Entretien avec Mme Sophie Primas, ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec "Les Echos" le 21 novembre 2024, sur l'accord de commerce UE-Mercosur et les relations commerciales avec les États-Unis et la Chine.

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Intervenant(s) : 
  • Sophie Primas - Ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Média : Les Echos

Texte intégral

Q - Aujourd'hui, à Bruxelles, qu'avez-vous dit à vos homologues sur la position de la France quant à l'accord de commerce UE-Mercosur ?

R - J'ai redit que l'accord n'était pas acceptable en l'état. Pour nous, il n'est pas finalisé. Un point essentiel est pour nous bloquant : le respect des accords de Paris. Le texte doit inclure un outil de règlement des différends qui permette, si on observe leur non-application, une suspension de l'accord Mercosur. C'est un sujet majeur, une question de cohérence des politiques européennes. On ne peut pas avoir les plus fortes ambitions au monde sur les normes sanitaires, le bien-être animal, les produits phytosanitaires, et faire entrer sur notre marché des produits qui n'ont pas eu les mêmes contraintes. Les Français ne le comprendraient pas, les agriculteurs ne le comprendraient pas.

Q - Avez-vous d'autres lignes rouges ?

R - Les contrôles sanitaires. Les analyses faites au sein des pays d'exportations vers l'Europe, ou à la frontière, sont insuffisantes, comme l'a montré une récente étude de la direction de la santé en France.

Q - Mais ne faut-il pas faire des concessions sur l'agriculture pour obtenir des avancées sur d'autres secteurs, arrimer l'Amérique latine au camp occidental, contrer l'influence de la Chine ?

R - Les agriculteurs expliquent qu'au fil des accords, c'est toujours leurs intérêts qu'on sacrifie. Ils sont toujours dans la colonne des moins. Par ailleurs j'attends de voir le résultat des négociations sur le volet industriel qui pose des difficultés au Mercosur.

Q - L'accord dit "Ceta" avec le Canada ne s'est-il pas révélé bénéfique pour la filière agricole française ?

R - Au niveau de la filière entière, oui, mais il y a des parties perdantes. Des filières fragiles comme la viande bovine. Le message de la France à l'UE, c'est qu'il faut faire attention à ces exploitants. Globalement, les effets négatifs qui étaient craints il y a 7 ans ne se sont pas produits. Nous avons pu constater depuis les bénéfices de cet accord pour notre économie et nos filières.

Q - Sur le Mercosur, qui est du côté de la France à la table du Conseil ?

R - Il y a un certain nombre d'Etats membres qui n'expriment pas publiquement leur opposition, mais disent qu'ils ont besoin de réassurances, qui mettent des conditions. La France discute avec eux, à Bruxelles, chez eux. Nous laissons aussi les milieux agricoles et les ONG faire leur travail d'information. De l'autre côté de l'océan aussi, il y a des hésitations. Le président argentin voit les risques pour son industrie, comprend qu'il sera moins libre en termes de législation environnementale.

Q - Au début de nouveau cycle européen, quel est le message général des ministres sur la politique commerciale de l'UE ?

R - Nous lançons clairement un appel à un renouveau des accords commerciaux, mais à des textes qui soient à la fois plus en cohérence avec nos politiques publiques de développement durable, et plus offensifs, moins empreints de naïveté. Chacun est conscient que nous entrons dans un monde plus fermé, de rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis. La France est favorable aux accords de libre-échange, tant qu'on les rénove sur la forme. Il nous faut moins d'accords globaux qui mettent 25 ans à aboutir comme le Mercosur, plus d'accords bilatéraux, voire sectoriels. Cela nous permettra d'être plus agiles, plus réactifs et de faire du business plus vite.

Q - Et face à la prochaine administration américaine, quelle attitude adopter ?

R - Donald Trump a été très largement élu et il faut se mettre dans une position qui convient au tempérament qu'il a démontré pendant son premier mandat. D'abord identifier ses intentions, dans une posture de dialogue. Nous devons être en position de nous défendre avec nos outils de défense commerciale. Cela s'applique donc au premier chef à notre premier partenaire commercial, dont l'économie dépend, elle aussi, de l'accès au marché européen.

Q - Trump va probablement tenter de diviser les Vingt-Sept...

R - Evidemment. Voyez ce message d'Elon Musk, sur X, aujourd'hui, dans lequel il insiste sur l'ampleur de la contribution allemande au budget européen. Nous ne voulons pas tomber dans ce genre de piège. Je rappelle au passage que les discussions commerciales avec l'administration Biden n'étaient pas aisées non plus.

Q - Et par rapport à la Chine, l'autre superpuissance commerciale ?

R - Quand j'étais en Chine, j'ai expliqué à mon homologue que personne n'a rien à gagner d'une escalade tarifaire. Mais s'ils nous poussent, nous serons prêts, comme nous l'avons montré avec les droits sur les véhicules électriques. Il faut absolument tenir le cap sur cette mesure, sous peine de perdre notre crédibilité. Il y a dix ans, nous leur avons cédé sur les panneaux photovoltaïques et ce fut un désastre. Je suis confiante car la Chine est dans une situation économique difficile avec d'importants surplus de production. Les Chinois ont autant besoin de nous que nous d'eux, surtout au moment où les Etats-Unis se ferment. Nous, nous ne nous fermons pas mais appliquons des correctifs pour rétablir une concurrence loyale.

Q - Les Européens ont-ils tendance à se sous-estimer ?

R - Je souhaite que les Européens cessent de se dire eux-mêmes fragiles, divisés. La vérité, c'est que nous sommes 450 millions de consommateurs et que nous savons prendre des décisions fortes. L'UE doit s'affirmer comme puissance mondiale.

Q - L'Italie est devenue 4e exportateur mondial. Que peuvent apprendre les entreprises françaises de leurs concurrents de la Botte ?

R - L'Italie est bien meilleure sur l'exportation de ses ETI et de ses PME. Il y a aussi chez les chefs d'entreprise une forte culture de l'export. En France, il faut plus souvent aller les chercher, les aider, les accompagner. Business France fait ce travail mais je souhaite qu'on approfondisse.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2024