Texte intégral
Q - Bonjour, Benjamin Haddad.
R - Bonjour.
Q - Bienvenue à la grande interview sur CNews et Europe 1. Vous êtes le ministre délégué chargé de l'Europe – l'Europe qui fait face à une violente vague d'antisémitisme. Hier soir, le Premier ministre des Pays-Bas a dénoncé une violence antisémite pure et simple après les attaques et la chasse aux juifs à Amsterdam. "Le choc et la honte perdurent", a-t-il dit, alors que des tensions ont de nouveau éclaté hier dans la nuit dans la capitale. Il appelle à une action forte. Monsieur le Ministre, quelle pourrait être cette action, même au niveau européen ?
R - Déjà, effectivement, il faut constater que depuis le 7 octobre 2023 – même si en réalité c'est un phénomène qui préexistait – on voit une explosion de violences et de haine antisémites partout en Europe. On sent que ça a libéré, une fois de plus, la parole antisémite, l'acte antisémite et que le conflit est utilisé comme un prétexte ; il est instrumentalisé pour attaquer les juifs en Europe. Il faut toujours le rappeler de façon extrêmement claire : quand on s'attaque à un juif en France, on s'attaque à la France, on s'attaque à la République et c'est pour ça que nous avons, dans notre pays, des forces de l'ordre qui sont mobilisées pour protéger les synagogues, pour protéger les écoles. C'est malheureux d'avoir à en arriver là. C'est malheureux que les fidèles, pour entrer dans les synagogues, doivent être protégés par la police. Mais, de fait, le Gouvernement, le Président de la République sont extrêmement mobilisés. Et on le voit, cette haine d'Israël est utilisée comme un carburant pour attaquer des juifs. Et là-dessus, je veux dire plusieurs choses. Premièrement, c'est que les responsables politiques ont une responsabilité, y compris dans la parole, puisqu'on voit ceux comme la France Insoumise qui, précisément, ont utilisé la question palestinienne comme un carburant électoraliste avec des conséquences, y compris des conséquences dans la violence. C'est pour ça que le ministre de l'intérieur a raison quand il saisit le...
Q - De ne rien laisser passer ?
R - Ne rien laisser passer.
Q - Encore ce matin, Monsieur le Ministre, un élu du Doubs, conseiller municipal divers gauche, Ismael Boudjekada, a dit qu'il aurait voulu être à Amsterdam, donc pour participer à cette chasse aux juifs. Bruno Retailleau, à chaque fois...
R - Il a raison.
Q - Il a raison ?
R - Oui, bien sûr, il a raison. Il ne faut absolument rien laisser passer parce qu'en fait, finalement, après, on s'habitue, on laisse les ennemis de la République grignoter.
Q - On s'est trop habitués, d'ailleurs ?
R - En tout cas, pendant longtemps, on n'a pas suffisamment dénoncé, on n'a pas suffisamment combattu. Donc, aujourd'hui, il faut une main absolument ferme. Il ne faut rien laisser passer. C'est pour ça que Bruno Retailleau a raison de saisir le Procureur de la République sur les propos, par exemple, de la députée insoumise. Et après, vous me posiez la question, est-ce qu'il faut des mesures au niveau européen ? Oui, je crois qu'il faut qu'on réfléchisse à cela au niveau européen. Quand je vois ce qu'on a fait en France, par exemple, avec la loi sur le séparatisme – vous vous rappelez, il y a quelques années –, faire la transparence sur les financements étrangers de l'islam radical, pouvoir se donner les moyens d'expulser des imams ou de dissoudre des associations soupçonnées de liens avec des mouvements radicaux. Pourquoi ne pas porter, effectivement, ce type de mesures au niveau européen ? En tout cas, c'est une réflexion qu'on a en ce moment avec le ministre de l'Intérieur. Mais oui, j'en fais une priorité. Et c'est, je crois, à la France, qui s'est dotée d'outils importants, je veux le dire, pour défendre notre laïcité, pour lutter contre l'islamisme et pour lutter contre l'antisémitisme – y compris d'ailleurs l'antisémitisme et la haine en ligne, c'est un combat que nous avons porté... Il faut le faire aussi au niveau européen.
Q - Vous-même, Benjamin Haddad, vous aviez été pris à partie par Jean-Luc Mélenchon. Il avait déclaré que vous étiez acquis à la politique de Benjamin Netanyahou. Il s'était indigné que ce soit vous, monsieur Haddad, qui vous occupiez de l'Europe. Est-ce que faire l'amalgame entre votre confession et votre action politique, ça relève de l'antisémitisme ?
R - Oui, je crois que ça avait été dénoncé comme tel, d'ailleurs, par de nombreuses personnes...
(...)
Q - Alors, le calme, c'est ce qu'on espère. Mais en tous les cas, c'est un match sous très hautes tension et sécurité entre la France et Israël qui se tiendra jeudi. Benjamin Haddad, le fait que les autorités israéliennes aient appelé leurs ressortissants à ne pas s'y rendre – sous-entendu, il n'y aurait pas toute la sécurité en France –, est-ce que ce n'est pas une forme de camouflet pour notre pays ?
R - Ce que je veux vous dire, c'est que, bien sûr, les footballeurs et les supporters israéliens sont les bienvenus à Paris, comme étaient d'ailleurs les bienvenus aussi les athlètes israéliens aux Jeux Olympiques. Il y a des forces politiques qui demandent le boycott ; ce n'est pas une pratique acceptable. Le sport, ça doit être aussi un moment d'amitié entre les peuples. Et donc, les Israéliens sont bien sûr les bienvenus.
Q - On avait boycotté les athlètes russes.
R - Non, ils étaient sous bannière neutre.
Q - C'est une forme de boycott.
R - En tout cas, les Israéliens sont bien sûr les bienvenus à Paris. Et je me félicite, d'ailleurs, du message qui est envoyé par le Président de la République, par le Premier ministre, qui se rendront à ce match, ce qui montre encore une fois que ça va être un moment de fête. Que le meilleur gagne. Mais il ne faut pas politiser...
Q - "De fête" ? Vous y croyez ?
R - Mais bien sûr ! C'est le sport. Il faut que ce soit un moment de fête et de rassemblement. Il y aura toutes les dispositions en termes de sécurité qui seront prises. Mais je me félicite, encore une fois, qu'on n'ait pas cédé à l'intimidation, au chantage. Encore une fois, les Israéliens sont les bienvenus à Paris, que ce soient...
Q - On n'a pas délocalisé, c'est ça ?
R - Oui, exactement. Que ce soient les footballeurs, les supporters. Et vous aurez des personnalités comme le Président de la République ou le Premier ministre...
Q - Parlons-en.
R - ... ou des ministres qui seront présents à ce match pour soutenir l'équipe de France.
Q - Vous-même, vous avez un déplacement peut-être ?
R - Je l'espère. J'ai un déplacement prévu, donc on verra effectivement comment on organise ça.
Q - En tout cas, le président Emmanuel Macron y sera. On peut y voir un symbole, car son absence lors de la marche contre l'antisémitisme avait été beaucoup commentée et notamment dénoncée – pas seulement par les Français juifs, mais en particulier par les Français juifs. C'est aussi le même président, M. Haddad, qui avait évoqué l'arrêt des ventes d'armes à Israël. Tout à l'heure, l'ambassadeur d'Israël sera au Quai d'Orsay pour autre chose, pour s'expliquer après l'incident dans l'Eléona, à Jérusalem-Est. On a du mal à comprendre la position, aujourd'hui, de la France vis-à-vis d'Israël. Si vous deviez ce matin, sur CNews et Europe 1, nous la résumer, que diriez-vous ?
R - Je crois qu'il n'y a absolument aucune ambiguïté et qu'il ne faut pas mélanger, par exemple, les sujets. Le Président de la République, son engagement contre l'antisémitisme et contre l'antisionisme – puisqu'il a été l'un des premiers, d'ailleurs, à dire que l'antisionisme était une forme d'antisémitisme – ne souffre d'aucune contestation. Et c'est pour ça, d'ailleurs, je vous le disais, qu'on voit une mobilisation des forces de l'ordre, des autorités pour protéger la communauté juive depuis déjà des années. Et là-dessus, il n'y a aucune ambiguïté. Et c'est pour ça, d'ailleurs, qu'il se rend... C'est un message, encore une fois, fort d'amitié, de fraternité, de se rendre à ce match. Après, effectivement, il défend la position qui est très claire, qui est la position de la diplomatie française...
Q - Très claire ?
R - ...qui, dès le 7 octobre, était une dénonciation absolue et sans ambiguïté de la barbarie terroriste du Hamas le 7 octobre contre les civils israéliens, avec le soutien aux droits des Israéliens à se défendre contre le terrorisme, dans le respect du droit international humanitaire. Aujourd'hui, la France appelle à un cessez-le-feu, qui peut mener à la reprise des négociations pour une solution politique à deux États, ce qui a toujours été... – un État israélien, un État palestinien – ça a toujours été la position de la France ; à la libération inconditionnelle des otages – je rappelle que nous avons toujours deux otages français, d'ailleurs, Ofer Kalderon et Ohad Yahalomi, qui sont aujourd'hui, détenus par le Hamas. Et donc c'est à la fois la voix de la France de s'élever contre l'antisémitisme, mais aussi de promouvoir la relance du dialogue politique, la solution politique à deux États et la fin des combats dans la région.
Q - Ça n'est pas contradictoire ? Monsieur le Ministre, est-ce qu'on peut appeler un cessez-le-feu, comme vous le faites, et en même temps – "et en même temps", c'est l'expression adaptée –, dire qu'Israël a le droit de se défendre ?
R - Encore une fois, Israël a le droit de se défendre. Après le 7 octobre, il y a eu une réponse, évidemment, à l'attaque terroriste barbare. Aujourd'hui, encore une fois, l'objectif du Président de la République et de la diplomatie française, c'est de retrouver les voies d'une solution politique, c'est-à-dire que comment est-ce qu'on arrive, au-delà de la dimension militaire et des combats, à créer un cadre politique, qui est la garantie de la sécurité durable et de la stabilité dans la région ?
Q - Encore faut-il que la voix de la France porte. Il y a aujourd'hui une piste pour que cet accord, pour que ce cessez-le-feu puisse un jour arriver sur la table des négociations ?
R - Mais, vous savez, la voix de la France, comme celle de nos partenaires... Déjà, on tient notre rang, on utilise notre voix. Je constate qu'on est très impliqués notamment, par exemple, au Liban, dans l'aide humanitaire. Il y a encore quelques semaines, le 24 octobre, une grande conférence humanitaire sur le Liban qui a permis de lever près d'un milliard d'euros, 800 millions d'aide humanitaire, 200 millions pour le soutien aux forces armées libanaises, ce qui est un enjeu aussi, bien sûr, de souveraineté pour le Liban... C'était plus, d'ailleurs, que les objectifs que s'étaient donnés les Nations unies pour cette conférence. Donc la France est en initiative et la France, effectivement, fait porter sa voix, y compris, encore une fois, par des initiatives concrètes comme le soutien humanitaire.
Q - L'actualité, Monsieur le Ministre en charge de l'Europe, ces dernières heures, c'est une brusque accélération des événements au sujet de l'Ukraine. Selon la presse américaine, le Washington Post en particulier, Donald Trump se serait entretenu au téléphone avec Vladimir Poutine. Il lui aurait conseillé de ne pas aggraver la guerre, avec à la clé la possibilité pour Moscou de conserver les territoires conquis. Le Kremlin dément cet appel, mais des mouvements de troupes laissent penser, quand même, qu'il y aurait une accélération. Comment vous réagissez, ce matin ? Trump peut-il être l'homme des négociations sur l'Ukraine ?
R - Déjà, je voudrais rappeler qu'au fond, et au-delà d'ailleurs de l'Ukraine, ce qui se passe en Ukraine, ça engage avant tout notre sécurité d'Européens. C'est une agression contre un État souverain à nos frontières, avec les conséquences, d'ailleurs, que ça pourrait avoir sur des pays...
Q - Aux confins de l'Europe.
R - Oui, on est aux portes. Quand on voit les États baltes, la Roumanie, la Pologne, ce sont des États...
Q - Ah oui, mais géographiquement, ils sont aux confins de l'Europe...
R - ... de l'Union européenne, ce sont des États membres de l'OTAN, avec lesquels nous avons...
Q - Vous diriez que nos intérêts vitaux sont en jeu en Ukraine ?
R - Les intérêts vitaux de l'Union européenne ? Bien sûr. Je pense que c'est effectivement un enjeu existentiel pour l'Union européenne. Si on laisse Vladimir Poutine gagner, ça crée un précédent désastreux pour les relations internationales, y compris sur d'autres théâtres. Donc c'est à nous aussi de faire entendre notre voix, de continuer à soutenir les Ukrainiens, à pouvoir se défendre. Et en effet, la seule façon de mettre fin à cette guerre – et c'est le message que nous portons aussi auprès de nos alliés américains, avec qui nous travaillerons, avec l'administration Trump – c'est de donner aux Ukrainiens les moyens de rééquilibrer le rapport de force sur le terrain pour pouvoir engager une négociation...
Q - Ça veut dire quoi ? C'est-à-dire de pouvoir même frapper, en profondeur, sur le sol russe ? Est-ce que, pour être claire dans ma question, le soutien aujourd'hui à l'Ukraine est inconditionnel et sans limite ?
R - Non, mais rien n'est inconditionnel ou sans limite. Mais le sujet, fondamentalement, c'est comment est-ce qu'on donne aux Ukrainiens les moyens de rééquilibrer le rapport de force sur le terrain, qui peut mener à une négociation ? Moi, j'entends aujourd'hui le président Zelensky qui, depuis longtemps, par exemple, dans son plan de victoire, dit qu'il souhaite pouvoir négocier. Mais après, une négociation se base sur un rapport de force. Et le rapport de force qui doit pouvoir se rééquilibrer sur le terrain, c'est quand on donne aux Ukrainiens les moyens, précisément, de pouvoir mener cette négociation.
Q - Est-ce que Trump pourrait être l'homme de ce rapport de force ? On le connaît quand même pour ces rapports de force et son goût du deal.
R - En tout cas, c'est le message que nous portons et que nous continuerons de porter auprès des autorités américaines.
Q - Ma question est : est-ce que Trump peut être l'homme de ces négociations, pour vous ?
R - Vous savez, au fond... Je sais qu'on va...
Q - Vous n'y croyez pas, Monsieur le Ministre ? Ou vous ne voulez pas le dire ? Parce que, semble-t-il, s'il est en contact avec Poutine, il est le...
R - Non, mais en réalité, je ne fais pas de la spéculation sur ce que va faire quelqu'un d'autre. Moi, je vous dis la position que nous porterons et ce que nous devons faire aussi pour prendre en charge notre propre sécurité.
Q - Parce que vous avez dit : "Ce serait une erreur historique d'abandonner l'Ukraine."
R - C'est ce que je vous dis.
Q - Négocier, c'est abandonner ?
R - Non, pas du tout. Je vous dis... Encore une fois, abandonner, c'est laisser Vladimir Poutine gagner la guerre et le précédent que ça créerait. La question, c'est comment créer les conditions d'un rapport de force pour une négociation ? Maintenant, fondamentalement, ce que nous voyons avec l'élection de Donald Trump, mais au fond, avec les tendances même qu'on avait vues avec son prédécesseur...
Q - Ce que vous avez vu venir. Je vais le préciser à nos auditeurs d'Europe 1 et téléspectateurs de CNews : vous avez publié ce livre il y a quelques années, en 2019, il s'intitule "Le paradis perdu, l'Amérique de Trump et les désillusions européennes". C'est-à-dire, au moment où tout le monde pensait que Trump était terminé, que Trump ne pouvait même pas émerger, vous l'avez vu arriver. Vous ne faites pas partie de ces élites aveuglées ?
R - J'ai vécu le premier mandat de Donald Trump aux États-Unis et je crois qu'effectivement... Je ne crois pas aux leçons de morale. J'ai voulu voir en tant que Français, de façon analytique, déjà les sujets qui ont fait son succès. Et que ce soit la question de l'immigration, la question de la désindustrialisation, le rejet des interventions militaires par une partie de l'opinion publique américaine, en particulier après les échecs de l'Afghanistan et de l'Irak, et au fond, l'accélération aussi qu'il représentait... Je ne pense pas qu'il représente une parenthèse ou un accident de l'Histoire. On a vu, par exemple, les tendances protectionnistes qui ont été continuées voire amplifiées par l'administration Biden, avec certains tarifs douaniers, avec l'IRA, contre même les intérêts de l'industrie européenne. Et donc, la conclusion qu'il faut en tirer, c'est pour nous, Européens, de prendre en charge notre propre sécurité, notre destin, d'investir dans notre défense, de nous donner les outils, d'assumer des rapports de force aussi, sur le plan commercial, de soutenir notre industrie, c'est-à-dire d'investir dans notre autonomie stratégique.
Q - C'est le fameux "sursaut européen". Mais pourquoi vous ne dites pas d'abord "la France" ?
R - Mais la France, nous, c'est ce qu'on fait depuis 2017, en faisant baisser le chômage, en doublant le budget militaire de la France sur les deux mandats d'Emmanuel Macron, en investissant dans la réindustrialisation. Mais après, les intérêts de la France...
Q - Mais il y a une hémorragie, en ce moment, semi-industrielle. Oui ?
R - Les intérêts de la France, c'est aussi d'être influents en Europe et d'avoir une Europe qui est capable de défendre ses intérêts. Parce que fondamentalement, entre les États-Unis, la Chine, l'Inde, la Russie, on a intérêt à peser ensemble, en Européens. Mais c'est pour ça que je vous reviens juste rapidement sur la question de l'Ukraine. Le vrai sujet, une fois de plus, c'est comment est-ce que nous, Européens, sommes capables collectivement, en coopérant au niveau, par exemple, de l'industrie de défense, comment est-ce qu'on est capables de défendre ensemble nos intérêts ?
Q - Expliquez-nous ce matin, quelle Europe ? Celle de Viktor Orbán, dont vous aviez dit il y a deux ans, je vous cite, "dénoncer sa dérive autoritaire et le fait qu'il détourne les fonds européens" ? Celle d'Olaf Scholz, fragilisé en Allemagne et probablement remplacé avant Noël ? Ou celle de Giorgia Meloni, dont vous aviez critiqué le repli national au sujet de l'immigration ?
R - Giorgia Meloni, non. Ce que j'ai dit, c'est qu'au contraire...
Q - Mais quelle Europe ?
R - Non, ce que j'ai dit, c'est que quand elle a été élue, elle a fait appel à l'Europe et à la coopération européenne, précisément pour avoir des résultats sur l'immigration.
Q - Vous avez parlé de "repli national".
R - Mais j'avais parlé de ça pendant sa campagne. C'est-à-dire qu'effectivement, pendant sa campagne, elle a fait croire qu'il y avait des solutions uniquement nationales et unilatérales pour avoir des résultats sur l'immigration, et que c'est à travers la coopération européenne...
Q - Alors quelle Europe ?
R - Une Europe qui est capable de se défendre, une Europe qui investit dans son autonomie.
Q - Celle de M. Orbán ? Celle de M. Scholz ?
R - Mais non, déjà celle des 27. On a besoin de travailler avec nos partenaires, nos voisins.
Q - On dit souvent l'Europe des 27 et le 27e, c'est la Commission européenne.
R - Mais en réalité, moi ce que je constate, c'est que quand j'entends l'Europe, aujourd'hui... La Commission européenne, dans son collège des commissaires actuels, qui parle de souveraineté industrielle, de souveraineté technologique, de nucléaire comme énergie de décarbonation... Il y a un commissaire à la défense. Je vois que le logiciel change. Je vois qu'on fait changer le logiciel. Je vois qu'on sort d'une forme de naïveté quand on impose des tarifs à la Chine face à son comportement commercial déloyal sur la question des véhicules électriques. Mais maintenant, effectivement, il faut ce sursaut. Moi, ce que je constate, ce que je vois aux États-Unis, c'est que les Américains, au fond, ont toujours faim. Ils veulent innover. Ils veulent créer. Ils veulent investir dans leur défense. Donc la question que je pose aujourd'hui aux Européens, c'est : est-ce qu'on a faim ? Est-ce qu'on veut innover ? Ou est ce qu'on veut simplement être des sujets, un théâtre passif, des rivalités des grandes puissances ? Moi, je veux qu'on soit un acteur. Et un acteur, ça veut dire investir massivement dans notre compétitivité, notre productivité – au niveau français comme au niveau européen – en unifiant les marchés de capitaux, en terminant le marché unique, en mettant plus l'accent sur l'innovation que sur la régulation. Parce que ces dernières années, ça été, au niveau européen, beaucoup l'accent sur la régulation sur les questions technologiques. Là je crois, au contraire, qu'il faut qu'on soutienne nos entreprises et nos agriculteurs.
Q - Et en pensant à nos agriculteurs ?
R - Bien sûr.
Q - Je veux vraiment terminer par cette question. Il nous reste quelques secondes. C'est un sujet qui risque d'allumer de nouveau la colère des agriculteurs, le fameux Mercosur, l'accord de libre échange qui défavoriserait très largement nos producteurs nationaux. L'enjeu est désormais de rallier d'autres pays européens, puisque la France, on le sait, ne veut pas le signer. Est-ce qu'il va être signé, là, dans quelques jours ?
R - Vous le voyez bien, la position de la France est extrêmement claire : c'est que cet accord n'est pas acceptable en l'état. Donc nous travaillons...
Q - Est-ce qu'on a les moyens de s'y opposer ?
R - Nous travaillons avec nos partenaires européens pour construire, effectivement, une coalition qui dit très simplement qu'on a des exigences aussi bien effectivement sur les questions d'équité commerciale – c'est-à-dire très simplement que quand on s'applique des normes, des standards, par exemple, pour nos agriculteurs et nos entreprises, il faut que nos partenaires commerciaux s'appliquent les mêmes – et après aussi bien au niveau des normes environnementales, c'est-à-dire la protection, notamment, des accords de Paris et du développement durable.
Q - On l'entend, mais vous pouvez nous garantir ce matin qu'il ne sera pas signé cet accord-là, d'ailleurs au G20, dans les prochains jours ?
R - Je ne le souhaite pas. En tout cas, clairement, le combat de la France, c'est de s'opposer à cet accord en l'état, de mobiliser nos partenaires pour s'y opposer. Parce que ça revient exactement à ce que je vous disais tout à l'heure, quand on sort d'une forme de naïveté sur les accords commerciaux... D'ailleurs on voit que l'une des raisons pour lesquelles Donald Trump a été élu, c'est qu'il y a ce retour de bâton contre ces accords commerciaux qui ne sont pas considérés comme équitables et qui ont mené, par exemple, à une forme de désindustrialisation. Là, on doit être capables de défendre nos intérêts sans naïveté. C'est le message que porte le Gouvernement sur la question du Mercosur.
Q - Merci, Monsieur le Ministre délégué en charge de l'Europe, Benjamin Haddad. Merci pour cette grande interview. Bonne journée et à bientôt.
R – Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 2024