. Thibault Bazin
Il y a de quoi faire !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
C'est une question de justice. C'est une nécessité pour garantir d'une part l'efficacité de nos politiques publiques, d'autre part le consentement à l'impôt. Je salue à cet égard la proposition de loi déposée par Thomas Cazenave, tendant à renforcer notre arsenal de lutte contre la fraude aux aides publiques.

Voilà quelles seront nos priorités, et quelle sera notre méthode pour construire, dans la durée, une trajectoire de soutenabilité et de responsabilité qui permette de redresser nos finances publiques. Nous serons à votre disposition, monsieur le rapporteur général du budget, pour enrichir cette présentation d'éléments plus précis dès que les derniers arbitrages auront été rendus. Cela sera fait dès les prochains jours. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)

(…)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
Monsieur le président Coquerel, les inégalités en France, après redistribution, sont restées stables depuis 2002. On peut regretter qu'elles n'aient pas baissé davantage mais on ne peut pas dire qu'elles ont augmenté : ce n'est pas la réalité.

M. Stéphane Peu
Je vais en parler ce soir dans ma circonscription !

M. Antoine Armand, ministre
Monsieur le rapporteur général, votre contribution, qui n'a rien de modeste, inspirera nos travaux sur les réformes structurelles. Je pense en particulier à deux leviers de croissance que vous avez évoqués : le logement, d'une part, l'adaptation de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN), d'autre part. S'il est très important d'un point de vue macroéconomique, l'objectif ZAN doit toutefois être adapté, au vu de la pression que subissent certains territoires qui essaient de se développer, notamment industriellement.

Madame Mercier, vous avez beaucoup employé le terme « austérité », mais un budget qui prévoit une augmentation de 0,4 point en volume des dépenses publiques ne peut pas être qualifié de budget d'austérité. Dans un pays où la dépense publique augmente quasi continuellement depuis cinquante ans ; dans le pays de la zone euro où la dépense publique est la plus importante en part du PIB ; dans un pays, enfin, qui ne réduit pas nettement la dépense publique – certains d'entre vous le regrettent d'ailleurs et nous serons au côté de celles et ceux qui proposent de la réduire –, cela n'a pas de sens de parler d'austérité, ni de récession.

À cet égard, monsieur Juvin, je partage pleinement votre point de vue sur ce qui constituerait une forme d'addiction à la dépense publique. Nous examinerons toutes les propositions tendant à la réduire et retiendrons toutes celles qui sembleront possibles. Nous soutiendrons notamment votre proposition de supprimer les doublons administratifs, tant la complexité du système étouffe à la fois les administrations elles-mêmes, les particuliers et les entreprises, mais je doute que cette mesure suffise à nous dispenser d'un effort fiscal exceptionnel, temporaire et ciblé. Il importera, dès l'année prochaine, de nous attaquer à la dépense publique qui, structurellement, ne cesse d'augmenter, car c'est là que le bât blesse.

Madame Arrighi, j'aimerais que vous précisiez votre position, s'agissant des prêts garantis par l'État (PGE). Si j'ai bien compris, vous vous plaignez qu'on en ait accordé autant, de manière inconditionnelle, au moment de la crise sanitaire.

Mme Christine Arrighi
Non, vous m'avez mal écoutée !

M. Antoine Armand, ministre
Éclairez-nous : que fallait-il faire pendant la crise du covid ? Aux artisans qui baissaient leur rideau, aux entrepreneurs qui se demandaient s'il fallait licencier sèchement leurs salariés, aux artisans, aux très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) qui se demandaient si elles pourraient ouvrir le lendemain, que fallait-il répondre ? Que nous allions instruire leur dossier et voir dans trois, six ou neuf mois ?

Mme Christine Arrighi
Ce n'est absolument pas ce que j'ai dit !

M. Antoine Armand, ministre
Vous étiez bien d'accord avec le " quoi qu'il en coûte " ! Vous étiez bien d'accord pour soutenir les emplois et financer le chômage partiel !

Mme Christine Arrighi
Tout à fait ! C'est d'ailleurs ce que j'ai dit.

M. Antoine Armand, ministre
Vous ne pouvez pas, un jour, soutenir avec force les mesures de préservation de notre tissu social et, le lendemain, vous plaindre des conséquences budgétaires de ces choix.

Mme Christine Arrighi
Je ne me plains pas.

M. Antoine Armand, ministre
Je me souviens, madame Arrighi, d'un soir où nous étions tous les deux (" Oh ! " sur plusieurs bancs) dans l'hémicycle – et nous n'y étions pas seuls. En quelques heures, avec d'ailleurs le soutien d'autres bancs,…

M. Philippe Juvin
Je n'étais pas là !

M. Antoine Armand, ministre
…vous avez voté plusieurs dizaines de milliards de dépenses publiques. Vous appelez au redressement de nos comptes mais, quand je me souviens, non pas des milliards, mais des dizaines de milliards de dépenses publiques que vous avez votées sans sourciller et sans hésiter ce soir-là, je m'interroge sur la cohérence de votre position.

Mme Christine Arrighi
Il faut demander à Sanofi !

M. Antoine Armand, ministre
Madame Mette, je partage votre appel à la prudence, s'agissant des prévisions de recettes et de dépenses publiques. Je le dis avec beaucoup d'humilité, car l'écart entre nos prévisions et nos résultats est préoccupant. Nous avons lancé un plan pour mieux comprendre ce qui se passe ; il a permis d'établir nos prévisions pour l'année prochaine et le Haut Conseil des finances publiques a jugé crédible le lien entre l'évolution spontanée des recettes et notre scénario de croissance.

Monsieur Maurel, je suis d'accord avec vous : une autre politique économique est possible. Dans un monde où il y aurait quatorze tranches d'impôt sur le revenu et un impôt quasi confiscatoire pour celles et ceux qui touchent le revenu de leur travail ;…

M. Emmanuel Maurel
Tout de suite les grands mots !

M. Antoine Armand, ministre
…dans un monde où l'on rendrait la contribution sociale généralisée (CSG) progressive et où tous les salariés verraient leurs cotisations sociales augmenter de plusieurs points, ce qui ferait autant d'euros de salaire en moins ; dans un monde où l'on supprimerait la flat tax et où les petits épargnants verraient diminuer les revenus qu'ils ont investis dans les entreprises françaises ;…

M. Alexis Corbière et M. Emmanuel Maurel
Les petits épargnants ne sont pas vraiment concernés par la flat tax !

M. Antoine Armand, ministre
…dans un monde où, quand on a investi dans son assurance-vie ou travaillé toute sa vie pour acheter une maison ou un petit appartement, le Nouveau Front populaire, dans sa grande générosité, taxerait tout à la fin. (Exclamations sur les bancs des groupes EcoS et GDR et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)

M. Stéphane Peu
Bientôt, ce seront les chars russes sur les Champs-Élysées !

M. Alexis Corbière
Le goulag climatisé !

M. Antoine Armand, ministre
Cette autre politique économique est possible, monsieur Maurel, mais ce n'est pas celle que nous souhaitons. En effet, si elle ne résoudra pas la question des finances publiques, elle ruinera l'ensemble des épargnants et des travailleurs français !

Monsieur Tanguy, emporté par la fougue de votre intervention, j'ai failli en oublier le début, où vous contestiez les baisses d'impôts que nous avons réalisées. Faut-il vous rappeler qu'ils ont été baissés de 60 milliards d'euros et que certains ont tout simplement été supprimés, comme la taxe d'habitation ? C'est un fait indéniable ! Vous pouvez répéter à longueur de journée que les impôts n'ont pas baissé mais, auparavant, les Français payaient la taxe d'habitation sur leur résidence principale et désormais ils ne la paient plus. Il ne s'agit pas de jargon bureaucratique : c'est une réalité que chacun de nos concitoyens peut constater. Avant, les Français payaient la contribution à l'audiovisuel public et désormais ils ne la paient plus.

M. Sébastien Delogu
Parce que vous avez tout libéralisé !

M. Antoine Armand, ministre
Vous déplorez que nous n'ayons pas fait de baisses d'impôt mais, il y a quelques jours, ne vous êtes-vous pas associés à certains de vos collègues qui siègent de l'autre côté de l'hémicycle pour adopter des hausses d'impôt démesurées ?

Un député du groupe RN
C'est faux !

M. Antoine Armand, ministre
Je ne sais pas exactement à quels oligarques vous faites référence : pour ma part, je n'en connais pas. Mais, en tout cas, les hausses d'impôt, c'est votre groupe qui les a votées en commission des finances.

Monsieur Sitzenstuhl, je partage votre étonnement : je suis surpris que ceux qui disent se battre pour l'emploi n'arrivent pas à se réjouir de la baisse du taux de chômage. Cette baisse est certes une réussite du précédent quinquennat, mais ce n'est pas une satisfaction partisane.

M. Sébastien Delogu
Vous radiez les gens !

M. Antoine Armand, ministre
Même vous, monsieur Delogu, vous pourriez vous satisfaire de voir le taux de chômage baisser partout en France.

Mme Émilie Bonnivard
Vous ne devriez pas lui répondre, monsieur le ministre !

M. Antoine Armand, ministre
Ce n'est pas nous que cela réjouit, c'est l'ensemble des Français, qui peuvent avoir un travail qui donne du sens à leur existence et qui leur permet de s'épanouir et de s'émanciper.

Certes, la situation est paradoxale, puisque nos finances publiques ne sont pas en bon état mais que notre économie tient encore. Voilà pourquoi nous devons redresser nos comptes publics, tout en soutenant la croissance. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du budget et des comptes publics.

M. Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics
Je serai très bref, dans la mesure où le ministre de l'économie a déjà répondu à nombre de vos préoccupations.

Même si nous sommes en train de débattre d'une trajectoire pour l'avenir, il importe de regarder en arrière. Comme le ministre de l'économie et moi l'avons déjà dit, on ne peut pas expliquer la trajectoire qui doit ramener le déficit sous la barre des 3 % en 2029 si l'on ne comprend pas ce qui a causé la dégradation du déficit public français. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)

Nous ne faisons pas preuve d'autosatisfaction, mais nous pensons qu'il importe de répondre à deux questions. D'abord, quels sont les choix politiques qui ont creusé les déficits, notamment par la hausse de la dépense publique ? Ensuite, la représentation nationale était-elle d'accord pour le faire ? Y a-t-il eu un compromis sur ce point ? La réponse est oui !

M. Jean-Philippe Tanguy
Avec le 49.3 !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Je parle non pas du 49.3, monsieur le député, mais de la crise du covid et des projets de loi de finances rectificative qui ont été examinés dans cet hémicycle et que tous les groupes, sans exception, ont adoptés.

M. Frédéric Boccaletti
La crise du covid n'explique pas tout !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Même si les modalités pratiques ne faisaient pas forcément l'unanimité, nous étions tous d'accord pour protéger nos concitoyens par des boucliers, nos entreprises par le PGE et par l'activité partielle, et les collectivités territoriales grâce à différents filets de sécurité fiscaux.

Si nous avons collectivement été favorables à cette hausse massive de la dépense publique, nous ne pouvons pas être seulement quelques-uns à regretter le déficit qui en résulte : ce n'est pas cohérent. Ce déficit appartient à la nation, parce que la nation a voulu protéger son pays. Nous ne pouvons pas tracer une trajectoire cohérente si nous ne sommes pas d'accord sur les termes du débat ni sur l'origine des déficits.

M. Stéphane Peu
La suppression de l'ISF, ce n'est pas la crise du covid !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Que nos solutions pour redresser les comptes publics puissent être différentes, c'est une évidence, et ce sera l'objet des débats sur le PLF dès ce soir, mais nous ne pouvons pas avoir un débat constructif si nous ne sommes pas d'accord sur l'origine du déficit. Or l'origine de ce déficit, ce n'est pas un trou que nous aurions soudain découvert devant nous, ce n'est pas vrai ; c'est une dépense de protection de plusieurs centaines de milliards – protection de l'État, protection sociale, protection de nos collectivités – que tout le monde ici a souhaitée.

M. Emmanuel Maurel
Pas seulement !

M. Stéphane Peu
Ce sont des cadeaux fiscaux !

Mme Sophie Pantel
Ce sont des milliards pour les plus riches !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Satisfaisons-nous d'avoir maintenu, puis réduit le taux de chômage dans notre pays, au moment où les autres pays ont vu le leur augmenter. Satisfaisons-nous collectivement que les factures d'énergie de nos concitoyens aient été contenues, quand celles des autres pays explosaient. Tout cela, c'est vous qui l'avez voulu, et vous avez bien fait, mais il faut à présent assumer une réduction de la dépense publique. Encore une fois, que nos solutions diffèrent est une chose, mais nul ne peut nier l'origine de ce déficit, qui est collectif et qu'il nous faut assumer.

Mme Christine Arrighi
Vous n'avez même pas fait le bilan de votre loi de 2020 !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
J'en viens à la question de la trajectoire pluriannuelle. Pourquoi est-il essentiel de réduire nos déficits publics, donc, à terme, notre endettement ? Je l'ai dit tout à l'heure : si nous nous fixons comme objectif de ramener le déficit sous la barre des 3 %, ce n'est pas par attachement à un totem des années 1980 auquel il faudrait à tout prix s'accrocher, mais parce que c'est le niveau de déficit à partir duquel nous serons en mesure de stabiliser puis de réduire notre endettement.

Permettez-moi de donner un ordre de grandeur, pour que chacun soit conscient des enjeux. Un choc de 1 point sur notre dette, ce sont 3,5 milliards de charge de la dette supplémentaires dès l'année suivante, environ 20 milliards supplémentaires à cinq ans et 30 milliards à neuf ans. Dans les prochains jours et les prochaines semaines, nous allons examiner des amendements tendant à augmenter de quelques centaines de millions ou quelques milliards d'euros les crédits de certaines missions budgétaires. Et là, je vous parle de 30 milliards de dette supplémentaires qui ne pourront pas servir à financer nos politiques publiques, pour chaque point d'augmentation de notre dette ! Or celle-ci va continuer à augmenter si nous n'apportons pas de réponses concrètes et soutenables pour réduire nos déficits.

L'enjeu, cet automne, est d'éviter l'explosion de la charge de la dette, afin de ne pas grever notre capacité de financement, mais de continuer à financer nos priorités collectives et d'être capables de faire face à de nouvelles crises, si elles surviennent.

Ce qu'attendent ceux qui notent et ceux qui refinancent notre dette souveraine, c'est d'abord, à court terme, une réduction de notre déficit, prioritairement par la baisse de la dépense publique, mais aussi, car ce n'est pas tabou, par l'action de quelques leviers fiscaux ; ce sont, ensuite et surtout, des réformes structurelles, qui sont pour l'heure, je l'admets, incomplètes. Il faut absolument que nous ayons un agenda de réformes ambitieux dès les prochains mois pour compléter ce budget, qui vise d'abord à réduire la dépense publique, après des années d'augmentations, où elles étaient nécessaires.

Nous devons respecter la temporalité suivante : d'abord, redresser vite et fort les comptes, afin de gravir la première marche, à savoir passer sous la barre des 5% de déficit public en 2025 ; puis, parce que cela ne sera suffisant, prévoir des réformes de structure.

Ceux qui refinancent notre dette s'interrogent régulièrement : pourquoi la dépense sociale de la France est-elle de cinq points plus élevée que celle de ses voisins européens ? Pourquoi la part des dépenses de retraite dans le PIB y atteint-elle 15 %, alors qu'elle est inférieure chez nos voisins ? Nous devrons répondre à ces questions. Seules des réformes de structure permettront d'équilibrer le modèle français de protection sociale. Faute de quoi, nous ne serons pas suffisamment crédibles aux yeux des créanciers pour refinancer notre dette dans de bonnes conditions. Tel est l'enjeu auquel nous faisons face, collectivement.

Il ne s'agit pas de savoir si un autre monde est possible.

Mme Marie Mesmeur
Un autre monde est possible !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
Le monde dans lequel nous vivons refinance la dette de la France, monsieur Maurel, que vous le vouliez ou non. Or il la refinance à certaines conditions. D'autres solutions sont possibles,…

Mme Christine Arrighi
Oui : nous en avons !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
…mais si le taux d'intérêt de la dette française augmente en conséquence d'un ou deux points, le trou à combler dans les caisses de l'État se creusera de 30 à 60 milliards supplémentaires, ce qui – nous en serons tous d'accord, je le pense – n'est pas souhaitable.

M. Emmanuel Maurel
La récession aussi, cela coûte cher !

M. Laurent Saint-Martin, ministre
De tout le reste, pour ce qui concerne le budget de l'année prochaine, nous débattrons à partir de ce soir.

Mme la présidente
Le débat d'orientation et de programmation des finances publiques est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 22 octobre 2024