Entretien de Mme Sophie Primas,ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec France Info le 17 novembre 2024, sur l'accord du Mercosur, le commerce avec la Chine et les Etats-Unis, le déficit du commerce extérieur, le marché de l'électricité et l'attractivité économique.

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  • Sophie Primas - Ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Média : France Info

Texte intégral

Q - Sophie Primas est mon invitée - bonjour et merci d'avoir accepté mon invitation -, ministre "Les Républicains" du Commerce extérieur. On l'a vu, les agriculteurs manifestent contre le Mercosur, ce grand accord de libre-échange. La ministre du Commerce que vous êtes finalement, est-ce qu'elle est contre cet accord qui nous ouvrirait un marché où il y a 80% du PIB de l'Amérique du Sud ?

R - Il y a beaucoup de questions dans votre question. La ministre du Commerce extérieur est pour les traités de libre-échange, mais est contre le Mercosur en l'état. Ça compte, cette fin de phrase : "en l'état". Je suis évidemment très ouverte aux traités de libre-échange, qui permettent à nos entreprises d'exporter et donc de se consolider et de consolider leur économie localement.

Q - Donc ça veut dire que c'est un bon accord, mais qu'il faut le renégocier ?

R - Ce n'est pas un bon accord en l'état. Et l'accord du Mercosur, tel qu'il est écrit, est un accord que la France refuse depuis 5 ans, pour des raisons qui sont environnementales et qui sont liées aussi à l'attaque de certaines filières agricoles en particulier, qui sont des filières fragilisées par l'accumulation de traités de libre-échange.

Q - Mais on voit bien que les autres pays... On est assez isolés quand même dans cette affaire. Les autres pays - je pense à l'Allemagne, l'Espagne, le Portugal - ils sont tous très favorables à cet accord. Est-ce qu'on ne se prive pas là, quand même, d'échanges commerciaux très importants pour nous ?

R - Alors ça, c'est un peu la légende, en réalité. On a l'impression que ça va être zéro ou un. Mais des échanges avec l'Amérique du Sud, on en a beaucoup. Moi, dans les premiers jours de ma prise de fonction comme ministre, je suis allée directement au Brésil et au Chili. Le Chili n'est pas dans le Mercosur, mais je suis allée en particulier au Brésil. J'ai vu énormément d'entreprises françaises qui sont en Amérique du Sud et qui commercent déjà avec l'Amérique du Sud. Donc on a un flux d'affaires et on a une présence en Amérique du Sud qui est extrêmement importante. Donc cet accord vient pour baisser des barrières douanières sur certains produits, mais ce n'est pas l'alpha et l'oméga du commerce. Donc sur cet accord qui est extrêmement symbolique, nous ne devons pas renier la cohérence de notre politique publique européenne, notamment sur la lutte contre le changement climatique, au profit de l'addition de commerce qui viendrait sauver l'Europe d'un univers commercial qui se tend.

Q - Quelle position va défendre la France, là, au G20 qui commence demain à Rio, au Brésil ?

R - Le G20 va parler de beaucoup d'autres sujets. Le Mercosur n'est, bien sûr, pas le coeur de la discussion du G20. Mais le Président de la République, que j'ai rencontré encore avant-hier, va travailler avec nos interlocuteurs - en Europe, mais aussi en Amérique du Sud - pour expliquer la position de la France et faire comprendre les conditions qu'il serait nécessaire de renégocier à l'intérieur de ce traité Mercosur pour le rendre acceptable.

Q - Donc ça veut dire que cet accord pourrait voir le jour, mais en renégociant, notamment au niveau de l'agriculture, pour le climat, contre la déforestation et pour des clauses miroirs, c'est ça ?

R - Ce sont un peu des termes techniques et je m'en excuse. Mais par exemple, nous considérons que l'Accord de Paris, que d'ailleurs tous les pays du Mercosur, les quatre - bientôt cinq - pays du Mercosur ont signé, doit être ce qu'on appelle un "élément essentiel", c'est-à-dire que s'il est violé, l'accord tombe. Ça, ce n'est pas aujourd'hui dans le traité et c'est pour nous fondamental. Et puis, nous avons effectivement la volonté de dire que l'Europe impose des normes pour des raisons environnementales, de changement de modèle, ici, à l'intérieur du marché européen ; il est inconcevable que des produits, notamment agricoles - notamment sur la viande, mais sur d'autres produits aussi - viennent en Europe, soient importés massivement en Europe avec des prix très faibles et des conditions de production qui ne sont pas les nôtres.

Q - Alors aujourd'hui, nous sommes minoritaires à refuser cet accord. Qu'est-ce qu'il se passe s'il est signé ?

R - Je ne sais pas si nous sommes minoritaires. Tout le monde dit : "on est très isolés, on est très minoritaires..."

Q - Il faut quatre pays, mais pour l'instant, seuls trois pays - dont la France - disent leur refus de signer cet accord.

R - Quatre pays et 35% de la population, c'est ce qu'on appelle la "minorité de blocage". Je ne vais pas abattre mes cartes devant vous, qui sont des cartes de jeu. Je suis très offensive. Nous sommes à la manoeuvre avec le Président de la République, avec le Gouvernement, Michel Barnier en tête, qui est allé voir Mme von der Leyen il y a quelques jours. Je travaille également avec Benjamin Haddad, avec M. Barrot, pour "travailler", j'allais dire, individu à individu, à la fois les commissaires européens, les futurs commissaires européens, et puis aussi les parlementaires européens qui, en fonction des étapes que nous devrons passer, seront interrogés.

Q - Donc vous avez bon espoir qu'on puisse renégocier cette partie de l'accord sur l'agriculture ?

R - Si vous aimez le rugby, je suis, comme hier soir, l'équipe de France. Je pense que c'est une bataille qui est une bataille titanesque, une bataille extrêmement difficile, mais il faut le mental, il faut se battre et il faut aller chercher le point d'avance.

Q - La députée Renaissance de la région Amérique du Sud, Eléonore Caroit, disait que les Français qui vivaient sur place mangeaient de la viande locale et qu'ils ne s'en portaient pas plus mal. Est-ce qu'on a vraiment raison d'avoir peur de cette viande, de ce boeuf, de ce poulet qui pourraient nous arriver ?

R - Mais ce n'est pas le sujet, en réalité. Parce que le Brésil s'applique les normes environnementales et les normes de productions agricoles qu'il veut. C'est une décision qui est une décision souveraine. Le sujet, c'est que nous, on s'applique et on impose à nos agriculteurs des normes de production qui sont plus exigeantes. Et c'est ça le souci. Moi, je ne juge pas la qualité de la viande argentine ou brésilienne, ce n'est pas mon sujet. Mon sujet, c'est qu'on a des normes et des règles différentes en Europe. Et que si on veut importer, il ne faut pas être moins disant sur la qualité environnementale qu'on s'impose à nous-mêmes.

Q - Autre sujet. Vous revenez de Chine. C'est un voyage diplomatique important, car la Chine a décidé de surtaxer de 30% à 39% nos spiritueux, comme le cognac et l'armagnac, et c'est le deuxième marché d'export de la France. Est-ce que vous avez pu renégocier ces surtaxes ?

R - On est dans la voie de la renégociation. Ce que j'ai obtenu en allant, après le Brésil, à Shanghai, c'est, avec à la fois le ministre du Commerce extérieur chinois et également le Premier ministre chinois, de réouvrir le dialogue. Ce n'était pas gagné, parce qu'évidemment, la Chine réagit fortement à la taxation des véhicules électriques qui a été décidée par l'Europe - pour de justes raisons - et c'était une mesure de rétorsion vraiment très importante. Donc nous avons réouvert le dialogue. Ce n'est pas encore gagné, mais aujourd'hui, nous nous parlons. Nous avons décidé d'un chemin de négociation, qui implique d'ailleurs, au G20, une discussion entre le Président de la République et le Président Xi Jinping, et ensuite d'autres étapes de négociation. Mais nous avons réouvert le dialogue sur les cognacs et les armagnacs. Et nous avons obtenu un petit signal de la Chine, dont je vous passe les détails, mais qui est un petit signal positif.

Q - Ça voudrait dire quoi ? On ne va pas supprimer ces surtaxes, mais ce serait les abaisser ?

R - On est, pour l'instant, dans le chemin de la négociation. Je ne connais pas l'issue, donc je ne veux pas m'avancer. Je ne sais pas d'ailleurs si nous irons au bout Je le souhaite, et je continue aussi, sur ce flanc du commerce, à me battre, avec le Premier ministre et le Président de la République. Mais oui, nous sommes dans cette logique.

Q - Alors, vous l'avez dit, ce sont des représailles, parce qu'on a aussi décidé de surtaxer les voitures électriques chinoises qui nous arrivent en masse en France. Est-ce que ça veut dire que, du coup, l'Etat compensera auprès des producteurs de cognac et d'armagnac d'éventuelles pertes ?

R - C'est autre chose, parce qu'effectivement, il va falloir accompagner les producteurs d'armagnac et de cognac pendant cette période de transition où il y a de la taxation aujourd'hui sur leur premier marché, qui est la Chine. Il faut qu'on arrive effectivement à revenir à une situation qui soit viable. Et il n'y a pas d'autre solution. Enfin, moi, je suis extrêmement opposée au fait, par exemple, de donner des subventions aux agriculteurs pour arracher leurs vignes. Enfin, on ne détruit pas l'outil de production. Notre objectif, c'est d'arriver à négocier.

Q - Les Etats-Unis sont aussi notre premier marché d'export. Les spiritueux français devraient aussi être impactés par les taxes que veut installer Donald Trump lorsqu'il sera aux responsabilités, c'est-à-dire à partir du mois de janvier prochain. En 2021, il avait surtaxé de 25% le cognac. Est-ce que vous vous attendez à la même sanction ?

R - Il y a le discours de Trump pendant les élections présidentielles. Il a gagné ces élections donc, on sait qu'on va avoir un protectionnisme important, probablement, de la part de l'administration Trump et du Président. Nous, notre travail, c'est d'anticiper l'arrivée de l'administration Trump, d'engager le dialogue avec eux et de créer un rapport de force. Je ne veux pas d'escalade commerciale, ni avec la Chine ni avec les Etats-Unis. Donc, il faut passer par le dialogue. Il faut anticiper ces réactions.

Q - Ça veut dire que vous avez déjà commencé des négociations avec vos homologues américains ?

R - Au fur et à mesure des nominations de la future administration Trump, nous rentrons dans la phase de prise de contact, de négociation. Et nous essayons d'anticiper toutes ces mesures, évidemment.

Q - On a vu que les derniers chiffres du commerce extérieur pour septembre et le troisième trimestre montraient une légère dégradation de la balance commerciale. Est-ce qu'il faut s'inquiéter, d'autant qu'il y a ces barrières douanières qui se mettent en place, à la fois avec la Chine et les Etats-Unis ?

R - On ne peut pas regarder le commerce extérieur mois par mois. Parce que ce mois-ci, effectivement, il y a une légère dégradation, mais sur la totalité de l'année, on est mieux positionnés que l'année dernière. Pour autant, on va finir l'année à 80 milliards de déficit, donc ce n'est pas satisfaisant. Je veux simplement dire que dans ce déficit des biens, en fait, il faudrait rajouter les services, l'import-export, des services où nous sommes bénéficiaires de 25 milliards. Et puis, il faudrait rajouter aussi toute l'activité de nos entreprises qui, comme par exemple en Amérique du Sud, sont très largement implantées directement en Amérique du Sud. Néanmoins, il faut qu'on travaille sur le commerce extérieur. Le plus gros déficit, c'est l'énergie. Donc nous avons besoin de travailler sur cette question de l'énergie et de transformer l'Europe pour être plus indépendants et plus souverains sur la question de l'énergie.

Q - Mais ça ne veut pas dire sortir du marché européen de l'électricité ?

R - Non, non, non. Ça ne veut pas dire ça. Je crois qu'on manque de stratégie globale. On manque d'interopérabilité à l'intérieur de l'Europe. Il faut travailler sur ces points-là. Et il ne faut pas que l'Europe se disloque, en aucun cas.

Q - Il y a aussi les investissements étrangers en France. La France est championne d'Europe de l'attractivité économique. Mais il y a cette instabilité politique, notamment, ce socle commun, une instabilité économique qui est aussi due aux discussions sur le budget, aux nombreuses taxes qui ont été annoncées. Est-ce que ça, c'est de nature, selon vous, à freiner les investisseurs étrangers en France ?

R - En tout cas, ça les questionne. Je suis allée à Dunkerque avant-hier. J'ai vu beaucoup d'investisseurs de tous les pays qui viennent s'installer sur le port de Dunkerque et qui donc sont dans une phase d'installation et qui, pour l'instant, ne freinent pas. Mais c'est vrai qu'ils nous posent des questions sur l'instabilité politique, sur la vision stratégique de la France. Mais ce qu'ils reconnaissent, c'est que l'attractivité de la France, ce n'est pas uniquement ça. Toutes les dispositions qui ont été prises, qui font que la France, aujourd'hui, est plus attractive que les autres pays européens, perdurent. La fiscalité, qui est un point d'interrogation pour eux aujourd'hui... Il y a tout l'écosystème, en fait, que nous avons mis en place depuis quelques années et qui est très attirant pour eux : les talents, la capacité d'aller plus vite sur le terrain pour les installations, la facilité à les aider en "équipe France" quand on reçoit des entreprises à l'international. Ça, c'est très, très important pour eux.

Q - On a vu que la France était entrée au capital d'une filiale de Sanofi qui fabrique le Doliprane, tout simplement pour que le Doliprane ne nous échappe pas complètement. Est-ce que ça, ça peut avoir des conséquences sur les investisseurs étrangers ?

R - Non, je ne pense pas, parce que l'accord qui a été fait est un bon accord, en fait. C'est un accord équilibré qui permet à la fois de maintenir sur le territoire français de l'industrie, une industrie qui est souveraine et qui est très importante puisqu'il s'agit du médicament et de la molécule de base, j'allais dire, à la fois avec un droit de regard sur les investissements et les aides que nous apportons à ces entreprises et un droit de regard sur les devoirs qu'elles ont. Donc non, je pense que c'est plutôt un modèle assez innovant et qui est intéressant.

Q - Merci Sophie Primas d'avoir été avec nous ce matin. Je rappelle que vous êtes ministre "Les Républicains" du Commerce extérieur.


Source : https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 2024