Entretien de Mme Sophie Primas, ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec France Info le 25 novembre 2024, sur l'accord avec le Mercosur et les relations commerciales avec la Chine.

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Intervenant(s) : 
  • Sophie Primas - Ministre déléguée, chargée du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Média : France Info

Texte intégral

Q - Bonjour, Sophie Primas.

R - Bonjour.

Q - Un mot, pour commencer, sur Boualem Sansal, l'écrivain franco-algérien détenu depuis plus d'une semaine en Algérie. Est-ce que vous avez des nouvelles ?

R - Alors, à titre personnel, je n'ai pas de nouvelles et nous sommes évidemment extrêmement inquiets de cette situation. Nous voyons bien la valeur symbolique de cette arrestation. Nous savons maintenant qu'il est arrêté, mais nous ne savons pas s'il est défendu, nous ne savons pas s'il va passer devant un juge. Nous avons peu d'informations. Et nous sommes évidemment très inquiets pour cet homme, qui a une audience libre en France, qui a pris cette nationalité depuis peu. Nous suivons ce dossier avec beaucoup d'attention, avec Jean-Noël Barrot.

Q - J'imagine. Demain, l'Assemblée nationale organise un débat suivi d'un vote sur l'accord commercial du Mercosur entre l'Union européenne et certains pays d'Amérique latine. Ce vote sera sans effet parce que, en fait, c'est un accord européen. Est-ce que ce n'est pas cosmétique de voter ?

R - Je pense que c'est très important, en tout cas pour Annie Genevard, pour Jean-Noël Barrot, pour moi-même, pour le Premier ministre, qui sommes sur ce dossier avec beaucoup d'attention, chaque jour. C'est très important d'avoir ce vote du Parlement - Assemblée nationale et Sénat - pour redire l'unité de la nation. C'est assez rare, l'unité de la nation, en ces temps politiques tourmentés. Et c'est très important pour nous de nous sentir épaulés par l'ensemble du Parlement. Il y a eu des tribunes qui ont été signées par plus de 600 parlementaires. C'est une force supplémentaire qui nous est donnée pour négocier avec l'Union européenne.

Q - Alors, vous dites "l'unité de la nation" et vous dites aussi "négocier avec l'Union européenne". Emmanuel Macron a dit qu'il ne signera pas, en état, cet accord. Mais la France est quand même extrêmement isolée en Europe. Elle doit réunir une minorité de blocage. Cela veut dire quoi ? C'est quatre Etats au minimum qui représentent 35% de la population européenne. Vous en êtes où ? Est-ce que vous avez votre quota ? Est-ce que vous avez votre nombre d'Etats et votre pourcentage ?

R - Il y a plusieurs choses dans ce que vous dites. D'abord, je veux vous dire, la France n'est pas isolée. Elle est probablement la plus vocale, celle qu'on entend le plus et qui s'exprime le plus sur cet accord. Mais il y a, aujourd'hui, des Etats qui ne souhaitent pas qu'on les nomme, qui ne veulent pas être en porte-à-faux vis-à-vis de l'Union européenne, mais qui s'inquiètent pour les mêmes raisons que la France.

Q - Mais est-ce qu'ils vont sortir du placard, si je puis dire ? Est-ce qu'ils vont s'aligner avec la France ?

R - Je vais laisser la liberté à chacun, mais certains ont déjà dit qu'ils ne signeraient pas l'accord en l'état et que cet accord ne leur convenait pas. Donc ne croyez...

Q - Lesquels ?

R - Je ne vais pas donner de noms parce que je respecte le fait qu'ils n'ont pas envie d'être vocaux. Donc je les respecte dans leur stratégie à eux. Nous, nous donnons nos réponses, nous donnons notre position. Elle est, effectivement, que nous ne pouvons pas signer cet accord en l'état avec le Mercosur.

Q - Mais ça fait 19 ans...

R - 25.

Q - 25 ans ? J'en oublie au passage. Mais 25 ans qu'on négocie, que la France finalement n'a pas été capable d'imposer ses conditions pour que cet accord soit acceptable ?

R - En fait, vous savez, une négociation qui dure 25 ans... Ça ne vous a pas échappé que le monde change, en 25 ans. Et ce qui pouvait être des conditions acceptables en 1999 - ou quatre ans ou trois ans après - au terme de négociations déjà de quatre ou cinq ans, n'est plus du tout acceptable aujourd'hui parce qu'il s'agit d'une cohérence, en fait, des politiques publiques qui sont menées en Europe, et notamment du point de vue environnemental. On ne peut pas être les mieux-disants de la planète en termes de normes, en termes de volonté de répondre à la lutte contre le changement climatique et à la sauvegarde de la biodiversité et, en même temps, accepter que des produits qui sont produits ailleurs qu'en Europe, avec des conditions normatives qui sont différentes, entrent dans notre pays sans contrainte.

Q - Donc on ne signera pas un accord. Alors je vais me faire l'avocat du diable en l'occurrence, mais tant pis si c'est bon pour nos vins, c'est bon pour nos fromages, c'est bon pour notre industrie du luxe et puis tant pis si c'est la Chine qui récupère le marché à l'arrivée ?

R - Vous avez raison de dire que cet accord... Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, si vous me permettez l'expression. Il y a, dans cet accord, des secteurs d'activités qui sont bénéficiaires : les services, une partie de l'industrie et même dans l'agriculture, un certain nombre de catégories. Mais nous sommes plutôt sur une position de défense des filières qui sont les plus menacées, ou en tout cas les plus fragiles. Je pense à la viande bovine, évidemment, mais je pense aussi à la volaille, je pense au sucre, à l'éthanol. Nous sommes en défense, aussi, de ces catégories-là. Mais nous sommes surtout sur une question de principe, qui est la cohérence de nos politiques publiques européennes. Encore une fois, on ne peut pas être les mieux-disants et accepter que des produits rentrent, qui soient des produits moins-disants.

Q - Ça se durcit aussi avec la Chine. En riposte aux surtaxes sur les importations de voitures chinoises en Union européenne, la Chine a décidé de taxer les importations de cognac. Jusqu'à quand ?

R - C'est une excellente question. Je me suis rendue à Shanghai il y a quelques jours, d'abord pour soutenir les entreprises françaises qui étaient exposantes à une grande foire de l'importation chinoise et, deuxièmement, pour dire au Gouvernement chinois que nous ne comprenions pas en fait leur décision, que nous trouvions cela injuste et infondé, puisqu'en réalité, le marché européen ne se ferme pas aux véhicules électriques chinois. Nous avons rétabli un certain nombre d'éléments de concurrence déloyale, marque à marque, avec des taux de taxation différents en fonction des subventions qui ont été données aux constructeurs chinois. Et effectivement, en coercition, on va dire, la Chine, de façon tout à fait injuste, a bien taxé les cognacs français, évidemment qui ne concernent que la France, alors que les véhicules électriques, c'était une décision européenne, et avec une raison qui est celle du dumping. Evidemment, on ne vend pas les cognacs à bas prix en Chine, donc c'est une raison...

Q - Vous avez bon espoir que la Chine revienne sur sa décision ?

R - À Shanghai, on a ouvert la voie de la négociation. On a vu que la Chine nous entendait, puisqu'elle nous a envoyé des signes, notamment sur les dépôts de trésorerie qui sont devenus des dépôts de garantie. Peu importe. Elle nous a envoyé des signes. Les présidents Xi Jinping et [Emmanuel] Macron en ont parlé lors du G20 et nous sommes dans la phase de négociation.

(...)

Q - Merci beaucoup Sophie Primas. Bonne journée à vous.

R – Merci.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2024