Interview de M. Laurent Saint-Martin, ministre, chargé du budget et des comptes publics, à France Inter le 27 novembre 2024, sur les conséquences d'une censure du projet de loi de finances pour 2025 et la dégradation des comptes publics.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME, nous recevons donc ce matin le ministre du Budget et des Comptes publics, dans le grand entretien du 7-10, vos questions au 01 45 24 7000 et sur l'application Radio France. Laurent SAINT-MARTIN, bonjour.

LAURENT SAINT-MARTIN
Bonjour, merci pour votre invitation.

LEA SALAME
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Oui, bienvenue sur Inter. On n'est qu'au milieu d'une semaine politique dense et tendue, avec la grande question : arriverez-vous à faire passer le budget sans faire tomber le Gouvernement immédiatement après ? Hier soir, au 20 h de TF1, Michel BARNIER a eu des mots très clairs. Il a dit : "Si je tombe, ce sera la tempête", c'est-à-dire pas de budget et des turbulences graves sur les marchés financiers. Est-ce que le Premier ministre n'est pas trop alarmiste ? C'est vraiment lui ou le chaos, Laurent SAINT-MARTIN ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Écoutez, ce Gouvernement a été nommé avec une première mission, celle de redresser les comptes publics, puisque le budget est le premier texte qui est adopté avec une majorité qui est relative. Et ça, tout le monde le sait, et nous les premiers. Ce que nous disons depuis le début, c'est que si notre pays ne redresse pas ses comptes, nous sommes l'un des tout derniers pays d'Europe à ne pas prendre une trajectoire de redressement de nos comptes publics pour les prochaines années. Il nous faut le faire, c'est extrêmement important pour notre propre souveraineté. Si nous ne faisons pas ça, dit autrement, si le Gouvernement venait à être censuré sans budget pour l'année prochaine, alors cette mission ne serait pas remplie. Et effectivement, le Premier ministre a raison de dire que s'il y avait tempête, ce ne serait pas tant une tempête pour les membres de ce Gouvernement, ce n'est pas ça le sujet, c'est une tempête pour le pays. Au-delà d'une crise politique que chacun comprendrait très bien, il y aurait une crise économique et financière, c'est-à-dire tout simplement, le financement de notre endettement prendrait des taux d'intérêt en hausse, et ça, ça a un coût direct pour le quotidien de nos concitoyens.

LEA SALAME
Mais c'est cette petite musique-là que conteste l'opposition, et même des gens dans votre groupe, puisque même Yaël BRAUN-PIVET disait : "Non, arrêtons les discours alarmistes, il n'y aura pas de catastrophe si le Gouvernement tombe, il n'y aura pas de shutdown en France, c'est-à-dire que les fonctionnaires seront payés, la Carte vitale sera financée, donc arrêtons avec les discours qui font peur".

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais, Léa SALAME, je ne parle pas de shutdown, il n'y a pas besoin d'un shutdown pour être en crise économique et financière. S'il n'y a pas de budget, ça ne veut pas dire qu'il n'y aura pas des moyens d'urgence de financer nos fonctionnaires. Ça veut tout simplement dire qu'il n'y aura pas la capacité de mettre en place les mesures pour redresser nos comptes, tout simplement. Ça veut dire que le déficit public de notre pays continuerait à se creuser. Ça veut dire que les taux d'intérêt de notre dette continueraient à augmenter. On va arriver déjà à soixante milliards d'euros par an, rien que pour les taux d'intérêt de notre dette. Est-ce qu'on veut que ça atteigne 70, 80 milliards ? Non. Donc, pour cela, il faut se doter d'un budget responsable, sérieux, qui permette de freiner la dépense publique, qui permette de mettre à contribution certaines grandes entreprises, certains ménages les plus fortunés pour permettre de redresser nos comptes publics. C'est une priorité absolue.

LEA SALAME
Parce que ce serait quoi ? Expliquez concrètement aux gens qui se demandent ce matin, parce que c'est vrai que l'élément de langage, il y a quelques jours, du Gouvernement et des membres de la majorité, c'était de dire : "Attention, attention, les fonctionnaires ne seront pas payés, la carte vitale, la carte vitale". Là, vous nous dites clairement que même si, pour qu'on parle sérieusement, parce qu'il y a beaucoup de rumeurs, de contre-rumeurs, et c'est normal en période d'instabilité politique, mais là, on voudrait comprendre clairement, les fonctionnaires seraient payés si jamais votre Gouvernement venait à tomber et qu'il n'y avait pas de budget, puisqu'il y aurait le budget l'année dernière qui s'appliquera et il y aura une loi d'habilitation, et Marine Le PEN a déjà dit qu'elle la votera. Donc, de ce point de vue-là, on est d'accord.

LAURENT SAINT-MARTIN
On est d'accord, avec des conséquences, si vous me permettez, qui sont très concrètes aussi pour le quotidien des Français. Il n'y aurait pas la possibilité, donc, comme je l'ai dit, d'avoir les mesures fiscales nouvelles de ce budget, à commencer par exemple par l'indexation du barème de l'impôt sur les revenus. Ça veut dire que tous les Français paieraient plus d'impôts directement, tous les Français, pas seulement certains contribuables ciblés qui pourraient contribuer plus que les autres.

LEA SALAME
Expliquez-nous ça, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de budget, on paiera plus d'impôts ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Il faut un budget voté annuellement pour indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation. Si ce n'était pas le cas, s'il n'y avait pas de budget, il n'y aurait pas cette indexation. Et donc, les Français verraient leurs impôts mécaniquement augmenter chaque année, c'est un exemple. Toutes les mesures de hausse…

LEA SALAME
Là l'inflation, elle baisse.

LAURENT SAINT-MARTIN
Non, il y a une inflation qui est au-dessus de zéro. Elle diminue, mais elle reste au-dessus de zéro, donc ce serait une perte de pouvoir d'achat, à peu près trois milliards d'euros en 2025 pour nos concitoyens. Il faut que ce soit su, par exemple, des crédits budgétaires en hausse pour les missions prioritaires que le Gouvernement considère prioritaires pour nos concitoyens. La justice, la sécurité, nos armées, la recherche par exemple, qui sont des ministères sous loi de programmation. S'il n'y avait pas de budget, il n'y aurait pas la possibilité de continuer à investir dans ces hommes et ces femmes qui font le service public du quotidien tous les jours. Donc on ne pourrait pas augmenter les moyens de ces ministères-là. Nous sommes, autre exemple, aujourd'hui en train de répondre à des sollicitations qui datent du début d'année à nos agriculteurs, c'est dans le texte de loi, la mise en application des promesses qui ont été faite, notamment par l'ancien Gouvernement, pas de budget, pas de mesures

LEA SALAME
Oui, on peut imaginer qu'un nouveau Premier ministre soit nommé, qui pourrait d'ailleurs être Michel BARNIER à nouveau, qu'Emmanuel MACRON renommerait, et qu'il y ait le temps pour faire un nouveau budget et ça, c'est possible aussi.

LAURENT SAINT-MARTIN
Donc je vous renvoie la question : n'est-il pas, à l'heure où nous nous parlons, responsables collectivement de nous doter d'un budget pour le pays, pas pour ce Gouvernement, pas pour telle formation politique, pour ce pays ? Dotons la France d'un budget pour 2025, pour pouvoir financer nos priorités, pour protéger le pouvoir d'achat de nos concitoyens, et surtout pour ne pas provoquer, en plus d'une crise politique, une crise financière.

NICOLAS DEMORAND
Ça, c'est l'autre aspect, l'écart entre les taux demandés à la France et l'Allemagne pour un prêt à dix ans est monté en séance à 0,83 %. Ce ne sont plus au niveau depuis la mi-juin. Il n'était que de 0,5 % avant la dissolution de l'Assemblée. La France doit désormais payer plus cher que le Portugal ou l'Espagne pour obtenir des fonds. Elle se rapproche du taux imposé à la Grèce et à l'Italie. Est-ce qu'il y a là un sérieux motif d'inquiétude ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Non, l'économie française est reconnue comme robuste. D'ailleurs, vous avez remarqué que la Commission européenne avait validé notre plan à moyen terme qui permettait justement ce redressement des comptes, mais l'Union européenne fait confiance à la France, notamment avec le budget de 2025. Ceux qui refinancent notre dette, ce sont des financeurs internationaux. Ils ne sanctionnent pas la signature française. Vous avez raison d'évoquer l'augmentation de ce qu'on appelle le spread, c'est-à-dire notamment les taux d'intérêt entre la France et l'Allemagne. Et donc oui, il doit y avoir cette alerte-là qui doit être entendue. Raison de plus pour ne pas ajouter à cette situation-là une nouvelle crise politique qui ne serait perçue que comme une instabilité complémentaire. Et moi, je pose la question, si le Gouvernement venait à être censuré, quelle est la contre-proposition politique ? Quel est le contre-budget ? Qui propose aujourd'hui de redresser les comptes publics de notre pays de cette façon-là ? Pardon, mais le Gouvernement de Michel BARNIER a le courage depuis le premier jour, dans un délai extrêmement contraint, de dire que la priorité de notre pays, c'est d'abord de se doter d'un budget qui nous permet d'assainir nos comptes publics. Vous savez, Pierre Mendès France disait, il y a une maxime que j'aime beaucoup : "Un pays qui ne sait pas redresser ses comptes publics est un pays qui s'abandonne". Je crois que nous sommes dans un moment extrêmement crucial.

LEA SALAME
On entend votre principe de responsabilité.

LAURENT SAINT-MARTIN
Et je crois que si on ne se dote pas de ce budget-là pour redresser nos comptes publics, pardon, mais c'est extrêmement important. Nous mettons l'ensemble de notre pays en difficulté pour les prochains mois, mais je le crois profondément pour les prochaines années.

LEA SALAME
Mais Laurent SAINT-MARTIN, on pourrait vous rétorquer qu'on en est là parce que vous avez mal géré. Il y a aussi, pardon, de revenir, c'est-à-dire que ça fait sept ans que – vous, qui êtes un macroniste historique – vous êtes au pouvoir. Je rappelle les conclusions du rapport du Sénat sur le dérapage des finances publiques il y a quelques jours : irresponsabilité budgétaire, double discours, attentisme et inaction dommageable, mystification, sentiment général d'irresponsabilité et de déni collectif pour en arriver là. Vous voyez ce que je veux dire ?

LAURENT SAINT-MARTIN
D'abord, Léa SALAME, si vous me le permettez, ce sont des rapports de parlementaires d'opposition, et c'est tout à fait leur droit en tant que parlementaires d'opposition, et je ne partage absolument pas cette lecture-là.

NICOLAS DEMORAND
Rien ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Non, je crois qu'il serait bon aussi que nous nous rappelions collectivement ce qui s'est passé ces quatre dernières années. Notre pays a davantage protégé que nos voisins européens, par exemple, sa population, nos entreprises, qui n'ont pas fait faillite pendant la crise Covid, pendant la crise de l'énergie. Nous avons mis en place un bouclier tarifaire. Ça avait coûté plus de cinquante milliards d'euros pour que votre facture d'électricité, celle de vos auditeurs, n'augmente pas, et augmente beaucoup moins que nos voisins européens. Tout ça n'avait probablement pas de prix, puisque nous sommes un pays qui protège largement et plus que les autres, mais cela avait un coût extrêmement important.

LEA SALAME
Vous avez sous-estimé le coût ? Pourquoi le dérapage a ainsi filé par rapport aux prévisions que vous assumiez ? Que Bruno Le MAIRE, à ce micro, il y a un an, disait... Il parlait d'un déficit qui n'allait pas être aussi élevé. Pourquoi ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Il y a eu moins de rentrées fiscales sur ces deux dernières années que les estimations l'avaient prévue, et donc, effectivement le déficit a été plus important. Mais ce déficit-là, qu'il soit de 6,1 % à la fin de l'année 2024, ou de 5 %, il faut de toute façon le réduire. Ce que je dis, c'est un discours de responsabilité. Après des années de dépenses publiques nécessaires pour protéger notre pays, est-ce qu'on peut tous se mettre autour de la table en responsabilité pour dire que maintenant l'heure est au redressement des comptes ? De la même façon que cela avait été fait après la crise des subprimes, où il y avait une augmentation massive de notre endettement, puis une période de redressement de nos comptes. Nous en sommes là. Nous sommes à la fin de l'année 2024. L'inflation est derrière nous, la crise Covid est terminée, nous avons besoin désormais de tout mettre en œuvre pour prioritairement baisser le déficit public de notre pays. Et la seule chose que je peux vous confirmer…

NICOLAS DEMORAND
L'objectif, c'est toujours 5 % ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Oui, l'objectif, c'est toujours 5 %.

NICOLAS DEMORAND
Avec toutes les concessions faites en chemin sur le budget, le projet de budget ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Beaucoup de parlementaires, vous savez, proposent aussi des économies supplémentaires, c'est un solde, 5 % de déficit public.
NICOLAS DEMORAND
Mais vous maintenez ce chiffre-là ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Le Premier ministre a dit qu'il fallait que ce soit autour de 5 %. La question est de savoir, est-ce qu'on redresse franchement la barre, beaucoup plus ? Qu'aucun Gouvernement ne l'avait fait. Je vous rappelle une chose, ça représente soixante milliards d'euros d'efforts. Alors, peut-être que pour l'ensemble de nos concitoyens, soixante milliards d'euros, c'est un peu flou dans la vie réelle. Soixante milliards d'euros, c'est justement le coût du remboursement des taux d'intérêt de notre dette. Et donc, vous voyez bien la sensibilité de ce dont on parle. Si on venait à avoir une augmentation de notre charge de notre dette par une crise politique, tout simplement, ce serait d'autres priorités politiques qu'on ne pourrait pas financer.

LEA SALAME
Laurent SAINT-MARTIN, le principe de réalité est le suivant, vous le connaissez mieux que nous. L'ensemble de la gauche a déjà clairement indiqué qu'elle voterait la censure en cas de 49.3 sur le budget. La survie du Gouvernement est donc suspendue au Rassemblement national et à ses 142 députés et alliés qui se font engueuler, vous le savez, sur les marchés par leurs électeurs, qui leur reprochent leur mollesse et leur stratégie de notabilisation. Ils sont tentés de censurer. La question qui se pose à vous : quel est le cadeau que vous faites à Marine Le PEN pour éviter la censure ? Quel est le cadeau dans le budget où vous pouvez lui dire qu'elle aille voir ses électeurs en disant : "J'ai obtenu ça, c'est pour ça que je ne vais pas censurer", puisque c'est ça, à la fin, non, la question ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Moi, je ne comprends pas, depuis le début de ce Gouvernement, pourquoi vous faites un raccourci systématique sur la possibilité que ce soit le Rassemblement national qui ait la main sur la censure de ce Gouvernement.

LEA SALAME
Parce que c'est arithmétique.

LAURENT SAINT-MARTIN
Pourquoi vous ne posez pas la question responsable du groupe du Parti Socialiste à l'Assemblée nationale ? Il n'y a pas les voix, pardon Madame Léa SALAME, moi aussi, je compte juste les voix une à une, il n'y a pas les voix du Parti Socialiste, il n'y a pas de motion de censure avec l'union des autres groupes de gauche et le Rassemblement national, point. Je ne comprends pas pourquoi aujourd'hui, de façon automatique, le Parti Socialiste, qui je crois est un parti de Gouvernement, qui avait, jusqu'à, il n'y a pas encore si longtemps, les clés du pouvoir dans ce pays, qui a eu d'ailleurs, et je le salue, entre 2012 et 2017, une capacité à redresser nos comptes publics, en sortant justement après la crise des subprimes.

LEA SALAME
Le Parti Socialiste, par la voix de Boris VALLAUD à ce micro, vous l'avez entendu sans doute dimanche, dit que le budget tel que vous l'avez proposé est invotable en l'état et que si vous utilisez le 49.3, ils vont censurer.

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais je crois qu'il ne faut pas confondre l'opposition à un budget, qui sommes toutes, dans une démocratie parlementaire et tout à fait normale, quand vous êtes un groupe d'opposition, c'est même inhérent à une position politique. Vous êtes contre un budget parce que vous êtes dans l'opposition. Ce n'est pas du tout la même chose de censurer un Gouvernement et d'ajouter à la crise politique une crise financière. Moi, je crois à l'esprit de responsabilité du groupe socialiste là-dessus.

LEA SALAME
Il n'y a pas de bougé à faire pour permettre à Marine Le PEN de dire à ses électeurs : "Je ne vais pas voter la censure". À ce stade, sur la taxe sur l'électricité, tout ce qu'elle vous a demandé, ces lignes rouges, il n'y a rien à faire pour obtenir…

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais ce texte évolue sans qu'il n'y ait besoin d'abord ni de parler de cadeau, je crois que ce n'est pas du tout le terme approprié à qui que ce soit, ni de faire du marchandage. Ce texte évolue tout simplement parce que le Parlement en débat et que le Parlement délibère. Hier soir, tard, le Sénat par exemple, a lui-même fait évoluer la disposition de la hausse de la taxe sur l'électricité, c'est le choix du Sénat, ce n'était pas le choix du Gouvernement, c'est le choix du Sénat. Nous verrons si députés et sénateurs trouvent un compromis entre eux et nous verrons quelle sera la position du Gouvernement à la fin.

LEA SALAME
Justement, sur la taxe d'électricité, parce que ça intéresse tous les Français, donc on rappelle juste la position, vous, vous voulez relever le niveau de cette taxe au-delà de son niveau d'avant crise énergétique. Les sénateurs, ils sont contre et disent : "Il faut le relever uniquement au niveau d'avant-crise, pas au-delà". Donc, là, ils ont changé cette nuit, vous êtes prêts à faire un pas de ce point de vue-là ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Moi, je dis aux sénateurs et je dis d'ailleurs à l'ensemble des parlementaires, de tous les groupes d'ailleurs, s'il y a un compromis pour que la hausse de la fiscalité de l'électricité soit différente de la proposition du Gouvernement, cela doit se faire avec des économies en face. Moi, je n'ai qu'un cap. Vous savez, je suis venu dans ce Gouvernement dans un moment très difficile avec un cap et je m'y tiendrai, c'est celui du redressement des comptes, c'est-à-dire celui d'arriver à 5 % de déficit public de notre pays l'an prochain. Si le Parlement, et je sais qu'il y a des propositions qui sont faites notamment par les sénateurs, mais pas que, si le Parlement propose à due concurrence, comme on dit en termes budgétaires, des économies, parce que cela doit passer d'abord par la baisse de la dépense publique, c'est ça le courage politique. S'il y a des économies complémentaires permettant d'avoir une copie différente de celle du Gouvernement, depuis le début, avec Michel BARNIER, nous disons que ce budget est perfectible. Encore une fois, on ne peut pas vouloir une démocratie parlementaire, faire vivre les débats, faire vivre tout ça dans les chambres. Et on a vu d'ailleurs l'image que parfois ça pouvait donner quand on voyait le nombre d'impôts en plus que le Nouveau front populaire avec la complicité du Rassemblement National, mettait à l'Assemblée nationale. Ça, je crois que personne n'en veut. Donc on ne peut pas dire d'un côté : "On a besoin de débats dans notre pays", le Parlement s'est fait pour ça, et ne pas l'écouter quand il y a des contre-propositions qui sont faites.

NICOLAS DEMORAND
On va passer au standard où nous attend François. Bonjour, bienvenue sur Inter.

FRANÇOIS, AUDITEUR
Bonjour Monsieur, Messieurs et Madame. Je pose la question suivante : pourquoi ne pas taxer réellement les patrimoines des plus riches, par exemple à 2 % comme le propose Gabriel ZUCMAN à l'OCDE ? Pourquoi ne pas les taxer réellement ? Ce qui permettrait de faire accepter par d'autres de nos concitoyens d'éventuels sacrifices ? Parce que l'inégalité, dans les demandes de contributions est à ce point, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait un refus massif. Et s'il vous plaît qu'on ne réserve pas la concurrence fiscale entre les pays, parce que ça, c'est un argument mafieux. Moi, quand je vais en vacances et que je vois les yachts carrés dans le port de Nice ou le port de Saint-Tropez, on me resserre l'argument sur les profits qui font des investissements. Moi, je vois des profits qui font des yachts ou des profits qui font Monsieur BOLLORE qui rachète la presse et qui fait monter l'extrême droite.

NICOLAS DEMORAND
Bien compris, François, merci pour votre intervention. Faire payer vraiment les plus gros patrimoines, pour prolonger la question de François, celle d'Alexandra sur l'appli Radio France : "Ne faut-il pas s'interroger sur le moins de rentrée fiscale au cours des deux dernières années dont parle votre invité ?", Laurent SAINT-MARTIN, réponse à nos auditeurs.

LAURENT SAINT-MARTIN
Oui, je crois que la question qui est posée, et merci à François pour cela, c'est la question de plus de justice fiscale. D'abord, nous sommes le pays le plus redistributif, nous sommes le pays le plus redistributif. Prenez l'impôt sur le revenu par exemple, je rappelle que 75 % de l'impôt sur le revenu est payé par 10 % des Français. Donc ne laissons pas dire qu'il n'y a pas déjà de redistributivité dans notre pays, elle est très importante. En revanche, nous avons proposé, dans ce projet de loi de finances, qu'il y ait une mesure exceptionnelle de contribution des plus hauts revenus. Nous l'avons fait. Ça s'appelle la contribution différentielle sur les hauts revenus, c'est une vraie mesure de justice fiscale. Ça permet que des très hauts revenus, c'est par exemple un couple qui gagne plus de 500 000 euros par an, ne puisse pas payer moins de 20 % d'impôt, c'est un seuil, c'est un filet fiscal si vous voulez. Ça, ça n'existe pas aujourd'hui. Nous le proposons dans ce texte pour nous assurer que cet effort budgétaire de redressement des comptes ne passe pas uniquement par la baisse de la dépense publique, qui doit être une priorité, mais aussi par de la contribution avec de la justice fiscale. Et le Premier ministre l'a dit, d'ailleurs dans les toutes premières interventions qui furent les siennes quand il a été nommé. Nous avons besoin, c'est vrai, aussi de mesures de justice fiscale et nous le proposons sur les très grandes entreprises et sur les plus hauts revenus.

NICOLAS DEMORAND
Il y a le budget, on en a parlé, mais il y a aussi le budget de la sécurité sociale qui entre aujourd'hui en commission mixte paritaire. Elisabeth BORNE a indiqué en réunion des députés Ensemble pour la République n'être d'accord sur rien, ni sur le fond du texte, ni sur la méthode du Gouvernement. Qu'est-ce que vous répondez à ça ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Moi, je dis que nous avons besoin dans notre pays d'avoir des comptes qui s'équilibrent enfin. Ça fait depuis 1974 que nous n'avons pas un seul budget à l'équilibre. On peut considérer que ce n'est jamais un problème. Moi, je pense qu'un jour, cela nous coûtera très cher au sens premier du terme, c'est-à-dire que nous ne serons plus en capacité de rembourser les frais de notre dette. Et donc nous avons besoin d'avoir ce moment de courage et de vérité qui dit que cela prendra plusieurs années, mais nous devons commencer dès 2025 à freiner la dépense dans notre pays. Le budget de la sécurité sociale, c'est un déficit de 18 milliards d'euros en 2024. Nous proposons de le ramener en 2025 à seize milliards d'euros, c'est un effort de deux milliards d'euros. Nous le faisons dans le temps justement pour pas que le freinage soit trop brutal, pour qu'il soit proportionné, mais soyons très clairs, Nicolas DEMORAND, si on veut protéger notre système de protection sociale dans notre pays, si on veut le conserver, je crois qu'on y tient tous, tout simplement, il faut le financer. Nous avons un système de protection sociale qui est unique au monde, qui est basé essentiellement par le travail. S'il n'y a pas justement assez de recettes pour pouvoir financer cette protection sociale, alors nous avons besoin aussi de freiner cette dette.

LEA SALAME
Laurent SAINT-MARTIN, ce n'est pas Nicolas DEMORAND qu'il faut convaincre. En l'occurrence, ce sont vos troupes.

LAURENT SAINT-MARTIN
C'est lui qui me pose la question.

LEA SALAME
Oui, mais ce sont vos troupes. Il rappelle ce que dit Élisabeth BORNE et notamment Gabriel ATTAL, puisque ce PLFSS, ce projet de loi de finance de la sécurité sociale, va rentrer en CMP, pardon pour les acronymes, en Commission mixte paritaire cette après-midi. Gabriel ATTAL, ce n'est pas moi qui vais vous le dire, il n'est pas content, c'est le chef du groupe, et il n'est pas content notamment sur les cotisations patronales, etc. Est-ce que vous êtes sûr ? Parce qu'il n'y a pas que l'opposition à aller convaincre. Il y a aussi vos troupes. Est-ce que vous êtes sûr ce matin, vous pouvez nous dire, du soutien de Gabriel ATTAL sur vos projets de budget et de PLFSS ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Il y a en soutien de ce Gouvernement un socle commun, c'est l'expression consacrée à désormais, dans le groupe Ensemble pour la République, qui est ma famille politique, et qui a dit depuis le tout début de ce texte, et à juste titre : attention à l'emploi, attention aux coûts du travail, attention tout en résorbant le déficit public, ce qu'il faut faire. Ils sont les premiers à le dire et ils ont raison. Attention à ne pas grever la dynamique d'emploi, de politique de l'offre, d'attractivité de notre pays, qui a bien marché ces dernières années, qui est un bilan très positif. Ils ont raison. Moi, je marche sur deux jambes. Je marche sur la jambe emploi, mais aussi sur la jambe déficit public, que je veux absolument résorber, vous l'aurez bien compris.

LEA SALAME
Vous êtes sûr d'avoir leur soutien ou pas ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Donc nous trouvons effectivement des compromis, nous discutons depuis plusieurs semaines. Moi, j'ai confiance dans le groupe Ensemble pour la République, effectivement, pour que cette Commission mixte paritaire, aujourd'hui, soit conclusive. Je crois que, vous savez, faire des compromis, ce n'est pas un gros mot. Moi, je crois que c'est noble, dans une démocratie comme la nôtre, et je crois que dans un moment grave, sérieux, mais aussi de responsabilité, qui est celui de redresser nos comptes, pour que demain, on puisse être à nouveau en capacité de soutenir nos entreprises, nos emplois, notre pays, notre population, je crois que faire des compromis ensemble, pour qu'on y arrive, ça serait aussi une très belle démonstration d'unité politique.

LEA SALAME
C'est beau, mais vous êtes confiant donc ce matin sur la CMP et sur l'attitude ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Je dis que j'avais confiance dans ma famille politique, pour pouvoir faire en sorte que cette Commission mixte paritaire soit conclusive.

NICOLAS DEMORAND
Je l'ai dit, on n'est qu'au milieu d'une semaine politique dense. Demain, dans l'hémicycle, la suppression, la France Insoumise présentera dans sa niche parlementaire la suppression de la réforme des retraites, départ à la retraite à 64 ans, pour empêcher ce vote qui pourrait abroger la réforme BORNE, Renaissance, LR, Le Modem, Horizon ont déposé des milliers d'amendements. La gauche dénonce une attitude scandaleuse, antidémocratique. Qu'est-ce que vous répondez à cela ? Vous assumez de faire ce que vous reprochiez naguère aux Insoumis pendant l'examen de la réforme des retraites, c'est-à-dire de l'obstruction totale ? Vous employez finalement les mêmes méthodes qu'eux ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Vous voyez, ce qui abîme profondément, je crois, la confiance entre les Français et leurs représentants politiques, c'est d'avoir déposé 19 000 amendements en 2023 lors de la loi de réforme des retraites, et aujourd'hui de s'offusquer qu'il puisse y avoir du débat quand eux-mêmes proposent de l'abroger. Je trouve ça d'une hypocrisie insupportable.

LEA SALAME
Donc vous reconnaissez que c'est un hommage à ce qu'ils ont fait de reprendre la même technique politique en déposant des amendements pour empêcher l'abrogation, le vote ?

LAURENT SAINT-MARTIN
D'abord, le droit d'amendement, c'est de simplement permettre le débat, et on n'est pas du tout dans les mêmes ordres de grandeur. Donc, d'un côté, pour adopter la loi, il faut 19 000 amendements et trois semaines de débat, mais pour l'abroger, il faudrait que ça se passe en trois-quarts d'heure ?

LEA SALAME
Enfin, en l'occurrence, c'est en quelques heures. Vous allez déposer plus d'un millier d'amendements pour quelques heures uniquement.

LAURENT SAINT-MARTIN
Mais c'est déjà trop court pour reparler de ce débat-là, mais c'est le principe effectivement des niches parlementaires qui ne durent qu'une journée.

LEA SALAME
Donc, vous assumez sur la forme ?

LAURENT SAINT-MARTIN
D'abord, moi, je ne suis pas parlementaire, mais je trouve d'une hypocrisie insupportable ceux, notamment à la France insoumise, qui nous racontent qu'il y aurait de l'obstruction, alors qu'eux ont déposé 19 000 amendements et ont fait durer trois semaines les débats, pour une réforme des retraites qui a été adoptée. Comme si aujourd'hui l'abroger, à un moment où on a quand même besoin, pardon, je crois que je l'ai assez dit à ce micro, de redresser nos comptes publics. Je crois que la première irresponsabilité serait de revenir sur les réformes structurelles qui ont été faites ces dernières années, à commencer par celle de retraite. Mais au-delà de mon désaccord de fond, je trouve sur la forme que cela est une hypocrisie insupportable.

NICOLAS DEMORAND
Allez, un mot de politique-fiction, dernière question, Laurent SAINT-MARTIN. Si votre Gouvernement, si Michel BARNIER devait tomber l'hypothèse d'une équipe technique, vous semble-t-elle bonne ?

LAURENT SAINT-MARTIN
Moi, vous savez, j'ai accepté cette mission d'un budget probablement le plus difficile de la Cinquième République, ce n'est pas moi qui le dis, c'est le premier président de la Cour des comptes, Pierre MOSCOVICI. Le meilleur moyen que tout ça ne reste que de la fiction et qu'il n'y ait pas de problème pour pouvoir financer nos priorités de demain et résorber notre déficit, c'est qu'il y ait un budget en 2025. Permettez-moi de n'être concentré que là-dessus, tous les matins, quand je me lève.

LEA SALAME
Merci et bon courage.

NICOLAS DEMORAND
Merci d'avoir été à notre micro, Monsieur le Ministre du Budget et des Comptes publics, Laurent SAINT-MARTIN. Merci encore.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 novembre 2024