Déclaration de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, sur les négociations en cours relatives à l'accord d'association entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, suivie d'un débat et d'un vote, au Sénat le 27 novembre 2024.

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Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Comme l'a souhaité le Premier ministre, nous avons aujourd'hui l'occasion d'avoir un débat démocratique sur les négociations relatives à l'accord d'association entre l'Union européenne et les pays du Mercosur. Ce débat est essentiel car il était inconcevable, sur une question d'une portée aussi capitale, de ne pas associer les parlements nationaux.

Je m'inscris pleinement dans les propos de ma collègue Annie Genevard et je réaffirme avec force la détermination du Président de la République et du Gouvernement sur ce sujet.

Ces négociations, initiées il y a 25 ans, ont été motivées par des intérêts communs, des affinités entre Union européenne et pays du Mercosur, deux ensembles engagés à dialoguer et à commercer, pour des raisons géopolitiques légitimes.

Pour autant, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, ne prêtons pas le flanc au somnambulisme bureaucratique. Ne nous livrons pas à la négociation automatique. N'acceptons pas un accord qui, tel que formulé aujourd'hui par la Commission, est inacceptable. Si cette négociation, d'ailleurs, dure depuis plus de 20 ans, ce n'est pas un argument pour l'achever. Ça prouve justement que quelque chose ne va pas.

Nous l'avons rappelé à la Commission européenne : l'accord d'association entre l'Union européenne et le Mercosur n'est pas qu'un sujet technique. Il engage des conséquences majeures pour nos sociétés, nos territoires et nos acteurs économiques. Les agriculteurs, dans la rue, nous le rappellent aussi, en construisant des murs avec des parpaings pour représenter la distance qui les sépare de l'administration européenne.

La mobilisation remarquable de plus de 600 parlementaires français, qui ont adressé une lettre à la présidente de la Commission européenne, témoigne de l'implication exemplaire de la représentation nationale. Cette force d'engagement nous oblige et nous rappelle que les grandes décisions européennes doivent toujours puiser leur légitimité dans les aspirations et les préoccupations de nos concitoyens. Toutes les opinions doivent être entendues, dans une concertation transparente et démocratique.

C'est pourquoi le Gouvernement est pleinement mobilisé pour faire entendre ses positions. J'étais à Bruxelles mardi dernier et j'ai rappelé au prochain commissaire au commerce, au prochain commissaire à l'agriculture, notre opposition ferme à la vision actuelle de l'accord. Je l'ai redit hier aux représentants des groupes politiques au Parlement de Strasbourg. Et, avec nos collègues du Gouvernement, nous sensibilisons régulièrement nos homologues à travers l'Europe.

Soyons clairs : la Commission doit respecter le mandat que le Conseil lui a donné. L'accord doit être un accord d'association mixte. Un changement de forme qui permettrait le contournement du vote à l'unanimité des États membres et de la ratification par les parlements nationaux serait inacceptable et porterait atteinte au respect des compétences des États membres. Ce serait contraire au mandat de 1999, auquel la Commission ne cesse d'ailleurs de se référer.

Le Gouvernement déploie un effort sans précédent pour partager nos préoccupations avec nos partenaires et souligner à leur attention le caractère dangereux de cet accord. Ce discours permet de susciter des préoccupations similaires aux nôtres, comme vient de le rappeler la ministre de l'agriculture. La version finale de l'accord n'étant pas encore connue, beaucoup d'États membres n'expriment pas encore leur position. Il revient à chacun de ces États de donner publiquement leur position officielle le moment venu. Mais il suffit néanmoins d'observer les déclarations publiques de figures majeures de la vie politique dans plusieurs pays européens, tels que la Pologne, ou encore l'interview récente donnée par la présidente du Parlement européen pour constater que ce débat est désormais pleinement porté sur la scène publique européenne et que nombre de nos partenaires partagent nos préoccupations, nos interrogations, nos inquiétudes. Les inquiétudes de nos agriculteurs sont entendues aussi chez nos voisins. Et il me semble que la dynamique va dans notre sens, même si la vigilance doit bien sûr rester pleinement de mise.

Que défendons-nous ? La ministre de l'agriculture vient de vous exposer avec clarté les menaces importantes que la version actuelle de l'accord fait peser sur l'avenir de nos filières agricoles. Elle a parfaitement démontré que l'agriculture ne pourra jamais constituer une variable d'ajustement dans ces négociations. Ce que nous défendons, c'est la qualité de notre agriculture. Ce que nous défendons, c'est la place de nos agriculteurs dans les chaînes de valeur. Ils ne doivent pas être les oubliés de l'histoire commerciale. Nous pourrions rappeler, comme Fernand Braudel l'écrivait dans "L'identité de la France", que l'agriculture exprime à elle seule une certaine conception de la France. Elle demeure aujourd'hui l'énergie de nos sociétés, nourrissant les populations, façonnant les paysages et jouant un rôle clé dans la transition écologique. Elle est aussi une activité économique qu'il faut soutenir pleinement.

Et rappelons-le, dans ces moments de bouleversements géopolitiques : ce n'est pas qu'une question identitaire ou sociale, mais bien un enjeu stratégique. Ce que nous défendons avec force, c'est notre souveraineté alimentaire, au cœur de la vision de la souveraineté européenne exprimée par le Président de la République à la Sorbonne et à Versailles. Nous voyons émerger une véritable géopolitique de l'alimentation, avec des puissances hostiles, comme la Russie et peut-être demain d'autres, qui instrumentalisent les relations agricoles. Et, du Covid à l'Ukraine, les crises récentes nous rappellent une leçon simple : nous ne pouvons pas être dépendants des autres quand notre sécurité est en jeu.

Ce que nous défendons également, c'est un monde agricole européen, à qui on donne les moyens de se battre à armes égales avec ses concurrents internationaux. Souveraineté alimentaire, mais aussi sécurité économique. L'Europe ne peut pas être le dernier dindon de la farce de la mondialisation quand les autres se protègent. Le libre-échange, oui, mais selon des critères de réciprocité et de loyauté. Quand on demande à nos agriculteurs, nos entreprises, de s'appliquer des normes sur le plan environnemental ou sanitaire, il est normal de demander à nos partenaires de s'appliquer les mêmes et de pouvoir le contrôler.

Si le temps agricole est le temps de la terre, il faut protéger ce temps long, ce cycle des saisons. Or cet accord, dans sa forme actuelle, est en décalage avec les défis environnementaux de notre époque. La France s'évertue depuis plusieurs années à défendre une politique commerciale équilibrée et durable. Il en va de la cohérence de nos politiques publiques. Dans tous les secteurs, nous imposons à nos producteurs des normes de production de plus en plus exigeantes au nom de l'environnement. Et nous ne pouvons pas, en matière de politique commerciale, faire entrer sur le marché de l'Union européenne des produits moins-disants. Ce serait d'ailleurs contradictoire avec le nouveau paradigme que la Commission européenne a elle-même défini en 2021, en mettant les enjeux de durabilité au cœur des accords de libre-échange. Et donc nous voulons, tout simplement, que cette approche s'applique pleinement à l'accord UE-Mercosur. Et dès lors, nous ne pouvons pas accepter qu'un accord négocié en 2024 ne s'aligne pas sur les standards les plus exigeants, tels que ceux affirmés récemment par l'accord entre l'Union Européenne et la Nouvelle-Zélande, par exemple.

Je le redis avec conviction : nous n'accepterons pas un texte qui ne ferait pas de l'Accord de Paris un élément essentiel. Et un élément essentiel, ça ne veut pas dire une référence vague ou purement principielle. Un élément essentiel signifie qu'en cas de méconnaissance de l'Accord de Paris par l'une des parties à l'accord UE-Mercosur, les bénéfices de ces derniers seraient suspendus pour la partie fautive. Et nous n'acceptons pas davantage un accord dont les dispositions en matière de développement durable seraient dépourvues de force exécutoire, autrement dit d'un dispositif de sanction.

Nous ne sommes pas seuls à partager ces convictions, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. De nombreux États sont très inquiets des conséquences environnementales et agricoles de cet accord et sont susceptibles de porter avec nous des demandes additionnelles pour protéger nos filières. Pour notre part, nous estimons qu'il faudrait un rééquilibrage important de l'accord, en y ajoutant des conditions additionnelles robustes qui concernent l'environnement et les accords de Paris d'une part, et un mécanisme de sauvegarde particulièrement protecteur dans le domaine agricole d'autre part. À l'évidence, ceci démontre le besoin de prendre davantage de temps sur cet accord, ainsi que le Premier ministre et le Président de la République l'ont indiqué à de nombreuses reprises.

Ce débat, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous invite à une réflexion plus large sur notre rapport au commerce international, alors qu'aujourd'hui même, la nouvelle Commission européenne a été confirmée par le Parlement européen. Nous ne devons pas laisser la Commission avancer aveuglement vers ce qui a mené à la montée du populisme dans le monde, en Europe, comme aux États-Unis et ailleurs.

Regardons l'élection américaine et le rejet des accords de libre-échange des années 1990, leur effet sur la désindustrialisation de la Rust Belt, qui a porté Donald Trump au pouvoir. Est-ce le moment d'appuyer sur l'accélérateur ou n'est-il pas plutôt temps de prendre un petit moment de réflexion et de prudence ? Partout, les règles du jeu changent. Le soutien à l'industrie, les barrières douanières, la fin de la naïveté commerciale, défendre nos intérêts – comme les autres ne s'en privent pas –, c'est aussi ça, l'Europe puissance. Le projet d'accord commercial avec le Mercosur nous place dans une situation défensive et cela n'est pas acceptable.

Cela ne veut nullement dire que la France et le Gouvernement souhaitent que l'Europe se replie sur elle-même ou se ferme au commerce. L'Europe et la France sont des grandes puissances exportatrices. Nos agriculteurs, qui exportent l'excellence française au-delà de nos frontières, le savent mieux que quiconque. Dans le domaine industriel, nous avons besoin d'accords de commerce pour continuer de diversifier nos approvisionnements, d'ouvrir de nouveaux débouchés et d'accompagner nos entreprises dans la sécurisation de leurs relations d'affaires. Nous avons également le devoir de soutenir nos acteurs économiques sur les marchés internationaux pour les aider à faire face au contexte de fortes turbulences géopolitiques que nous connaissons. Et nous serons d'ailleurs très vigilants à ce que l'accord ne soit pas dégradé pour ce qui concerne son volet industriel.

C'est pourquoi nous devons signer des accords commerciaux répondant à des intérêts stratégiques réciproques. Et plusieurs exemples récents nous montrent que c'est possible. Je pense par exemple à l'accord UE-Chili améliorant l'accès au lithium ou encore à l'accord UE - Nouvelle-Zélande sur l'écologie. De tels accords – complets, équilibrés et politiques – peuvent être alors des outils géopolitiques puissants. Car oui, l'Union européenne doit, peut nouer des partenariats internationaux à travers le monde. Et oui, les pays du Mercosur sont des pays avec lesquels nous partageons une communauté de valeurs, des intérêts économiques et géostratégiques importants. Le Président de la République l'a du reste rappelé avec conviction lors de son déplacement en Argentine et au Brésil il y a quelques jours. Le lien qui unit l'Europe et l'Amérique latine est fondamental, qu'il s'agisse d'affronter les défis globaux ou de tisser des relations économiques durables.

Mais je le répète, Mesdames et Messieurs les Sénateurs : les accords que nous concluons doivent être équilibrés, justes, protéger nos intérêts – comme n'hésitent pas à le faire les autres, sur le reste de la planète – et le modèle de société que nous défendons au nom de nos préférences collectives. Il s'agit là de trois points essentiels, non négociables.

Depuis cette tribune, je tiens à vous assurer de ma détermination absolue et de [celle] de l'ensemble du Gouvernement à marteler notre position et à partager ces arguments de bon sens avec nos partenaires.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, votre voix compte, elle est cruciale. Vous allez voter sur la déclaration du Gouvernement qui propose de s'opposer à l'accord UE-Mercosur tel que la Commission l'envisage aujourd'hui. Votre mobilisation constante est entendue à travers l'Europe, elle est entendue de vos collègues parlementaires européens. Vous êtes des acteurs clés de ce combat. La diplomatie parlementaire en direction de vos homologues de tous les pays européens et vos relais à Strasbourg et à Bruxelles sont des leviers puissants pour porter nos préoccupations et nos exigences au plus haut niveau.

Je vous remercie.


Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Après cette réponse très complète de ma collègue Annie Genevard, je serai bref.

Je voudrais saluer en effet l'unanimité que l'on a entendue sur ces bancs pour rejeter l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, tel qu'il est proposé aujourd'hui par la Commission.

C'est un message fort que vous envoyez, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, à nos homologues européens. C'est un message fort que vous envoyez à nos agriculteurs, qui travaillent dur, qui s'inquiètent, dont la colère légitime s'exprime aujourd'hui et qui est soutenue par notre Gouvernement et tous les parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est un message fort qui sera entendu dans les autres parlements, qui sera entendu dans les autres gouvernements, qui est entendu au Parlement européen. N'en doutez pas, quand vous voyez l'évolution des positions de nos voisins qui partagent nos préoccupations, nos inquiétudes, dont les agriculteurs partagent les préoccupations et les inquiétudes de nos agriculteurs.

J'ai entendu, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, à la fois votre opposition sur le fond de cet accord, qui aujourd'hui ne respecte pas l'équité, la réciprocité des normes environnementales, la garantie de l'Accord de Paris comme clause essentielle, les clauses miroirs sur les standards que nous imposons – les normes que nous imposons à nos propres entreprises, nos industries, nos agriculteurs –, qui ne respecte pas l'équité commerciale, alors que précisément un commerce libre, équitable, loyal est celui que nous défendons, celui que la France porte pour une Union européenne moins naïve sur le plan commercial et international. Vous vous y opposez sur le fond, mais aussi bien sûr – et ma collègue Annie Genevard vient de le rappeler – sur la forme et le procédé qui serait celui d'une scission de l'accord et qui contournerait les parlements nationaux. Et c'est pour cela qu'il nous a paru si important de venir avoir ce débat avec vous aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les Sénateurs.

Vous avez été nombreux à rappeler le contexte géopolitique, la concurrence accrue de la Chine et des États-Unis qui n'hésitent pas à redoubler de protectionnisme, de soutien à leurs filières agricoles, comme à leurs industriels, face aux intérêts européens et que nous ne pouvons pas être les derniers naïfs à ne pas défendre nos propres intérêts.

Je veux vous rappeler, vraiment, l'engagement du Gouvernement à continuer à se mobiliser, tous les ministres auprès de nos partenaires, de nos homologues, à faire bouger les lignes. Le vote unanime d'aujourd'hui sera un message fort qui sera envoyé.

Mais je voudrais peut-être, en dernier point, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous rappeler aussi l'importance de la diplomatie parlementaire, que vous êtes nombreux à connaître et pratiquer sur ces bancs. Les messages que vous pourrez transmettre à vos homologues, à vos partenaires des différents groupes du Parlement européen ou des parlements nationaux, les délégations que vous pourrez mener pour continuer à porter la parole de la France et à représenter la voix de nos agriculteurs pèsera aussi dans les débats des prochains mois et des prochaines années. C'est tous ensemble, le Gouvernement et les parlementaires réunis, que nous pourrons continuer à porter cette voix et à le dire très clairement : cet accord, en l'état, tel qu'il est proposé par la Commission, n'est pas acceptable et nous continuerons à nous mobiliser pour nos agriculteurs.

Merci beaucoup.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2024