Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec BFM TV/RMC le 31 octobre 2024, sur les inondations gigantesques en Espagne, les relations avec le Maroc, l'élection présidentielle américaine et la situation au Proche-Orient.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Il est 08h32 sur BFM TV et RMC. Mon invité est le chef de la diplomatie française, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Bonjour Jean-Noël Barrot.

R - Bonjour,

Q - Cinq jours avant les élections américaines, BFMTV et RMC sont d'ailleurs mobilisées ici, à Paris, à New York, à Washington, partout aux Etats-Unis, pour vous faire vivre cette élection historique. Mais avant cela, je voulais d'abord revenir sur ces inondations gigantesques en Espagne. 95 morts. Le bilan risque encore de s'alourdir parce qu'il y a encore des dizaines de de disparus. Des villes entières ont été ravagées. Et évidemment, la France et l'Europe sont solidaires pour porter assistance à l'Espagne, si elle en faisait la demande. Jean-Noël Barrot, à l'heure où on se parle, la France a-t-elle reçu une demande d'assistance de Madrid ?

R - C'est évidemment une tragédie absolue et la France a exprimé hier sa solidarité vis-à-vis du peuple espagnol, a exprimé ses condoléances aux familles des victimes, à leurs proches, et a proposé à l'Espagne de l'aide, et 250 pompiers se tiennent prêts à intervenir dès lors que l'Espagne acceptera cette demande. Evidemment, notre priorité, vous l'avez cité en introduction, c'est la sécurité de nos ressortissants, puisque 4.000 Français vivent dans la région de Valence. C'est pourquoi notre ambassade, notre consulat, sont pleinement mobilisés pour pouvoir répondre à toutes les questions, pouvoir leur porter secours lorsque cela est possible. Et nous suivrons l'évolution de la situation d'heure en heure.

Q - Vous savez me dire si, à ce stade, on a des nouvelles de chacun d'entre eux ? Est-ce qu'il y en a qui ne répondent pas à l'appel, pour lesquels on est encore inquiets ?

R - On est encore inquiets, on est encore dans l'attente de confirmations. On n'a pas eu de nouvelles tragiques à ce stade, mais malheureusement on ne peut pas l'écarter. C'est pourquoi les équipes sur place sont pleinement mobilisées. Je veux leur rendre hommage, parce qu'elles sont face à une situation extrêmement complexe, et elles sont mobilisées de jour comme de nuit.

Q - Donc consulat et ambassade en Espagne pour répondre aux Français sur place. À Paris, pour les proches, il y a des dispositifs, une cellule de crise qui a été ouverte ? Pas encore ?

R - Le centre de crise et de soutien, rattaché au ministère des affaires étrangères, en lien avec l'ambassade et le consulat, s'assure que toutes les réponses peuvent être apportées. Ce que le consulat a fait jusqu'à présent, c'est d'orienter les personnes qui rencontrent des difficultés ou qui sont dans une situation d'urgence vers les numéros dédiés, pour que les secours espagnols puissent leur porter assistance le plus rapidement possible.

Q - Jean-Noël Barrot, vous êtes revenu du Maroc ce mercredi soir, hier, après une visite d'Etat de trois jours avec le Président de la République. Des accords signés dans plusieurs domaines économiques, pour un montant évalué jusqu'à 10 milliards d'euros. Visite importante qui scelle la réconciliation entre Paris et Rabat, et il a fallu pour cela que la France fasse évoluer sa position sur le Sahara occidental, que la France réaffirme la souveraineté marocaine sur ce territoire disputé. Vous avez d'ailleurs présenté, au Maroc, une nouvelle carte de la diplomatie française qui englobe le Sahara occidental dans le Maroc. Jean-Noël Barrot, pourquoi ce virage de la diplomatie française ?

R - La France soutient depuis 2007 ce que l'on appelle le plan d'autonomie présenté par le Maroc pour la région du Sahara occidental. Ce plan suscite un consensus de plus en plus large de la communauté internationale, y compris au sein de l'Union européenne. Et considérant tout cela, le Président de la République a décidé, le 30 juillet dernier, de préciser encore notre position. Et c'est cela qui s'est concrétisé lors de cette visite d'Etat historique, par la présentation de cartes actualisées tenant compte de cette évolution de la position française.

Q - Le Sahara occidental, pour bien présenter ce que c'est, c'est un territoire qui se trouve en fait au sud du Maroc, entre le Maroc et la Mauritanie, qui était une colonie espagnole et dont le Maroc revendiquait la souveraineté. Vous dites que le consensus international a évolué en la matière. C'est vrai de la part de certains pays qui ont fait évoluer leur position, mais les Nations unies considèrent toujours ce territoire comme non autonome. Le Maroc, d'ailleurs, s'était engagé sur un référendum pour consulter les populations sahraouies, pour savoir si elles souhaitaient être marocaines ou indépendantes. Ce référendum n'a jamais eu lieu. Et juste avant ce voyage historique, la Cour de justice de l'Union européenne a invalidé des accords de pêche et d'agriculture avec le Maroc en disant, très basiquement, "si vous pêchez du poisson, si vous produisez des fruits et légumes dans le Sahara occidental, il doit y avoir une mention ?produit au Sahara occidental' et non pas produit au Maroc." Ça veut dire que la France a fait un choix qui est indépendant de ce que disent les instances, au fond, internationales.

R - Oh mais vous savez, je le disais tout à l'heure, c'est aujourd'hui plus de 20 pays européens qui ont adopté une position très similaire à la France. Quelle est-elle ? Quelle est-elle, cette position ? Elle consiste à dire qu'il faut, pour cette région du sud du Maroc, qu'il faut trouver une solution politique durable qui soit juste, qui soit acceptable pour toutes les parties, qui soit scellé sous l'égide des Nations unies. Mais ce que nous disons aussi, c'est que la seule voie pour y parvenir aujourd'hui, c'est le plan d'autonomie du Maroc. Et pour cela, il faut que le Maroc poursuive son travail de conviction auprès des Nations unies, qu'il puisse, à une échéance qui lui appartient, présenter les détails de ce plan d'autonomie. Et ce que nous voulons, c'est l'accompagner dans cette voie, au bénéfice des populations du Sahara occidental.

Q - Jean-Noël Barrot, si je me faisais l'avocat du diable, je vous dirais, quelle différence au fond entre des populations sahraouies qui réclament leur autonomie et le Maroc qui réclame la souveraineté sur ce territoire, et la situation de la Crimée que la Russie revendique ? Est-ce que vous ne créez pas un précédent dangereux avec cette reconnaissance, indépendamment de ce que disent les Nations unies ?

R - Non, je ne crois pas qu'on puisse comparer les deux situations. Il faut regarder la composition des populations qui habitent aujourd'hui le Sahara occidental. Il est vrai qu'il y a un débat, qu'il y a une question qui est posée. Mais je le redis, et c'est ce que nous considérons depuis 2007, mais nous l'avons précisé le 30 juillet dernier, la seule voie pour parvenir à une solution politique, durable et juste au bénéfice des populations locales, c'est ce plan d'autonomie présenté par le Maroc.

Q - Sur un autre dossier, le dossier migratoire. Est-ce que vous vous félicitez d'une coopération retrouvée avec Rabat ? Le ministre de l'intérieur faisait partie de de cette délégation, et on a pu assister à cette déclaration commune avec son homologue marocain.

R - Je ne voudrais pas réduire cette visite historique à la question des OQTF, c'est une question importante, mais ce n'est pas la seule, bien heureusement. C'était une visite majeure, qui va marquer l'histoire de nos deux pays, qui a été l'occasion d'ouvrir un nouveau livre. Ce sont les termes que le roi du Maroc a utilisé. La question des mobilités est un chapitre qu'il nous faut traiter. Sur la question des retours, de l'exécution de ces OQTF, nous avons déjà progressé avant même cette visite. Nous allons continuer. Sur la question de la mobilité des talents de part et d'autre de la Méditerranée, là encore nous devons progresser, car il existe des liens très forts entre le peuple marocain et le peuple français.

Q - Sur l'immigration, pardon d'insister, mais Bruno Retailleau veut nommer un émissaire pour négocier avec les pays d'origine la réadmission de leurs ressortissants. Pardon, mais est-ce que ce n'est pas le rôle de votre ministère à vous ? Ce n'est pas le rôle de la diplomatie française de négocier avec les autorités étrangères ?

R - Mais vous avez raison de dire qu'il y a un ambassadeur dont la responsabilité est de coordonner le volet diplomatique de notre politique migratoire, qui est un des volets importants...

Q - Il réinvente l'eau tiède, Bruno Retailleau, si j'osais l'expression ?

R - Non, nous travaillons de manière très étroite. C'est un sujet dont il a voulu s'emparer et sur lequel d'ailleurs nous avons pu échanger. Mais nous avons des idées très claires sur le sujet. Et d'ailleurs l'ensemble des postes du réseau diplomatique de la France est aujourd'hui mobilisé pour que cette politique migratoire soit un succès. C'est à dire qu'on puisse éloigner les étrangers en situation irrégulière, mais qu'on puisse aussi favoriser les mobilités des talents entre les pays d'origine et la France.

Q - Deux images qui ont marqué cette visite : la première, celle du roi Mohamed VI se déplaçant difficilement, assez aminci, s'appuyant sur une canne. Ces images suscitent beaucoup de commentaires et beaucoup d'interrogations. Vous, comment vous l'avez trouvé, le roi du Maroc ?

R - Alors pardon de vous contredire, mais ce sont trois images qui ont marqué cette visite d'Etat. La première, c'est la ferveur populaire dans laquelle le Président de la République a été accueilli...

Q - Ça, c'est une façon de ne pas me répondre, Jean-Noël Barrot...

R - J'y viens, j'y viens ! La deuxième, c'est l'ovation qui a été réservée par le Parlement marocain au discours du Président de la République. Et la troisième image, c'est la joie des Français du Maroc de voir cette relation entre nos deux pays refondée.

Q - Mais vous, comment vous l'avez trouvé ?

R - Il ne m'appartient pas de commenter la santé du roi du Maroc.

Q - Vous ne l'avez pas trouvé affaibli ? Vous avez pu le voir de près ? Vous l'avez trouvé en forme ?

R - Je vous assure, Neïla Latrous, qu'il ne m'appartient pas de discuter ni de commenter de la santé du roi du Maroc.

Q - Pour tout vous dire, on s'est posé la question de "est-ce qu'il fallait traiter ce sujet ?" Et puis on se dit, la semaine où Michel Barnier fait la transparence sur son opération, l'année où Joe Biden renonce à la présidence américaine pour des raisons de santé, il n'y avait pas lieu de faire un distinguo dans le traitement entre des dirigeants occidentaux et des dirigeants orientaux. C'est pour ça que je me permets de vous reposer la question : comment vous l'avez trouvé ?

R - Et c'est pour ça que je me permets de vous rappeler à ces images très fortes qui ont marqué cette visite.

Q - Je n'aurai pas de réponse, j'ai compris, Jean-Noël Barrot. Est-ce que la visite n'est pas gâchée, aussi, par la présence de Yassine Belattar ? Je ne sais pas si vous avez lu la presse française ces derniers jours, il en a été énormément question. Qu'est-ce qu'il faisait là ?

R - Voilà un sujet qui est totalement insignifiant et ne comptez pas sur moi pour commenter la composition de la délégation qui a accompagné le Président de la République, d'abord parce que ça serait trop long...

Q - Vous n'avez pas été gêné par sa présence ?

R -... d'abord parce que ça serait trop long, et ensuite parce que si vous le souhaitez, je suis à votre disposition pour vous détailler les contrats qui ont été signés par Suez, par Engie, par Egis...

Q - Brièvement, Jean-Noël Barrot, vous pouvez dire oui ou non.

R - ..., par Alstom, par Véolia. Je refuse qu'une visite aussi historique soit éclipsée par des détails aussi insignifiants.

Q - Et ça a été le cas, en partie.

R - Pas du côté marocain en tout cas. Au Maroc, on n'en a pas entendu parler.

Q - Je n'aurai pas de réponse non plus là-dessus. Jean-Noël Barrot, dans cinq jours et quelques heures, le scrutin sera clos aux Etats-Unis. Donald Trump, Kamala Harris, qui pour succéder à Joe Biden ? C'est un feuilleton qui tient en haleine la planète entière et sans doute aussi la diplomatie française. Car évidemment, selon la victoire de l'un ou de l'autre, les conséquences ne seront pas les mêmes sur le plan commercial, économique, géopolitique, écologique, sur les terrains de guerre évidemment. Y a-t-il un scénario que la France craint particulièrement, Jean-Noël Barrot ? Ou, si on pose la question différemment, un scénario qu'elle espère ?

R - L'amitié entre la France et les Etats-Unis a plus de deux siècles, on a résisté à 59 élections présidentielles américaines. On résistera à la 60.

Q - Quel que soit le futur président, ça ira ?

R - Je crois que c'est une élection, vous l'avez dit, qui est très importante. C'est une élection dont je souhaite qu'elle puisse se passer dans des conditions apaisées, ce qui ne semble pas être absolument garanti et ce qui serait évidemment pour la démocratie, pour les démocraties, extrêmement grave. Ensuite, évidemment, nous nous préparons, en France comme en Europe, à tenir compte du résultat qui sera celui de l'élection présidentielle sans pour autant indexer nos positions sur la vie politique américaine.

Q - Vous avez vu que l'opinion française souhaite très massivement une victoire de Kamala Harris. C'est le sondage pour BFM TV, 64% des Français souhaitent l'élection de la candidate démocrate. Et parmi les 13% uniquement qui soutiennent Donald Trump se trouve par exemple Eric Ciotti, député français, ancien patron de la droite, qui considère, je le cite, que "Donald Trump sera le plus à même de régler les conflits au Moyen-Orient et en Ukraine". Qu'est-ce que vous lui répondez ?

R - Qu'il n'a pas le droit de vote aux Etats-Unis. Et qu'il a le droit évidemment d'avoir son avis. Mais il appartient au peuple américain de choisir son président, et nous prendrons celui ou celle qu'il nous donnera. Et nous ferons avec, comme nous l'avons toujours fait.

Q - Est ce qu'il y a une crainte, quel que soit le résultat, d'un retour de l'isolationnisme américain en matière de politique étrangère notamment, par exemple, sur le volet ukrainien ? Est-ce que, si les Etats-Unis décidaient de se désengager, l'Europe pourrait seule continuer à soutenir l'Ukraine militairement et financièrement ?

R - Se désengager et abandonner les Ukrainiens seraient pour les Etats-Unis une erreur historique. Ce serait oublier que Vladimir Poutine est aujourd'hui très affaibli. Ce serait prendre le risque de déstabiliser les cours de l'énergie et des céréales au niveau mondial. Et ce serait surtout encourager les envahisseurs à envahir leurs voisins, les uns à envahir les autres ; et cela, les Etats-Unis, qui sont quand même très attentifs, y compris en Asie, à ce type de situation, ne peuvent pas s'y rester.

Q - Mais on s'y prépare, à devoir faire seul dans le soutien à l'Ukraine ?

R - L'Europe, dans ce contexte et quel que soit le résultat de l'élection américaine, doit effectivement se réveiller. Elle doit se doter d'une assurance-vie pour pouvoir assurer sa propre sécurité et celle de son voisinage. C'est ce que la France dit depuis sept ans. Nous avons commencé à bâtir les conditions de cette autonomie, de cette capacité, ne serait-ce qu'à nous approvisionner en matériel militaire européen, et il nous faudra accélérer. Ce sera peut-être un moment de vérité pour l'Europe.

Q - Jean-Noël Barrot, une partie de de ce qui se passe au Proche-Orient semble liée à l'élection américaine. Un certain nombre d'observateurs fondent un grand espoir dans cette période de trêve qui pourrait s'ouvrir à partir du 5 novembre, entre l'élection d'un président ou d'une présidente américaine, et son installation au mois de janvier prochain. Quel rôle la France joue dans tout cela ? On a l'impression d'avoir un peu perdu la main. Est-ce que sur le Liban, par exemple, la France a encore un rôle à jouer ?

R - Je ne peux pas vous laisser dire ça, puisqu'un mois après le début des opérations terrestres au Liban, c'est la France qui a accueilli la semaine dernière la première Conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban. Nous avons, à cette occasion, levé plus d'un milliard de dollars qui vont permettre de financer de l'aide humanitaire mais aussi le soutien à l'armée du Liban, seule institution susceptible de tenir le pays debout.

Q - Mais à partir de quand, Jean-Noël Barrot ?

R - Dès ce soir ! La France joindra les actes à la parole, puisque nous livrerons une première tranche d'aide humanitaire de 30 tonnes qui viendra au secours des personnes déplacées - vous savez qu'il y a près d'un million de personnes déplacées au Liban, du sud vers le nord -, avec des tapis de sol, des kits d'hygiène, des couvertures, des lampes, des jerricans, pour pourvoir aux nécessités urgentes auxquelles font face les Libanais déplacés.

Q - 30 tonnes d'aide humanitaire qui décollent ce soir vers le Liban, pour les populations déplacées. Est-ce que vous croyez à un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah, dans les prochains jours ? C'est évoqué notamment par le nouveau chef du Hezbollah, même s'il semble considérer que les conditions ne sont pour l'instant pas réunies.

R - Nous y travaillons activement, puisque vous savez qu'il y a un mois, la France et les Etats-Unis ont proposé, ont mis sur la table une formule de trêve suivie d'une, je dirais, d'une application des résolutions du Conseil de sécurité permettant une paix durable des deux côtés de la ligne bleue qui sépare le nord d'Israël du sud du Liban...

Q - Et dans le même temps, le Hezbollah se dit prêt à poursuivre, aussi, ses frappes pendant encore des mois.

R - Bien sûr, et donc il nous faut, nous, Français, Américains, convaincre les deux parties qu'il existe un chemin qui est celui de la diplomatie...

Q - Mais il y a un cessez-le-feu à portée de main là, à l'heure où on se parle ? C'est un scénario qui est plausible, qui est le plus plausible pour vous ?

R - Vous savez, dans les périodes de guerre, la paix n'est jamais certaine. C'est pourquoi la diplomatie doit redoubler d'efforts pour convaincre les belligérants qu'il faut que les armes, qu'il faut que la force, cèdent la place au dialogue et à la négociation. Et c'est pourquoi, avec les Américains, nous travaillons pour définir le plus précisément possible les conditions permettant de garantir, d'un côté la souveraineté, l'intégrité du Liban, et puis de l'autre la sécurité d'Israël, pour que les 60.000 déplacés d'un côté, le million de déplacés de l'autre, puissent rentrer chez eux.

Q - On parle du Liban, Jean-Noël Barrot, on parle un petit peu moins en ce moment de Gaza dans l'actualité internationale. Il y a pourtant plus de victimes civiles en un an de guerre à Gaza qu'en deux ans et demi sur le sol ukrainien. Des ministres du gouvernement de Benyamin Netanyahou appellent désormais ouvertement à la colonisation de Gaza, sans que le Premier ministre israélien ne s'en désolidarise. Est-ce que ça vous choque ? Est-ce que c'est une ligne rouge pour la diplomatie française, la réintégration de la bande de Gaza dans le territoire israélien ?

R - Bien sûr que cela me choque. La colonisation agressive, à l'oeuvre depuis deux ans, d'ailleurs sous les incitations, les encouragements de certains ministres du gouvernement Netanyahou, est une violation manifeste du droit international, ce qui a conduit la France d'ailleurs à prendre des sanctions à titre national contre 28 entités, individus s'étant rendues coupables ou complices de colonisation en Cisjordanie. D'entendre aujourd'hui qu'il faudrait coloniser le nord de Gaza, c'est évidemment quelque chose qui me choque. Et c'est un propos qui est extrêmement grave et qui nuit à la seule solution susceptible de garantir durablement à Israël et à son peuple la paix et la sécurité, c'est à dire la solution à deux Etats, un Etat d'Israël et de Palestine vivant côte à côte, en paix et en sécurité.

Q - Quel est le jour d'après à Gaza ? Il y a un projet de trêve d'un mois qui est mis sur la table par des médiateurs ? Il se passe quoi ensuite ?

R - Avant même le jour d'après, ce qu'il faut à Gaza, c'est un cessez-le-feu immédiat. La disparition, la mort de Yayha Sinouar, qui était l'architecte de l'attentat terroriste du 7 octobre, doit être le moment de tourner la page de ces opérations militaires d'ampleur à Gaza. Trop de civils ont péri, trop de femmes et d'enfants ont perdu la vie, trop de de destruction ont eu lieu, y compris des destructions en matière patrimoniale. Ce qui s'est passé depuis un an à Gaza est dramatique et cela doit cesser. Et quant au jour d'après, eh bien la seule solution possible, c'est celle qui consiste à avoir deux Etats qui vivent côte à côte, avec des garanties de sécurité pour chacun.

Q - Un dernier mot, Jean-Noël Barrot, de l'Institut d'études politiques de Strasbourg, qui a annoncé hier suspendre son partenariat avec une université de Tel-Aviv, au regard, je cite le communiqué, de "ses positions profondément bellicistes et dénuées de toute perspective humaniste". Est-ce que c'est la seule liberté et responsabilité des établissements ? On voit que des pressions se multiplient, par exemple à Sciences Po Paris également, pour dénoncer ce type de partenariat. Ou est-ce que vous voyez une forme regrettable d'importation du conflit sur notre territoire ?

R - C'est une décision qui est affligeante et qui me désole profondément. L'université, c'est le lieu du débat, de la tolérance, de l'ouverture sur l'autre, c'est le temple de l'esprit critique. Je suis moi-même universitaire et je tiens fondamentalement à ce que ces principes puissent être respectés. Je rappelle d'ailleurs que ce n'est pas cette université qui aujourd'hui bombarde au Liban ou à Gaza, et que c'est d'ailleurs dans les universités israéliennes que l'on trouve les plus fervents partisans de la paix et de la solution à deux Etats.

Q - Merci Jean-Noël Barrot d'être venu à ce micro ce matin. Je rappelle ce que vous venez de nous annoncer à l'antenne de BFM TV/RMC : ce soir, 30 millions de tonnes...

R - 30 tonnes.

Q - 30 tonnes, pardon, 30 millions c'est beaucoup, vous avez raison. 30 tonnes d'aide humanitaire qui partent pour le Liban, pour les populations déplacées. Je rappelle aussi les nouvelles que vous nous donniez pour les Français qui se trouvent dans la région de Valence : le consulat est en lien avec eux et on essaye d'identifier où se trouve chacun d'entre eux ; évidemment de rassurer leurs proches, en Espagne ou en France, qui peuvent s'inquiéter. Le consulat d'Espagne, le numéro est trouvable sur Internet et j'imagine sur le site du Quai d'Orsay...

R - Absolument.

Q - ... pour tous ceux qui s'interrogent. Merci encore, Jean-Noël Barrot, ministre des affaires étrangères et européennes.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 novembre 2024