Interview de M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur, à TF1 le 3 décembre 2024, sur la perspective d'une motion de censure et le budget 2025.

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Média : TF1

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
7 h 35, bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Bruce.

BRUCE TOUSSAINT
Votre invité a choisi TF1, et bonjour, pour sa toute première réaction à la crise politique, le 49.3, les motions de censure bien sûr, le ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU.

ADRIEN GINDRE
Bonjour Bruno RETAILLEAU.

BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Adrien GINDRE.

ADRIEN GINDRE
En effet, Michel BARNIER a déclenché hier le 49.3 sur le budget de la Sécurité Sociale. Marine Le PEN a annoncé dans la foulée qu'elle voterait la censure, y compris celle de la gauche. Vous avez commencé vos cartons ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, moi, je suis tout à mon affaire, simplement, j'observe que ce comportement de Marine Le PEN est totalement irresponsable. Irresponsable, parce qu'elle va mêler ses voix et celles de ses députés aux voix de l'extrême gauche.

ADRIEN GINDRE
Elle l'assume pour vous renverser.

BRUNO RETAILLEAU
Oui, mais justement, elle le fait en mêlant ses voix à un moment qui est particulier, puisqu'il y a quelques jours, l'extrême gauche, LFI, les insoumis, ont déposé un texte de loi pour abroger, supprimer le délit pour apologie de terrorisme. Rien que cela.

ADRIEN GINDRE
Mais pour autant, vous pensez que Marine Le PEN souscrit à cette idéologie ?

BRUNO RETAILLEAU
Non mais quand on vote un texte, un texte qui, le texte des Insoumis, rédigé par Madame PANNOT et les siens, qui indique, qui accuse d'ailleurs Michel BARNIER d'avoir cédé aux pires obsessions de l'extrême-droite. Et il cite notamment le texte sur l'immigration, parce que je suis pour la fermeté migratoire, ce texte-là, que Marine Le PEN va voter, et la remise en cause de l'Aide médicale d'État. Est-ce que c'est bien sérieux ? Est-ce que les Français qui nous regardent surprennent ? Mais plus rien ne me surprend, plus rien ne me surprend, parce que je pense qu'il y a un énorme paradoxe. On est dans un moment critique pour la France. On sait très bien qu'on risque gros, on risque un chaos, on risque la crise financière. Et quand il y a une crise financière, regardez bien ce qui s'est passé en Grèce. Ce n'est pas ceux qui sont riches qui sont les premiers impactés, c'est les plus modestes, c'est les plus fragiles. Et pendant ce temps-là, on a une partie de la classe politique qui joue à la roulette russe, avec le destin des Français et de la France.

ADRIEN GINDRE
Mais en nous disant ça, Bruno RETAILLEAU, ce matin, vous pensez encore pouvoir faire bouger des positions en vue de l'examen de la motion de censure, où vous avez malgré tout intégré que ça y est, le moment où la censure et la chute du Gouvernement étaient arrivées ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, ce soir, vous allez recevoir le Premier ministre.

ADRIEN GINDRE
Exactement, dans le journal de 20 h.

BRUNO RETAILLEAU
C'est à lui de s'exprimer. Je pense, moi, que la raison peut toujours revenir. Je crois vraiment que si Marine Le PEN met à exécution sa décision, je pense que c'est en dehors de tout champ rationnel, mais je pense que la raison pourrait prévaloir.

BRUCE TOUSSAINT
Est-ce que vous lui lancez une sorte d'appel, ce matin ? Est-ce que vous vous adressez à elle, directement ?

BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, à la responsabilité.

BRUCE TOUSSAINT
Qu'est-ce que vous lui dites ?

BRUNO RETAILLEAU
Je lui dis simplement qu'on risque le chaos. Elle dit qu'il n'y a pas de chaos. Madame PANOT, je l'ai entendu, à la tribune de l'Assemblée nationale, Madame PANOT dit : " Non, non, il n'y aura pas de chaos ".

ADRIEN GINDRE
Pour la France Insoumise.

BRUNO RETAILLEAU
Comme Madame Le PEN. Simplement, ce que je dis, c'est que si on n'a pas de texte, y compris d'un texte budgétaire, pour le ministère de l'Intérieur, c'est 751 millions d'euros de moins. Si on reconduit le budget 2024 pour 2025, c'est 751 millions de moins. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire problème pour payer les policiers. Ça veut dire pas de nouvelle gendarmerie. Ça veut dire pas de nouveau commissariat. Ça veut dire aussi pour les Français, pour des millions de Français, puisqu'on n'aura pas neutralisé les effets de l'inflation sur l'impôt, sur le revenu, un impôt qui va augmenter mécaniquement.

ADRIEN GINDRE
Bruno RETAILLEAU, tout ce que vous dites là, c'est dans le budget de l'État qui doit être examiné dans quinze jours. Ça veut dire que vous faites déjà l'anticipation que dans quinze jours, il n'y aura pas de Gouvernement, pas de budget. Là, on n'est aujourd'hui encore que sur le budget de la Sécurité sociale. Il est encore temps d'examiner tout ça.

BRUNO RETAILLEAU
Mais parce que s'il y a une censure sur le budget de la Sécurité sociale, évidemment qu'il y aura un problème aussi sur le budget. Je ne vois pas pourquoi elle censurerait un budget et pas l'autre. Il n'y aurait pas de logique. Vous allez me dire : est-ce qu'il y a de la rationalité dans tout ça ?

ADRIEN GINDRE
Donc, si nouveau Gouvernement nommé, vous faites déjà le pari que dans quinze jours, il est renversé ?

BRUNO RETAILLEAU
Moi, je fais le pari d'abord que Michel BARNIER, nous parviendrons à écarter la motion de censure, mais s'il y a motion de censure, encore une fois, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les taux d'intérêt français sur la dette française vont augmenter. Ce n'est pas bon pour les épargnants, ça peut nous précipiter dans la crise. Ça a aussi un effet très concret que j'ai observé la semaine dernière quand les taux de la dette française ont excédé les taux de la dette grecque. Il y a des entreprises, des grandes entreprises françaises qui ont perdu de la valeur et si elles continuent à perdre de la valeur, elles seront la proie de fonds de pension américains ou étrangers. On perdra une partie de notre souveraineté économique et industrielle.

ADRIEN GINDRE
Bruno RETAILLEAU, est-ce que, comme certains dans le socle commun, vous voyez un lien entre l'actualité politique et l'actualité judiciaire ? Autrement dit, une décision de Marine Le PEN prise à la suite de son réquisitoire, le réquisitoire qui la visait.

BRUNO RETAILLEAU
Je l'explique, en tout cas, cette idée de revanche que par des éléments irrationnels. Il n'y a pas d'éléments rationnels parce que le Premier ministre avait fait un certain nombre de concessions sur l'électricité, sur l'Aide médicale d'État.

BRUCE TOUSSAINT
Est-ce qu'il faut qu'il en fasse d'autres ? Est-ce qu'il est encore temps d'en faire d'autres, Monsieur RETAILLEAU ?

BRUNO RETAILLEAU
Mon sentiment, mon sentiment, c'est que vous pouvez aujourd'hui couvrir comme le sapin de Noël, Madame Le PEN, le cadeau. Elle dira non parce qu'elle a un agenda. Elle a un agenda…

BRUCE TOUSSAINT
Donc, c'est fini, pourquoi dites-vous qu'il y a encore une chance d'y arriver ?

BRUNO RETAILLEAU
Parce que je laisse le Premier ministre s'exprimer, c'est tout et pas parce que, moi, je suis un combattant et que je veux croire.

BRUCE TOUSSAINT
Est-ce qu'il y a des discussions encore actuellement ? Est-ce qu'il y a un contact encore établi entre le Gouvernement et Madame Le PEN ?

BRUNO RETAILLEAU
Bruce TOUSSAINT, moi, je fais de la politique avec mes tripes, avec mes convictions. Je n'arrive pas à comprendre comment Marine Le PEN puisse mélanger ses voix avec ceux des Insoumis. Pour moi, c'est inentendable et je mets à la place les Français. Vous vous rendez compte ? Comment peut-on même réconcilier les Français à une erreur si grave avec la politique si la politique, c'est des petits calculs personnels parce qu'on cherche à avoir une revanche ?

ADRIEN GINDRE
Mais Bruno RETAILLEAU, quand l'un des députés qui vous soutient, Karl OLIVE, dit : " On a mésestimé les onze millions de voix du Rassemblement national ", dites non ?

BRUNO RETAILLEAU
Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire. Moi, je mène une politique de fermeté migratoire, de fermeté en termes d'ordre républicain. Et ça marche. La semaine prochaine, j'espère, si je suis ministre, j'annoncerai les premiers résultats en matière migratoire, par exemple de baisse des standards d'asile, par exemple d'augmentation des éloignements, mais on voit bien que la politique que j'ai suivie depuis deux mois, de fermeté encore une fois, elle est en fait plébiscitée par des Français de droite et des Français de gauche. On voit que lorsqu'on fait la politique avec ces tripes et ces convictions, on obtient des résultats. Il faut être sincère. Quand la politique, c'est de l'insincérité, les gens le sentent, les gens le voient.

ADRIEN GINDRE
Vous parlez de la semaine prochaine. Vous pouvez toujours être ministre, ministre démissionnaire également à l'Intérieur, Premier ministre également, parce qu'il faudra un nouveau titulaire, le cas échéant ?

BRUNO RETAILLEAU
Moi, très franchement, je n'espère pas. Je veux aller au bout de ce que j'ai commencé parce que je crois vraiment que rétablir l'ordre, c'est fondamental pour la liberté. Quand il n'y a pas d'ordre, il n'y a pas de liberté. Quand il y a le désordre, il n'y a pas d'égalité, c'est la loi de la jungle.

ADRIEN GINDRE
Et si la proposition que vous est faite ?

BRUNO RETAILLEAU
Mais j'espère que Michel BARNIER sera toujours Premier ministre, c'est vraiment mon souhait. Il m'a fait confiance. Je peux vous dire qu'un ministre de l'Intérieur, lorsque j'assume une politique de rupture, en matière notamment d'ordre républicain et en matière migratoire, on ne peut rien, un seul ministre ne peut rien, s'il n'est pas appuyé par son Premier ministre.

ADRIEN GINDRE
Mais Bruno RETAILLEAU, quand vous dites Michel BARNIER, est-ce que c'est aussi une manière pour vous de dire : " Un Premier ministre de droite ", puisqu'on entend déjà certains appels, dire : " Il faudrait un Premier ministre de gauche puisque la droite, ça n'a pas marché ".

BRUNO RETAILLEAU
Moi, j'ai relu le programme de la gauche, c'est-à-dire du Front populaire, pendant les législatives, c'est la catastrophe. Ça veut dire qu'ils veulent des armes, ils veulent voir doctrine, notamment l'armement de nos policiers, de nos gendarmes. Ils veulent aussi supprimer la loi séparatiste contre l'islamisme, parce qu'ils draguent, on le sait très bien, le vote des musulmans et radicaux.

ADRIEN GINDRE
Alors, ça ne vaudrait pas pour Bernard CAZENEUVE si jamais c'était l'option.

BRUNO RETAILLEAU
Et ça veut dire aussi que c'est les portes grandes ouvertes à l'immigration. Donc, évidemment que non, jamais je ne pourrai mener la politique que je mène avec un Gouvernement de gauche, ce serait impossible.

ADRIEN GINDRE
Il y a quand même une question, Bruno RETAILLEAU, du futur socle commun, ça n'a pas marché cette fois-ci. Hier, un député de la majorité dit : " Il faudrait une plateforme des partis républicains de LR au PS ". Est-ce que vous vous êtes prêts à travailler demain avec les socialistes qui, aujourd'hui, sont dans le Nouveau front populaire ?

BRUNO RETAILLEAU
Mais vous venez de le dire. Ils ont fait obstacle, d'ailleurs, à Bernard CAZENEUVE. Parce que le parti socialiste, aujourd'hui, en tout cas, les députés de l'Assemblée nationale sont sous le joug des Insoumis, tout simplement parce que ce sont les insoumis qui leur assurent une partie de leur élection.

ADRIEN GINDRE
Et s'ils s'en détachent, un travail est possible ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, je ne fais pas de la politique fiction.

ADRIEN GINDRE
On verra.

BRUNO RETAILLEAU
Je considère qu'aujourd'hui, et c'est la raison pour laquelle Michel BARNIER et moi, nous sommes au Gouvernement, parce que nous avons voulu faire barrage à la gauche.

ADRIEN GINDRE
Il n'y a pas de politique fiction, mais il y a tout de même une demande, aujourd'hui, des appels à la démission du chef de l'État, qui vient de la France Insoumise, mais qui viennent aussi du Rassemblement national, et dans, on va dire, pour reprendre votre expression, républicains. Charles de COURSON, le président de la région Normandie, Jean-François COPE, le maire de Meaux du parti Les Républicains, votre parti, ce ne sont pas des voix à entendre ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, chacun sait l'opposition que j'ai menée vis-à-vis d'Emmanuel MACRON. Et donc, je n'ai p s de gage à donner. Je crois que je suis gaulliste. Je ne suis pas macroniste, mais en tant que gaulliste, je respecte les institutions de la Cinquième République. Je ne suis pas pour les coups de force, pour les attitudes révolutionnaires. Le chef de l'État est légitime. Il est élu pour cinq ans, c'est la voix du peuple qui l'a amené à ce poste-là, point final.

ADRIEN GINDRE
Sa parole serait utile dans la période ?

BRUNO RETAILLEAU
Évidemment, elle le sera, puisque si jamais et malheureusement, il y avait une censure, c'est lui qui a la clé de la nomination du chef du Gouvernement.

ADRIEN GINDRE
Qu'est-ce que vous aimeriez l'entendre dire ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est à lui de le dire. Ce que simplement, moi, je dis dans cette espèce de miasme, de glauque politique, c'est qu'il y a des moments où la gravité impose aux hommes et aux femmes politiques, quelles que soient leurs attaches partisanes, de s'élever et d'être à la hauteur des enjeux du pays et on y est aujourd'hui. Est-ce qu'on veut vraiment le chaos ? Est-ce qu'on veut une crise économique qui touchera les plus fragiles ? Ou est-ce qu'on veut redresser le pays ? À toutes celles et tous ceux qui aiment la France, la République, je leur dis, réveillons-nous. Réveillons-nous et empêchons ce qui paraît aujourd'hui inéluctable, le chaos.

ADRIEN GINDRE
Il y aura tout de même une bonne nouvelle pour le chef de l'Etat. Cette semaine, il va accueillir Donald TRUMP, le président américain élu, samedi à Notre-Dame pour la réouverture. L'annonce a été faite cette nuit. Un peu de considération pour clore une semaine difficile ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, en tout cas, moi, ces cérémonies m'occupent pas mal puisqu'il faut que le ministère de l'Intérieur assure la sécurité et la sécurité des dizaines de chefs de l'Etat et que Monsieur TRUMP et d'autres soient là, c'est superbe parce que ça veut dire qu'il y a eu cette élection lorsque Notre-Dame a brûlé et aujourd'hui, c'était un événement planétaire, ça l'est encore pour sa reconstruction. J'en suis très heureux et j'espère qu'à l'unisson des coeurs français, et même au-delà, nous célébrerons justement cette reconstruction de Notre-Dame de Paris.

BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup, Bruno RETAILLEAU. Ce soir, 20 h, Michel BARNIER, invité de TF1, répondra aux questions de Gilles BOULEAU à quelques heures d'une motion de censure à l'Assemblée. Merci, Adrien GINDRE. On va se retrouver dans quelques instants pour la suite.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2024