Interview de Mme Maud Bregeon, ministre déléguée, porte-parole du Gouvernement, à France 2 le 29 novembre 2024, sur la proposition d'abrogation de la réforme des retraites inscrite dans la niche parlementaire du groupe LFI - NFP et le risque de censure du Gouvernement sur le budget 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

JEFF WITTENBERG
Bonjour Maud BREGEON.

MAUD BREGEON
Bonjour.

JEFF WITTENBERG
Merci d'être avec nous ce matin. L'ambiance, on l'a vu dans le journal de 7 h 30, est explosive à l'Assemblée nationale. Avant un vote crucial la semaine prochaine sur le budget, on va en parler avec un risque de censure, mais vous avez vu ces images des députés qui manquent d'en venir aux mains, députées de votre camp, en tout cas de l'ex-majorité avec le MoDem. Qu'est-ce que ça vous inspire, des images comme ça ?

MAUD BREGEON
Je ne peux que trouver ça déplorable et affligeant. Je me mets à la place de vos téléspectateurs ce matin qui, à 7 h 30, allume leur télé, voient ces images. Je pense que ça fait beaucoup de mal à tous les politiques, à l'image que nous renvoyons, élus, députés, parlementaires. Je ne peux évidemment que le déplorer parce que je crois qu'à la fin, au-delà des individualités, c'est l'image que nous renvoyons collectivement qui est affaiblie.

JEFF WITTENBERG
Mais parlons de ce qui a conduit à cette scène, c'est le fait que la gauche quand même vous reproche d'avoir fait obstruction, d'avoir empêché le vote d'une proposition d'abrogation de la réforme des retraites qui était dans ce qu'on appelle la niche parlementaire de la France insoumise, c'est ça le point de départ, c'est quand même l'obstruction que vous avez faite.

MAUD BREGEON
C'est deux choses très différentes. Il y a eu des centaines de soirées sur des débats, parfois tendus, et ça ne nécessite, mais heureusement pas, d'en venir aux mains. Et du reste, les députés du socle commun, comme les autres d'ailleurs, ont défendu leur position, ont défendu leur conviction en proposant des amendements, c'est constitutionnel, c'est le droit d'amendement.

JEFF WITTENBERG
Mais est-ce que c'est démocratique lorsqu'il y a une majorité dans l'hémicycle qui veut cette abrogation ?

MAUD BREGEON
Que le débat se tienne, qu'il soit parfois tendu, que les députés, encore une fois, défendent leur conviction, portent leur position par des amendements, c'est tout à fait légitime et c'est sain. Les images qu'on a vues ce matin sur votre télé sont inadmissibles.

JEFF WITTENBERG
Mais les centaines d'amendements, vous les assumez, vous dites : "C'est la démocratie et tant pis si on ne vote pas cette abrogation que veut pourtant une majorité de députés et peut-être même une majorité de Français".

MAUD BREGEON
Vous savez, lors du débat de la réforme des retraites, il y a environ deux ans de ça, maintenant, j'étais députée, la France Insoumise avait déposé 13 000 amendements. Et s'était plaint…

JEFF WITTENBERG
Ce n'était pas sur une journée.

MAUD BREGEON
…du manque de temps pour débattre, il y avait alors deux semaines. Penser, prétendre qu'on puisse revenir sur un sujet aussi crucial et aussi structurant pour l'économie française et pour le système de retraite par répartition en quelques heures de débat, c'est mentir aux Français.

JEFF WITTENBERG
Mais vous faites que vous allez reprocher aux députés de gauche à l'époque.

MAUD BREGEON
Pour des sujets aussi importants, on a besoin de temps pour débattre. Et je le redis, que des députés, peu importe leur appartenance politique, déposent des amendements pour défendre des positions, c'est légitime.

JEFF WITTENBERG
Mais on pourra revenir sur cette réforme des retraites, oui ou non ? C'est ça, la question, en fait, puisqu'il y aura d'autres niches parlementaires, peut-être d'autres partis de gauche qui la reproposeront au vote. Vous, vous dites : "Jamais de la vie" ?

MAUD BREGEON
Cette réforme des retraites, on ne l'a pas fait par plaisir. On l'a fait pour sauver, encore une fois, ce système des retraites qui est si précieux, qui traduit cette solidarité intergénérationnelle et on l'a fait parce que c'était nécessaire. Pour autant, le Premier ministre a proposé d'améliorer cette réforme en lien avec les partenaires sociaux. Ça nécessite du dialogue, plus que quelques heures de débat au sein de l'hémicycle.

JEFF WITTENBERG
Ce qui s'est passé hier, en tout cas, risque de renforcer quand même l'ambiance délétère et la menace qui pèse aujourd'hui sur le Gouvernement, avec l'idée qu'il faut peut-être en finir. En tout cas, voilà où on en est, vous n'avez toujours pas convaincu le Rassemblement national de ne pas appuyer sur le bouton censure, malgré les concessions faites hier par Michel BARNIER, notamment en renonçant à la taxe sur l'électricité, c'était une des lignes rouges faites par Marine Le PEN, mais elle en demande d'autres et elle donne jusqu'à lundi à Michel BARNIER pour, en quelque sorte, faire de nouvelles concessions. Est-ce que c'est un ultimatum ? Est-ce que vous l'acceptez ?

MAUD BREGEON
Vous savez, depuis la domination du Gouvernement, on a dit et redit notre volonté de trouver des chemins de compromis dans un contexte budgétaire extrêmement contraint et extrêmement compliqué. Je note que les débats et que l'ouverture du Premier ministre ont permis de trouver des compromis sur les retraites, sur les entreprises, hier sur l'électricité, en renonçant à l'augmentation de la taxe sur l'électricité, c'est un pas majeur fait en avant par Michel BARNIER.

JEFF WITTENBERG
Mais insuffisant, majeur mais insuffisant. Le RN dit : "Pour l'instant, on vote la censure".

MAUD BREGEON
Pour trouver des compromis, il faut être deux et ça nécessite que chacun soit en capacité et soit d'accord pour faire un pas vers l'autre. Nous, nous sommes dans cette démarche et moi, je demande ce matin, est-ce que Madame Le PEN, est-ce que le Rassemblement National souhaite réellement attribuer un budget à la France ? Ou est-ce que Marine Le PEN et le Rassemblement National souhaitent envoyer la France dans le mur ? Parce que, je le redis, c'est ce qui se passera si on termine l'année sans budget, avec une confiance en berne et des taux d'intérêt qui augmentent et il faut que les Français puissent entendre la vérité sur cet enjeu.

JEFF WITTENBERG
Vous dites qu'il faut aller vers des compromis. Soyons précis, Jordan BARDELLA, lui, dit, entre autres, qu'il faut que vous reveniez sur le déremboursement supplémentaire de médicaments, c'est prévu dans la loi de financement de la Sécurité Sociale, celle qui risque d'être censurée. Est-ce que vous lui donnerez satisfaction, oui ou non ?

MAUD BREGEON
Nous avons terminé, nous allons terminer cette année à 6,1 % de déficit. Nous serons à 7 % de déficit l'année prochaine. Si on ne fait rien, ça constituerait un décrochage dont la France mettrait des années à se relever. Ce qui, je le redis, censurerait le Gouvernement et ferait tomber, donc, le budget, ne permettrait pas à la France de terminer l'année avec un budget, affaiblirait considérablement notre pays et emporterait la responsabilité.

JEFF WITTENBERG
Ça veut dire que vous n'irez pas plus loin, Maud BREGEON ?

MAUD BREGEON
Nous avons entendu les parlementaires de l'ensemble des groupes. Je le redis encore une fois, pour protéger les retraités, pour protéger le pouvoir d'achat des Français sur l'électricité.

JEFF WITTENBERG
Mais là, je vous pose une autre question, c'est sur le déremboursement des médicaments.

MAUD BREGEON
Mais nous sommes des gens responsables et je crois que les Français nous ont élus pour ça. Nous ne pouvons pas raser gratis. Donc, oui aux discussions, mais chacun doit prendre en compte le cadre budgétaire extrêmement contraint. Et la question qui est posée derrière, c'est qui souhaite réellement redresser les finances publiques de ce pays ?

JEFF WITTENBERG
Mais ça veut dire que, par exemple, la non-hausse de la taxe sur l'électricité, pour l'instant, n'est pas compensée. Les trois milliards qu'elle devait rapporter, où allez-vous les trouver ?

MAUD BREGEON
J'ai parfois très envie de renvoyer ces questions sur celles et ceux qui nous demandent chaque jour de nouvelles concessions. Les débats vont encore se tenir et nous allons devoir compenser d'une façon ou d'une autre en baissant les dépenses et ce n'est pas facile de baisser les dépenses. Les mesures qui sont prises et qui ont été récemment annoncées par le Gouvernement, notre objectif, c'est toujours de revenir autour de 5 % pour retrouver une trajectoire qui est celle de l'ensemble des pays européens.

JEFF WITTENBERG
Alors, vous entendez parmi les économies, notamment que vous envisagez ce qu'a dit Michel BARNIER, de revenir sur l'aide médicale d'État, en tout cas la réduire pour les étrangers en situation irrégulière, c'est une demande express, là encore, du Rassemblement national. Ce que dit la gauche, et peut-être faut-il l'entendre, c'est que vous cédez aux pressions du RN, aujourd'hui, qui cogouverne quelque part la France.

MAUD BREGEON
C'est une porte qui avait déjà été ouverte par le Gouvernement, par Michel BARNIER.

JEFF WITTENBERG
Oui, mais c'est maintenant, c'est aujourd'hui que Michel BARNIER l'annonce.

MAUD BREGEON
Bruno RETAILLEAU s'était largement exprimé sur cette question, et Élisabeth BORNE, Première ministre, avait elle-même commandé le rapport Stéphanini EVIN, sur lequel nous nous appuierons. Lorsqu'on demande des efforts aux Français, il est aussi normal qu'on réduise les dépenses de l'aide médicale d'État, en tout cas, c'est ma conviction.

JEFF WITTENBERG
Et si le RN le demande et que vous le faites juste au moment où il le demande ?

MAUD BREGEON
Et je le redis, je le redis, je le redis, je le redis pour terminer, la meilleure façon structurelle de réduire l'aide médicale d'État, c'est de réduire l'immigration clandestine en France. Pour autant, est-ce qu'on peut revoir le panier de soins, par exemple, tel qu'il est aujourd'hui ? Je pense que la réponse est oui.

JEFF WITTENBERG
Ce que Marine Le PEN, quand même, vous reproche, c'est de ne pas dire : "Ok, nous avons par exemple renoncé à la taxe sur l'électricité parce que vous nous l'avez demandé", de ne pas en quelque sorte lui donner le point, c'est ce qu'elle dit au journal Le Monde. Pourquoi ne dites-vous pas que vous avez reculé là-dessus pour, c'est par exemple Gérald DARMANIN qui le dit, pour satisfaire les onze millions d'électeurs du RN ? Pourquoi vous ne le dites pas ?

MAUD BREGEON
Mais nous entendons les 577 députés et à travers eux les 67 millions de Français. C'est une demande qui a été formulée par quasiment l'intégralité des groupes de l'Assemblée nationale, également par Gérard LARCHER, le président du Sénat, par Hervé MARSEILLE…

JEFF WITTENBERG
Donc ce n'est pas spécifiquement une demande du RN, pourquoi ne pas le dire ?

MAUD BREGEON
Le président du groupe union Centriste, les députés EPR, de ma propre famille politique, avaient déposé des amendements pour aller vers une mesure en ce sens. Le pouvoir d'achat des Français, c'est une inquiétude du Rassemblement national, mais c'est une cause qui est portée, je crois, par l'ensemble des députés aujourd'hui. Ce n'est pas la chasse gardée de Marine Le PEN.

JEFF WITTENBERG
Ce n'est pas la chasse gardée de Marine Le PEN, vous êtes porte-parole d'un Gouvernement en sursis, est-ce que vous vous préparez quand même à cette censure qui est quand même fort probable, la semaine prochaine ?

MAUD BREGEON
Moi, je me bats pour ce que j'estime être bon pour mon pays, je me suis engagée en politique pour ça et l'histoire politique démontre que quand on se demande éternellement où on sera dans un mois ou dans six mois, on ne fait pas grand-chose. Donc on continue à avancer.

JEFF WITTENBERG
Bon, en tout cas, vous êtes là ce matin, vous êtes porte-parole du Gouvernement.

MAUD BREGEON
Et je vous remercie.

JEFF WITTENBERG
Et c'est la suite de Télématin. Merci Maud BREGEON.

MAUD BREGEON
Merci à vous.

LUCIE CHAUMETTE
Merci beaucoup à tous les deux, et merci à Vivien FONTVIEILLE pour la traduction en langue des signes.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 décembre 2024