Interview de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, dans Le Parisien le 18 octobre 2024, sur la mort du chef du Hamas, Yahya Sinouar, l'immigration, la situation en Ukraine et la proche échéance de l'élection présidentielle américaine.

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Média : Le Parisien

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Q - La mort du chef du Hamas Yahya Sinouar ouvre-t-elle la voie à l'arrêt de la guerre à Gaza ?

R - Yahya Sinouar était un chef terroriste cruel, responsable de la mort de quarante-huit de nos compatriotes, un obstacle à la paix. Oui, sa mort peut représenter un tournant. La France porte un message très clair d'attachement indéfectible à la sécurité d'Israël et à la nécessité de relancer un dialogue politique dans la région. Elle peut jouer un rôle pour entraîner nos partenaires européens dans la facilitation de ce dialogue.

Q - Le sommet de Bruxelles a souligné les divisions des Européens sur l'immigration. Comment les dépasser ?

R - Il y a en fait beaucoup plus d'unité sur ce sujet qu'avant. Dans les États membres et les opinions publiques, on ressent la volonté de maîtriser l'immigration, de contrôler nos frontières extérieures et de trouver une réponse européenne à ce défi. Il y a un consensus sur la mise en œuvre rapide du Pacte asile et migration, qui permettra un premier filtrage des demandeurs d'asile aux frontières, sur la nécessité de réviser la directive retour pour mieux expulser les clandestins, et sur un renforcement de la dimension migratoire nos politiques extérieures.

Q - C'est-à-dire ?

R - Utiliser la délivrance de visas, le commerce, l'aide au développement et les accords de partenariats avec des pays tiers, comme celui avec la Tunisie.

Q - Et les "solutions innovantes" ("hubs de retour", notamment) prônées par la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni ?

R - Il ne faut pas s'interdire des débats, même si je suis réservé, notamment sur leur efficacité. Les résultats de l'Italie sont liés à la coopération européenne, pas à des solutions innovantes qui n'existaient pas encore.

Q - Mme Meloni a organisé à Bruxelles une réunion sur ces solutions, avec une dizaine de pays, mais sans la France ni l'Allemagne. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, y assistait, c'est un encouragement ?

R - Cela ne me choque pas que Mme von der Leyen échange avec tous les États membres et s'attache à trouver un consensus. Être capables de maîtriser l'immigration est une exigence de nos concitoyens, c'est une priorité du Premier ministre. En tant que ministre délégué chargé de l'Europe cela fait partie de mes priorités. Je m'inscris dans la vision du discours de la Sorbonne du président Macron, pour une Europe qui assume de défendre sa sécurité et sa souveraineté sur tous les plans : ça passe par le fait de défendre nos frontières.

Q - Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a présenté aux Vingt-Sept son "Plan de victoire". Vous croyez en la victoire de l'Ukraine ?

R - Oui. Le président Zelensky a signalé être ouvert à une négociation, il faut donc créer le rapport de force le plus favorable sur le terrain. Les Ukrainiens se battent pour leur souveraineté et leur liberté, mais c'est aussi notre sécurité qui se joue. Au niveau européen, nous finalisons un grand emprunt de 50 milliards de dollars (46 milliards d'euros) basé sur les avoirs russes gelés en Europe pour soutenir les besoins militaires de l'Ukraine. L'enjeu sera ensuite de l'accompagner vers l'UE et l'Otan pour assurer la sécurité de l'Europe.

Q - En leur lançant une invitation officielle dès maintenant ? Les États-Unis, l'Allemagne et d'autres y sont hostiles...

R - L'invitation est la première étape, un signal politique, on pourrait le faire dès maintenant. Nous nous mobilisons pour convaincre nos partenaires, même si l'adhésion est un processus long et exigeant.

Q - L'Allemagne veut avancer vite sur la conclusion du traité Mercosur entre l'UE et le Brésil, notamment. Que va faire Paris, qui y est hostile ?

R - Cet accord ne nous convient pas en l'état. C'est une question d'équité commerciale, de défense de nos normes écologiques, comme de nos intérêts. Nous continuons de mobiliser nos partenaires pour défendre cette position.

Q - La voix de la France en Europe n'est-elle pas affaiblie ? Giorgia Meloni semble donner le ton...

R - Il n'y a pas de crise de l'influence française. Souveraineté technologique et industrielle, défense, nucléaire, immigration : l'agenda européen reflète nos priorités depuis 2017. Pour cela, on travaille avec tout le monde. La France a des partenaires historiques évidents, comme l'Allemagne, mais les partenaires d'Europe centrale sont essentiels sur les questions de sécurité, comme l'Italie ou l'Espagne sur l'agenda économique. Je m'attache à le rappeler dans mes déplacements (Varsovie, Berlin, Chypre, Lettonie), et je me rendrai dans toutes les capitales européennes.

Q - Un retour de Donald Trump à la Maison Blanche serait une mauvaise nouvelle pour l'Europe ?

R - Trump ou Harris, la tendance profonde est là : les États-Unis sont en train de déménager, on le voit dans le recours au protectionnisme, ou dans la priorité donnée à l'Asie. J'ai vécu les années Trump aux États-Unis, les Européens ont voulu croire que c'était une parenthèse. Sortons collectivement du déni. Les Américains restent nos alliés. Mais nous devons être capables de prendre en charge notre existence, notre propre sécurité sur le plan économique et militaire. Il faudra investir dans les technologies d'avenir, quantique, l'IA. Sinon notre continent décrochera des grands équilibres géopolitiques.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2024