Texte intégral
Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) relatif à l'évaluation de l'accès à l'enseignement supérieur.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les rapporteurs du CEC, les orateurs des groupes, puis le gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Patrick Hetzel, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche
Je tiens tout d'abord à remercier votre assemblée pour l'inscription à l'ordre du jour de ce débat sur un sujet fondamental pour l'avenir de nos jeunes, à savoir l'accès à l'enseignement supérieur, c'est-à-dire l'orientation des lycéens et, in fine, la réussite des étudiants.
La garantie de l'accès à une offre de formation de qualité est un objectif que nous partageons tous, et l'un des points principaux de la feuille de route que j'ai eu l'occasion de présenter la semaine dernière. Autour de cet axe, j'ai choisi de mener plusieurs actions, ayant comme objectifs l'insertion professionnelle mais aussi la réussite en premier cycle : je pense notamment à la régulation de l'enseignement supérieur privé – plusieurs d'entre vous l'ont évoquée –, à l'adaptation et la territorialisation de l'offre de formation et à la priorité donnée à la poursuite d'études des bacheliers professionnels. L'orientation est en effet un enjeu stratégique pour notre pays, qui, pour relever défis des transitions écologique et numérique, a besoin d'une jeunesse qualifiée, capable de s'adapter et d'innover. C'est pourquoi elle doit être au cœur de nos priorités.
Je veux d'abord revenir sur le chemin parcouru depuis 2018. En six ans, le système d'accès à l'enseignement supérieur a été profondément remanié. Le Conseil d'État avait pointé en 2017 l'arbitraire du tirage au sort, non prévu par la loi mais rendu inévitable par le système d'admission postbac de l'époque. C'est face à ce constat et à l'impérieuse nécessité pour nos jeunes de bénéficier d'une procédure équitable que s'est construit Parcoursup : la plateforme propose aujourd'hui 24 000 formations, offrant à chaque lycéen un large éventail de possibilités pour construire son avenir. Grâce à Parcoursup, plus de neuf lycéens sur dix reçoivent une proposition d'admission, et ce dans des délais considérablement raccourcis puisque les trois quarts des candidats ont désormais une réponse positive dès la première semaine. Cette rapidité était une attente forte des familles comme des futurs étudiants.
Mais au-delà de ces aspects techniques, c'est bien la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur qui reste un objectif. Ainsi, les quotas sociaux ont permis à des milliers de lycéens boursiers d'accéder à des formations qui leur semblaient inaccessibles : je pense notamment à Sciences Po Paris, où la part des boursiers a triplé depuis l'intégration dans Parcoursup, mais aussi aux écoles vétérinaires, qui ont considérablement diversifié leur recrutement. Nous pouvons évidemment mieux faire, mais ces résultats doivent éclairer notre chemin.
Quant aux Cordées de la réussite, elles démontrent leur efficacité en luttant concrètement contre l'autocensure. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les lycéens qui participent à ce dispositif ont un taux d'admission à l'université supérieur de près de trois points à la moyenne nationale et pour les bacheliers professionnels, l'écart atteint même six points. C'est la preuve que l'accompagnement personnalisé peut faire la différence.
Notre politique volontariste en faveur des bacheliers technologiques et professionnels porte également ses fruits : la moitié des bacheliers technologiques candidats à un diplôme universitaire de technologie (DUT) reçoivent une proposition d'admission et les trois quarts des bacheliers professionnels trouvent une place pour accéder au brevet de technicien supérieur (BTS). Ces résultats sont obtenus grâce à un travail de fond pour adapter les formations aux profils des élèves.
L'accompagnement des étudiants s'est également considérablement renforcé. Ainsi, le dispositif "Oui, si" permet aujourd'hui à plus de 26 000 étudiants de bénéficier d'un accompagnement personnalisé : à l'Université de Bretagne-Sud, par exemple, le taux de passage en deuxième année est passé de 33 % à 40 % et le taux d'abandon a été divisé par trois. De tels résultats montrent qu'avec les bons outils, nous pouvons faire reculer de manière significative l'échec en premier cycle.
Les usagers eux-mêmes reconnaissent ces progrès. Selon la dernière enquête de l'institut CSA, plus de 70 % des lycéens considèrent que Parcoursup les aide à construire leur projet d'orientation. Les nouveaux outils créés – site d'entraînement, comparateur de formations, système de favoris – répondent à leurs attentes. La messagerie, les tchats en direct et les réseaux sociaux sont des canaux qui permettent désormais un accompagnement au plus près des besoins. D'ailleurs, à ce jour, 200 000 lycéens de seconde et de première se sont déjà inscrits sur Parcoursup pour se familiariser avec l'outil et mieux l'utiliser quand ils seront en terminale.
Pour autant, je ne nie pas que des marges de progrès subsistent. Le rapport parlementaire autour duquel nous discutons aujourd'hui souligne avec justesse la nécessité de renforcer la coordination entre les acteurs et l'accompagnement des élèves. Nous devons aller plus loin dans la transparence des procédures, dans la formation des enseignants et dans l'articulation entre le secondaire et le supérieur.
C'est pourquoi nous nous engagerons dès 2025 dans une nouvelle étape ambitieuse. La transparence sera renforcée grâce à la publication de 19 000 rapports détaillant les critères d'admission. Chaque formation sera présentée avec ses caractéristiques essentielles afin que les élèves puissent connaître la nature de l'établissement qui la propose. De plus, 75 % des formations proposées sur Parcoursup indiqueront l'employabilité de leurs diplômés, contre 40 % aujourd'hui. Je détaillerai davantage dans les prochains jours ces nouvelles dispositions renforçant la transparence de Parcoursup.
L'accompagnement sera considérablement enrichi grâce à la plateforme Avenir(s) de l'Onisep. Ce programme très innovant permettra un suivi personnalisé dès la classe de cinquième, avec des outils adaptés à chaque âge. Il favorisera la découverte des métiers, l'exploration des formations et la construction progressive du projet d'orientation.
La procédure de Parcoursup sera accélérée et mieux articulée avec le calendrier du baccalauréat. Nous veillerons à ce que la majorité des lycéens aient leurs réponses avant les épreuves écrites de terminale afin qu'ils puissent se concentrer sereinement sur leurs examens. Ces évolutions s'inscrivent dans une ambition plus large : faire de l'orientation une politique publique prioritaire. Il ne s'agit plus seulement d'informer, mais bien d'accompagner chaque jeune dans la construction d'un parcours choisi et réussi.
J'entends les inquiétudes qui s'expriment à propos du stress des lycéens ou de la complexité de certaines procédures. Comme député, j'avais demandé que ces dernières soient plus transparentes et plus lisibles. C'est dans ce but que l'accompagnement va être renforcé. Gardons toutefois à l'esprit que ce stress traduit aussi l'importance que les jeunes et leurs familles accordent à cette étape cruciale de leur vie.
Notre objectif est clair : permettre à chaque jeune de construire un parcours choisi et réussi dans l'enseignement supérieur. C'est un enjeu de justice sociale mais aussi un enjeu d'efficacité économique à ne pas négliger. Oui ! nous avons besoin de tous les talents pour relever les défis qui sont devant nous.
La réussite de cette ambition nécessitera la mobilisation de tous les acteurs – l'État, les régions, les établissements du secondaire et du supérieur ainsi que, bien sûr, les enseignants. C'est dans ce sens que le ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l'enseignement professionnel a récemment annoncé une concertation sur l'orientation, dont les contours seront prochainement présentés.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron (HOR)
Parcoursup a transformé l'accès à l'enseignement supérieur en le rendant plus transparent et plus équitable. Grâce aux attendus, aux critères d'examen des vœux et à la déconcentration des décisions, il est plus efficace que l'ancien système, le portail d'admission postbac APB, car il prend mieux en compte les attentes et les spécificités de chaque étudiant. Les avancées sont nombreuses : une orientation plus lisible pour les élèves, une individualisation croissante des parcours et un renforcement des dispositifs d'accompagnement comme le "Oui si", les tests de positionnement, le tutorat étudiant ou les modules numériques.
Ces efforts contribuent à améliorer l'assiduité en cours, à réduire le taux d'abandon en première année et à favoriser la réussite étudiante. Cependant, ces progrès ne doivent pas masquer les défis qui demeurent. La procédure restant stressante, nous devons tout faire pour apaiser les jeunes et leurs familles. Le rôle des professeurs principaux et référents, déterminant dans l'accompagnement des élèves, mérite d'être renforcé. De plus, la participation des universités dans l'orientation des lycéens demeure perfectible. Il faut ainsi garantir l'organisation de journées d'orientation, qui sont essentielles car elles permettent aux élèves de mieux connaître les filières disponibles, les débouchés et les attentes du milieu universitaire.
Enfin, il est essentiel de rendre l'offre éducative plus lisible pour permettre aux jeunes de distinguer clairement les établissements remplissant des missions de service public de ceux à but lucratif. Cela passe par une amélioration de l'information sur la reconnaissance des diplômes, les labels et la qualité des formations.
Dans ce contexte, alors que le ministère a récemment annoncé le lancement d'une concertation nationale sur l'orientation, pouvez-vous nous indiquer quelles actions sont envisagées pour soutenir davantage les professeurs principaux en mettant à leur disposition les outils de formation dont ils ont besoin, pour favoriser, voire rendre obligatoire, les journées de découverte des universités, pour améliorer la lisibilité de l'offre et pour clarifier la distinction entre les établissements assurant des missions de service public et ceux à but lucratif ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
La loi du 8 mars 2018 avait pour ambition de refonder l'accès à l'enseignement supérieur selon deux axes principaux : l'accompagnement des lycéens dans leurs choix d'orientation et l'accompagnement des étudiants vers la réussite. Rendre central l'accompagnement traduit la conviction que, pour être réellement démocratique, notre système éducatif doit donner une meilleure visibilité à l'orientation et à l'aide au choix. Depuis 2018, des premières étapes essentielles ont été franchies, comme en témoigne la dernière étude d'opinion en la matière, qui montre que 88 % des lycéens ont bénéficié d'une aide dans les phases de préparation et de formulation de leurs vœux.
Bien sûr, il faut faire mieux, en accompagnant davantage les professeurs principaux, en les aidant à inciter les élèves à s'intéresser aux formations post-bac dès les premières années au lycée. Il s'agit évidemment d'un enjeu partagé avec mes collègues du ministère de l'éducation nationale. Nous avons d'ores et déjà permis aux élèves de seconde et de première de se créer un compte sur Parcoursup pour, comme je viens de l'expliquer, qu'ils aient plus de temps pour découvrir les formations du supérieur. En quelques semaines, près de 200 000 d'entre eux ont déjà utilisé cette possibilité.
C'est une première étape et, dans la continuité de ma feuille de route, nous travaillons pour que la prochaine session de Parcoursup, qui va débuter en janvier 2025, permette une meilleure utilisation des données présentes sur le site. Voici trois exemples de cette volonté. Nous avons déjà apporté aux proviseurs une meilleure lisibilité des parcours de leurs élèves. Ensuite, nous donnerons aux lycéens et à leurs parents de nouvelles informations sur les profils des candidats admis dans telle ou telle formation et sur les perspectives d'insertion dans le marché de l'emploi. Enfin, en lien avec l'Onisep, nous proposerons de nouveaux outils pédagogiques.
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani (LIOT)
Monsieur le ministre, j'appelle votre attention sur la mise en place du premier cycle d'études de médecine en Corse. L'université de Corse évolue dans un cadre réglementaire dérogatoire et spécifique issu d'une convention-cadre régissant son partenariat avec l'État et avec la collectivité de Corse. Une convention tripartite pour la période allant de 2023 à 2027 a été ainsi signée le 6 novembre 2023, en présence de la ministre de l'enseignement supérieur, Mme Sylvie Retailleau.
L'université de Corse, qui propose depuis 2004 la première année d'études de santé, souhaite désormais offrir un premier cycle complet. Mme Retailleau a soutenu ce projet lors de sa venue en novembre 2023 puis, le 22 avril 2024, la ministre de la santé, Mme Catherine Vautrin, a annoncé l'ouverture de la deuxième année à la rentrée de septembre 2025. En vue de l'indispensable accréditation du diplôme de formation générale en sciences médicales, un dossier a été déposé le 7 juin 2024 auprès du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser).
Je souhaite vous alerter sur le retard de la programmation de l'examen par le Cneser de ce dossier de validation du principe d'ouverture des deux années qui compléteraient le premier cycle d'études. Je vous alerte d'autre part sur le fait que l'université de Corse n'a toujours pas perçu les subventions prévues dans la convention tripartite pour les années 2023 et 2024, alors que la validation du dossier par le Cneser semble conditionnée par l'octroi de ces sommes. Je vous demande donc de nous indiquer quelle sera votre action pour garantir l'ouverture de la deuxième année de médecine en Corse en 2025.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Je tiens en premier lieu à vous assurer de la volonté du gouvernement de faciliter l'accès aux soins de tous les Corses. Dans ce but, il est nécessaire de consolider la formation médicale des étudiants issus du territoire dans un parcours organisé en Corse. Ce dossier me tient à cœur car j'ai eu à travailler sur l'université de Corse, votre alma mater.
Comme vous l'avez dit, l'université de Corse a pour objectif d'offrir un premier cycle d'études médicales complet en ajoutant à la première année déjà existante une deuxième puis une troisième année. Sur ce point, un dossier académique est en cours d'examen au ministère. Une première expertise a conclu que le dossier de demande d'accréditation doit être complété pour pouvoir être examiné par le Cneser, ce qui serait imminent.
Soyez assuré que le ministère est en lien étroit avec l'université de Corse et avec la collectivité territoriale qui, comme vous l'avez indiqué, est également compétente en matière d'enseignement supérieur. Un échange est prévu très prochainement afin de préciser certains points du dossier, notamment le programme d'enseignement. Dans tous les cas, nous travaillons dans le sens que vous souhaitez car nous connaissons les enjeux du dossier et savons qu'il répond à une attente très forte des étudiants, des élus et, plus largement, de la population corses. Le gouvernement porte une grande attention à cette question, qui sera prochainement examinée dans cet hémicycle. Je suis certain que la sagesse parlementaire nous permettra d'y apporter une réponse complète.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR)
La précarité en milieu étudiant devient un phénomène structurel. Les enquêtes de l'Observatoire national de la vie étudiante (OVE) démontrent qu'au moins un quart des jeunes en étude vivent dans une situation de précarité. Selon la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), en 2024, le coût de la rentrée a atteint la somme de 3 157 euros pour un étudiant n'habitant pas chez ses parents. Les étudiants non boursiers subissent de plein fouet l'augmentation des frais de scolarité, dont des hausses de 2,9 % des frais d'inscription et de 3 % de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Les frais de logement augmentent de 2,5 % et, en raison de cette envolée des prix, les dépenses alimentaires deviennent la principale variable d'ajustement budgétaire des étudiants, alors que 20 % d'entre eux ne mangent pas à leur faim.
La réforme partielle du système de bourses mise en place par Mme Sylvie Retailleau quand elle était ministre avait permis d'intégrer 35 000 nouveaux bénéficiaires, un nombre largement insuffisant pour compenser les 70 000 boursiers évincés des aides depuis 2020 selon le rapport Jolion. Les associations étudiantes sont unanimes : une réforme intégrale du système des bourses est indispensable pour élargir le nombre de bénéficiaires et revaloriser les montants alloués. Alors que le coût de la vie étudiante a augmenté de 27,76 % depuis 2017, le gouvernement fait le choix de baisser de 120 millions d'euros les crédits consacrés aux bourses sur critères sociaux dans le projet de loi de finances pour 2025.
Ma question est simple : quelles mesures le gouvernement va-t-il prendre pour protéger le pouvoir d'achat et les conditions de vie des étudiants et pour ainsi garantir l'accessibilité économique de l'enseignement supérieur ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
La réforme du système des bourses va avoir lieu, sans créer de perdants ou faire baisser le nombre de bénéficiaires. L'essentiel est que cette réforme soit transparente, équitable et lisible. Comme je l'ai indiqué aux organisations étudiantes, le travail sur ce sujet se poursuit.
Je ne sais pas, monsieur le député, d'où vient le chiffre de réduction des financements des bourses que vous avez mentionné. D'autant que je tiens à vous rassurer : si vous regardez les chiffres finaux d'exécution du budget pour 2024, vous verrez que nous avons fait en sorte que les sommes allouées aux bourses sur critères sociaux augmentent, de telle sorte que toutes les personnes qui y ont droit en bénéficient.
En tout cas, soyez assuré que je porte une attention toute particulière à ces questions – lundi encore, j'étais à Metz pour superviser le déploiement des dispositifs. Le réseau des œuvres universitaires est très actif autour du triptyque logement, restauration collective et aide sociale. Il fait un travail remarquable et j'en profite pour saluer les efforts de celles et ceux qui s'investissent au quotidien pour soutenir nos étudiants.
Mme la présidente
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet (UDR)
Nous savons tous que l'absence de stratégie nationale relative à l'orientation fragilise notre enseignement supérieur. Reconnaissons également qu'elle pénalise le monde du travail et notre économie ! En effet, pour penser l'accès aux études supérieures, il convient de penser la finalité de celles-ci, et cette finalité, nous devrions tous en convenir, c'est l'insertion professionnelle. Contrairement à certains postulats, appréhender les études supérieures de cette manière n'abaisse pas le niveau car le marché du travail a un besoin de qualification solide.
Lors du processus d'orientation des élèves du secondaire, l'information quant à la finalité professionnelle des formations proposées est une nécessité incontestable. Vous en avez conscience, monsieur le ministre, puisque vous avez annoncé vouloir indiquer sur Parcoursup les taux d'insertion professionnelle à six mois au lieu de dix-huit aujourd'hui. Cette mesure ne nous semble cependant pas suffisante car l'indicateur n'est pas satisfaisant. Ce qu'il faut interroger, ce n'est pas seulement l'insertion brute, mais l'adéquation entre formation acquise et emploi obtenu, surtout dans les filières généralistes.
Je prendrai l'exemple que je connais le mieux : ma propre discipline, l'histoire. Le taux d'insertion d'un master d'histoire est de 75 % sur dix-huit mois, mais ce chiffre cache une réalité plus complexe. Seulement un tiers des titulaires d'un master d'histoire bénéficient d'un emploi stable ; plus significatif, seulement 61 % d'entre eux considèrent avoir des missions en adéquation avec un bac + 5 et seulement 48 % sont satisfaits de leur rémunération. Six diplômés sur dix complètent leurs études par un second master. Pour beaucoup d'entre eux, on peut s'interroger sur le rôle réel du master d'histoire en tant que tel dans leur insertion. Dans quelle mesure les savoirs acquis auront été mobilisés ? Quelles sont concrètement les carrières construites ? Le taux d'insertion ne le dit pas.
Monsieur le ministre, jugez-vous le taux d'insertion professionnelle, même à six mois, suffisant pour témoigner des réalités de carrière offertes à nos diplômés ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
L'affichage des taux de réussite de toutes les formations et des taux d'insertion professionnelle InserSup n'est évidemment pas suffisant, mais c'est un progrès significatif par rapport à ce qui existait précédemment. C'est sur ce point que je voudrais insister. Sur les plateformes Parcoursup et Mon Master, cet affichage donne aux jeunes une indication précise et permet ainsi une orientation plus éclairée.
L'indicateur InserSup mesure actuellement, pour chaque mention, l'insertion professionnelle salariée en France – à six, douze, dix-huit, vingt-quatre et même trente mois – des étudiants diplômés ne poursuivant pas d'études. Courant 2024 et en 2025, cet indicateur va être enrichi d'éléments qualitatifs relatifs aux caractéristiques des emplois occupés et au régime de la formation suivie – apprentissage, alternance ou autre. Il couvrira les diplômes d'ingénieur, de management et de bachelor universitaire de technologie (BUT), et ce sera là aussi une avancée par rapport à ce qui existe.
Quant à la pertinence de ce critère, le taux d'emploi est une information utile, nécessaire même, mais qui doit être appréciée dans le cadre d'un accompagnement global, auquel je suis également très attaché. Ce travail d'orientation doit bien sûr se faire en liaison avec les équipes des lycées.
Mon engagement en faveur de l'insertion professionnelle, vous le savez, remonte à vingt ans. Je suis convaincu que les étudiants doivent pouvoir faire des choix éclairés, au plus tôt, en s'appuyant sur le plus d'informations possible – dont le taux d'emploi, le taux d'insertion. Encore une fois, même s'il reste beaucoup à faire, nous avançons. Soyez assuré que nous y travaillons activement !
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Bigot.
M. Guillaume Bigot (RN)
Puisque nous évoquons l'accès à l'enseignement supérieur, évoquons aussi son attractivité internationale, en particulier celle de notre enseignement supérieur auprès des étudiants chinois. D'après les données de Campus France, l'an dernier, 27 000 étudiants chinois ont choisi de se former en France. Parmi eux, 60 % ont choisi nos universités publiques. On pourrait donc être tenté de se féliciter du rayonnement international de notre enseignement supérieur auprès des jeunes Chinois. Les apparences sont pourtant trompeuses.
D'abord, la plupart de ces étudiants viennent en France après avoir échoué à intégrer l'université chinoise, très sélective. Ils n'ont en général pas assez de points au baccalauréat chinois, le Gaokao. Un tiers d'entre eux abandonnent d'ailleurs avant la fin de leur cursus.
Ensuite, alors que la Chine est à la fois un pays immensément riche et un concurrent redoutable, ces étudiants acquittent des droits d'inscription de 3 000 euros par an en moyenne, ce qui est très inférieur au coût réel des formations, largement supporté par le contribuable français. En comparaison, le Royaume-Uni attire plus de 150 000 étudiants chinois, avec des frais de scolarité de 20 000 euros par an en moyenne. Les étudiants chinois sont également friands de formations étasuniennes et australiennes, qui coûtent des centaines de milliers d'euros par an. Ayant dirigé une grande école de commerce, je peux témoigner que les étudiants chinois préféraient des formations en management, car ils jugeaient les droits d'inscription proposés par l'université trop faibles et cela les inquiétait. Eh oui, le prix est parfois un signal de qualité !
Cela soulève la question de la valeur perçue des diplômes obtenus en France par rapport à ceux délivrés dans des pays où les droits d'inscription sont parfois dix fois plus élevés, mais presque dix fois plus attractifs. Monsieur le ministre, en cette période de disette budgétaire, comment justifier le maintien de droits d'inscription aussi peu élevés pour des étudiants étrangers de faible niveau ou ressortissants de pays très riches ? Ne pensez-vous pas qu'il faut revoir cette politique tarifaire afin d'économiser nos deniers publics tout en renforçant le prestige et l'attractivité de notre enseignement supérieur ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Comme vous le savez, l'accès des étudiants étrangers se fait soit par Campus France, qui gère les procédures relatives aux études dans notre pays, soit par Parcoursup. Certains étudiants bénéficient également de partenariats entre établissements. Ces modalités d'accès permettent chaque année à des milliers d'étudiants de venir étudier en France et de s'y former – les partenariats assurent la réciproque aux étudiants français. Pas moins de 186 nationalités sont représentées sur Parcoursup, qui enregistre, chaque année, pas moins de 35 000 candidatures de lycéens et étudiants scolarisés dans des établissements étrangers.
L'enjeu au cœur de votre question est celui de l'attractivité de notre système. Pour imaginer les réformes à mener, il ne faut pas se baser uniquement sur des aspects quantitatifs, mais s'ouvrir au volet qualitatif : je souhaite, moi aussi, que l'on puisse mieux accueillir les étudiants auxquels nous ouvrons la porte de nos établissements.
La question des droits d'inscription est centrale. Comme vous le savez, les établissements ont une totale liberté de fixer ces droits pour les étudiants étrangers non ressortissants de pays membres de l'Union européenne. C'est à eux de décider de leur politique en la matière. Il s'agit, en tout cas, d'un levier puissant ; dans le cadre de la contractualisation, nous aurons l'occasion d'échanger avec les établissements sur la manière dont ils géreront leurs ressources propres.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Laussucq.
M. Jean Laussucq (EPR)
Depuis la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel et l'élargissement des responsabilités des régions en matière d'orientation, l'inquiétude grandit quant à l'avenir des centres d'information et d'orientation comme des psychologues de l'éducation nationale spécialisés dans l'orientation. Comme vous le savez, ces professionnels jouent un rôle important dans l'accompagnement des élèves, notamment dans la lutte contre l'autocensure, la prévention du décrochage scolaire et une orientation éclairée vers les filières de l'enseignement supérieur ou de l'apprentissage. Le flou persistant sur la coordination entre l'État et les régions semble nuire à leur efficacité. Les régions ont désormais la charge de l'information sur les métiers et les formations, mais les CIO relèvent encore de l'éducation nationale, d'où une gestion parfois fragmentée et incohérente de l'orientation scolaire.
Cette situation inquiète les personnels concernés et risque d'affaiblir l'accompagnement des élèves, comme l'ont très bien montré Thomas Cazenave et Hendrik Davi dans leur rapport au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les mesures que vous comptez mettre en œuvre pour clarifier la répartition des responsabilités entre l'État et les régions ? Les CIO ont-ils vocation à rester sous la tutelle du ministère de l'éducation nationale ? Un éclaircissement en la matière serait, je crois, propice à une meilleure efficacité de la politique d'orientation et à un meilleur accompagnement des élèves.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Vous avez raison de soulever cette question, mentionnée dans le rapport. Le pilotage de l'orientation implique un grand nombre d'acteurs relevant du périmètre de l'État : à l'échelle nationale, il s'agit du ministère de l'éducation nationale, du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, et de l'Onisep ; à l'échelle régionale, des services académiques chargés de l'information et de l'orientation, de l'inspection de l'éducation nationale chargée de l'orientation, des psychologues de l'éducation nationale et bien entendu des professeurs principaux. J'ajoute que, depuis la loi de 2018, les conseils régionaux partagent cette compétence avec l'État.
La concertation lancée par le ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l'enseignement professionnel, Alexandre Portier, va aborder explicitement cette question. Je veux souligner les efforts de la ministre de l'éducation nationale pour que les régions et l'Onisep mettent leur collaboration au service des intérêts des élèves. La discussion porte notamment sur le programme Avenir(s), développé par l'Onisep et financé à hauteur de 30 millions d'euros par France 2030 – un exemple de coordination entre différents acteurs. Prochainement, 200 000 élèves entreront en phase test du programme.
Améliorer la coordination passe aussi par l'identification d'un seul interlocuteur au niveau de l'État. La décision en ce sens devrait produire un impact immédiat ; elle doit donc faire l'objet d'une vraie réflexion. Je resterai attentif au résultat de la concertation, à laquelle mon ministère a été étroitement associé. Croyez bien que, en tant qu'élu local, j'ai à cœur de soutenir toutes les initiatives qui permettront de faciliter les actions communes. Je suis très attaché à la territorialisation : nous devons rester proches de celles et ceux qui ont le plus besoin de ces dispositifs d'information et d'orientation.
Mme la présidente
La parole est à M. Arnaud Saint-Martin.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP)
Le rapport d'information sur l'accès à l'enseignement supérieur pointe les inégalités d'accès en fonction, entre autres, de la classe sociale et de la situation géographique. La question financière reste prégnante : oui, cela coûte cher d'étudier – d'autant plus si les frais d'inscription sont amenés à évoluer. Le gouvernement ne va sans doute pas – pour l'instant du moins – annoncer explicitement cette augmentation, mais il peut permettre aux établissements de le faire, laissant leurs conseils voter. In fine, les établissements pourraient augmenter librement leurs droits d'entrée et renforcer la sélection sociale à l'université. Ces augmentations conduiraient à un rapprochement objectif avec les formations privées qui, si elles veulent rester attractives et prestigieuses, pourraient elles aussi augmenter leurs frais déjà démesurés.
Pourtant le rapport dénonce la trop grande place accordée aux formations privées dans l'enseignement supérieur et la recherche (ESR). En effet, face à la faiblesse des moyens alloués à l'enseignement public et à la pénurie de places organisée, le marché de l'enseignement privé à but lucratif progresse. Cette année, 40 % des formations sur Parcoursup relèvent de l'enseignement privé à but lucratif. Parcoursup est devenu une véritable vitrine publicitaire pour le privé qui prospère sur fond de laisser-faire et de déclassement des universités publiques exposées à l'austérité et à la ruine.
Les services de l'État, recommande le rapport, doivent exercer un contrôle strict des formations sur Parcoursup, avec exclusion de la plateforme en cas de défaut de déontologie ou d'une qualité insuffisante de formation. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enquêté sur quatre-vingts établissements privés et ses constats sont alarmants : 56 % des établissements contrôlés présentent des anomalies sur au moins un point de la réglementation – prix promotionnel mensonger, arnaques, diplômes bidon et poudre aux yeux.
En résumé, le ministère entend-il faire le ménage sur le marché des établissements privés à but lucratif, comme le préconise le rapport et comme vous l'avez annoncé ? Si oui, comment et avec quels vrais moyens – notamment de contrainte ? Quand allez-vous cesser de rediriger des financements publics vers le privé, comme votre prédécesseur l'a fait avec la CVEC ? Vous engagez-vous à refuser toute augmentation des frais d'inscription ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Comme je l'ai indiqué lors de la présentation de ma feuille de route, nous sommes en parfait accord avec les rapports parlementaires quant à la nécessité de réguler l'offre de formation privée, qui pose manifestement problème. Avec d'autres membres du gouvernement – la question concerne aussi la formation professionnelle –, nous engagerons un processus visant, si je puis dire, à faire le ménage.
Vous soulignez à juste titre qu'il est inacceptable de consacrer de l'argent public à des formations qui sont en réalité de véritables arnaques – je me permets d'utiliser le mot – aussi bien pour les jeunes que pour leurs familles. Nous ferons donc le nécessaire, notamment en proposant une labellisation – la possibilité d'étendre la certification Qualiopi à l'enseignement supérieur fait l'objet d'un travail en cours – et en nous assurant que les formations frauduleuses soient exclues de Parcoursup, ce qui suscitera, je l'espère, un large consensus transpartisan.
Mme Marie Mesmeur
Vous n'avez pas répondu au sujet des frais d'inscription !
Mme la présidente
La parole est à Mme Florence Herouin-Léautey.
Mme Florence Herouin-Léautey (SOC)
Parcoursup a indéniablement amélioré la transparence en centralisant les procédures d'admission dans l'enseignement supérieur. Pourtant, les biais sociaux et territoriaux qui l'affectent compromettent sa capacité à garantir l'égalité des chances. Le rapport d'information met en lumière un problème fondamental : l'accès à l'information et aux possibilités offertes par Parcoursup varie considérablement en fonction de l'origine socioculturelle des élèves. Si certains jeunes bénéficient d'un accompagnement familial et éducatif structuré et savent tirer parti de la plateforme, d'autres, notamment issus des milieux modestes, peinent à comprendre les enjeux, les codes et les attentes.
L'hypocrisie, monsieur le ministre, ce n'est pas la démocratisation de l'enseignement supérieur, mais le fait de rester sourd et aveugle aux disparités du capital socioculturel dont nos jeunes disposent pour avancer dans leurs parcours – hypocrisie éhontément pratiquée par un syndicat étudiant qui vous est cher.
Les inégalités s'accentuent encore du fait des 2 800 algorithmes locaux appliqués de manière disparate et de la valorisation de critères additionnels tels que la détention du Bafa – brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur – ou d'un brevet de secourisme. Bien qu'intéressante sur le papier, la prise en compte de telles certifications avantage de facto les candidats issus de milieux favorisés, qui disposent des moyens culturels et financiers pour s'y préparer.
L'accès à l'enseignement supérieur ne devrait pourtant constituer ni une affaire de stratégie, ni une affaire de capital culturel et financier, pas plus que de lieu de naissance ou de résidence, mais bien une question de potentiel, d'aptitude et de choix éclairé pour un avenir désirable. Afin de garantir l'effectivité d'un tel choix, le gouvernement compte-t-il inscrire les 54 heures annuelles d'accompagnement personnalisé dans l'emploi du temps des lycéens et les intégrer dans la dotation horaire globale (DHG) des établissements ? Par ailleurs, ne serait-il pas temps d'évaluer la réforme de 2018 qui a confié aux régions une responsabilité accrue en matière d'orientation et de faire le bilan des services publics régionaux de l'orientation (SPRO) ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Force est de constater que la démocratisation des formations progresse, grâce à Parcoursup notamment. Entre 2018 et 2022, 5 % de boursiers supplémentaires ont été admis dans l'enseignement supérieur. En 2024, la proportion des lycéens boursiers ayant reçu une proposition d'admission se stabilise au niveau atteint depuis 2020, soit les neuf dixièmes d'entre eux. En 2023, quelque 17 577 lycéens boursiers ont été admis dans la formation de leur choix ; tous ne l'auraient pas été sans l'application des taux de priorité instaurés par la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, dite loi ORE. Le ministère pilote les dispositifs de fixation des taux déterminant les priorités d'accès sur Parcoursup et veille à leur mise en œuvre par les recteurs de région académique.
Au-delà de la politique des taux, il convient également d'accompagner qualitativement les lycéens dans leurs parcours, ce que permet le dispositif des cordées de la réussite, pris en compte par 40 % des formations lors de l'analyse des candidatures. Il s'agit d'une politique de longue haleine, dont je tiens à souligner le rôle : 96 % des lycéens ayant participé à une cordée de la réussite ont reçu une proposition d'admission sur Parcoursup et 87,9 % d'entre eux l'ont acceptée. Ces candidats connaissent un taux d'admission supérieur de près de 3 % à celui des autres. Le gain est particulièrement significatif s'agissant des lycéens issus de la voie professionnelle, obtenant 6 points de plus que les autres candidats issus de la même voie ; il est également notable pour les lycéens des séries technologiques, puisque l'écart s'élève à 4 points. Nous devons encore avancer sur ces questions, notamment grâce aux cordées de la réussite.
Mme la présidente
La parole est à Mme Pascale Bay.
Mme Pascale Bay (DR)
Les rapporteurs ont mis en évidence plusieurs faiblesses dans l'aide à l'orientation proposée aux élèves en amont du dépôt de leurs vœux sur Parcoursup. Vous n'en êtes pas responsable, monsieur le ministre, et je connais votre attachement à l'orientation, mais ces problèmes persistent. D'une part, les professeurs manquent de formation pour présenter le monde professionnel aux futurs étudiants avec précision ; d'autre part, peu de semaines sont consacrées à l'immersion en entreprise au cours des trois années de lycée. Le constat est d'autant plus inquiétant qu'un défaut d'accompagnement compromet la bonne orientation des futurs étudiants.
Les risques sont les suivants : que seuls ceux qui disposent d'un fort capital culturel aient accès aux informations pertinentes pour se préparer et faire un choix adéquat ; que ceux qui vivent isolés, à l'écart des établissements d'enseignement supérieur, soient découragés de faire les efforts nécessaires pour se former loin de chez eux ; que, par défaut, leur choix soit déterminé par la visibilité de certains métiers dans la vie de tous les jours ou par les résultats d'une recherche sur internet ; que des idées fausses obscurcissent leur vision de la réalité du monde professionnel ; enfin, qu'aucun choix n'intervienne, transformant nombre d'étudiants en devenir en personnes sans projet, ni possibilité de s'épanouir et de réussir.
Par ailleurs, les entreprises soulignent la nécessité de recréer des savoir-faire artisanaux et industriels sur notre territoire. Dans cette perspective, nous devons montrer de façon très concrète à nos jeunes la richesse, la diversité et l'intérêt de métiers dont ils entendent trop peu parler.
Un constat s'impose : l'inadéquation entre l'offre et la demande de formation entraîne la hausse des métiers en forte tension d'un côté et celle des filières sans débouchés de l'autre. Quelles mesures comptez-vous prendre afin d'ajuster l'offre à la demande de travail et de permettre aux étudiants de trouver leur vocation professionnelle ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
La réussite des études doit s'inscrire dans une logique d'approfondissement des savoirs d'une part et dans la perspective de l'insertion professionnelle d'autre part. Il y a quatorze ans déjà, la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle avait été créée dans le but d'associer les savoirs et les enjeux économiques et sociaux. C'est d'ailleurs une priorité de ma feuille de route.
Nous faisons des progrès : dès cette année, les lycéens et leurs parents pourront accéder sur Parcoursup à des données fiables, produites par les services statistiques de l'État, portant sur les débouchés professionnels de plus des trois quarts des formations proposées. Devront encore s'y ajouter d'autres informations relatives aux conditions d'emploi – nous venons d'en débattre –, aux métiers d'avenir identifiés comme tels ou encore à ceux susceptibles d'être en tension dans certains bassins d'emploi. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai soutenu l'inscription sur Parcoursup dès la classe de seconde.
Néanmoins, l'information seule ne suffit pas : elle ne permet pas de lever les préjugés si elle n'est pas doublée d'un accompagnement de proximité ou d'une expérience personnelle et concrète. Les régions favorisent d'ailleurs les rencontres entre jeunes et acteurs du monde professionnel. Tel est aussi l'enjeu de la découverte des métiers en classe de cinquième, du stage de troisième et de seconde, ou encore des journées portes ouvertes et d'immersion qu'organisent les établissements d'enseignement supérieur. Informer, permettre des rencontres et consacrer des temps d'échange à dépasser les préjugés, tout cela est fondamental. De telles démarches doivent être coordonnées avec l'évolution de la carte des formations, qu'elles soient professionnelles, comme les BTS, ou relèvent de l'enseignement supérieur. Tous ces éléments font partie de ma feuille de route.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Claude Raux.
M. Jean-Claude Raux (EcoS)
L'accès à l'enseignement supérieur représente à bien des égards un "gâchis collectif". Je ne peux que reprendre ces mots, impossibles à occulter, qui figurent dans le rapport qui nous intéresse.
Ancien enseignant d'un lycée professionnel, je pourrais citer nombre de parcours remarquables qui ne seraient plus possibles aujourd'hui, les algorithmes de Parcoursup bloquant les projets qui sortent de la voie tracée – une voie tracée, voire imposée, de plus en plus tôt. Les réformes successives du lycée professionnel, toujours adoptées sous couvert d'ambitions qui ne sont jamais concrétisées pour les élèves, transforment, en effet, les formations au service d'une employabilité précoce. L'orientation subie, fruit de notre incapacité à ouvrir toutes les portes aux élèves les plus défavorisés, leur coupe les ailes dès le plus jeune âge. Au fil de la scolarité, la part d'enfants d'ouvriers se réduit à mesure que croît celle d'enfants de cadres supérieurs : seuls 33 % d'élèves de lycée professionnel – où les premiers sont très majoritaires – poursuivent leurs études dans l'enseignement supérieur. Ce chiffre atteste d'un échec : la promesse d'égalité entre tous les élèves n'a pas été tenue. Des quotas d'élèves issus de cette voie ont certes été instaurés, mais sans ménager les conditions de leur réussite dans le supérieur, de sorte que 40 % d'entre eux échouent finalement au BTS.
Quand il faudrait orienter, on trie ; quand il faudrait accompagner, on surcharge les professeurs ; quand il faut du temps, on en supprime. La priorité assignée pour ces jeunes : les faire travailler, non les instruire, ni leur permettre de réussir des études supérieures qui leur garantiraient des métiers valorisés et valorisants. Aussi un véritable chantier reste-t-il à engager, en commençant par l'orientation, dont on sait qu'elle creuse très tôt les inégalités sociales et géographiques d'accès à l'enseignement supérieur.
Comptez-vous, monsieur le ministre, créer les conditions propices à la réduction de ces inégalités ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI, SOC et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Hetzel, ministre
Permettez-moi de dire que je suis, moi aussi, particulièrement sensible à la question des inégalités, bien réelles, d'accès à l'enseignement supérieur dans notre pays, dont j'ai pu mesurer l'importance comme élu d'un territoire rural.
Agir pour l'égalité, c'est d'abord fournir une information accessible à tous, sans barrière, claire et utile, qui aide les jeunes à se projeter dans les études supérieures. C'est là un apport de Parcoursup, reconnu par les lycéens eux-mêmes. Lutter contre les inégalités, c'est aussi être attentif à l'admission dans l'enseignement supérieur des lycéens boursiers, critère important. Or, depuis la création de Parcoursup, ce taux est en augmentation – j'ai eu l'occasion de l'indiquer dans une réponse précédente. Parmi les exemples d'améliorations constatées, je ne prendrai que celui de l'inscription sur la plateforme d'un concours commun aux écoles vétérinaires, lequel a permis d'en diversifier le recrutement du point de vue tant social que territorial. Ainsi, dans les territoires ruraux, la création des campus connectés sur Parcoursup a permis d'offrir, sur place, un accès à des formations géographiquement éloignées.
Il faut aussi lutter contre l'autocensure. Nous avons, à cet égard, promu les parcours des élèves en cordées de la réussite auprès des formations, créant par exemple des cordées pour les instituts de formation aux soins infirmiers (Ifsi) et obtenant des effets tangibles : les bacheliers professionnels participant au dispositif étaient 6 % plus nombreux à obtenir une proposition de formation que les mêmes lycéens hors cordées, comme je l'ai indiqué lors d'une précédente réponse. Lutter contre les inégalités consiste à prendre des mesures volontaristes pour changer le cours des choses, par exemple en facilitant certaines réorientations, ce que le passage d'APB à Parcoursup devait permettre. Nous portons en tout cas une attention particulière aux questions d'inégalité.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 29 novembre 2024