Interview de M. Alexandre Portier, ministre délégué chargé de la réussite scolaire et de l'enseignement professionnel, à BFM Lyon Métropole le 29 novembre 2024, sur le programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, la réussite scolaire quelque soit son origine sociale ou territoriale, le coût de la réforme du lycée professionnel et le budget des collectivités locales.

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Média : BFM

Texte intégral

ALINE PICARD
Bienvenue, si vous nous rejoignez sur BFM Lyon. Ce matin, notre invité, c'est Alexandre PORTIER. Bonjour.

ALEXANDRE PORTIER
Bonjour.

ALINE PICARD
Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes le ministre délégué en charge de la réussite scolaire et de l'enseignement professionnel. Alors, on va évoquer avec vous, ce matin, plusieurs dossiers. Le premier qui vous concerne, évidemment, qui fait la une de l'actualité ces derniers jours, c'est le programme d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Il doit être représenté mi-décembre pour les écoles, les collèges, les lycées. Il ne plaît pas à tout le monde. Les milieux conservateurs, notamment, s'insurgent. Il y avait d'ailleurs une manifestation, hier, devant le rectorat à Lyon. Et à vous aussi, il ne plaît pas beaucoup ce programme. Qu'est-ce qui coince ?

ALEXANDRE PORTIER
… J'ai été interrogé mercredi sur le contenu de ce programme, sur ses objectifs. Et j'ai tenu un propos qui est équilibré et qui, je crois, reflète ce que pense la grande majorité des Français et notamment des parents. J'ai dit les choses de manière simple : oui, il faut un programme en matière d'éducation à la sexualité parce qu'on voit bien le monde dans lequel on vit. Et la mission de l'école, c'est de protéger nos enfants face aux violences sexuelles que peuvent connaître des adolescents, face aux violences intrafamiliales, face à la prolifération des images pornographiques dans le quotidien de nos enfants.

ALINE PICARD
C'est quoi qui vous inquiète alors ? C'est la théorie des gens, notamment, on a beaucoup parlé de ce passage-là dans le programme.

ALEXANDRE PORTIER
Dès lors qu'on touche à ce qu'il y a de plus intime et de privé dans la vie de l'être humain, il faut toujours mesurer chacun des mots qu'on emploie et que l'école soit à la bonne place, à sa juste place pour la protection et de construction du jugement des enfants par eux-mêmes dans une période de leur vie qui est évidemment décisive. Il y a des choses qui doivent être faites pour trouver le bon équilibre, celui qui peut convenir à tous les parents et notamment s'assurer que le militantisme ne trouve pas sa place à l'école et qu'on soit sur un programme qui soit progressif, adapté aussi aux enjeux…

ALINE PICARD
Après, il fait partie de la lutte aussi contre les stéréotypes, c'est finalement s'avancer avec la société.

ALEXANDRE PORTIER
Il y a des combats qui sont nécessaires, mais on doit aussi avoir une progressivité des apprentissages adaptée à chaque phase de la vie de l'enfant, du jeune. On ne peut pas dire la même chose à un ado de seize ans qu'à un enfant de quatre ans, c'est évident.

ALINE PICARD
Les associations et les enseignants, d'ailleurs, en grande majorité jugent le programme à la hauteur des enjeux. Donc, eux, ils le valideraient pourtant ce programme-là ?

ALEXANDRE PORTIER
Alors, le programme n'est pas définitif, ça fait plusieurs mois qu'il est travaillé, retravaillé. Il l'est encore actuellement, donc, tout le monde se prononce sur des versions qui bougent beaucoup. Donc, je ne sais pas de quelles versions parlent les uns et les autres. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il doit être retravaillé pour être le plus équilibré possible. Sur ces domaines-là, comme sur tous les domaines, l'école doit d'abord avoir une approche pédagogique fondée sur des données scientifiques, tout simplement.

ALINE PICARD
Il y a un autre sujet qui vous intéresse particulièrement en ce moment, c'est l'orientation. Le ministère de l'Éducation lance une grande concertation nationale sur le sujet. C'est quoi l'idée ?

ALEXANDRE PORTIER
Mon combat, c'est la réussite scolaire, c'est de faire qu'on puisse emmener tous les enfants de ce pays à exprimer tout leur potentiel, quelles que soient leurs origines sociales, territoriales. Vous le savez, à l'origine, je suis d'abord un élu d'un territoire rural et j'y tiens. Et on sait bien dans ce pays que la réussite d'un jeune ne passe pas que par des notes ou par des diplômes. Un jeune qui peut avoir quatorze ou quinze de moyenne n'aura peut-être pas le même destin scolaire, universitaire, professionnel qu'un autre qui aura les mêmes notes, parce que rentrent en ligne de compte tout un tas de phénomènes d'influence familiale, territoriale et la défaillance de la politique d'orientation, aujourd'hui, est une machine à reproduire les assignations sociales et les inégalités territoriales.

ALINE PICARD
Donc l'idée, c'est de demander un petit peu l'avis de chacun dans les territoires, des acteurs locaux, des collectivités locales aussi, des départements, des régions qui font partie prenante de tout ça ?

ALEXANDRE PORTIER
Oui, tout à fait. Je veux qu'on engage une grande remise à plat de la politique d'orientation qui est nécessaire pour assurer l'égalité républicaine, l'égalité des chances. Pour assurer la relance de l'ascenseur social dans ce pays et faire que l'école soit bien au rendez-vous, puisse donner à tous les jeunes toute leur chance. On a beaucoup de dispositifs, les stages, les découvertes des métiers, mais dans un univers où les compétences des uns et des autres, les collectivités de l'État sont de plus en plus floues. Les moyens qui sont émiettés et les familles qui sont perdues dans la jungle de l'information. On n'a pas vraiment défini ces dernières années ce qu'était la politique d'orientation, ce qu'étaient ses objectifs. On a beaucoup débattu des outils d'affectation, surtout, Parcoursup, pas fait naître, pas de ce qu'était une orientation réussie. Et c'est la mission que je veux lancer aujourd'hui.

ALINE PICARD
Vous avez des idées, j'imagine, sur le sujet, puisqu'il faudrait notamment mettre un coup de collier, si je puis dire, au collège notamment. C'est là aussi que ça se passe surtout.

ALEXANDRE PORTIER
L'une de nos priorités, c'est évidemment de recentrer le débat au bon moment. On parle beaucoup de l'orientation en terminale, au mois de décembre, c'est notamment au collège qu'on a ses premières intuitions sur ce qu'on veut faire dans la vie, sur la manière dont on veut construire sa vie. Ça ne veut pas dire que les choses sont définitives, mais on a besoin d'être accompagné pour savoir ce que l'on veut faire, mais aussi savoir ce que l'on ne veut pas faire. Et on doit s'efforcer de donner tous les outils, de rassembler tous les acteurs sur un sujet qui est absolument central pour les familles.

ALINE PICARD
Alors, il y a un autre sujet aussi intéressant qui vous concerne, c'est la réforme du lycée professionnel. Alors, elle a été initiée déjà à la rentrée 2023, ça passe notamment par l'allongement de la durée des stages, une meilleure rémunération des élèves. Aujourd'hui, des voix s'élèvent justement contre cette réforme, parce qu'elle est jugée trop coûteuse et inadaptée. Ce n'est pas le cas, parce que c'est finalement les entreprises du territoire qui payent cette réforme ?

ALEXANDRE PORTIER
Alors, la réforme, elle est payée par le budget de la nation.

ALINE PICARD
Les entreprises rémunèrent les élèves.

ALEXANDRE PORTIER
D'abord, on y contribue tous et si on y contribue au financement du lycée professionnel, c'est que le lycée professionnel, pour moi, est tout simplement la clé de voûte de la souveraineté nationale. On a besoin d'un lycée professionnel fort pour répondre à tous les enjeux de souveraineté énergétique, industrielle, économique, numérique, agroalimentaire. Le lycée professionnel, il est là pour nous permettre de répondre à des besoins extrêmement simples. Nourrir nos enfants, leur permettre de se loger, de se chauffer, pour permettre de répondre aux défis du grand âge, du soin, de l'autonomie. C'est pour ça que je suis passionné par le lycée professionnel et qu'on doit y mettre des moyens importants. Il a souvent été considéré, comme une voie, par défaut, de garage. Il faut qu'on le mette au cœur de notre système scolaire.

ALINE PICARD
La chambre des métiers et d'artisanat qu'on recevait, il y a quelques semaines nous a alertés sur le sujet en disant : "C'est les entreprises, forcément, à qui on demande aussi un effort supplémentaire, justement de rémunération des élèves, de les garder plus longtemps en stage", c'est aussi sur les entreprises que ça pèse ?

ALEXANDRE PORTIER
Sur la gratification des périodes de formation au milieu professionnel pour les lycéens du professionnel, c'est payé sur le budget de l'État.

ALINE PICARD
Donc les entreprises n'ont pas à payer plus ?

ALEXANDRE PORTIER
Oui, de ce point de vue-là, c'est payé par le budget de l'Éducation nationale, contrairement à l'apprentissage…

ALINE PICARD
… Parce que c'est aussi pour ça qu'ils étaient sur notre plateau. Des endroits où il n'y a pas d'artisans, il n'y a plus de jeunes qui veulent exercer ces métiers de l'artisanat, ça aussi, c'est un vrai enjeu aujourd'hui.

ALEXANDRE PORTIER
Vous imaginez que c'est un sujet qui me parle et qui me tient à cœur ? Je suis issu d'une famille d'artisans, entouré d'artisans depuis tout petit, fils d'un papa tapissier, donc, je connais évidemment ce sujet. Et je vois bien la pénurie de compétences qu'on a dans beaucoup de domaines, c'est crucial parce que derrière, c'est le maillage de nos territoires, c'est la vie de nos communes et il faut qu'on soit capable de former nos jeunes. Ça passe par un lycée professionnel fort, ça passe par le soutien à la politique de l'apprentissage, et ça, c'est un combat qu'on doit mener. Si je m'engage autant sur le lycée professionnel, c'est que je pense que c'est la clé de voûte pour arriver à apporter les compétences à tous les niveaux où on en a besoin et notamment dans les compétences techniques, industrielles, j'aime souvent rappeler, quand même, qu'on doit retrouver le sens des priorités. Une compétence qui nous manque beaucoup par exemple, ce sont les soudeurs, les tuyauteurs, qui permettent, derrière, en chaîne de soutenir toutes nos entreprises. Les domaines d'électricité aussi, qu'est-ce qu'on fait sans électricité dans notre quotidien ? On est bien placé pour le voir ici, on en a besoin, et ces compétences-là, c'est le lycée professionnel qui les forme avec l'apprentissage.

ALINE PICARD
Dernière question rapidement, alors là, je m'adresse à l'ancien député du Rhône de la neuvième circonscription. Le Gouvernement a annoncé des coupes budgétaires drastiques pour les collectivités locales, donc pour l'année 2025. En tant qu'ancien élu local, élu terrain, qui est au contact des collectivités, est-ce que vous trouvez que c'est une bonne idée de couper comme ça les vivres collectivités locales ?

ALEXANDRE PORTIER
Le Premier ministre a eu l'exercice sans doute le plus difficile depuis les débuts de la Cinquième République : faire un budget en quinze jours. Donc il l'a dit et il a raison, le budget, il est toujours perfectible, et jusqu'à la dernière minute de la préparation de ce budget, de ce débat et jusqu'au vote, sera débattue toutes les mesures qui permettront de l'améliorer et de faire qu'il soit capable de fédérer le plus grand nombre…

ALINE PICARD
Mais ça, il faut modifier ça, il faut, au moins couper les aides aux collectivités…

ALEXANDRE PORTIER
…Les maires de France au congrès des maires pour essayer de trouver la copie qui soit la plus équilibrée pour évidemment à la fois protéger les communes, soutenir la commande publique locale parce qu'elle soutient directement nos entreprises, elle permet d'aménager le territoire. Vous connaissez le parcours du Premier ministre, vous connaissez le mien, tout est fait pour qu'on puisse soutenir cette dynamique-là. Après, on est dans une période budgétaire qui est extrêmement difficile. On a des taux d'intérêt qui avoisinent ceux de la Grèce actuellement, une dette de plus de 3 300 milliards. Je pense que tout le monde comprend bien que si on ne fait pas tous collectivement des efforts à tous les niveaux, il n'y aura pas de baguette magique, et à un moment donné, on ne sera peut-être plus maître de notre destin.

ALINE PICARD
Merci beaucoup, Alexandre PORTIER, d'avoir été notre invité. On le rappelle, vous êtes le ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l'Enseignement professionnel.

ALEXANDRE PORTIER
Merci beaucoup.

ALINE PICARD
Merci, au revoir.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 décembre 2024