Entretien de Mme Sophie Primas,ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec BFM Business et RMC Découverte le 18 novembre 2024, sur l'accord du Mercosur et le commerce avec la Chine et les Etats-Unis.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Sophie Primas - Ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Média : BFM Business

Texte intégral

Q - 8h19 sur BFM Business et sur RMC Découverte. Notre invitée, avec Raphaël Legendre ce matin, c'est Sophie Primas, bonjour.

R - Bonjour.

Q - Vous êtes ministre déléguée chargée du Commerce extérieur et des Français de l'étranger. On va parler bien sûr du Mercosur, des droits de douane avec les Etats-Unis, de la ligne contre la Chine. Mais commençons avec ce qui énerve toute la classe politique française, les agriculteurs : ce traité de libre-échange avec l'Amérique latine, le Mercosur. Emmanuel Macron nous a dit hier qu'il voterait contre. Alors est-ce que si la France vote contre, ça change quelque chose ?

R - Non seulement il faut voter contre, mais il faut aller persuader un certain nombre de nos partenaires européens de bien regarder ce qu'il y a à l'intérieur de l'accord. On ne peut pas être les plus vertueux du monde, avec le Pacte vert pour l'agriculture, avec des règlements de déforestation, avec un certain nombre d'obligations qui concernent d'ailleurs nos agriculteurs mais aussi nos entreprises, et en même temps laisser nos portes totalement ouvertes à des pays et à des économies de pays...

Q - Mais ça ils ont compris. Eux, ils veulent exporter des voitures allemandes...

R - Mais nous aussi on veut exporter ! On a beaucoup d'intérêts dans les traités de libre-échange, et vous ne me ferez pas dire sur ce plateau que je suis contre les traités de libre-échange. Mais je suis contre celui-ci parce qu'il est le symbole de l'incohérence des politiques publiques des Européens, et en plus il "tape" sur des filières agricoles qui sont parmi les plus sensibles, et qui sont les plus sensibles à l'accumulation des traités de libre-échange. On a un double symbole.

Q - On va essayer de rentrer un peu dans le détail pour essayer de comprendre, parce que d'abord, cet accord, très peu de personnes le connaissent en réalité, ont vu le texte. C'est quand même un accord qui permet l'ouverture d'un marché de 750 millions de consommateurs, avec des droits de douane qui sont, en Amérique latine aujourd'hui, entre 20 et 35%, qui tomberaient à 0 et qui seraient bons, pour des filières agricoles aussi, pour les producteurs laitiers, pour les producteurs de vin, pour les producteurs de cognac qui se sont vu fermer le marché chinois, et qui vont bientôt se faire taxer sur le marché américain. Vous parliez des normes. Est-ce que les normes phytosanitaires vont baisser en Europe à cause du Mercosur ?

R - Alors ce ne sont pas les normes phytosanitaires que nos agriculteurs doivent respecter. Ce qui peut changer dramatiquement, c'est effectivement l'importation de produits agricoles qui sont produits avec des normes qui ne sont pas du tout les nôtres. Il y a par exemple un nombre de molécules phytosanitaires très très large autorisé au Brésil, en Argentine, etc., qui ne sont pas autorisées et pas traçables. C'est ça la difficulté !

Q - On ne peut pas contrôler ?

R - Elles ne sont pas traçables !

Q - Ce ne sera pas autorisé en Europe non plus. Le boeuf aux hormones est par exemple interdit en Europe depuis 1989.

R - Le problème, c'est le contrôle. Vous avez des activateurs de croissance qui quand la viande arrive à la frontière, ne sont pas détectables. Alors déjà, les contrôles sont très, très légers : il faudrait des contrôles à la fois aux frontières qui soient renforcés ; et il faudrait des contrôles in situ, parce que dans les pays du Mercosur, il n'y a pas la traçabilité qu'il y a en Europe sur la viande...

Q - Mais il y en a en Europe. En novembre, la Commission a...

R - Mais il n'y en a pas sur la viande...

Q - ... retoqué des génisses, par exemple. On a décelé des traces de...

R - D'oestradiol beta, voilà. Mais c'est très rare, en réalité. La grande masse de la viande bovine qui arrive ici en Europe " subit" des conditions d'élevage qui sont interdites et qui ne sont pas traçables. Quand vous avez des feed-lots, au nom du bien-être animal, dans les pays du Mercosur...

Q - Mais ça doit être le cas pour tout ce qu'on importe alors aujourd'hui, puisqu'en fait on ne sait pas contrôler ce qui arrive chez nous. Donc j'imagine que c'est déjà le cas pour tout ce qui arrive et qui ne répond pas à nos normes.

R - C'est déjà le cas. Alors déjà, il y a des distorsions de concurrence intra-européennes, mais ça ce n'est pas la faute du Mercosur, c'est la faute souvent de la France et de la façon dont on sur-légifère de manière générale. Mais effectivement, il n'y a pas suffisamment de contrôles. Mais permettez-moi de vous dire que c'est un autre sujet, c'est un sujet qui interfère avec le Mercosur, mais c'est un autre sujet.

Q - Ça veut dire qu'on mange déjà du boeuf aux hormones quoi. Mais bon, passons ! Avançons sur la question du vote, sur les eurodéputés. Admettons que les eurodéputés français votent tous "non". Qu'est-ce que ça change ?

R - Il y a des chances, oui. Non mais je vais être très claire, notamment vis-à-vis des agriculteurs : aujourd'hui, la classe politique dans son ensemble, c'est suffisamment rare pour être souligné, à un avis négatif sur le Mercosur. Donc il y a des chances qu'effectivement, quasiment tous les députés français européens, votent contre. La difficulté, le challenge pour nous, et ce que nous nous attachons à faire aujourd'hui, c'est de convaincre les autres, les autres commissaires, qui vont dans un premier temps voter, et les autres députés si c'est nécessaire.

Q - Non mais pardon, on est un peu les seuls, en Europe, à être contre ce texte. La France fait cavalier solitaire, là.

R - Non. Je sais bien que c'est la petite musique de dire qu'on est isolés, qu'on est seuls...

Q - Ce n'est pas une petite musique, c'est un fait !

R - Non, non !

Q - Qui s'oppose à ce texte hormis la France en Europe ?

R - Je ne vais pas vous le dire, parce que comme je l'ai dit sur plusieurs plateaux, je ne dévoile pas mes as en jouant en poker. Nous on travaille avec les commissaires européens d'ailleurs de tous les partis français ; on travaille avec les pays ; on fait notre travail de persuasion. Et moi, je dis aux agriculteurs ce matin, c'est bien de manifester en France, mais dites à vos collègues qu'eux aussi, ils ont droit à la parole dans leur pays. Je n'appelle pas à une révolution dans les autres pays...

Q - Une insurrection européenne contre le libre-échange !

R - Une insurrection, voilà, européenne. Pas contre le libre-échange. Je le redis, je suis pour les accords de libre-échange, mais quand ils respectent...

Q - Mais le CETA, c'était non au Sénat. Le Mercosur, c'est non. C'est quoi le boulot, aujourd'hui, d'un ministre du Commerce ? C'est être anti-commerce ?

R - Non, ce n'est pas être anti-commerce du tout. Je passe mon temps à aller partout dans le monde pour justement vivifier notre commerce extérieur. Mais c'est s'assurer que lorsque l'on fait des accords de commerce, ces accords de commerce sont équilibrés et sont loyaux pour nos producteurs, qu'ils soient industriels ou agricoles.

Q - Mais est-ce qu'on accepte encore aujourd'hui d'avoir des perdants, dans un accord de libre-échange, ou bien il faut que, de toute façon, tout le monde gagne tout le temps ?

R - Il faut un équilibre, dans un accord. Le souci, c'est qu'avec l'Union européenne, on fait des accords de libre-échange à la queuleuleu, les uns avec les autres, ce qui est bon pour le commerce ; et donc je m'en réjouis. Simplement, on n'a pas une vision transversale de l'effet de ces traités de libre-échange sur les filières les plus sensibles. Donc ce sont toujours et très souvent les mêmes perdants qui "payent l'addition". Donc il faut qu'on ait une attention particulière. Et le Mercosur est vraiment un exemple parfait pour illustrer ce que je viens de dire.

Q - C'est peut-être en même temps l'un des derniers traités de libre-échange qu'on risque de négocier, notamment après l'arrivée de Donald Trump, qui n'est pas forcément le premier défenseur de ces traités de libre-échange, bien au contraire. Comment vous analysez l'arrivée du nouveau président américain, le retour de Robert Lighthizer, que peut-être vous avez connu, qui est pro-hausse des droits de douane, évidemment ? Est-ce qu'il faut s'attendre à la fin de la circulation des biens, des traités de libre-échange, autour du monde ?

R - Non, je pense qu'il faut avoir une perspective qui est un peu différente. On voit bien que ces gros traités de libre-échange multilatéraux sont très difficiles à obtenir. Je rappelle, le Mercosur, on a commencé en 1999.

Q - Ça fait 25 ans.

R - 25 ans ! Donc ce n'est pas étonnant qu'il ne soit plus adapté au monde d'aujourd'hui. Voilà, la difficulté, elle vient d'ici. Et quand je vois les promoteurs du Mercosur, ce sont des gens qui ont négocié l'accord en 1999, donc évidemment... Le monde a changé, vous le dites vous-même. Je pense qu'on est plutôt sur un monde où il faut faire des accords qui soient des accords sectoriels, avec des pays...

Q - Bilatéraux ?

R - ... et bilatéraux, et aller plus vite, en réalité. On peut faire des choses beaucoup plus rapidement. Et d'ailleurs, moi je suis allée au Brésil, je suis allée au Chili : quand j'ai rencontré les ministres argentins et quand on discute avec eux, ils ne sont pas si favorables que ça. Vous avez l'agrobusiness qui pousse à fond dans les pays du Mercosur, mais ensuite vous avez le Parti des travailleurs de Lula, qui n'est pas trop d'accord, vous avez des secteurs en Argentine qui ne sont pas trop d'accord, vous avez Milei qui se pose aujourd'hui la question de sortir de l'Accord de Paris... Donc on voit bien que les choses sont très mouvantes et que ces gros accords multilatéraux sont très difficiles à obtenir. Donc je pense que l'avenir du commerce, c'est plutôt des accords qui soient des accords bilatéraux, sectoriels, et qui nous permettront d'avancer.

Q - Est-ce que l'avenir, ce n'est pas aussi des compensations, justement, qu'on peut prévoir quand c'est le cognac qui est touché parce que les véhicules électriques chinois, on met des taxes ? Est-ce qu'il ne faut pas, justement, dans ces accords, commencer à compenser ceux qui sont victimes de ces accords ?

R - Alors il faut aider les producteurs en particulier de cognac, puisque vous en parlez, pendant cette période où il y a des négociations avec la Chine. Mais moi je suis contre les compensations, parce que les compensations, ça sert à quoi ? Ça sert à finir par arracher notre outil de travail. On a mis des bateaux de pêche à la casse parce qu'il y avait trop de pêche ; on ne va pas déplanter ou enlever nos vignobles de cognac et retirer notre outil de travail. Je pense que ça, c'est mortifère pour la production européenne. Donc j'y suis absolument opposée.

Q - Mais comment on fait, du coup ? Comment on fait quand la Chine dit "moi je ferme au cognac parce que vous avez mis des taxes sur les voitures électriques" ?

R - Eh bien on fait ce que j'ai fait il y a 15 jours : on prend un billet d'avion, on va à Shanghai, on rencontre les gouvernants, on prend avec nous des influenceurs, ce que j'appelle des influenceurs chinois, et on essaye de parler à la Chine, de considérer la Chine. Et on essaye de renouer les fils du dialogue. C'est ce que je fais, c'est ce que va faire le Président de la République au G20, en ayant un entretien bilatéral avec Xi Jinping, c'est ce que fera le Premier ministre ensuite... On essaye de négocier, et je pense qu'il y a de la place pour la négociation. C'est pareil pour les Etats-Unis. Je pense, il y a eu le discours de [Donald] Trump, il y a eu ce qu'on connaît de [Donald] Trump et de son administration ; et puis il y a un dialogue qu'on doit engager dès aujourd'hui.

Q - Merci beaucoup, Sophie Primas, d'être venue ce matin, dans La matinale de l'économie.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 2024