Interview de M. Bruno Retailleau, ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 4 décembre 2024, sur la perspective d'une motion de censure et le budget 2025.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Bruno RETAILLEAU.

BRUNO RETAILLEAU
Bonjour Sonia MABROUK.

SONIA MABROUK
Et bienvenu à la grande interview sur CNEWS et Europe 1. Vous êtes le ministre de l'Intérieur. Il reste encore quelques heures avant la très probable censure du Gouvernement. Michel BARNIER, croit encore possible de ne pas être censuré. Emmanuel MACRON ne peut croire, a-t-il fait savoir, qu'il y aura une telle censure ? Vous nous avez habitués, Monsieur le Ministre, à un discours de vérité. Est-ce que c'est déjà terminé, tout cela ?

BRUNO RETAILLEAU
Rien n'est terminé, tant qu'on n'a pas voté et décompté les votes. Mais on voit bien qu'on s'achemine vers une censure. Pourquoi se le cacher ? Chacun se disait : " Mais non, on va rester dans un cadre où la raison prédominera ". Non, on a quitté ce cadre pour l'irrationnel et on va voir le Rassemblement national voter une motion de censure de LFI, des Insoumis qui les insultent, ils vont voter une motion de censure des Insoumis qui les insultent, puisque dans cette motion de censure, le Premier ministre l'a indiqué hier soir, il y a cette phrase qui est terrible, puisqu'il accuse, notamment par la motion de censure, LFI accuse le Premier ministre d'avoir cédé aux pires obsessions de l'extrême droite. Ici, d'ailleurs, des textes que je porte, une loi immigration et notamment la modification de l'Aide médicale d'État, vous voyez ?

SONIA MABROUK
Vous avez été l'un des premiers, Bruno RETAILLEAU, à dénoncer cette collusion supposée au réel, entre le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire. Le Rassemblement national qui affirme qu'une motion de censure, ça ne vaut pas une alliance en réalité. Que leur répondez-vous ?

BRUNO RETAILLEAU
On ne mêle pas ses voix, les voix du RN, aux voix des Insoumis. Les Insoumis qui, il y a quelques jours, je veux le rappeler, ont déposé une proposition de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale. Cette proposition de loi a pour objectif d'abroger, pardonnez-moi, d'abroger le délit d'apologie de terrorisme, c'est cela. Il faut se rappeler ce qu'était le projet politique, notamment pendant les législatives de la gauche, de cette gauche-là, où il fallait revenir sur la loi séparatiste qui combat l'islamisme, où il fallait ouvrir toutes les portes, toutes grandes d'ailleurs, pour faire place à une immigration de masse, etc. Moi, je pense que la politique, ce sont des convictions et il n'y a pas pire en politique que de voter contre ces convictions.

SONIA MABROUK
C'est très important ce que vous dites, mais alors que répondez-vous à ceux qui renvoient le camp présidentiel à l'alliance qui s'est formée à l'entre-deux-tours des législatives entre Macroniste et LFI, les mêmes LFI dont vous avez rappelé, si je puis dire, le pédigré et le parcours à l'instant ?

BRUNO RETAILLEAU
Je ne suis pas comptable de cette alliance.

SONIA MABROUK
Vous avez participé à un Gouvernement sous l'autorité aussi d'un Président, Emmanuel MACRON.

BRUNO RETAILLEAU
Non, mais je participe à un Gouvernement dont le chef du Gouvernement, c'est Michel BARNIER. Ce n'est pas du tout le même cas de figure où précédemment, Emmanuel MACRON était président de la République, un hyper-président, mais il cumulait aussi, finalement, la fonction de chef de Gouvernement. Ce qui a rendu possible, pour moi, l'entrée au Gouvernement, c'est que désormais, les institutions étaient remises en place, le président Qui préside, un chef de Gouvernement qui, selon l'article 20 de la Constitution de la Cinquième République, finalement, conduit, détermine et conduit la politique de la nation.

SONIA MABROUK
Monsieur RETAILEAU, nous sommes à un moment important. Certains diraient grave, on va parler des conséquences. L'une des questions fondamentales, me semble-t-il, est de savoir à qui on va imputer la situation à partir de ce soir et demain ? Qui sera comptable et responsable d'un probable chaos, selon vous ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est le chaos, c'est le danger, mais cette curieuse alliance de la carpe et du lapin, je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale, aux questions d'actualité, entre les Insoumis, l'extrême gauche et le Rassemblement national, c'est finalement une mélenchonisation du Rassemblement national et le Rassemblement national, écoutez-moi bien, c'est terrible, parce qu'il y a deux motions de censure. Il y a la motion de censure du Rassemblement national et la motion de censure de LFI, et de la gauche. C'est le Rassemblement national qui va voter la motion de censure de LFI. Ça veut dire qu'ils apportent du crédit, une victoire à Monsieur MELENCHON. Oui, c'est la mélenchonisation de Madame Marine Le PEN. Et Marine Le PEN accepte donc, finalement, la domination politique et idéologique des Insoumis, en apportant les voix de son groupe.

SONIA MABROUK
Attendez, vous voulez dire que Marine Le Pen est soumise aux Insoumis ?

BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, il y a deux motions, encore une fois, celle qui est rédigée par le Rassemblement national et l'autre qui est rédigée par les Insoumis, par monsieur, sous la dictée de Monsieur MELENCHON. Et Madame Le PEN apporte son crédit à la motion de censure. Ce n'est pas LFI qui va voter la motion de censure déposée par Marine Le PEN, par le Rassemblement national, c'est l'inverse, c'est donc bien une victoire qu'elle va donner ce soir. Et j'invite les électeurs du Rassemblement national et les Français, si cette motion de censure est votée. Ils écouteront les commentaires de Madame PANOT et des autres ce soir et ils verront, ils vont plastronner, ils vont crier leur victoire. Cette victoire aura été possible par ce fait que Marine Le PEN et son groupe auront mêlé leur voix à celle des Insoumis qui veulent le chaos. C'est un principe politique pour eux.

SONIA MABROUK
Qui a permis cette situation ? Qui est à l'origine de telle situation ? Qui est, selon certains, l'artisan du chaos, l'ingénieur de cette…

BRUNO RETAILLEAU
L'ingénieur du chaos, ce sont d'abord les Insoumis. Ils ont priorisé…

SONIA MABROUK
Certains font à Emmanuel MACRON l'erreur originelle de la dissolution.

BRUNO RETAILLEAU
Alors, ce n'est pas moi qui vais justifier, ce n'est pas mon rôle d'ailleurs, cette dissolution, cette inexplicable dissolution, mais on sait parfaitement qu'ils ont un but, les Insoumis. Par la désobéissance civile, par exemple, c'est-à-dire le non-respect de la loi, par la brutalisation du débat politique.

SONIA MABROUK
Vous estimez que Marine Le PEN est dans cette logique aujourd'hui ? Elle qui, pendant des mois, voire des années, a mis en place, théorisé, une stratégie de la respectabilité ?

BRUNO RETAILLEAU
Exactement. On passe de la respectabilisation à la mélenchonisation. C'est un moment que je déplore. Je pense que c'est une faute politique. La pire des fautes politiques, j'y reviens, c'est quand on n'est pas sincère. Pourquoi est-ce que les Français sont dégoûtés ? Pourquoi est-ce que la politique désespère les Français ? C'est parce qu'ils sentent que quelque chose sonne faux. Quand on apporte son vote à d'autres convictions que celles que l'on porte, alors on participe à la dévalorisation, à la dévaluation de la parole et des actes politiques.

SONIA MABROUK
Rappelons quand même ce qui est à l'origine de tout cela, c'est le budget, Bruno RETAILLEAU. Est-ce que si, comme on l'entend beaucoup à droite, et peut-être que vous le pensez vous-même, si Michel BARNIER avait vraiment adopté une posture churchillienne, voire même thatchérienne, avec une véritable politique de réduction des dépenses publiques, avec une réduction des agences doublons, est-ce que peut-être le socle commun ou la majorité présidentielle, est-ce qu'il en reste, l'aurait suivi et salué pour son courage ? Nous n'en serions pas là aujourd'hui.

BRUNO RETAILLEAU
Moi, je crois, j'ai des idées qui sont plutôt libérales et je considère que le problème de la France, ce n'est pas un problème que nous ayons trop peu d'impôts, on a trop d'impôts. Je considère qu'il y a trop de dépenses publiques.

SONIA MABROUK
Donc ce budget est un problème ?

BRUNO RETAILLEAU
Je pense que ce budget n'était pas parfait. Ce n'est pas moi qui le dis. Vous savez parfaitement que Michel BARNIER lui-même…

SONIA MABROUK
Est-ce qu'il existe un problème, même, un obstacle ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, mais on l'a très bien vu. D'ailleurs, en réalité, le Rassemblement national s'est allié avec la gauche, notamment à l'Assemblée, lorsqu'il s'est agi de voter le budget pour ajouter des impôts aux impôts et de la dépense à la dépense, évidemment. Par exemple, vouloir voter l'abrogation des retraites, c'est vingt milliards de dépenses supplémentaires. Et c'est surtout l'amputation du pouvoir d'achat des retraités, mais ce que je veux dire par là, c'est que, un, la copie n'était pas parfaite. Simplement, c'était un budget d'urgence. Qu'est-ce qu'il fallait éviter ? Le Premier ministre, à juste raison, s'est expliqué. Il y avait quinze jours pour le faire. Il y avait quinze jours pour éviter à la France une grave crise financière.

SONIA MABROUK
Et maintenant, nous sommes déjà dans l'après. Vous-même, vous avez tiré la sonnette d'alarme, Bruno RETAILLEAU, sur une crise financière. On a entendu les mots de chaos de chienlit et voilà qu'hier, Emmanuel MACRON, depuis Riyad en déplacement, affirme qu'il ne faut pas faire peur aux Français et parler de crise financière. Est-ce qu'il ne vient pas ruiner tout votre argumentaire ?

BRUNO RETAILLEAU
Écoutez, moi, je ne veux pas sonder les reins et les coeurs.

SONIA MABROUK
Mais c'est important, ceux du président, de Marine Le PEN.

BRUNO RETAILLEAU
Simplement, je pense qu'il voit parfaitement, parce qu'il est lucide, le problème arrivé. Mais que le rôle du président de la République en France, c'est d'être un stabilisateur des institutions.

SONIA MABROUK
L'est-il encore ?

BRUNO RETAILLEAU
Il apporte cette parole qui vise à stabiliser, à conjurer, finalement, la peur. Mais je vous le dis, le risque, le danger d'une censure, c'est qu'on dévisse et que les marchés financiers, tout simplement, parce qu'on a une dette astronomique, et je veux le rappeler à nos auditeurs, c'est que la majorité de la dette française, elle est détenue, non pas par des Français, mais par des fonds de pension américains, par des fonds de pension japonais, etc. La majorité de cette dette ne dépend pas de nous.

SONIA MABROUK
Vous êtes en train de dire que nous avons perdu notre souveraineté, que ça va s'aggraver.

BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr.

SONIA MABROUK
C'est quand même un constat grave.

BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, parce que les marchés financiers vont prendre peur. Vous savez, depuis le début de l'année déjà, la valeur de nos grandes entreprises, du CAC 40, c'est comme ça qu'on mesure, a diminué de 4%. Les Allemands, c'est plus 20%. Les Espagnols, c'est plus 18%. Les Américains, c'est plus 30%. Et nous, c'est moins 4 %. On voit cet appauvrissement. Si jamais les marchés prennent peur, qu'est-ce qui se passera ? Il y aura une augmentation des taux. On l'a vu la semaine dernière. Les Français, souvent, quand je disais moi-même qu'on risquait une crise à la grecque, mais dès la semaine dernière, la dette française coûtait plus en termes de taux d'intérêt que coûtait la dette grecque, c'est-à-dire que le crédit de l'économie grecque était supérieur au nôtre, pour ce qui concerne la dette. Donc, il y a vraiment un danger et ceux qui vont vanter la censure ce soir, en réalité, sont en train de jouer le destin de la France et des Français à la roulette russe. Je devrais même dire à la roulette belge. Parce que la roulette belge, c'est quand il y a, dans chaque creux du barillet, une balle.

SONIA MABROUK
Bien sûr, et on voit la situation, mais pourquoi, selon vous, Bruno RETAILLEAU, certainement une partie des Français qui nous écoutent, auditeurs, téléspectateurs, ce matin sur CNEWS/Europe 1, sont inquiets de cette situation, et une autre ne croit pas au chaos, affirmant ou en tout cas constatant que le chaos budgétaire, c'est déjà le cas. Le dérapage déficit, c'est déjà le cas. La perte de souveraineté, c'est déjà le cas. Les mauvais chiffres sur tous les tableaux, c'est déjà le cas. Que répondez-vous à ces Français qui disent : " Compte tenu de la situation, ça ne pourrait pas être si grave " ?

BRUNO RETAILLEAU
Si, ça peut être pire. Si, si, ça peut être bien pire. On l'a vu, en Grèce, on l'a vu en Espagne. Quand vous avez des marchés financiers qui se vengent, c'est-à-dire que vous avez une dette, donc il faut emprunter. Je rappelle qu'on va emprunter 300 milliards l'an prochain. 300 milliards pour payer, justement, une partie de cette dette et les dépenses de l'État, c'est énorme. Je veux redire qu'en 2027, la totalité de l'impôt sur le revenu des Français ne servira uniquement qu'à déponger les intérêts de la dette. Si les taux d'intérêt augmentent, comme ça a été le cas en Espagne, comme ça a été le cas en Grèce, qu'est-ce qui se passe ? Vous avez un problème de pouvoir d'achat, c'est-à-dire que c'est les pensions, c'est les salaires, c'est le pouvoir d'achat qui trinquent. C'est donc ce…

SONIA MABROUK
Quelle situation paradoxale où Marine Le PEN affirme être le bouclier, le défenseur, justement, de ce pouvoir d'achat des Français. Vous-même, vous nous dites que si elle précipite la France ce soir, ce serait être le fossoyeur, si je puis dire, du même pouvoir d'achat ?

BRUNO RETAILLEAU
Elle la fragilise. Je vais vous donner des choses très concrètes pour ce qui concerne le ministère de l'Intérieur. Moi, s'il n'y a pas de budget, il me manque plus de 220 millions pour payer les policiers. Il me manque de l'argent pour faire les nouvelles casernes…

SONIA MABROUK
Et si vous avez le budget de l'année arrière ?

BRUNO RETAILLEAU
Mais non, justement, précisément. Avec le budget de 2024, il me manque, moi, globalement 751 millions d'euros pour déployer des brigades de gendarmerie dans le territoire, pour payer des policiers, pour faire des nouveaux commissariats, pour mener la politique, notamment migratoire, que je souhaite mener. 751 millions d'euros. Donc, quand j'entends que les uns ou les autres disent : " Mais ce n'est pas grave, ce n'est pas grave ", ce sera le budget 2024, mais le budget de 2024, ça veut dire pas d'économie. Il fallait faire soixante millions d'euros d'économie. On ne les ferait pas, c'est pour ça que les marchés vont s'affoler. Je ne le souhaite pas. Qu'on m'entende bien, moi, je ne le souhaite pas. Simplement, je préviens. Je suis un homme politique et je pense qu'un homme politique doit prévenir et surtout anticiper.

SONIA MABROUK
Justement, puisque vous êtes déjà dans l'après, si je peux dire, on va parler de votre action qui va être entravée avec la censure votée. Mais tout d'abord, il y a une phrase qui est passée inaperçue hier de Michel BARNIER. Il a bien sûr évoqué la situation des marchés financiers, ce que l'on risque, mais il a aussi évoqué, le Premier ministre, l'état de tension dans le pays, a-t-il dit, avec de multiples colères, dont celle des agriculteurs, et plus largement un pays sous tension. Vous êtes ministre de l'Intérieur. Vous avez sous vos yeux tout le tableau de bord, si je puis dire, de l'état, de l'état de nerfs de la France. Si le Gouvernement chutait, est-ce que vous êtes inquiet ? Est-ce que vous êtes inquiet parfois de bouffées de violence ? Nous avons des grèves qui arrivent. Est-ce que vous êtes inquiet d'une situation aussi qui peut devenir incontrôlable ?

BRUNO RETAILLEAU
Je pense que dans les mécanismes de crise, il y a toujours une étincelle, c'est le principe de la poudre. Il faut une petite étincelle. On pense que ça n'est qu'une étincelle, que ça ne va pas aller très loin. Mais c'est comme ça qu'il peut y avoir des réactions en chaîne. Moi, ce que je crains, et ça, d'ailleurs, je l'ai bien vu hier à l'Assemblée nationale. Qu'est-ce que veulent les insoumis ? Ils veulent d'abord créer une situation, une sorte de chaos économique et ensuite contraindre le président de la République à démissionner. Ils veulent enchaîner les crises, vous vouez ? Et c'est ça qui est très, très dangereux. Il y a une dynamique révolutionnaire, c'est pour ça que ça m'étonne. Alors, de la part des insoumis, ils le disent, ils l'acceptent, ils l'assument, c'est d'autant plus curieux.

SONIA MABROUK
Ils le théorisent pour certains.

BRUNO RETAILLEAU
Ils le théorisent, évidemment, par exemple, avec la philosophe belge Madame Chantal MOUFFE, cette brutalisation, cette violence dans le débat politique, ils l'ont théorisé. Ce qui est incroyable, c'est que désormais, ils trouvent des alliés sur les bancs de la droite dans l'hémicycle.

SONIA MABROUK
Donc, Marine Le PEN cherche, derrière la censure, la démission d'Emmanuel Macron.

BRUNO RETAILLEAU
Il y a d'autres agendas. Ça n'est pas rationnel, bien sûr.

SONIA MABROUK
Mais vous excluez totalement l'hypothèse…

BRUNO RETAILLEAU
Mais c'est une censure pour rien.

SONIA MABROUK
Un coup d'épée dans l'eau ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est une censure pour rien.

SONIA MABROUK
Pourquoi ?

BRUNO RETAILLEAU
Parce qu'il n'y a pas de débouché politique. Parce que demain, il y a censure, il y aura un nouveau Gouvernement.

SONIA MABROUK
Vous en êtes sûr ?

BRUNO RETAILLEAU
Ça fragilisera.

SONIA MABROUK
Bruno RETAILLEAU, est-ce que vous excluez vraiment définitivement l'hypothèse d'une présidentielle anticipée ? Je pose la question politiquement et techniquement, parce que je le dis, ce sera les femmes et les hommes du ministère de l'Intérieur qui auront à organiser finalement cette élection anticipée.

BRUNO RETAILLEAU
Comme nous avons eu à organiser, dans des délais très très courts, après la dissolution, les élections législatives. Ce que je veux dire, quand je dis : " C'est une censure pour rien ", deux choses. D'abord, il ne peut pas y avoir de débouché en matière de législative, parce que l'Assemblée ne peut être dissoute qu'un an après qu'elle ait été dissous une première fois, c'est-à-dire à l'été prochain. Donc il n'y aura pas d'élection législative. Il n'y aura pas non plus d'élection présidentielle. Le président, encore une fois, est élu pour cinq ans. Il a été élu démocratiquement, légitimement, et moi, qui tiens à l'État. Vous savez, moi, je me suis engagé en politique pour un certain nombre de convictions.

SONIA MABROUK
Vous affirmez ce matin, Bruno RETAILLEAU, qu'Emmanuel MACRON n'est pas le problème, pour poser la question directement. Vous pouvez le dire : " Emmanuel MACRON n'est pas le problème aujourd'hui " ?

BRUNO RETAILLEAU
Mais dans cette censure, on voit bien que l'objectif de ceux qui vont…

SONIA MABROUK
Plus largement, vous avez compris ma question.

BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, bien sûr. Moi, je tiens à l'État. Je vais vous dire pourquoi. Je voudrais parler à ceux qui croient à la France. Je voudrais leur rappeler qu'en France, c'est différent de l'Allemagne, de l'Espagne, c'est l'État qui a fait la nation. L'État précède la nation. Moi, j'ai ce métier que j'exerce aujourd'hui, cette responsabilité, Le régalien, c'est le coeur de l'État et je vois bien qu'il y a une instrumentalisation. On veut déstabiliser le président de la République, déstabiliser les institutions et déstabiliser l'État. Moi, je suis garant de la stabilité aussi de l'État.

SONIA MABROUK
Mais ça vient de certaines voix de la droite. Je pense à un chiraquien comme Jean-François COPE, je pense à un centriste comme Monsieur Hervé MORIN.

BRUNO RETAILLEAU
Oui, mais bien sûr. Bien sûr, qui sont des amis, bien sûr. Mais je leur dis attention parce que c'est un processus que j'estime révolutionnaire. Et vous avez raison. La France est sous tension. Il y a un état de colère. Faisons très, très attention à ne pas déclencher un chaos qui ne serait pas seulement un chaos économique, mais qui serait un chaos politique qui menacerait jusqu'à la concorde civile.

SONIA MABROUK
Jusqu'à la concorde civile ?

BRUNO RETAILLEAU
Jusqu'à la concorde civile, puisque quand il y a un certain nombre de manifestations qui peuvent déboucher sur des violences, bien sûr. C'est la concorde civile. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours indiqué, pour ma part, que la concorde avait pour préalable l'ordre, l'ordre républicain. Donc, je suis garant, moi, de cet ordre républicain au ministère de l'Intérieur. Donc, je veux que chacun se mette en face de ses responsabilités. Nos institutions sont importantes. Moi, je suis attaché aux institutions, non pas parce que je suis macroniste. Je ne suis pas converti.

SONIA MABROUK
Vous êtes gaulliste.

BRUNO RETAILLEAU
Je suis gaulliste, mais c'est parce que je suis gaulliste que je suis attaché aux institutions de la Cinquième République. Les institutions de la Cinquième République, la clé de voûte, c'est le président de la République, et je ne veux pas que ces institutions soient brutalisées. Je les accepte parce que je suis démocrate et républicain.

SONIA MABROUK
À l'instant, Jordan BARDELLA confirme la censure. Il dit que ce serait même un devoir de voter cette censure vis-à-vis de ses électeurs. Il affirme que le Premier ministre, et plus largement le Gouvernement est totalement déconnecté. En réalité, il vous appelle à la responsabilité, aujourd'hui, se perdre dans le désert.

BRUNO RETAILLEAU
La responsabilité, c'est de faire en sorte, comme l'avait fait Michel BARNIER, de faire un budget qui permette à la France d'éviter une crise financière.

SONIA MABROUK
Mais, Monsieur RETAILLEAU, parlons-nous en vérité, en franchise. Il reste quelques heures. Le RN vient de fermer la porte, c'est terminé, on se voit bien dans l'après…

BRUNO RETAILLEAU
Bien sûr, mais on le voit bien, d'ailleurs. Michel BARNIER a fait des concessions, a cherché le compromis jusqu'au bout. Je vous rappelle : pas de taxes sur l'électricité, pas d'augmentation de la taxe, une réforme de l'Aide médicale d'État, j'y tenais beaucoup.

SONIA MABROUK
Qu'est-ce qui n'a pas marché ? Quelle est la question ?

BRUNO RETAILLEAU
Ah non, mais je pense que ça…

SONIA MABROUK
C'est vraiment une question de psychologie ? C'est Madame Le PEN qui a estimé être méprisée. Vous auriez dû davantage tenir compte de ce qu'elle incarne ?

BRUNO RETAILLEAU
Ce sont des prétextes, la preuve. À chaque concession…

SONIA MABROUK
Alors, dites-nous, selon vous, qu'est-ce qui n'a pas marché ?

BRUNO RETAILLEAU
À chaque concession, on en voulait un peu plus. Donc, vous auriez beau couvrir le sapin de Noël de multiples cadeaux, que de toute façon, c'était irrévocable. Je pense qu'on a quitté le champ du rationnel pour le champ de l'irrationnel, mais, encore une fois, une censure, ça ne permet pas d'étancher une soif de colère, une soif de vengeance. Je pense que, quand les intérêts de la France… Vous savez, c'est dans les périodes les plus graves, les plus difficiles, qu'on voit finalement le sens de l'État, le sens de l'intérêt général.

SONIA MABROUK
Et qui l'incarne aujourd'hui ?

BRUNO RETAILLEAU
Je pense que Michel BARNIER, on l'a vu hier soir, incarne un sens de l'État, de l'intérêt supérieur de la Nation.

SONIA MABROUK
C'est un éloge avant un au revoir. Parlons concrètement, ce matin, sur CNEWS et Europe 1, Monsieur RETAILLEAU de tout ce que vous avez prévu, qui risque d'être balayé, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, le parquet anticriminalité, une grande loi, la loi immigration. Est-ce que tout est déjà par terre, à l'eau ?

BRUNO RETAILLEAU
Je ne l'espère pas. Sur le narcotrafic, je voudrais féliciter nos enquêteurs. Vous savez qu'on gagne des points. Dans les quinze derniers jours, lundi, c'était 21 individus présumés appartenant à la DZ Mafia de Marseille. Quinze jours, auparavant, c'était une vingtaine, idem pour la DZ Mafia, un de ses dirigeants était pourtant en prison. On pense qu'il a commandité depuis la prison des homicides. Vous vous rendez compte ? En prison. Ce qui veut dire qu'il faut réformer notre système carcéral, mais aussi l'immigration. La semaine prochaine, j'espère pouvoir annoncer qu'en matière d'éloignement, on a déjà les premiers résultats. En matière d'interpellation des étrangers en situation irrégulière.

SONIA MABROUK
Premier bilan d'État ?

BRUNO RETAILLEAU
Il y a des résultats très rapidement. Je suis ministre de l'Intérieur que depuis deux mois. Mon prédécesseur avait mené des politiques, aussi, de fermeté, mais je pense qu'on peut y arriver. Moi, ce que j'ai voulu faire et ce que je veux faire au ministère, c'est deux choses, c'est montrer aux Français que la politique, elle n'est pas impuissante. Qu'on peut faire bouger les lignes et c'est aussi montrer qu'on peut être sincère, ça veut dire qu'on peut aligner des convictions, des mots et des actes. Pour que les Français croient à nouveau en la politique.

SONIA MABROUK
Et une grande partie des Français reconnaissent votre volontarisme. D'ailleurs, on sent pointer votre frustration. Si vous ne pouviez pas justement mener à terme et à bien votre action. Est-ce que vous pensez que vous avez été un élément dans la décision de censure de Marine Le PEN ? Le RN a-t-il tout intérêt, Monsieur RETAILLEAU, à ne pas vous voir réussir à l'intérieur sur des sujets éminemment régaliens comme l'immigration, la sécurité ?

BRUNO RETAILLEAU
C'est une petite musique que j'ai entendue, qui a traduit d'ailleurs un certain nombre de vos confrères journalistes qui rapportaient des propos de tel ou tel dirigeant du Rassemblement national en disant : « Oh la la, il faut vite tirer le tapis sous les pieds de ce Gouvernement, parce que si Bruno RETAILLEAU, qui est en train de convaincre, obtenait des résultats, pour nous, ça serait terrible », mais j'espère que ces propos n'ont pas été tenus. Parce que ce serait d'un cynisme pur. Ça voudrait dire que parce que le Gouvernement…

SONIA MABROUK
Mais ça vous étonnerait ? Ça vous étonne s'ils ont été tenus ?

BRUNO RETAILLEAU
Plus rien ne m'étonne. Plus rien ne m'étonne. Plus rien ne m'étonne parce que nous vivons une époque terrible, d'effondrement quelque part. D'effondrement d'un certain nombre de valeurs, d'effondrement d'une tenue, je dirais, civique. Donc rien ne m'étonne. Simplement, dans cette période de trouble, je pense qu'on a besoin d'hommes et de femmes qui se tiennent debout, d'hommes et de femmes qui croient, qui ont des convictions, qui appliquent leurs convictions. Ces convictions.

SONIA MABROUK
Vous êtes déjà dans l'après.

BRUNO RETAILLEAU
On les partage ou pas, mais au moins que les convictions, on les applique et qu'on ne se vende pas à des gens qui sont des adversaires politiques.

SONIA MABROUK
Vous vous êtes forgé une certaine image auprès de nombreux Français, Bruno RETAILLEAU, qui reconnaissent votre volontarisme en matière de sécurité et d'immigration, même si, probablement, vous n'aurez pas le temps de décliner votre action. Vous êtes considéré aujourd'hui comme un vice-premier ministre et demain comme un Premier ministre ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, non, je suis ministre de l'Intérieur et ce que je veux dire aux Françaises et aux Français qui nous écoutent, c'est que si, pendant ces deux mois, j'ai pu appliquer une politique de rupture, de fermeté, j'ai clairement dit que l'immigration, ça n'était pas une chance pour la France, ni pour des immigrés qu'on envoie se noyer en Méditerranée ou dans la Manche. Je l'ai assumé, mais si j'ai pu le faire, c'est parce que derrière moi, et au-dessus de moi, il y avait un Premier ministre qui m'a couvert, qui a accepté le cap avec lequel nous avons discuté et pour lequel je faisais cette politique.

SONIA MABROUK
Je vous pose la question différemment, parce que vous avez compris que ma question, c'est est-ce que vous accepteriez Matignon ? Qui est en capacité, aujourd'hui, de ne pas provoquer la censure du RN et de ne pas effrayer le socle commun, ce qu'il y a en commun, encore, de ce bloc central ? Quelle personnalité ?

BRUNO RETAILLEAU
Je ne suis pas capable de répondre à votre question.

SONIA MABROUK
Il n'y en a pas beaucoup, Monsieur RETAILLEAU : vous, Monsieur LECORNU, Monsieur BAYROU ?

BRUNO RETAILLEAU
Oui, mais je ne sais pas qui peut ne pas risquer une censure, parce que dès lors que vous quittez le champ…

SONIA MABROUK
C'est grave, de dire : " S'il n'y a pas de personnalité, on va vers... "

BRUNO RETAILLEAU
Mais si vous quittez le champ de la raison, si tout cela échappe à la raison, au rationnel, alors c'est difficile d'anticiper. Bon, simplement, moi, j'ai un job. Je l'ai commencé et je m'y suis jeté à bras-le-corps et je veux réussir. Je pense qu'on peut réussir. Il me faut un peu de temps et je veux poursuivre ce travail.

SONIA MABROUK
Je vous pose la question différemment. Il y a deux possibilités : soit vous continuez à la place Beauvau, soit vous continuez à Matignon, soit vous prenez du champ, parce que vous vous dites que c'est le moment de partir pour penser à plus tard.

BRUNO RETAILLEAU
Un, je vois la question. Un, je vous l'ai déjà dit, je ne suis pas dévoré par le virus de la présidentielle. Je vais même aller plus loin. Je pense que c'est parce que je ne suis pas dans le coup d'après que j'ai eu cette force et cette liberté. Parce que rien ne m'attend. Comme, à titre personnel, je n'attends rien du lendemain, que j'essaie de me dévouer pour la France, pour l'idée que je me fais du service de l'intérêt général. Écoutez, je n'attends rien. Donc, un, je ne suis pas dévoré par le virus de la présidentielle, première chose. Deuxième chose, ce qui m'intéresse pour moi, c'est d'avoir des résultats, c'est ça et très franchement, il y en a plein d'autres qui pensent à la présidentielle, donc qu'ils y pensent.

SONIA MABROUK
Oui, on peut les citer, ils font partie normalement de ce socle commun : Laurent WAUQUIEZ, Gabriel ATTAL. Quand même, vous avez un regard sur cette majorité très relative. Est-ce qu'elle a soutenu Michel BARNIER comme la corde soutient le pendule ?

BRUNO RETAILLEAU
Non, c'est trop loin. Le problème, on a, le problème structurel après la dissolution, c'est que les Français n'ont pas envoyé à l'Assemblée nationale une vraie majorité. Il y avait donc un socle commun composé de quatre parties qui, jadis, se sont combattues. Vous ne pouvez pas, très franchement, en quelques semaines, rabibocher des problèmes entre les uns ou les autres avec des lignes politiques qui sont différentes. Je pense que ça a tenu, d'ailleurs, parce qu'on a pu faire un certain nombre de choses. Des textes ont pu, malgré tout, progresser. Mais là, il faut en tirer une conséquence. Il faudra aussi, si demain, ce socle commun devait perdurer, voir une plateforme programmatique minimum sur laquelle on pourrait s'entendre.

SONIA MABROUK
Vous y croyez à cette grande coalition ? Certains en parlent, de François HOLLANDE à Laurent WAUQUIEZ.

BRUNO RETAILLEAU
Non, je ne crois pas.

SONIA MABROUK
Vous êtes lucide.

BRUNO RETAILLEAU
Moi, je crois…

SONIA MABROUK
Vous êtes un homme de droite.

BRUNO RETAILLEAU
Je suis un homme de droite, ça ne veut pas dire que je ne respecte pas les uns ou les autres, simplement, je pense que le en même temps, le problème, c'est l'impuissance, puisque, si vous essayez de faire un calcul avec un tout petit dénominateur commun, vous n'arrivez pas…

SONIA MABROUK
Mais c'était ma dernière question, Monsieur RETAILLEAU. Vous venez de dire : " Le en même temps, c'est le problème ". On a eu Monsieur RETAILLEAU, monsieur MIGAUD, madame GENETET, Monsieur Alexandre PORTIER. Des convictions, vraiment, parfois, antinomiques. Est-ce que c'est la fin du " en même temps »"et donc du macronisme ?

BRUNO RETAILLEAU
Moi, j'appelle la reconstitution du clivage droite-gauche. Le problème, comment dirais-je, d'un entre-deux, où vous aviez un bloc central avec deux ailes radicales, c'est que ça pose un problème. C'est que vous radicalisez les deux ailes. La démocratie étant la possibilité d'une alternance, l'alternance ne peut être que radicale. Non, moi, je pense qu'il faut, pour pouvoir réformer la France, avoir des idées claires. Et donc, c'est ou de droite ou de gauche, mais pas l'un et l'autre, c'est pour ça, quand vous me disiez : " Est-ce que vous croyez à quelque chose qui irait de la gauche jusqu'à la droite ? " Je n'y crois pas. Pour des raisons arithmétiques, on voit bien l'intérêt, mais pour des raisons de conviction et de politique, je n'y vois pas l'intérêt. Moi, je pense que pour réconcilier, et en quelques semaines, je pense qu'on a vu d'ailleurs ces ferments de réconciliation des Français avec la politique, il faut encore une fois aligner ces convictions profondes avec les paroles et les actes.

SONIA MABROUK
Merci Bruno RETAILLEAU. Je ne sais pas si je dois dire : "Merci encore au ministre de l'Intérieur, merci au potentiel Premier ministrable, merci au potentiel candidat en 2027. Peut-être merci à tous les trois ce matin ". Bonne journée à vous.

BRUNO RETAILLEAU
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 décembre 2024