Texte intégral
Q - Bonjour, Jean-Noël Barrot.
R - Bonjour.
Q - Merci beaucoup d'être avec nous, ce matin. Le cessez-le-feu au Liban a débuté, ce matin à 3h du matin, pour 60 jours. Ce sera le premier répit dans la région depuis un an. Que va-t-il se passer dans les heures qui viennent et dans les jours qui viennent, de manière extrêmement concrète ?
R - D'abord, je voudrais dire que cet accord, c'est le fruit d'un travail d'arrache-pied qui a été mené depuis de longs mois, que c'est un succès pour la diplomatie française et que nous pouvons en être fiers. Parce que cet accord, il vient mettre fin à une véritable tragédie qui a coûté la vie à près de 4.000 personnes, qui a poussé près d'un million de personnes à quitter leur foyer, à plonger dans une précarité absolue et une tragédie qui menaçait l'existence même du Liban.
Q - Mais avec cet accord, l'armée libanaise, qui compte environ 60.000 soldats, elle est censée revenir dans le sud du Liban. Est-ce que la France va apporter une aide supplémentaire à cette armée qu'on dit exsangue ? Il paraît que les soldats libanais n'ont plus de viande dans leurs rations depuis des mois et des mois.
R - Cet accord prévoit, effectivement : que les hostilités cessent dans le sud du Liban, dans tout le Liban en réalité - c'est ce qu'il se passe depuis 3h du matin cette nuit -, que l'armée israélienne se retire du sud du Liban pendant ces 60 jours et qu'elle y soit remplacée par un déploiement massif des forces armées libanaises. Et dans ce contexte, la France va prendre toute sa part.
Q - Ça veut dire quoi, "prendre toute sa part" ? Concrètement, quel rôle va jouer la France ?
R - Elle va veiller à l'application de ce cessez-le-feu et à la création des conditions permettant la paix durable dans la région. Comment ? Avec les casques bleus du contingent français de la FINUL - 700 soldats français, qui sont présents et qui vont jouer un rôle important...
Q - Est-ce que vous allez renforcer... ?
R - Et puis en renforçant les forces armées libanaises, l'armée libanaise, qui doit se déployer massivement mais qui, pour cela, a besoin d'être soutenue. C'est ce que nous avons fait, il y a un mois quasiment jour pour jour, en réunissant, à Paris, toute la communauté internationale pour lever 200 millions d'euros au profit des forces armées libanaises, 800 millions au profit de l'aide humanitaire.
Q - Vous parliez à l'instant de la FINUL. Effectivement, 700 soldats français. Mais est-ce qu'il faut la renforcer en envoyant davantage de soldats français ?
R - Il faut renforcer sa posture, c'est-à-dire sa capacité d'intervention.
Q - Pas en présence humaine ? Il n'y aura pas un soldat de plus ? Il n'y aura pas 701, 702, 720 soldats ?
R - Les casques bleus français de la FINUL oeuvrent - avec beaucoup de courage, d'ailleurs, et je le salue - aux côtés des autres contingents. Il y a aujourd'hui environ 10.000 soldats casques bleus déployés dans le sud du Liban. Ce qui est essentiel c'est moins le nombre que leur capacité à surveiller le respect par les parties du cessez-le-feu, leur capacité à observer les mouvements dans la région et leur capacité à soutenir, justement, l'armée libanaise dans son rôle décisif de stabilisation et de sécurisation du sud du pays.
Q - Benyamin Netanyahou a promis de riposter si le Hezbollah ne respectait pas les conditions de cet accord. Ça veut dire que la situation reste très fragile. Et d'ailleurs, on voit que cet accord provoque beaucoup de scepticisme en Israël.
R - Avec cet accord, le travail commence, c'est clair. Il faut créer les conditions pour que la sécurité soit assurée pour le nord d'Israël et pour le sud du Liban. Et cela suppose, comme je le disais, un déploiement massif des forces armées libanaises qui permette de justifier pleinement le retrait définitif d'Israël du Liban et la souveraineté du Liban. C'est-à-dire que tous les partenaires du Liban, ça veut dire aussi que les autorités libanaises doivent se mettre au travail pour créer ces conditions, pour faire que cela soit possible.
Q - Mais la question centrale aussi de cet accord, c'est comment désarmer le Hezbollah ? Est-ce que vous avez aujourd'hui la réponse à cette question ?
R - La première étape, c'était évidemment ce cessez-le-feu. La deuxième, c'est évidemment qu'avec les casques bleus de la FINUL, avec les forces armées libanaises, la sécurité du sud du pays soit assurée. Et puis la troisième, c'est évidemment le redressement de l'Etat libanais. Et il appartient désormais aux autorités politiques libanaises de procéder à l'élection du Président de la République, qui pourra nommer un Gouvernement et faire en sorte que les forces armées libanaises, notamment, puissent disposer de toute la légitimité nécessaire pour exercer le monopole de la force dans le pays.
Q - On entendait effectivement Emmanuel Macron appeler à une élection sans délai d'un président au Liban. Mais est-ce que ce n'est pas un voeu pieux, quand on sait que la France s'est emparée du dossier libanais après l'explosion du port de Beyrouth, il y a 4 ans, mais n'a obtenu aucun résultat concret ?
R - Nous travaillons depuis plus d'un an, depuis que les hostilités ont commencé, depuis que le Hezbollah a entraîné, au lendemain du 7 octobre [2023], le Liban dans cette guerre qu'il n'avait pas choisie. Nous aboutissons aujourd'hui à un accord de cessez-le-feu et nous allons prendre toute notre part dans la mise en oeuvre de cet accord de cessez-le-feu et dans la restauration des conditions de la paix. Je l'ai dit, ce sont les conditions de sécurité, mais ce sont aussi les conditions politiques et nous allons continuer à inciter les autorités libanaises à avancer sur le chemin du redressement.
Q - Vous dites que la France a joué un rôle clé mais, de fait, l'impulsion, l'initiative est américaine et on sait que les Israéliens ne voulaient pas traiter avec les Français. On sait que la relation entre Benyamin Netanyahou et Emmanuel Macron est notoirement mauvaise. Est-ce que ce n'est pas un problème ?
R - C'est vrai que les Etats-Unis ont une relation privilégiée avec Israël. Mais, avec le Liban, c'est la France qui dispose de liens très anciens, de liens très étroits. Et c'est la raison pour laquelle le Président de la République a souhaité, dès le début des hostilités, il y a plus d'un an maintenant, que nous travaillions d'arrache-pied à trouver les conditions permettant ce cessez-le-feu qui est intervenu la nuit dernière. Et c'est pourquoi il n'aurait pas été possible d'envisager un cessez-le-feu au Liban sans que la France ne soit impliquée en première ligne.
Q - Benyamin Netanyahou est désormais visé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Si le Premier ministre israélien venait à poser le pied sur le sol français, concrètement et sans langue de bois, est-ce qu'il serait arrêté ?
R - D'abord, je veux le rappeler, la France est très attachée à la justice internationale et elle est très attachée à ce que la Cour pénale internationale puisse travailler en toute indépendance.
Q - Donc vous respecteriez le droit international, ça veut dire qu'il serait arrêté s'il posait le pied en France ?
R - La France appliquera comme toujours le droit international, qui repose sur ses obligations à coopérer avec la Cour pénale internationale, obligations vis-à-vis de son adhésion au Statut de Rome, qui prévoit et qui traite des questions d'immunité sur certains dirigeants. En tout état de cause, c'est en dernier ressort à l'autorité judiciaire qu'il appartiendra de se prononcer.
Q - Le Hamas se dit prêt à une trêve. Est-ce que ça veut dire que ce cessez-le-feu, il peut ou il doit ouvrir la voie à un cessez-le-feu similaire dans la bande de Gaza ?
R - Je le souhaite, parce que comme au Liban, si je puis dire...
Q - Mais vous sentez que c'est possible ?
R - La violence et la force dans la région ont fait de trop nombreuses victimes, ont plongé la région dans une tragédie humaine qui doit aujourd'hui cesser. La force doit laisser la place au dialogue et à la négociation. C'est désormais chose faite au Liban, ça doit être le cas au plus vite dans la bande de Gaza.
Q - Un mot très rapide sur le Soudan. Vous vous envolez cet après-midi pour ce pays. Il y a là-bas une terrible crise humanitaire. Vous allez concrètement y faire quoi ? On sait qu'il y a six mois, il y a eu une conférence en France sur cette question-là ; est-ce qu'il y a eu des avancées ?
R - Je vais au Soudan et à la frontière avec le Tchad aujourd'hui parce que la France n'oublie aucune crise et que c'est effectivement au Soudan que se déroule aujourd'hui la crise humanitaire la plus grave de notre époque, avec 11 millions de personnes déplacées, fuyant la violence des combats, avec 26 millions de personnes souffrant d'insécurité alimentaire. Nous devons nous mobiliser, la France et la communauté internationale. C'est pourquoi, au mois d'avril, nous avons réuni la communauté internationale à Paris. Nous avons levé 2 milliards d'euros d'aide humanitaire pour le Soudan. J'irai donc sur place demain pour m'assurer que ces engagements sont pris, et puis aussi pour appeler les autorités sur place à préserver l'accès des convois humanitaires, pour que cette aide puisse parvenir aux populations concernées.
Q - Jean-Noël Barrot, on voit que vous embrassez votre fonction à bras-le-corps, si je puis dire. Est-ce que vous êtes, aujourd'hui, un ministre en sursis ?
R - Je crois que vous faites allusion à la question posée aujourd'hui de la motion de censure. Je veux dire que dans une époque où la guerre est à nos portes, où la planète est en ébullition, où la Chine et les Etats-Unis veulent nous prendre de vitesse, et où notre démocratie est aujourd'hui soumise aux coups de butoir de tous ses ennemis, celles et ceux qui prendront la décision de renverser le Gouvernement de Michel Barnier, de priver la France d'un budget, seront responsables de la chienlit, seront responsables du désordre, dans une époque où nous avons besoin de grandeur d'âme plutôt que de petitesse politicienne.
(...)
Q - Un dernier mot sur l'écrivain Boualem Sansal. Je rappelle que c'est un écrivain qui est franco-algérien, il a été placé sous mandat de dépôt par le parquet antiterroriste algérien, il risque une peine de réclusion à perpétuité. Que fait la France ?
R - D'abord, je suis choqué par cette inculpation. Et comme de très nombreuses Françaises, de très nombreux Français qui connaissent et qui apprécient l'homme et son oeuvre, je suis très ému, parce que c'est un homme et une oeuvre qui est celle d'un écrivain engagé, d'un écrivain courageux qui fait honneur à ses deux pays, la France et l'Algérie. Rien dans les activités de Boualem Sansal ne permet d'accréditer les accusations qui lui valent aujourd'hui d'être emprisonné. Et la détention...
Q - Quel levier vous pouvez avoir ?
R - La détention d'un écrivain français sans fondement est tout simplement inacceptable. Dans l'immédiat, les services de l'Etat sont pleinement mobilisés, à Alger comme à Paris, pour suivre la situation de Boualem Sansal et lui permettre d'accéder à la protection consulaire qui est prévue par le droit.
Q - Mais est-ce que vous faites pression sur le gouvernement algérien pour dire qu'il faut le sortir de prison ?
R - Je vous ai répondu. Dans l'immédiat, nous nous attachons à la situation de Boualem Sansal, à sa protection. Pour le reste, je viendrai vous en reparler.
Q - Mais vous avez des échanges, j'imagine, plus ou moins secrets ou, en tout cas, il y a des liens qui sont quand même, en ce moment, activés ?
R - Ce n'est pas le lieu d'en parler, mais sachez que, jusqu'au plus haut de l'Etat, la situation de Boualem Sansal est suivie avec beaucoup d'attention, tant cette inculpation a provoqué une vive émotion.
Q - Merci beaucoup, Jean-Noël Barrot. Bonne journée, bon courage pour la suite de vos déplacements.
R – Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 novembre 2024