Texte intégral
Q - Bonjour à tous, bienvenue pour cet entretien exclusif sur France 24 et Radio France Internationale, à l'occasion du Forum sur la paix, manifestation internationale sur la gouvernance mondiale et le multilatéralisme qui se déroule chaque année à Paris. Nous avons le plaisir de recevoir dans nos studios, ici à Paris, Jean-Noël Barrot, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères de la France. Vous avez été d'ailleurs nommé bien sûr au Quai d'Orsay par le Premier ministre Michel Barnier.
Q - Bonjour et bienvenue Monsieur le Ministre.
R - Bonjour.
Q - Jean-Noël Barrot, je précise que vous avez été dans les gouvernements précédents ministre délégué à l'Europe, et un peu avant ministre délégué à la transition numérique. Vous avez entamé votre mission de chef de la diplomatie française avec une série de déplacements. On se souvient de l'Ukraine, du Liban, du Maroc, et la semaine dernière c'était Israël.
Q - Alors justement, ce déplacement en Israël a été marqué par un incident diplomatique. Des policiers israéliens sont entrés dans un domaine national français à Jérusalem-Est. Vous avez convoqué l'ambassadeur d'Israël en France au Quai d'Orsay. Passée cette convocation, est ce que l'incident sera clos ? Vous avez dit : "nous n'en resterons pas là."
R - C'est une situation qui est inacceptable et c'est la raison pour laquelle j'ai pris la décision de convoquer l'ambassadeur d'Israël en France. Dans l'échelle des sanctions diplomatiques, la convocation d'un ambassadeur est le premier degré. C'est l'occasion pour la France de rappeler qu'elle ne tolérera pas que des forces armées israéliennes entrent dans ses domaines, dont elle a la responsabilité, dont elle assure la protection, et de réaffirmer avec force que cet incident ne doit plus jamais se reproduire.
Q - Que les forces entrent sans autorisation et armées. C'était bien le problème.
R - Sans autorisation, bien évidemment.
Q - Quel est le deuxième degré ? Vous parlez du premier degré, la convocation. Une fois la convocation passée, selon ce que vous dit l'ambassadeur tout à l'heure, qu'enclenchez-vous ?
R - Comme je viens de vous le dire, dans le langage diplomatique, dans la grammaire diplomatique, il y a un certain nombre de sanctions. Nous avons considéré que cet incident était extrêmement grave. J'ai donc décidé d'appliquer la première des sanctions. Elle vaut signal que la France n'acceptera pas qu'un tel incident se reproduise et qu'elle se réserve toutes les options, si jamais cela devait être le cas.
Q - Mais vous attendez... Excusez-moi Monsieur le Ministre...
R - Je n'attends rien ! Je sanctionne l'ambassadeur.
Q - Vous sanctionnez. Donc vous n'attendez rien de ce que pourrait vous dire l'ambassadeur tout à l'heure.
R - J'attendais que cela ne se reproduise plus jamais. Il y a un certain nombre de sanctions diplomatiques qui peuvent être activées. Nous avons activé la première.
Q - On entend. Le ministre israélien des finances est attendu à Paris demain. On sait que Bezalel Smotrich est contre le cessez-le-feu avec le Hamas et pour la colonisation en Cisjordanie. Est-ce que la France peut accueillir quelqu'un qui se revendique fasciste et suprémaciste ?
R - Ce qui est clair, c'est que nous dénonçons la politique qui est encouragée par ce ministre du gouvernement israélien, qui consiste à poursuivre une activité qui est illégale aux termes du droit international, la colonisation, et la colonisation agressive de la Cisjordanie. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons activé d'autres sanctions, à plusieurs reprises. Au titre national d'abord, en ciblant 28 colons extrémistes et violents, qui pour certains ont été encouragés par ce ministre du gouvernement Netanyahu. Et puis ensuite au niveau européen, où nous avons été moteur pour créer un régime de sanctions visant les entités ou les personnes coupables ou complices de fait de colonisation. Ce régime a été activé deux fois. Nous avons lancé deux trains de sanctions à l'encontre de ces personnes et de ces entités, et nous sommes en train de travailler sur un troisième train de sanctions européen.
Q - C'est pour bientôt, disiez-vous hier. Pour la visite de M. Smotrich, pas d'état d'âme à sa venue ? Il n'est pas invité par la France, je précise, c'est l'organisation Israël is Forever qui l'a invité à un gala. Ça ne vous pose pas de question, de problème ? On sait que le gala a été organisé...
R - À ce stade, je n'ai pas de confirmation de sa venue en France.
Q - Revenons sur quelque chose qui, évidemment, marque beaucoup l'actualité internationale, à savoir la victoire aux Etats-Unis de Donald Trump. Le Président français Emmanuel Macron a été parmi les premiers européens à le féliciter. Mais est-ce que finalement, au plus profond de vous-même, Jean-Noël Barrot, vous avez plutôt tendance à penser que ça n'arrange pas tellement nos affaires, cette victoire ?
R - Ce n'est pas vraiment la question. D'abord parce que le choix du peuple américain est souverain, et que depuis 250 ans, nous travaillons de manière étroite avec les Etats-Unis. Nous avons survécu à 59 élections présidentielles américaines. Nous survivrons évidemment à la 60e. Et d'autre part, parce que cela fait depuis longtemps, si je puis dire, au moins depuis sept ans, que nous nous préparons à cette transformation du monde qui est à l'oeuvre, en appelant, comme le Président de la République l'a fait dès 2017 dans son premier discours de la Sorbonne, l'Europe à se donner les moyens de sa souveraineté et de son indépendance.
Q - L'Europe n'avait pas l'air très préparée, précisément ; elle a eu l'air surprise.
R - Non, je crois que l'Europe est beaucoup plus préparée qu'elle ne l'était en 2016 à une présidence Trump. Parce que, au fond, les grandes crises que nous avons traversées, la COVID et ses conséquences, mais encore la guerre en Ukraine, ont consolidé l'unité des Européens, qui doivent aujourd'hui faire preuve de volonté et de courage pour accélérer sur cet agenda que la France a rédigé, il faut bien le dire, et que désormais nos partenaires européens se sont appropriés, mais qui suppose de passer à l'action et sans doute d'accélérer en matière de de sécurité, en matière de compétitivité, en matière de protection de la démocratie. Voilà des sujets que nous abordions déjà en 2017 et sur lesquels nous avons commencé à progresser. Mais là, il faut accélérer.
Q - Jean-Noël Barrot, vous n'ignorez pas que les Etats-Unis sont les premiers clients de l'Union européenne en termes de commerce. C'est le premier destinataire de biens européens. On sait que Donald Trump veut imposer de nouvelles barrières douanières, au moins 10%, peut-être plus. Est-ce que l'Europe peut tenir le choc de ce qui serait une nouvelle guerre commerciale ? Tenir le choc, voire répliquer ?
R - Vous avez raison de rappeler que l'Union européenne est le premier partenaire commercial des Etats-Unis d'Amérique. C'est pourquoi, pour les Etats-Unis, d'appliquer des droits de douane de manière un peu indiscriminée et massive à l'Europe serait une erreur de calcul majeure. Cela pénaliserait lourdement les très nombreuses entreprises américaines qui aujourd'hui sont installées en France ou en Europe. Et cela amputerait immédiatement les contribuables, les classes moyennes américaines de toute une partie de leur pouvoir d'achat, parce qu'eux aussi achètent des produits importés, venus de l'Europe. Si l'administration Trump devait persister dans ce que j'ai qualifié d'erreur majeure, alors nous défendrons nos intérêts agricoles, industriels et commerciaux avec une volonté de faire et sans trembler. Nous avons démontré...
Q - Mais qu'est-ce qu'une volonté peut faire, Monsieur le Ministre ?
Q - L'Allemagne tremble un peu, quand même...
R - Qu'est-ce qu'une volonté de faire ? On parlait tout à l'heure du premier mandat de Trump et peut être de l'impréparation des Européens à l'époque. À l'époque, nous étions encore sous le dogme du libre-échange, et il était interdit d'évoquer en Europe l'opportunité de sanctionner ou de répliquer à des mesures d'iniquité commerciale. Eh bien, l'Europe a changé. Vous l'avez vu : le mois dernier, l'Europe a décidé d'appliquer elle-même des droits de douane sur les véhicules électriques chinois, considérant que les subventions dont bénéficient les entreprises chinoises aujourd'hui sont désavantageuses pour les entreprises européennes. Donc nous avons construit des moyens de rétorsion.
Q - Ça existe, vous l'avez déjà fait. L'Europe va le refaire, si Donald Trump persiste dans sa volonté de taxer les importants ?
R - L'Europe va commencer par ouvrir la discussion avec l'administration nouvelle, en indiquant que tout le monde aurait à perdre à une guerre commerciale. Et lui dire aussi que si jamais des droits de douane devaient être appliqués, eh bien il y aurait évidemment des mesures de rétorsion.
Q - Réciprocité.
R - Réciprocité !
Q - La France est pour ?
R - Bien sûr.
Q - L'autre grande inquiétude bien sûr des Européens et des Français, c'est de savoir si l'administration Trump risque de lâcher l'Ukraine. L'Europe sera-t-elle d'ailleurs en mesure de prendre le relais ? Sachant que les 27 achètent beaucoup d'armes aux Etats-Unis, pour justement les envoyer en Ukraine, et sont très divisés à l'idée de compenser l'aide financière américaine de façon massive, de faire des emprunts et de pouvoir justement se soustraire aux Etats-Unis et les remplacer...
R - Il y a trois éléments dans votre question, et je vais en parler très brièvement. Premièrement, sur les moyens financiers. Il se trouve qu'avec l'administration américaine sortante et avec les autres pays du G7, nous venons de signer un prêt historique de 50 milliards de dollars au profit de l'Ukraine, qui ne sera payé ni par les Américains, ni par les Européens, ni par les Ukrainiens, mais par les Russes et par les revenus d'aubaine tirés des actifs russes que nous avons immobilisés. Et cela va permettre à l'Ukraine de poursuivre sa résistance héroïque face à l'agression russe. Deuxième élément, et vous avez raison de le signaler, 80% des approvisionnements militaires des armées européennes proviennent de l'extérieur de l'Union européenne. C'est une situation de dépendance qui est inacceptable, qui conditionne d'une certaine manière certains de nos choix géostratégiques, et cela ne peut plus durer. C'est pourquoi nous appelons depuis 2017, je le disais, à ce que notre industrie de défense se développe ; et c'est pourquoi nous disons qu'à l'heure où la France ou l'Allemagne ou la Pologne ou les autres pays européens augmentent leurs dépenses publiques en matière de défense, qu'il faut que ces dépenses se tournent vers l'industrie européenne. Pourquoi ? Eh bien, parce qu'il serait inacceptable pour les contribuables français, européens, pour nos concitoyens, que nous augmentions, dans une période de contraintes budgétaires, les dépenses en matière de défense, si cela ne crée pas des emplois et des entreprises en Europe.
Q - C'est pourtant ce que va nous demander Donald Trump.
R - Et nous lui répondrons qu'il est dans son intérêt, puisqu'il nous l'a dit de très nombreuses fois, que nos dépenses en matière de défense augmentent, pour que l'Europe puisse assurer sa propre sécurité. Il l'a dit à de nombreuses reprises. Et nous répondrons que nous sommes d'accord, mais qu'il faut nous laisser nous approvisionner, si je puis dire, ou il faut accepter l'idée que l'Europe s'approvisionne elle-même, sans quoi nos compatriotes, les contribuables européens, refuseront que nous sacrifiions dans d'autres dépenses publiques au profit de dépenses militaires qui ne seraient orientées que vers les Etats-Unis ou la Corée du Sud.
Q - Quid de l'OTAN ?
Q - Dernier mot, peut-être ? Vous aviez un troisième volet.
R - Le troisième volet, c'est celui de l'abandon, imaginé par l'administration Trump, des Ukrainiens. Je crois que Donald Trump est trop avisé pour accepter...
Q - Parce que c'est toute la question. Vont-ils lâcher l'Ukraine ?
R - ... pour accepter d'être celui qui avalise la plus grande annexion territoriale de notre histoire depuis 75 ans. Ce serait consacrer définitivement la loi du plus fort, et ça aurait des conséquences extrêmement lourdes, non seulement en Europe, mais partout ailleurs. Où les plus forts, où les puissances agressives, considèreraient qu'elles ont un sauf-conduit pour envahir le pays voisin ou le pays dans lequel elles ont un intérêt. Par ailleurs...
Q - Monsieur le Ministre, on entend bien le problème, mais c'est bien ce qu'il a annoncé malgré tout.
R - Je crois qu'il aura la volonté de prendre sa part dans la résolution de cette crise, pour mettre fin à cette guerre d'agression. Ce que je ne crois pas, c'est qu'il voudra faire des cadeaux à un Vladimir Poutine qui est aujourd'hui affaibli au point d'être obligé d'exporter la guerre en Asie pour aller chercher auprès de la Corée du Nord des troupes, de manière à défendre ou plutôt à agresser les Ukrainiens. Une économie russe qui elle-même est au bord de l'asphyxie, avec des taux d'intérêt à 21%, des pénuries de main d'oeuvre et un déficit public abyssal.
Q - Alors Caroline voulait qu'on parle de l'OTAN et elle a bien raison. Le Président français reçoit aujourd'hui le nouveau secrétaire général de l'Alliance atlantique, Mark Rutte. On sait que Donald Trump pourrait, encore une fois, se désinvestir de l'OTAN. Est ce qu'il y a un grave problème ?
R - Le Président de la République l'a dit à de nombreuses reprises, notre responsabilité, la responsabilité de notre génération qui vient après celle qui a fondé cette Alliance de sécurité transatlantique, c'est de concevoir un pilier européen de l'OTAN, de manière à faire en sorte que, progressivement, les Européens prennent une part de plus en plus grande de leur propre sécurité, de leur défense.
Q - Mais il n'existe pas encore, et les pays de l'Est et les pays baltes sont assez terrorisés de ne pas bénéficier, peut-être demain, d'un parapluie américain suffisamment réaffirmé.
R - Au contraire, je crois que, constatant et d'ailleurs vivant de très près, si je puis dire, la menace existentielle que pose l'agressivité de Vladimir Poutine à l'Europe et en particulier à l'Europe orientale, nos partenaires des pays de l'Est et des pays nordiques sont aujourd'hui convaincus qu'il y a quelque chose qui doit évoluer, qu'effectivement les Etats-Unis d'Amérique ont d'autres priorités stratégiques que la défense de l'Europe, et qu'il nous faut donc progresser dans la direction que nous indiquons depuis des années, c'est-à-dire le développement d'une industrie de défense, le relèvement de nos dépenses et une intimité toujours plus grande entre les armées européennes.
Q - C'est la direction, mais ça ne va pas se faire du jour au lendemain, une industrie de défense européenne, Monsieur le Ministre...
R - Ça a bien commencé. Nous avons commencé à faire évoluer nos outils de financement au niveau européen. Nous avons en discussion, en ce moment même à Bruxelles, un programme pour l'industrie de défense européenne qui vise justement à atteindre rapidement cet objectif. Et c'est sur ce point-là que nous devons accélérer.
Q - Et un commissaire à l'industrie - au passage, Stéphane Séjourné, qui va passer ses auditions. Alors il y en a un quand même qui s'est réjoui très fortement de la victoire de Donald Trump dans le club des 27, c'est l'ultranationaliste hongrois Viktor Orban, qui parle de son "ami". Est-ce qu'il ne va pas en profiter d'ailleurs, puisqu'il a jamais été très pro-Ukraine, pour exiger une paix très défavorable aussi au sein du club et devenir l'homme qui murmure à l'oreille du président américain ?
R - Mais je ne crois pas que Viktor Orban puisse exiger quoi que ce soit. Vous savez, les décisions, elles sont prises parfois à l'unanimité, à Bruxelles, à Luxembourg... Et parfois, elles sont prises à la majorité qualifiée. Et que dit la majorité qualifiée aujourd'hui des pays européens ? Que dit-elle ? Elle dit que la situation est extrêmement grave, que ce qui est en jeu sur le front ukrainien, c'est l'existence même de l'Europe. Ecoutez ce que dit le président polonais, écoutez ce que disent les pays baltes, écoutez ce que dit la Roumanie aujourd'hui. Si nous abandonnions, ce qui n'arrivera pas, les Ukrainiens en rase campagne, c'est la sécurité sur l'ensemble du continent qui se trouverait menacée. Et cette conviction-là, qui est très largement partagée par les 26, ce n'est pas la vision de Viktor Orban et ses relations avec Donald Trump qui va la faire changer.
Q - Et Viktor Orban est-il loyal avec ses partenaires européens ?
R - Viktor Orban exerce aujourd'hui la responsabilité de présider le Conseil de l'Union européenne. Il a accueilli jeudi et vendredi dernier, d'abord une réunion de la Communauté politique européenne qui va au-delà de l'Union européenne, qui rassemble une cinquantaine de pays, 700 millions de citoyens au travers du continent, puis un Conseil européen consacré à la compétitivité. Ce que je constate, c'est que ces deux rendez-vous ont été à la hauteur des enjeux. La communauté politique européenne a montré son unité. Et en matière de compétitivité, le lendemain, les 27 ont réaffirmé leur ambition.
Q - Vous vous souvenez aussi de son passage en Géorgie, après les élections, pour féliciter les pro-russes ?
R - Je me souviens aussi qu'il est allé, juste après sa prise de fonction, en Russie, qu'il est allé en Chine, sans avoir consulté au préalable ses...
Q - Donc il y a quand même une question. Il y a...
R - Non, je crois que le pays qui, pendant six mois, exerce la présidence du Conseil de l'Union européenne, doit toujours veiller à associer très étroitement les 26 autres, de manière à ce que ses déplacements, ses prises de position, ne puissent pas être interprétés comme étant celles de l'Union européenne.
Q - Et vous constatez que ce n'est pas forcément ce qu'il fait.
R - Je constate qu'il a parfois manqué à ces exercices de consultation préalable à ses déplacements.
Q - Vous êtes en poste depuis sept semaines. Jean-Noël Barrot. Vous avez déjà effectué de nombreux déplacements, j'en évoquais quelques-uns au début de cet entretien. Est-ce que vous comptez vous rendre bientôt en Afrique subsaharienne ?
R - Evidemment, et d'ici la fin du mois, je me rendrai à Addis Abeba pour un échange entre la France et l'Union africaine, qui sera l'occasion, d'abord de réaffirmer l'ambition qui est celle de la France de réformer les institutions multilatérales et internationales, et je pense en particulier au Conseil de sécurité de l'ONU, pour que l'Afrique puisse y être mieux représentée, de manière à ce que ces institutions soient plus légitimes, et que lorsqu'elles prennent des décisions, ces décisions puissent être entendues et appliquées partout dans le monde.
Q - L'Afrique représentée, ça veut dire un poste au Conseil de sécurité, un poste permanent au Conseil de sécurité de l'ONU ?
R - Ce que nous défendons, c'est l'idée d'avoir deux sièges permanents pour les pays africains.
Q - Alors la France a dû se retirer quand même de plusieurs pays du Sahel où elle entendait lutter contre le terrorisme. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment, Monsieur le Ministre, qu'il y a un rejet de l'influence française, désormais, sur ce continent africain ?
R - la France a choisi de faire évoluer sa relation avec les pays africains.
Q - A choisi ou a été contrainte ?
R - Elle l'a choisi, de transformer sa relation avec les pays africains, de concevoir une relation tournée vers l'avenir, fondée sur les complémentarités, fondée sur les intérêts mutuels, et qui passe par des liens toujours plus étroits entre, bien sûr, les pays et leurs autorités, mais aussi les sociétés civiles, les mondes économiques, que ce soit d'ailleurs en Afrique ou en France et en Europe, où nous avons des diasporas africaines très importantes, qui contribuent très largement à la vie économique, sociale et culturelle de nos pays. C'est cet agenda de transformation que nous avons commencé à mettre en oeuvre et que nous allons continuer à amplifier. Nous voyons qu'il produit des effets, des résultats qui sont très intéressants, ce qui nous encourage à poursuivre dans cette voie.
Q - Un nouveau type de relation. Vous savez que le 1er décembre prochain, c'est le 80e anniversaire du massacre de Thiaroye au Sénégal. Je rappelle que des dizaines de tirailleurs avaient été tués par l'armée française. Est-ce que la France va participer aux commémorations ? Est-ce que la France est invitée à un quelconque niveau à participer à ce moment ?
R - La France sera présente pour ce moment important. Je ne peux pas vous, je ne peux pas vous indiquer aujourd'hui de quelle manière et à quel niveau...
Q - Puisque vous serez prochainement en déplacement sur le continent, est-ce que ça pourrait être vous ?
R - Je ne peux pas vous confirmer la manière dont la France sera représentée, mais elle sera présente, parce que c'est un moment important et...
Q - Vous avez été invité par les autorités sénégalaises ?
R - ...cette refondation des relations entre la France et les pays africains, elle passe aussi par un travail mémoriel qui, comme vous le savez, est placé au premier rang des priorités du Président de la République.
Q - C'est toute la question. Mais techniquement, est-ce que la France a été invitée par les autorités sénégalaises ?
R - Techniquement, je vous répondrai quand j'aurai la réponse.
Q - Quand vous aurez une réponse. Et vous ne l'avez pas pour l'instant.
Q - Alors c'est vrai que l'Union européenne, vous êtes aussi ministre de l'Europe, noue des relations avec l'Afrique, ou entend contrer l'influence croissante de la Chine et de la Russie sur ce continent, et notamment par de grands accords stratégiques, mais qui incluent et qui incluent beaucoup le volet migration. On a l'impression que finalement, notre finalité absolue est de sous-traiter la gestion migratoire et des demandeurs d'asile en externalisant celles-là en particulier dans les pays africains, avec des rapports bilatéraux UE, et puis des rapports aussi de certains pays avec d'autres. Est-ce que ça n'est pas un peu réducteur ? Est-ce que c'est précisément ces rapports uniquement sur la migration avec l'Afrique qui ne posent pas problème ?
R - En aucun cas et d'aucune manière la relation avec l'Afrique n'est placée sous le seul prisme des mobilités et des migrations. Et je dirais même que, au chapitre des mobilités et des migrations, la question de l'immigration irrégulière est un sujet que nous abordons avec nos partenaires africains, parce qu'eux-mêmes subissent en grande partie ces migrations irrégulières. Mais ça n'en est que l'un des sous chapitres, puisque nous avons aussi les échanges humains, les échanges de talents, les allées et les retours de l'Afrique vers l'Europe, que nous devons traiter en parallèle de ce sujet de la migration irrégulière. Mais tout ça n'est que l'un des chapitres de ce livre que nous écrivons avec chacun des pays africains avec lesquels nous voulons, je le disais, refonder une relation sur la base de nos complémentarités, de nos intérêts mutuels. Il y a ensuite toutes les coopérations : coopération en matière économique, en matière culturelle, coopération avec les sociétés civiles, sociétés civiles qui parfois sont également présentes en France et que nous voulons associer à ce travail de refondation. Donc je pense qu'il serait beaucoup trop réducteur, contre-productif et en réalité illusoire, de résumer la relation avec n'importe quel pays africain à cette question.
Q - Jean-Noël Barrot, il nous reste à peine un peu plus d'une minute. La COP29 s'est ouverte hier en Azerbaïdjan. Les relations, on le sait, entre la France et cette république sont notoirement tendues. L'Azerbaïdjan a arrêté trois français, elle mène aussi une campagne hostile dans les territoires d'outre-mer. Est-ce que la France compte répondre d'une manière ou d'une autre ?
R - D'abord vous me parlez de la COP, et je veux rappeler que nous fêtons en 2025, l'année prochaine, les 10 ans de l'Accord de Paris, qui est une immense victoire de la diplomatie française, qui a fait progresser la cause du climat comme ça n'avait jamais été le cas auparavant.
Q - Et sur l'Azerbaïdjan ?
R - C'est pourquoi, nous avons à Bakou des négociateurs qui travaillent en ce moment même à faire aboutir un certain nombre de négociations, et notamment sur les marchés de quotas carbone. Ceci étant dit, nous sommes très vigilants, parce que cette COP, elle draine aussi, elle attire à elle des représentants de la société civile, et nous sommes très vigilants à ce que cette participation à la COP ne pose aucun problème...
Q - C'est-à-dire qu'il n'y ait pas de risque sur les Français qui se présentent à la COP ?
R - Il n'y a pas de risques. Nous sommes très vigilants et nous sommes très attentifs à la situation.
Q - 11 et 12 novembre, Forum sur la paix à Paris. Un mot juste pour terminer. Est-ce que le multilatéralisme, l'ordre mondial qui fonctionne, est encore d'actualité ? Est-ce que, avec cette ONU très impuissante, des appels au cessez-le-feu sans réponse, vous êtes optimiste ?
Q - Et vous avez 30 secondes !
R - Le multilatéralisme survivra à condition qu'il se réforme. Et c'est toute l'ambition de la France, que nous puissions avoir un Conseil de sécurité qui soit plus représentatif des grands émergents et des pays africains, que nous ayons des institutions financières qui permettent aux pays du Sud de n'avoir pas à choisir entre la lutte contre la pauvreté et la lutte pour le climat, et que nous ayons un droit international humanitaire qui, en toutes circonstances, soit respecté. Voilà les trois axes du travail que le Président de la République, le Premier ministre, m'ont demandé de mener, et je compte le faire avec résolution.
Q - Merci à vous d'avoir été notre invité aujourd'hui, Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères de la France.
Q - Et merci à vous de nous avoir suivi sur RFI et France 24.
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2024