Texte intégral
BRUCE TOUSSAINT
Bonjour Sehla BOUGRIOU.
SEHLA BOUGRIOU
Bonjour Bruce.
BRUCE TOUSSAINT
Votre invité ce matin est au coeur de la bataille du budget qui commence à l'Assemblée nationale. Il s'agit d'Antoine ARMAND, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
SEHLA BOUGRIOU
Absolument. Bonjour Antoine ARMAND.
ANTOINE ARMAND
Bonjour.
SEHLA BOUGRIOU
Le Rassemblement national parle d'insincérité concernant votre budget ; la gauche, elle, d'austérité. Et concernant votre coalition, c'est une succession de lignes rouges. La discussion, finalement, c'est plus pour la forme ? Le 49.3, c'est inévitable ?
ANTOINE ARMAND
Pas du tout. Et on l'a vu en commission des finances ces derniers jours, les parlementaires dans notre pays ont le pouvoir. Ils ont le pouvoir de faire des propositions, de changer le budget, de taxer davantage ou de taxer moins. Mais ils ont aussi une responsabilité, c'est celle de faire aboutir le budget. Et vous avez vu ce qui s'est passé en commission des finances après plusieurs jours ? Ils ont, eux-mêmes, rejeté le budget qu'ils avaient modifié.
SEHLA BOUGRIOU
Mais justement, vu la tournure des choses, est-ce que finalement ça n'arrangerait pas un peu tout le monde, pour éviter de voir des débats qui s'éternisent et surtout de voir des majorités se former contre vous, à l'image de ce qu'on a vu lors de cette commission ?
ANTOINE ARMAND
J'ai été élu député en 2022. J'ai un attachement viscéral au Parlement. Et je suis sûr que nos concitoyens aussi. Et je suis sûr que nos concitoyens attendent du Parlement qu'ils débattent et qu'ils fassent des propositions, mais pas dans n'importe quel cadre. Dans quel cadre ? Celui d'un pays qui a 3 000 milliards de dettes et dont le déficit dépasse 6%. Et donc un pays, je le dis avec beaucoup de simplicité, qui doit faire des efforts. On peut être pas d'accord sur où, comment ? Est-ce qu'il faut plutôt faire cela dans les dépenses de santé, plutôt dans les dépenses sociales ? Mais si on ne part pas ensemble du diagnostic commun qui est « on a trop de dettes, on a trop de déficit, faisons un effort » alors, on n'est pas dans un cadre de responsabilité.
SEHLA BOUGRIOU
Alors, vous parlez d'efforts en vrac. Très concrètement, quelques mesures difficiles à digérer pour les Français : le coup de rabot sur les aides au rachat de voitures électriques, le malus auto, la hausse de la fiscalité sur la taxe de l'électricité. Beaucoup de Français vont être touchés, de tout milieu. Vous n'avez pas peur du ras le bol fiscal ?
ANTOINE ARMAND
Alors d'abord, les 80% des Français vont voir leur facture d'électricité baisser. C'est important de le rappeler.
SEHLA BOUGRIOU
Oui, mais la fiscalité augmente. Ils auraient pu bénéficier d‘une meilleure baisse des tarifs.
ANTOINE ARMAND
Oui, C'est important de le rappeler. La facture des Français, pour 80% d'entre eux, va baisser. Et pour 20% d'entre eux, elle a déjà baissé ou ils pourront changer d'offre. Mais vous avez raison sur un point : nous ne proposons pas de taxer les Français qui travaillent davantage. Nous indexons le barème de l'impôt sur le revenu pour que l'impôt sur le revenu ne soit pas plus important pour nos compatriotes. Nous ne touchons pas aux TPE, aux PME qui embauchent, qui emploient, qui travaillent. Pourquoi ? Parce que je vous ai parlé de déficit et de dette. Mais si on veut s'en sortir, il faut qu'on travaille et qu'on produise davantage en France.
SEHLA BOUGRIOU
Dans l'actualité aussi, le géant du médicament SANOFI va donc vendre 50% de sa filiale OPELLA qui produit le Doliprane. Dans dix ans, ça passe sous pavillon étranger. Et on voit l'histoire se répéter comme ce qu'on a connu avec ArcelorMittal ?
ANTOINE ARMAND
Si quelques jours après ma nomination, je suis allé à la rencontre des salariés à Lisieux, si nous avons mis un poids politique et un engagement politique important ces derniers jours pour obtenir des garanties extrêmement fortes de la part de l'entreprise OPELLA, sur l'emploi, sur l'augmentation de l'investissement et plus encore, si nous avons, pour obtenir ces garanties, pour veiller à ces garanties au prix de l'actionnariat dans OPELLA, pour que l'État soit actionnaire du Doliprane, c'est parce que ça nous paraît important, c'est parce que c'est une stratégie industrielle. Donc nous veillerons à ce que le Doliprane continue à être produit en France.
SEHLA BOUGRIOU
Mais concrètement, est-ce que vous aurez un droit de veto ? Non ?
ANTOINE ARMAND
Concrètement, nous serons, de par BPIFRANCE, actionnaire de l'entreprise et nous contribuerons à la stratégie. Par ailleurs, nous avons demandé des garanties sur le maintien de l'emploi, sur la production, qui sont assorties de sanctions immédiates et précises.
SEHLA BOUGRIOU
Vous resterez un actionnaire minoritaire. Et par ailleurs, ce qui continue d'inquiéter les syndicats, vous parlez des garanties très fortes, notamment sur la question des amendes ; 40 millions d'euros s'il décide de fermer l'usine ; mais s'il décide aussi de payer - c'est un groupe qui pèse plusieurs milliards d'euros - s'il décide de payer et de délocaliser au bout de cinq ans. D'ailleurs, la CFDT estime que cinq ans, ce n'est pas un délai suffisant. Vous auriez dû peut-être aller plus loin, avoir au moins dix ans de garanties.
ANTOINE ARMAND
Il faut quand même, un instant, se resituer dans un contexte plus global. Nous avons une stratégie industrielle et sanitaire qui vise d'abord à relocaliser le médicament. Et la partie la plus critique, c'est, vous savez, le principe actif. On est en train de le relocaliser dans le sud de la France parce qu'on l'a vécu pendant le Covid, ces pénuries, cette incapacité à produire nous-mêmes le principe actif du médicament. Donc ça, c'est important ; on le relocalise. Ensuite, on a toute la chaîne jusqu'à la fabrication du Doliprane. Cinq ans dans un horizon de temps d'une entreprise, c'est beaucoup. C'est une garantie importante.
BRUCE TOUSSAINT
Antoine ARMAND, 1%... Sans être un spécialiste de l'économie, tous les gens qui nous regardent ont compris ; 1%. Malheureusement, votre marge de manoeuvre, celle de l'État, est extrêmement faible. Et comment croire ces promesses-là aujourd'hui, qu'on connaît ?
ANTOINE ARMAND
Puisque ce ne sont pas des promesses, ce sont des engagements dans un contrat. J'entends ceux qui me disent : « Il n'aurait rien fallu faire, il fallait laisser passer sous… même 100% de prévisions américaines dans quelques années. J'entends ceux qui disent : " Il faut nationaliser SANOFI et OPELLA ". Nous sommes dans un monde complexe où il faut absolument protéger l'emploi, l'industrie en France. C'est ce que nous avons fait et je le dis ici, pour chaque engagement qui est pris par OPELLA, en face, s'il n'est pas respecté, il y a une sanction précise. Et c'est ça l'intérêt d'être actionnaire de l'entreprise, c'est de pouvoir, au quotidien, suivre ses engagements.
SEHLA BOUGRIOU
Alors, vous, vous parlez d'être actionnaire d'une entreprise. Et pendant ce temps, il y a des membres de votre camp qui proposent, quant à eux, de diminuer… pour diminuer la dette de la France, de céder 10% des participations dans des entreprises cotées. Est-ce que c'est une fausse bonne idée ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
ANTOINE ARMAND
Alors d'abord, ce n'est pas la même chose. Je ne serai pas technique, mais aujourd'hui, quand vous vendez des participations de l'Etat, des parts que l'Etat a dans telle ou telle entreprise, ça ne réduit pas le déficit parce que c'est une opération financière. Donc que vous vendiez un peu ou beaucoup d'une action de l'Etat, ça ne change pas le déficit.
SEHLA BOUGRIOU
Vous dites comme Elisabeth BORNE, ça ne changera rien ?
ANTOINE ARMAND
Ça ne change pas le déficit. Ensuite, qu'on ait une réflexion sur ce que possède de l'Etat, comment est-ce qu'on peut être plus stratégique ? On l'a, on continue, ce n'est pas une mauvaise discussion à avoir.
SEHLA BOUGRIOU
Autre sujet, l'agence de notation MOODY'S doit rendre son verdict ce vendredi sur la note française. Vous vous attendez à une dégradation ?
ANTOINE ARMAND
Les agences s'expriment. Elles sont nombreuses. Il y a d'autres instituts qui nous regardent. Je note qu'une de ces agences nous a placés sous perspective négative, il y a quelques jours. Et je le dis non pas parce qu'on ferait la politique pour les agences de notation, je le dis parce que nos partenaires européens nous regardent ; parce que je serai à partir de…
SEHLA BOUGRIOU
On doit s'inquiéter pour notre crédibilité internationale ?
ANTOINE ARMAND
… Je serai, mercredi, à Washington pour l'Assemblée générale du FMI où nous sommes aujourd'hui en Europe, un des pays les plus isolés en termes de déficit et de dette. Pour ne pas sortir définitivement du cadre, pour ne pas faire cavalier seul, et être de plus en plus endetté., il faut prendre des mesures.
SEHLA BOUGRIOU
On va devoir avancer, Antoine ARMAND, sur le gel des pensions des retraites des six mois en 2025. Le minimum vieillesse, on l'a appris hier, ne sera donc pas touché. Quid des petites retraites ? A partir de quel seuil vous dites : " On va devoir faire un effort " ?
ANTOINE ARMAND
C'est une discussion que nous devons sans doute avoir dans le débat parlementaire, parce que la retraite…
SEHLA BOUGRIOU
Votre avis, à titre personnel ?
ANTOINE ARMAND
Nous avons un avis que nous sommes en train de travailler, mais, vous le savez, c'est dans le cadre d'un effort…
SEHLA BOUGRIOU
1 400 euros ? 1 600 euros ?
ANTOINE ARMAND
C'est dans le cadre d'un effort global. Et donc, si vous voulez, je ne peux pas avoir commencé notre entretien en vous disant " la situation est grave. " Et puis ensuite, vous expliquer à chaque question qu'on va dépenser davantage. Et à la fin de l'entretien, en dix minutes, on aura perdu cinq ou dix milliards. Donc tout le monde doit faire un effort, mais on doit avoir, pour les petites retraites qui ne tombent pas du ciel, qui sont simplement le résultat du travail de toute une vie ; on doit avoir une attention particulière et je pense qu'on l'aura.
BRUCE TOUSSAINT
Donc vous voyez que finalement, l'austérité, n'est pas si loin ?
ANTOINE ARMAND
Justement.
BRUCE TOUSSAINT
Vous le dites-vous même à l'instant, vous dites qu'il faut qu'on y aille tous ?
ANTOINE ARMAND
Pardon, mais l'austérité, je vais vous donner quelques exemples. L'austérité c'est, en Lettonie, baisser les salaires des fonctionnaires de 25%.
BRUCE TOUSSAINT
C'est votre définition…
ANTOINE ARMAND
C'est non, ce n'est pas ma définition ; c'est celle de l'ensemble des pays, des institutions internationales. Ce qu'on fait, c'est le contraire. Ce qu'on fait, c'est un budget pour éviter l'austérité, pour éviter qu'un jour, nos partenaires européens, les marchés, nous disent " là, ce n'est plus possible, il faut couper. "
BRUCE TOUSSAINT
Pour récupérer un peu d'argent, autoriser les casinos en ligne, c'est une vraie piste du Gouvernement ?
ANTOINE ARMAND
Il n'y a pas, ici, sur la question des jeux, de dogmes et d'idéologie. Mais il y a deux points qui se posent : la première, c'est l'équilibre entre certains qui ont des prestations en ligne qui font parfois de manière illégale et qui ne sont pas très éthiques, que nous devons mieux réguler et que nous devons faire contribuer s'ils existent. Mais à nouveau, prenons la question globalement…
BRUCE TOUSSAINT
Non mais ce n'est pas rien.
ANTOINE ARMAND
Est-ce que c'est un secteur…
BRUCE TOUSSAINT
Parce qu'autoriser les casinos en ligne, ça n'existe pas en France, aujourd'hui. Et ça pose le problème de l'addiction aux jeux, comme vous le savez.
ANTOINE ARMAND
Absolument. Et ce n'est pas quelque chose qu'on regarde à la légère. La question, c'est ceux qui existent déjà.
BRUCE TOUSSAINT
Donc, vous dites que c'est une piste. Vous réfléchissez à ce scénario ?
ANTOINE ARMAND
Ceux qui existent, qui pratiquent parfois illégalement, doivent être ou fermés, ou régulés, ou être mis à contribution. C'est ça qui est important, aujourd'hui. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas question qu'il y ait des gens qui pratiquent des activités sans contribuer à l'effort fiscal national.
SEHLA BOUGRIOU
Antoine ARMAND, un dernier mot sur la façon vous allez, la façon dont vous allez travailler avec l'Assemblée nationale. Comment vous travaillez avec le RN désormais ? Vous les remettez dans l'axe républicain ?
ANTOINE ARMAND
J'ai été député, j'ai été rapporteur d'une commission d'enquête dans laquelle j'ai travaillé avec toutes les forces politiques parce que je respecte tous les électeurs et tous les élus de la nation. Donc, nous écoutons, nous travaillons avec toutes celles et ceux qui sont représentés à l'Assemblée, au Sénat. Pourquoi ?
SEHLA BOUGRIOU
Ils sont dans l'axe républicain, aujourd'hui ?
ANTOINE ARMAND
Parce que c'est une marque… On ne va pas feuilletonner, si vous le voulez bien. C'est un sujet qui n'est pas
SEHLA BOUGRIOU
Ce n'est pas pour feuilletonner, c'est pour comprendre votre positionnement, en réalité.
ANTOINE ARMAND
Ce qui est important, c'est que je suis ministre de la République et que quand un parlementaire nous interpelle et nous fait des propositions…
SEHLA BOUGRIOU
Et donc, vous avez changé d'avis ?
ANTOINE ARMAND
Pas du tout, j'ai eu l'occasion de le dire beaucoup de fois ces derniers temps. Je ne suis pas sûr que ce soit ce qui préoccupe nos concitoyens. Ce qui préoccupe nos concitoyens, c'est comment on réduit la dette et comment on évite demain un effort qui serait très fort pour les Français ?
BRUCE TOUSSAINT
Merci Antoine ARMAND.
ANTOINE ARMAND
Merci à vous.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup à Sehla BOUGRIOU.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 octobre 2024