Interview de M. Antoine Armand, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à France 2 le 3 décembre 2024, sur la perspective d'une motion de censure et le budget pour 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Antoine Armand - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
  • Julien Arnaud - journaliste

Média : France 2

Texte intégral

JULIEN ARNAUD
Alors, c'est vrai qu'on est content d'entendre votre voix, Antoine ARMAND en cette matinée un peu particulière, cette veille de motion de censure. La première question est simple : est-ce que c'est votre toute dernière interview en tant que ministre de l'Economie ou pas ?

ANTOINE ARMAND
Ce sont les députés qui décideront lors de la motion de censure.

JULIEN ARNAUD
Mais on connaît déjà le résultat, non ?

ANTOINE ARMAND
Ils décideront… Non, on ne connaît pas le résultat.

JULIEN ARNAUD
Ah bon ?

ANTOINE ARMAND
Parce que vous savez quel serait le résultat ? C'est l'instabilité pour le pays. C'est l'instabilité économique et financière. Et nous ne les connaissons pas pour une autre raison, c'est qu'il s'agit d'une décision individuelle. Vous avez, demain ou après-demain, 577 députés qui auront dans leur âme et conscience à faire le choix ou de l'opposition systématique de l'instabilité économique des secteurs perdants. J'entendais votre sujet ; je dois vous dire que ce n'est pas exact. Tous les secteurs seront perdants parce que dans une économie où les taux d'intérêt augmentent, dans une économie où un pays n'a pas de budget, dans une économie qui plonge dans l'incertitude, il n'y a pas de secteurs qui gagnent. Il n'y a pas de Français qui gagnent, il n'y a pas d'entreprises qui gagnent.

JULIEN ARNAUD
Cela veut dire que vous avez encore un petit espoir, dans votre for intérieur, que la situation soit sauvée ?

ANTOINE ARMAND
Cela veut dire que les parlementaires et les députés ont le choix de ne pas plonger le pays dans l'incertitude et dans l'instabilité.

JULIEN ARNAUD
Oui mais ils ont déjà répondu. Vous avez entendu hier tous les tous les présidents de groupe, c'est très clair.

ANTOINE ARMAND
Certains ont dit qu'ils ne voteraient pas la motion de censure. Peut-être que d'autres le feront. Vous savez, il n'y a pas de fatalité. Le Premier ministre s'exprimera ce soir. Il l'a dit hier, il n'y a pas aujourd'hui de résignation à avoir sur une classe politique qui peut être à la hauteur du moment. Pourquoi ? Non, mais parce qu'il faut expliquer pourquoi.

JULIEN ARNAUD
C'est important ce que vous dites. Est-ce qu'en off, entre guillemets, il y a des députés qui vous disent « Moi, je ne voterai pas la censure. Je ne suis pas d'accord avec ce que dit le président de groupe » ?

ANTOINE ARMAND
Ça leur appartient et on verra quel sera leur choix au moment du vote. Ce qu'il faut expliquer, c'est ce qui se passera, ce sont les effets. Les effets d'abord pour les ménages, les effets pour les urgences que nous avons à traiter, les effets pour tout le pays : l'impôt sur le revenu qui augmente, les agriculteurs et les territoires d'outre-mer qui ne seront pas soutenus…

JULIEN ARNAUD
On a expliqué en long, en large et en travers mais visiblement, cela ne prend pas. Et les présidents de groupe maintiennent quand même leur avis de censure.

ANTOINE ARMAND
Je ne suis évidemment pas d'accord avec ça. Ce n'est pas une question de prendre ou pas... La question n'est pas de savoir si les présidents de groupe réagissent ou pas ; c'est que les Français comprennent qu'aujourd'hui, le pays est face à un tournant.

JULIEN ARNAUD
Alors, racontez-nous comment vous avez vécu vous-même ce tournant hier parce que vous étiez dans le bureau de Michel BARNIER avec votre collègue du Budget, Laurent SAINT-MARTIN, au moment où Michel BARNIER reçoit le coup de fil - c'est ce que raconte Le Parisien ce matin - de Marine Le PEN. Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ?

ANTOINE ARMAND
Mais je ne commente pas les échanges qu'on a en privé avec le Premier ministre, avec mes collègues du Gouvernement. Ce que je peux vous dire, c'est que le Gouvernement de Michel BARNIER, il a été ouvert dès le premier jour à trouver des avancées qui contentaient l'ensemble des forces politiques représentées au Parlement et qui posent une question au fond, c'est les partis politiques qui, aujourd'hui, s'annoncent voter la censure, est-ce qu'ils avaient l'intention, à un moment, d'avoir un compromis ou est-ce qu'au fond, ils déplaçaient sans cesse la ligne rouge pour trouver une excuse à leur irresponsabilité ? Cette question qui se pose.

JULIEN ARNAUD
Alors là, c'est le RN dont vous nous parlez.

ANTOINE ARMAND
Mais pas seulement.

JULIEN ARNAUD
Est-ce que le RN a été de mauvaise foi dans les négociations ?

ANTOINE ARMAND
Pardon, mais pas seulement.

JULIEN ARNAUD
Alors restons sur le RN et on verra les autres après. Sur le RN d'abord, est-ce que le RN a été de mauvaise foi ?

ANTOINE ARMAND
Sur le Rassemblement national, je constate que le dimanche, Marine Le PEN dit " s'il y a une augmentation des retraites, une baisse des retraites ou un déremboursement des médicaments, nous ne pourrons pas en l'état ne pas voter la censure. "

JULIEN ARNAUD
C'est " ou " et pas " et " à ce moment-là.

ANTOINE ARMAND
Le premier ministre parle de déremboursement des médicaments puis, le parti de Marine Le PEN parle des retraites. Qu'est-ce que cela veut dire ?

JULIEN ARNAUD
Cela veut dire que vous avez été naïfs peut-être.

ANTOINE ARMAND
Non, cela veut dire que…

JULIEN ARNAUD
Cela veut dire que vous avez cru à la parole de Marine Le PEN, alors qu'en réalité, cela ne servait à rien de négocier avec elle.

ANTOINE ARMAND
Je comprends le commentaire que vous voulez en faire.

JULIEN ARNAUD
Non, c'est la question que je vous pose, c'est vous-même qui êtes en train de l'induire.

ANTOINE ARMAND
Je comprends le commentaire que vous voulez en faire. Mais vous vous rendez compte qu'on parle de l'avenir économique du pays ici ? Ce n'est pas de la naïveté que d'essayer de trouver un compromis et d'avoir, dans la situation exceptionnelle qu'on vit, un esprit de responsabilité qui consiste à se dire " oui, nous avons été au bout du dialogue. Nous avons fait le maximum pour que les forces politiques au Parlement puissent ou soutenir ou ne pas censurer ce budget. " Parce que ce n'est pas le budget qu'on censure, ce n'est pas le Gouvernement qu'on censure ; derrière, c'est le pays qu'on met en danger, c'est le pays qu'on abîme. Et cela, je le dis sans aucune dramatisation.

JULIEN ARNAUD
Un peu quand même.

ANTOINE ARMAND
Non, mais je le dis sans dramatiser… Mais je ne suis pas là non plus pour faire du relativisme. Parce que demain, si les taux d'intérêt augmentent, si les Français sont touchés dans leur épargne, si l'impôt sur le revenu augmente pour 380 000 ménages et pour 18 millions de foyers, qu'il augmente sensiblement ; qui en sera responsable ? Qui en paiera les conséquences ? Les Français d'abord.

JULIEN ARNAUD
Est-ce que vous pourriez aller un peu plus loin encore dans les concessions ce matin ? Est-ce qu'il y a encore des marges de négociation avec le RN ? Sur les retraites peut-être par exemple ? Ou est-ce que vous dites " Non, ça y est, c'est terminé " ?

ANTOINE ARMAND
Pour l'ensemble des forces politiques qui se sont déclarées voulant voter la censure, ce qu'on peut constater, c'est qu'il n'y a pas vraiment de lignes rouges précises. Elles changent à chaque fois.

JULIEN ARNAUD
Donc ça ne sert à rien de faire de nouvelles concessions ?

ANTOINE ARMAND
Le parti socialiste, qui était naguère un parti de Gouvernement, a envoyé in extremis le dimanche une lettre dans laquelle il y a une cinquantaine de points ou une vingtaine de points qui sont considérés comme des lignes rouges. Est-ce que vous pouvez sérieusement considérer que quand vous voulez sauver le pays, quand vous voulez éviter de plonger le pays dans l'incertitude, c'est la manière dont vous vous comportez ? Je ne crois pas. Chacun devra aussi être à la hauteur des responsabilités, pas seulement au moment du vote, mais le lendemain du vote.

JULIEN ARNAUD
Sur le sujet des retraites, parce que c'est là-dessus que tout achoppe en réalité. Si vous revenez à la situation initiale, ça coûtera aux finances publiques en gros 3 milliards et demi d'euros. Est-ce que vous ne dites pas le fait qu'il y ait la censure, ça coûtera finalement beaucoup plus cher au pays ? Est-ce que vous ne regrettez pas de ne pas avoir avancé aussi là-dessus ?

ANTOINE ARMAND
Vous voyez bien ce qui s'est passé. Nous avons avancé sur les allègements de cotisations sociales. Nous avons avancé sur la taxe sur l'électricité. Nous avons avancé sur le déremboursement des médicaments. Et à chaque fois, nous l'avons fait en compensant les mesures. Parce que notre objectif, c'est bien de réduire le déficit à 5% dans un pays qui a des difficultés à réduire sa dépense publique.

JULIEN ARNAUD
Ce n'est pas ce que dit Marine Le PEN.

ANTOINE ARMAND
Et donc nous le faisons en responsabilité. A quoi jouent les oppositions ici ? Elles jouent à dégrader le budget jusqu'à ce qu'il soit insoutenable. La responsabilité du Premier ministre, c'était de dire " à un moment, en fonction de l'équilibre budgétaire du budget, nous ne pouvons pas aller plus loin. " C'était sa responsabilité. C'est aussi quelque chose que les Français comprennent. C'est aussi quelque chose que les entreprises comprennent. Regardez depuis hier, la Confédération des petites et moyennes entreprises, l'Union des entreprises de proximité, le MEDEF, les agriculteurs, ils demandent un budget. Ce n'est pas seulement le Gouvernement, c'est le pays qui a besoin d'un budget.

JULIEN ARNAUD
Marine Le PEN semble-t-il, vous en veut de ne pas l'avoir assez bien traité, sur la forme également, de ne pas avoir tenu compte plus tôt de ses remarques et de ses critiques. Elle vous en veut peut-être aussi à vous, Antoine ARMAND, d'avoir dit, quand vous êtes arrivé à Bercy, que le RN n'était pas dans l'arc républicain. Est-ce que vous, et peut-être Michel BARNIER, avez commis des erreurs à ce moment-là ?

ANTOINE ARMAND
En ce qui me concerne, quelles que soient les valeurs qui sont différentes, antagonistes, j'ai toujours respecté les fonctions et les personnes. Quand j'étais parlementaire, quand j'étais rapporteur, quand j'étais président de commission, et l'ensemble du Gouvernement l'a fait…

JULIEN ARNAUD
Donc ils sont de mauvaise foi quand ils disent ça ?

ANTOINE ARMAND
Toutes les forces politiques qu'ils souhaitaient, ont été reçues par le Gouvernement et le travail a été fait. Je crois qu'ici, c'est quelque chose de plus profond qui se joue. Soit on reste dans la posture, soit on veut faire tomber un Gouvernement au risque d'abîmer le pays et de pénaliser les Français, soit on fait l'effort. On fait l'effort de se hisser à la hauteur du moment. On fait l'effort de se hisser dans ce moment immense de responsabilité que les Français perçoivent bien et on agit différemment.

JULIEN ARNAUD
Expliquez-nous, que va-t-il se passer en cas de censure ? L'Opinion nous dit : " C'est un saut dans l'inconnu que va connaître la France ? " Il se passe quoi concrètement ? Est-ce que vous, par exemple, vous restez en poste ou bien est-ce que du jour au lendemain, vous pliez… vous rangez vos cartons et vous partez ?

ANTOINE ARMAND
Vous savez, mon sort personnel dans la situation est vraiment la chose la moins importante.

JULIEN ARNAUD
Bien sûr. Je vous demande ça pour des raisons que les Français sachent si le pays sera tenu ou pas.

ANTOINE ARMAND
Il y a des procédures qui permettent à un Gouvernement, si la censure a été votée, de tenir évidemment. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les conséquences, elles sont directes, elles sont immédiates et elles sont importantes. Personne ne peut prétendre, aujourd'hui, qu'il n'y aurait pas un impact considérable. Je vous donne trois éléments. Le premier, c'est directement pour les ménages. 380 000 ménages qui ne payaient pas d'impôts sur le revenu, qui en paieront ; 18 millions de foyers qui paieront davantage d'impôts. Vous avez, aujourd'hui - deuxième conséquence - des personnes qui vivent dans des situations d'urgence et de détresse importante : les agriculteurs, nos compatriotes dans les Outre-mer. Et puis, troisième conséquence, c'est l'incertitude économique et financière d'un pays qui est tout simplement dépourvu de budget.

JULIEN ARNAUD
Et on a vu les conséquences avec Axel De TARLE. Il faut qu'on regarde quand même sur l'après. Une autre coalition vous semble-t-elle possible ? Et si oui, laquelle ?

ANTOINE ARMAND
Pardon, on n'est pas dans ce moment-là.

JULIEN ARNAUD
Quand même un petit peu. Visiblement, Emmanuel MACRON passe des coups de fil depuis l'Arabie Saoudite pour essayer de trouver un successeur à Michel BARNIER.

ANTOINE ARMAND
On est dans le moment où, dans quelques heures, des élus de la nation, des parlementaires de la République, auront le choix ou de mêler leur voix à tous les contraires. Vous avez vu la motion de censure déposée par l'extrême-gauche qui vilipende l'extrême-droite. L'extrême-droite s'apprête à la voter à pieds joints.

JULIEN ARNAUD
C'est vrai qu'il y a un paragraphe très dur sur le RN.

ANTOINE ARMAND
Au fond, qu'est-ce que ça montre ? Ça montre que la seule manière qu'ils ont de se réunir, c'est d'abîmer le pays, de pénaliser les Français, pour, au fond, au nom d'une opposition, systématise qui parfois relève de l'obsession à l'encontre d'un Gouvernement qui est là pour prendre ses responsabilités.

JULIEN ARNAUD
Emmanuel MACRON doit prendre la parole ?

ANTOINE ARMAND
Le Président de la République prend la parole au moment où il le juge opportun. Là, que vit-on ? On vit un moment exceptionnel où chaque parlementaire aura le poids de sa responsabilité en fonction du vote qu'il effectue demain ou après-demain.

JULIEN ARNAUD
En attendant une possible prise de parole d'Emmanuel MACRON, il y aura ce soir une prise de parole du Premier ministre Michel BARNIER et vous pourrez le suivre en intégralité dans le journal de 20h de France 2. Ce soir, ce sera évidemment un événement important en direct à la veille du vote sur cette motion de censure. Merci beaucoup, monsieur le ministre.

ANTOINE ARMAND
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2024